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Labo Arts & Techs

Impacts environnementaux d’une œuvre d’art numérique, avec le studio Chevalvert [étude]

Publié le 09/01/2023

© Chevalvert

Si la question environnementale est un sujet de plus en plus abordé par les artistes, les démarches d’éco-conception des œuvres sont encore encore à imaginer et à développer dans le champ des arts numériques. Pour initier et structurer ces démarches, il est nécessaire de mieux comprendre quels sont les impact environnementaux potentiels générés par des œuvres d’art numérique et d’identifier les principaux éléments ou étapes contribuant à cet impact pour informer les artistes et nourrir leurs réflexions sur les choix de conception.

Le Labo Arts & Techs s’est donc associé au studio Chevalvert pour réaliser l’analyse de cycle de vie de leur installation Far Away. L’objectif de cette étude est de mieux comprendre les impacts environnementaux générés par une œuvre d’art numérique lors des différentes étapes de son cycle de vie. Elle vise d’une part à quantifier les impacts environnementaux potentiels de cette œuvre, et d’autre part à identifier les étapes du cycle de vie ainsi que les composants et choix techniques ayant le plus d’impact.

Accéder à la synthèse de l'analyse de cycle de vie de Far Away
Accèder à l'analyse complète 


Rencontre avec Stéphane Buellet, cofondateur et directeur artistique de Chevalvert.

Peux-tu te présenter ? 

Je suis designer graphique depuis 2006 et je pratique également la programmation créative (ou creative code), l’interaction et un peu de motion design. En 2007, j’ai cofondé le studio Chevalvert avec Patrick Paleta. Nos profils étant complémentaires, nous avons partagé nos réflexions et nos pratiques sur le signe dans l’espace, l’interactivité, le dessin ou encore la typographie. Le corps et le geste sont souvent au centre de toutes ces disciplines.

© Chevalvert

Depuis tout petit, le fonctionnement des choses, les sciences et les logiques organiques (biologie) m'intéressent beaucoup. À la fin de mes études d’art appliquées à Lyon en 2005, j'ai été attiré par la programmation créative et l'interaction. J’ai commencé à créer des installations qui réagissent de manière autonome et organique aux stimulis de leur environnement, qu’ils soient humains ou non. Avec Chevalvert, nous travaillons à créer des interactions physiques dans des contextes spécifiques, encore plus quand le public est au centre du dispositif et pas seulement spectateur.

Avec Stereolux, nous avons multiplié les collaborations depuis 2014.

2014 : Présentation de l’installation MURMUR (2013) durant le festival Scopitone
2016 : Workshop Stéréo-signes « Et si nous fossilisions nos données », une collection de signes graphiques sensibles à des capteurs
2017 : Design graphique pour le cycle thématique de conférences Art, Design & Intelligence Artificielle 
2018 : Workshop Wip Map, cartographie générative
2018 : Présentation de l’installation STRATUM durant le festival Scopitone
2019 : Bassins de Lumière (projet Art/Science avec le CRENAU)
2020 : Conférence Open-Talk (sur l’invitation de Martial Geoffre-Rouland)
2022 : Workshop « l’aléa comme moteur de création »

 

© Chevalvert / Stereolux / Workshop « l’aléa comme moteur de création »

Sous la forme de workshop ou d’exposition, nous avons de nombreux échanges basés sur le long terme avec Stereolux. C’est rare et précieux. Nous partageons aussi ce type de relation avec certains clients et institutions. À contre-courant des temps courts ou des « one shot », nous valorisons cette façon d’appréhender le design et la production artistique, dans la durée et la confiance. En interne avec l’équipe (Camille Coquard, Mathieu Mohamad et Arnaud Juracek) c’est aussi sur ce principe que nous développons le studio.

L’année dernière, c’est en toute logique que nous avons répondu présent à la demande de Martin Lambert du Labo Arts & Techs de Stereolux sur l’analyse de l’une de nos récente installation d’un point de vue éco-conception. Nous avons accepté car d'autres artistes semblaient également motivés d’ailleurs. Finalement, nous sommes les seuls à être allés jusqu’au bout du processus avec Martin.

 

Quelle est votre position au sein du studio concernant les démarches d'éco-conception des installations ? 

En 2013, nous avons développé l’installation Murmur (avec une équipe ouverte composée notamment d’artistes comme Julia Puyo (en stage à ce moment-là) et Julien Gachadoat. Personnellement, en tant que designer je trouvais que la course au gigantisme et au besoin de vidéoprojecteur de plus en plus puissant (sur les mapping par exemple) manquait de simplicité, d’élégance, notamment au regard de la poésie qui peut découler des créations autour de la lumière et des interactions. Sans le savoir, ce désir de simplicité convoquait déjà des questionnements autour de l’éco-conception. Cette démarche je l’avais d’ailleurs découverte durant mes études de design (via le designer Victor Papanek, connu pour son ouvrage “The Green Imperative: Natural Design for the Real World” publié en 1995).

© Murmur, Chevalvert

Depuis Murmur, dix années sont passées à présent. La plupart de nos installations sont réalisées en France (à Lyon) chez nos partenaires Hémisphère (ingénieurs). Nous intégrons petit à petit l’éco-conception et la recyclabilité dès l’écriture du projet, autant que possible. Parfois nous sommes encore contraints de commander un ESP (carte de contrôle électronique) en Asie. C’est d’ailleurs ce qui ressort sur l’étude de Far Away et que nous devons à présent faire évoluer.

Aujourd’hui, au sein du studio, l’objectif est d’abord de pouvoir vivre de ce que l’on fait. En tant que designer indépendant, nous devons évidemment penser à la viabilité économique de nos projets. En revanche, cela ne doit pas se faire au détriment du reste. La durabilité et l'éco-conception peuvent être compatibles avec une activité économiquement viable. En prenant en compte les aspects humains, techniques et écologiques de nos décisions, nous pouvons créer des solutions « sensées et pensées » pour qu’elles soient à la fois viables sur le plan économique et respectueuses de l'environnement. Le "bon sens" précède l’éco-conception. Agir de manière responsable et réfléchie en prenant en compte les conséquences à long terme de nos actions.

 

Peux-tu nous parler en particulier de Far Away ? 

Far Away est une création imaginée pour le festival Constellation de Metz 2021 (sur l’invitation de Jérémie Bellot). L’installation s’apparente à une scène d’exploration spatiale, matérialisée par 12 Sentinelles en rotation, scannant le terrain à la recherche d’un signe, d’un mouvement, d’une ressource.

Ces Sentinelles, mi-scanners, mi-girouettes, s’activent dans un ballet cyclique et minimal. Le passage du public sous ces objets semble perturber leur fonctions exploratoires… L’installation renvoie à la condition et à l’isolement des robots d'exploration (comme Perseverance sur Mars). Cette création s’intéresse aux conditions de transmission d’un message dans l'espace, aux interactions homme-machine, autant qu’à la présence de la vie, ici, comme très loin d'ici…

© Far Away, Chevalvert, vidéo : Scanair, Florient Pugnet

Le développement technique et la fabrication de Far Away a été réalisé par Hémisphère et Chevalvert. Ce qui nous intéressait avec le projet Far Away, c’est qu’il n’a pas été imaginé et conçu dans une pure démarche d’éco-conception, mais plutôt à partir d’une narration spécifique et d’impératif économique intrinsèque à la réalisation de ce type d’œuvre en série. Ce qui nous intéressait donc, c’était de se mettre les pieds dans le plat et de se rendre compte, honnêtement et sans faux-semblants, de son impact environnemental, sans "greenwashing", ni excuses.

L’étude révèle que l’œuvre est relativement bien pensée, conçue et sobre en consommation énergétique, mais que le voyage et l'importation de ses composants électroniques suffisent à alourdir considérablement son impact. Les chiffres nous ont même surpris car nous ne pensions pas que cela pouvait aller aussi loin alors que les objets électroniques en questions sont petits et tiennent dans le creux de la main.

 

Comment est née l’idée de cette analyse de cycle de vie avec Stereolux & pourquoi ? 

Depuis un moment, au détour de workshops, nous échangions avec le Labo Arts & Techs sur ces questions du vrai poids technologique du numérique, de l’internet notamment ou du streaming. De la sémantique déployée (cloud, réseau, disponibilité) tout paraît léger, à portée de main, et en réalité cette dépendance nécessite des immeubles entiers pour abriter des datacenters.  Il est important de noter que ces problèmes ne sont pas uniquement liés à l'utilisation de l'internet et du streaming, mais également à l'ensemble de la chaîne de production et d'utilisation de technologies numériques. Par exemple, la production de smartphones, ordinateurs et autres appareils électroniques nécessite également des matériaux rares et leur fabrication peut avoir un impact environnemental significatif.

Pour les installations, c’est différent. Celles-ci ne n’exploitent pas forcément les réseaux, mais en revanche nécessitent parfois des éléments lumières, des cartes électroniques (Raspberry, Arduinos, ESP) pour pouvoir fonctionner. Ces cartes sont composées de matériaux rares, de silice également et ces matières premières se trouvent la plupart du temps en Afrique ou en Asie dans des carrières.

© Chevalvert / Hémisphère

Leur extraction est souvent associée à des problèmes environnementaux et sociaux, tels que l'exploitation de la main-d'œuvre et la pollution de l'air et de l'eau. En outre, le transport de ces matières premières vers les usines de traitement et les ateliers de fabrication consomme également beaucoup d'énergie et contribue aux émissions de gaz à effet de serre.

Au final, il est essentiel de prendre en compte ces impacts lors de l'adoption de technologies numériques et de trouver des moyens de les minimiser. Cela peut inclure l'adoption de technologies plus écologiques, le recyclage des appareils obsolètes et la sensibilisation des consommateurs aux questions environnementales liées à l'utilisation de technologies numériques. Cette étude nous a aidé à mettre à plat tout cela, notamment en assumant clairement nos écueils passés.

 

Comment vois-tu l'évolution de ces démarches au sein du secteur des arts numériques dans les années à venir ? 

J’ai encore oublié ma boule de cristal à la maison (!) mais je me lance. Comme à chaque bouleversement socio-culturel ou économique, les artistes questionnent leur pratique.

Notons que cela ne signifie pas que les technologies numériques vont disparaître de l'art ou que les artistes vont abandonner leur utilisation complète. Au contraire, je pense que les technologies numériques continueront à être un outil important pour les artistes et à jouer un rôle clé dans l'évolution de l'art. Cependant, il est probable que leur utilisation soit de plus en plus consciente et responsable.

Depuis quelques années, on entend parler d’un mouvement post-numérique (très bon article chez Usbek et Rica https://usbeketrica.com/fr/article/art-post-numerique-design) mais ça me semble parfois fumeux. En revanche, certaines pratiques comme celles de Barthélemy Antoine-Lœff me semblent plus concrètes, il interroge par exemple le coût énergétique de ses travaux exposés. Élise Morin et ses Waste Landscape (où le déchet devient paysage) ou Justine Emard et son œuvre Supraorganism qui révèle une forme d’intelligence nourrie par une communauté d’abeilles, sous le forme de sculptures de verre, de façon très poétique et éthérée. Juliette Bibasse et Joanie Lemercier participent aussi activement à cette sensibilisation autour des enjeux environnementaux.

© Supraorganism, Justine Emard par David Gallard - Scopitone 2021

© Tipping Point, Barthélémy Antoine-Loeff par David Gallard - Scopitone 2021

Suivant les artistes, l’éco-conception est tantôt un sujet, tantôt un processus. Cette différence est importante car elle met en valeur l’idée qu’un ou une artiste qui "parle" d’éco-conception ne le fait pas forcément avec des moyens qui eux sont éco-conçus. Inversement, une artiste peut traiter d’un sujet qui n’a rien à voir, tout en mettant en place une démarche qui tend à être éco-conçue. Cela paraît évident, mais ça mérite d'être dit. 

Dans les prochaines années, j'imagine que de plus en plus d'artistes exploreront de nouvelles façons de créer de l'art en utilisant moins de technologies numériques ou en utilisant des technologies plus responsables, voire aucune.

Les artistes aiment occuper l’espace et ils continueront à le faire en explorant de nouvelles façons de créer de l'art et à utiliser des technologies numériques de manière responsable et durable. Et si cela peut aider à sensibiliser les gens aux questions environnementales et à promouvoir des pratiques durables dans le monde entier, c’est encore mieux. 

Accéder à la synthèse de l'analyse de cycle de vie de Far Away
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LE CODE CRÉATIF DU LABO ARTS & TECHS FÊTE SES 10 ANS [INTERVIEW]

Publié le 23/11/2022

Le Code Créatif du Labo de Stereolux fête ses 10 ans ! D'abord appelé le "Patching Circle" en référence à la communauté New-Yorkaise du logiciel Pure-Data, ce rendez-vous hebdomadaire a réuni (et réuni encore !) des passionné·es de création numérique et de code créatif qui souhaitent expérimenter ensemble. En attendant le samedi 03 décembre pour fêter cet anniversaire, retour sur cette décennie d'ateliers participatifs avec Bérenger Recoules, Maël Pinard et Martin Cailleau.

Les 10 ans du code créatif


"Nous avons vite évoqué [...] la possibilité de créer un format pour se retrouver et partager autour du code et de la création artistique avec le plus grand nombre : professionnel·les, amateur·ices, chercheur·euses etc."

Session du Code Créatif, 2018.

1. BÉRENGER, MAËL, MARTIN : Pouvez-vous vous présenter et nous DÉCRIRE LE rôle que vous avez joué dans les sessions du Code créatif ?

Bérenger Recoules : Je suis Bérenger Recoules, après des études en musicologie, en ingénierie et en psychologie cognitive, je me suis lancé en freelance dans l'écosystème créatif nantais; depuis 2017 j'ai rejoint l'École de Design Nantes Atlantique dans laquelle j'officie en tant que responsable de l'atelier numérique - qui est un espace dédié à l'expérimentation et à la création numérique. En tant qu'acteur de la scène créative nantaise à cette époque - la création de Stereolux en 2012 - nous nous sommes retrouvés à plusieurs à occuper les studios de création du Labo Arts et Technologies. Les discussions aidant nous avons vite évoqué avec Lucile Colombain (responsable du laboratoire à l'époque) et Maël Pinard (régisseur du Labo) la possibilité de créer un format pour se retrouver et partager autour du code et de la création artistique avec le plus grand nombre : professionnels, amateurs, chercheurs etc.

Maël Pinard : J'ai travaillé à Stereolux de 2010 à 2015, en tant que régisseur multimédia et réseaux. J'ai participé à l'élaboration du Patching Circle /Code Créatif avec Bérenger et Lucile Colombain. Lucile nous a soutenu à développer une communauté qui réunissait créatif·ves et codeur·euses. Je m'occupais de préparer les sessions avec Berenger. C'est-à-dire, accueillir les participant·es et fournir le matériel ainsi qu'un accompagnement technique lorsque je le pouvais. Les sessions du Code Créatif ont permis de développer la communauté du Laboratoire Arts et Technologies qui venait de se monter, et de soutenir la création au niveau local.

Martin Cailleau : Martin Cailleau, co-fondateur du studio Jellyfox, concepteur de jeux vidéo, développeur et graphiste 3D. J’ai commencé à participer aux sessions en 2012 quand j’étais étudiant. Les sessions s'appelaient le "Patching Circle". J’y ai découvert beaucoup d’outils et de passionné·es d’arts numériques. Puis en 2016, avec d’autres participant·es, j’ai monté un projet de jeu vidéo scénographique (Jukebox Insider), un mélange entre un spectacle son et lumière, du vidéo mapping et du jeu interactif. Nous avons alors travaillé autour de ce projet à chaque session avec l’aide du Labo, qui nous mettait à disposition le matériel nécessaire (vidéoprojecteur, lumières DMX, écran géant, machine à fumée…) En 2018 a eu lieu l'exposition [Exposition Jukebox Insider] en salle Maxi. C’était une très belle expérience et je remercie toutes les personnes qui y ont pris part. Maintenant, j’ai rejoint l’équipe du Labo pour accompagner techniquement et conseiller les participant·es.

Exposition Jukebox Insider à Stereolux en 2018. Fumigène, mise en scène sonore et lumineuse, Jukebox Insider dépasse le jeu vidéo individuel pour devenir un spectacle conçu pour être joué devant un public. Photos : Emmanuel Gabily.
 

2. Retour en 2011-2012. Qu'est-ce qui a fait germé ce rendez-vous hebdomadaire du Patching Circle, nom initialement donné aux sessions du Code créatif ? 

"On a eu comme souhaits de créer des émulations et des rencontres entre créatif·ves, plasticien·nes, codeur·euses, designer·euses, musicien·nes, curieux·ses... Et de faire de ces sessions des moments d'échanges et d'expérimentation."

B.R. : Le Patching Circle est à la base un rendez-vous hebdomadaire qui se pratique dans la communauté New-Yorkaise du logiciel Pure-Data. L'idée étant que "nous" (artistes, membres de la communauté) passions suffisamment de temps seuls dans nos bureaux à travailler sur nos programmes et créations sonores et visuelles et qu'il serait probablement intéressant de faire la même chose dans la même pièce pour partager, échanger, s'entraider.

Première édition des Journées du Code Créatif, 2012.
 

Le terme "patching" fait écho à la programmation visuelle : aux boîtes que l'on relie entre elles par des câbles virtuels pour combiner leur fonctions. C'est la base de nombreux environnements de programmation actuels : Pure-Data, Max MSP, vvvvv, gamma, touch designer, cables.gl, mais aussi houdini ou blender et bien d'autres encore. Finalement, nous ne nous sommes pas réduits à ce type de langage et avons abordé le code comme outil de création d'une manière plus large en passant par processing, p5js, openframeworks ou encore arduino.

M.P. : En 2011-2012, je travaillais principalement sur les projets du Laboratoire Arts et Technologies et du festival Scopitone. J'étais en lien direct avec les artistes et codeur·euses qui venaient utiliser les nouveaux espaces de création situés au R+4. Au cours de l'année, ont a constaté qu'il fallait montrer cet espace de création au public, du moins sur un créneau dans la semaine. Cet équipement au 4ème étage de Stereolux n'était pas vraiment visible, ni accessible. On avait envie d'ouvrir ce nouvel équipement plus largement, et de créer un espace d'échange autour de la création numérique. On a eu comme souhaits de créer des émulations et des rencontres entre créatif·ves, plasticien·nes, codeur·euses, designer·euses, musicien·nes, curieux·ses... Et de faire de ces sessions des moments d'échanges et d'expérimentation.

 

3. Quels ont été les premiers outils/projets des sessions ?

Minitel RaspberryPi photographié lors du Web2day de 2014.
 

B.R. : C'est assez compliqué de répondre car de multiples projets, expérimentations ont été esquissés et n'ont jamais vu le jour. Les premières années il n'y avait pas d'organisation autour de projets, mais surtout du partage : montrer ce que l'on fait, faire tester à d'autres, montrer / expliquer des projets personnels et recueillir des avis, des impressions. Au tout début, nous tournions beaucoup autour de Pure-Data, Max/MSP, VVVV, processing et arduino. Le Raspberry PI est arrivé et un des premiers projet à "sortir" a été le hacking d'un minitel avec ce micro ordinateur à moins de 50€. Il a été porté par Maël et Xavier Seignard : il a fallu être capable d'utiliser l'écran et le clavier du minitel pour au final faire fonctionner de mini-créations visuelles dans l'esprit des fameuses démo de la demoscene - puisque dans un environnement très contraint à l'époque - pour le Web2day.

M.P. : À l'époque, le minitel venait d'être coupé, l'objectif était de modifier la machine pour la connecter à nouveau au réseau. On a hacké le clavier et recréé une carte vidéo pour utiliser l'écran d'origine, installé un Raspberry PI à l'intérieur et connecté le tout à internet.

"Plus que des événements, je garde surtout en mémoire des rencontres humaines marquantes, des liens que l'on a pu tisser avec certain·es participant·es." 

4. Gardez-vous en tête un ou plusieurs événements marquants ?

Apéro du Code Créatif, 2018.

 

M.P. : Plus que des événements, je garde surtout en mémoire des rencontres humaines marquantes, des liens que l'on a pu tisser avec certain·es participant·es. Je pense à Irwin, aka Clone, installé à Shanghai depuis un moment, et qui a créé son agence et enseigne à l'Université. Il y a aussi Vince, développeur installé en Nouvelle-Zélande, au pays des volcans, ou encore Laurent La Torpille qui était quasiment résident du R+4 ! il est devenu "l'artiste de Stereolux" lors des visites officielles pour la promotion du lieu à ses débuts ! [ndlr : le travail de l'artiste L. La Torpille s’oriente vers des recherches plastiques qui placent l’individu et les nouvelles technologies au cœur des processus de création. Il réalise des environnements dynamiques, privilégiant les manipulations en temps réel de l’image et du son et leurs interactions.]

Bubble Story, installation pour tout-petits de l'artiste Laurent La Torpille (2012). Photo : Carole Humeau.
 

M.C. : Je garde évidemment en tête toute la période d’émulsion autour du projet Jukebox Insider. Mais aussi les apéros du code créatif avec les présentations d’autres projets.

B.R. : Les événement ouvert au public ont toujours été des événement marquants. J'ai eu la chance de pouvoir travailler avec l'équipe de Stereolux à l'organisation des Journées du Code Créatif, et j'avoue que la première dédiée à Pure-Data a été très particulière pour moi puisque nous avons pu faire venir Miller Puckette [ndlr : directeur associé du centre de recherche en arts et informatique de l'université de San Diego, Californie. Il est le créateur du logiel Max et de Pure Data] ainsi que de nombreux acteur·ices majeur·es de la communauté. Nous avons également participé aux tests d'Egregore de chdh, et je me souviens de la performance réalisée à distance pendant les sessions. Il reste maintenant à imaginer les 10 prochaines années pour rencontrer de nouveaux créateur·ices, découvrir de nouveaux outils et monter de nouveaux projets !

Conférence de Miller Puckette à Stereolux le 29 mars 2012.

 

Merci à Béranger, Maël et Martin pour leurs réponses.

RDV samedi 03 décembre pour fêter les 10 ans du Code Créatif !

L'ART NUMÉRIQUE À L'ÉPREUVE DE LA PURETÉ ÉCOLOGIQUE

Publié le 02/11/2022

Les impacts de la numérisation croissante sont dorénavant connus et sa prétendue immatérialité ne fait plus illusion. Si des acteurs et actrices du secteur cherchent aujourd'hui à promouvoir un « numérique responsable », qu'en est-il dans le champ de l'art numérique ? Comment la question environnementale est-elle prise en compte par ces artistes dans leur pratique ? Au-delà de la tentation de les soumettre à un « test de pureté » écologique, leur contribution se joue-t-elle dans la construction de nouveaux imaginaires ?

Cycle thématique : Enjeux environnementaux des arts numériques


ART À GÉOMÉTRIE SOUTENABLE

« Il y a un côté "deux pas en avant, un pas en arrière" lorsque tu te poses des questions d'éco-construction et environnementales. » Juliette Bibasse

Le champ culturel n'est pas exempt d'une prise de conscience de son impact environnemental. Sur le versant des arts numériques, le réseau français Hacnum a d'ailleurs lancé un groupe de travail en septembre 2022, lors du festival Scopitone, afin de mettre en commun les réflexions. Au cœur de celles-ci : comment réduire l'empreinte écologique de la création numérique ? Les démarches se multiplient du côté d'artistes cherchant à calculer leur impact, utiliser des matériaux moins polluants, privilégier des pièces remplaçables, s'impliquer dans des démarches d'éco-conception ou encore low-tech...
C'est notamment le cas du plasticien Barthélémy Antoine-Lœff, dont toutes les œuvres sont réfléchies pour avoir un coût écologique le plus faible possible. Un paramètre qu'il revendique comme partie inhérente à ses travaux. Pour son œuvre Tipping point, il a défini sa propre échelle du « raisonnable » lui permettant de mettre un iceberg sous cloche afin d'alerter sur la fonte des glaciers. « Si la limite est atteinte, je considère que l’œuvre peut mourir » explique-t-il. « C'est une œuvre qui consomme de l'énergie et dont le message est d'alerter sur les enjeux écologiques. C'est une ambivalence que j'assume car, si elle a un impact sensible sur le public, la partie est gagnée ».

Les considérations environnementales changent assurément la manière de travailler et impactent l'artistique. « Il y a un côté "deux pas en avant, un pas en arrière" lorsque tu te poses des questions d'éco-construction et environnementales » témoigne Juliette Bibasse, productrice, curatrice et directrice artistique du Studio Joanie Lemercier.

Tipping point - Barthélémy Antoine-Loeff © Gregoire Edouard

GRAVIR L'ÉCHELLE

« C'est le rôle des artistes de montrer qu'on peut inventer d'autres façons de se comporter, d'avoir un autre rapport au temps. Si nous ne le faisons pas, personne ne le fera ». Barthélémy Antoine-Lœff

Mais les artistes ne sont pas les seul·es concerné·es par la nécessité de réduire leur impact environnemental. « Ces enjeux nécessitent un changement de système et de modèle économique qui implique toute la filière » explique Léa Conrath, coordinatrice du réseau Hacnum. Un critère qui devient progressivement transversal à toutes les étapes de création, production et diffusion d'une œuvre. Il s'agit de « ne pas tout faire peser sur les artistes, qui ont leurs propres contraintes économiques. Quel poids a une œuvre par rapport au déplacement du public par exemple ? » interroge Barthélémy Antoine-Lœff.

Si ces démarches se développent, elles éveillent aussi quelques garde-fous. Le greenwashing est à éviter tout autant que la démagogie : « Annuler un événement sous prétexte qu'il consomme de l'énergie peut s'avérer trompeur, considérant qu'on a encore du mal à calculer son impact réel » alerte Juliette Bibasse. D'après la directrice artistique, il s'agit avant tout d'une question d'échelle en trompe l’œil, certains dispositifs ne dépassant pas la consommation d'équipements ménagers. « L'expérimentation pour créer une œuvre amène à se poser ces questions, cela créé des connaissances qui peuvent permettre de prendre conscience de ces données ». Il n'est donc pas question, pour elle, de boycotter les lieux d'exposition ou des festivals qui ne passeraient pas le « test de pureté » - considérant que si tu n'es pas parfait, tu n'as pas le droit de te prononcer sur le sujet - mais de les sensibiliser. « Il peut même être intéressant d'aller dans des endroits où il y a besoin d'agir en sous-marin, être un "cheval de Troie" pour poser des questions notamment sur le sujet de la crise énergétique » suggère Juliette Bibasse. Dans cette optique, le projet Solar Storm, en cours de conception par le Studio Joanie Lemercier, sera accompagné d'un discours explicitant la consommation de ses panneaux solaires.

Solar Storm - Joanie Lemercier ©
 

Pour Barthélémy Antoine-Lœff, une autre échelle est de mise : celle du temps. « Nous sommes à des niveaux de connaissances, de sensibilités et de réflexions différentes. C'est le rôle des artistes de montrer qu'on peut inventer d'autres façons de se comporter, d'avoir un autre rapport au temps. Si nous ne le faisons pas, personne ne le fera ».

POUVOIR MAGIQUE ET NOUVEAUX IMAGINAIRES

« Les artistes ont la capacité à écrire de nouveaux récits, à être des fenêtres sur d'autres possibles. » Barthélémy Antoine-Lœff

Ces tensions ne sont pas nouvelles pour ces artistes qui « cherchent constamment à analyser, interroger, détourner le numérique. Ils sont déjà dans le futur, dans une démarche prospective » explique Léa Conrath. La question du récit est d'ailleurs fondamentale dans leur travail. Pour Barthélémy Antoine-Lœff, « les artistes ont la capacité à écrire de nouveaux récits, à être des fenêtres sur d'autres possibles ». Juliette Bibasse est, quant à elle, « convaincue du rôle des artistes dans leur capacité à inventer des choses qui n'existent pas, c'est leur "pouvoir magique" : créer des imaginaires, utiliser la beauté pour choquer mais aussi éveiller les sens, susciter le désir, donner envie. Amener chacun à trouver où il va se sentir utile dans l'action ».

Barthélémy Antoine-Loeff, éleveur d’iceberg ©

« Il y a urgence à repenser notre impact environnemental, et le monde de la culture doit aussi s'emparer de ce sujet. » Martin Lambert

De nouveaux imaginaires « qui ne sont pas forcément alarmistes et terrifiants, mais peuvent aussi être positifs et porteurs d'espoir » invite Léa Conrath. Celui défendu par le Studio Joanie Lemercier, par exemple, n'a rien d'une sobriété amish ni d'une visio techno-optimiste dans laquelle les technologies nous sauveraient, il cherche plutôt à les démystifier. Les démarches low-tech – soit le recours à des technologies utiles, durables et économiques visant la sobriété énergétique et matérielle - sont d'ailleurs très présentes dans le champ des arts numériques. Is low the new tech ?

Si aller vers une création numérique plus soutenable semble un point de consensus, « cela doit rester une démarche libre. L'enjeu est, avant tout, d'accompagner les artistes qui souhaitent s'engager dans ce type de démarche, en leur fournissant des connaissances et des outils » témoigne Martin Lambert, responsable du Labo Arts & Techs de Stereolux et pilote du groupe de travail lancé par Hacnum. C'est dans cet objectif que le cycle « Enjeux environnementaux des arts numériques », qui se tiendra à Nantes en novembre et décembre 2022, permettra d'aborder les questions de numérique responsable et création artistique, d'éco-conception des arts numériques, et de low-tech. « Il y a urgence à repenser notre impact environnemental, et le monde de la culture doit aussi s'emparer de ce sujet », nous rappelle-t-il.
 

Article écrit par Julie Haméon

POUR ALLER PLUS LOIN

>> DIWO Arts & Tech Camp 
Revivez la première édition de DIWO (Do It With Others), un programme de deux semaines autour de l'approche éco-consciente de l'art numérique, organisé par le Laboratoire Arts & Technologies de Stereolux, en collaboration avec NØ & La Samoa.

Le bestiaire de l’art numérique : quand les animaux font œuvre…

Publié le 23/06/2022

Article rédigé par Laurent Diouf en partenariat avec la revue AS (Actualité de la Scénographie).

Les animaux c'est un peu comme les hommes : nous pouvons les dominer, les exploiter voire les martyriser. Régulièrement, des performances musicales ou artistiques se prennent les pieds dans ce filet comme de maladroits rétiaires… À l'origine, le mot bestiaire désigne une catégorie de gladiateurs. Plus tard, au Moyen Âge, ce sont des récits allégoriques. De nos jours, le terme est synonyme de barnum animalier, entre Arche de Noé et chimères. C'est l'impression que nous donne la présence d'animaux au croisement de pratiques artistiques qui interrogent la relation de l'homme au vivant.

Céleste Boursier-Mougenot, From Here to Ear - Photo © Céleste Boursier-Mougenot

La fable des abeilles

Nous connaissons l'adage “la musique, c'est du bruit organisé”. Rien n'empêche d'utiliser des animaux pour faire de la musique improvisée. C'est le cas des fameux "oiseaux musiciens" de Céleste Boursier-Mougenot. L'idée est simple : substituer des perchoirs par des guitares électriques. Lorsque les oiseaux se posent dessus – en l'occurrence des dizaines de diamants mandarins – les cordes vibrent et délivrent de surprenants accords composant une musique aléatoire (From Here to Ear, 2012). La scénographie, travaillée avec de la verdure et des présentoirs qui surélèvent les guitares, n'aurait pas déplu à Gaston Lagaffe…

L'installation sonore d'Éric Mezan (Essaim, 2021) prend la forme d'un énorme pavillon acoustique alvéolaire en bois. Alimenté par des panneaux photovoltaïques, ce dispositif est connecté à trois ruches et nous donne à entendre Le chant des abeilles (2020). L'installation de Félix Blume restitue aussi le bourdonnement des abeilles mais fonctionne sur un protocole différent. Avec la complicité d'un apiculteur, il a "piégé" et enregistré 250 ouvrières. Leur bruissement laborieux est diffusé sur une myriade de petits haut-parleurs suspendus, offrant la sensation d'être au sein d’une colonie en plein vol.

Honningrommet, de la Norvégienne Ann Kristine Aanonsen, est une installation étonnante et vraiment immersive puisqu'elle mobilise quasiment tous nos sens. Cela ressemble à un gros Rubik's Cube de couleur or que nous entendons et sentons de loin ! Les parois sont constituées de cadres de ruches contenant encore des restes de miel. Le cube est en fait une cabane. À l'intérieur, une projection vidéo et une sonorisation donnent l'impression d'être plongé au cœur d'une ruche.

Le hacker et la fourmi

Justine Emard joue elle aussi avec un essaim d'abeilles dans Supraorganism (2020). Pas de prise directe mais l'utilisation de données collectées dans une ruche. Ces datas alimentent un système de machine learning commandant un ensemble de sculptures robotisées en verre. Suspendues sur une structure en inox, ces sculptures bougent, changent de couleurs, vibrent et cliquètent de manière cristalline grâce aux schémas de comportement des abeilles qui ont été numérisés.

Aux ruches connectées de Victor Remere ou de l'OpenBeeLab de Pierre Grangé-Praderas (apiculteur-hacker et artiste bordelais) répondent en un sens les fourmilières interactives développées par Andrew Quitmeyer. Cet ancien professeur de l'Université de Singapour a construit un labyrinthe de tubes transparents dans lesquels une colonie de fourmis coupeuses de feuilles se balade comme des rats de laboratoire. Reliées à une carte Arduino, des LEDs rouges font office de capteurs et signalent leur passage à des points clés en clignotant. Andrew Quitmeyer a conçu une version casque de ce dispositif, Wearable Interactive Ant-farms. Le clignotement des LEDs dans les yeux du porteur est censé provoquer des hallucinations hypnagogiques(1) qui changent selon le mouvement des fourmis…

Poème en vers

Artiste, éco-activiste et chercheur-biologiste associé à l'Université de Louisiane, Brandon Ballengée a sélectionné des générations de grenouilles pour ses projets Malamp: The Occurrence of Deformities in Amphibians (1996 -) et Species Reclamation Via a Non-linear Genetic Timeline (1998-2006). Il s'est ensuite penché sur le sort des poissons du Golfe du Mexique dont plusieurs espèces ont quasiment disparu. Il a fait le portrait de ces fantômes, pour certains sous forme de radiographies imprimées (Ghosts of the Gulf). Mais nous retiendrons surtout son installation monumentale dans l'espace public piégeant les insectes avec ses lumières ultraviolettes projetées sur des toiles sculptées (Love Motels for Insects).

Dans un autre genre, l'artiste Martin Howse, adepte de techno-chamanisme, fait parler la terre en amplifiant le son des lombrics (Terra Muta). Les vers présents dans du compost lui servent aussi pour composer une sorte de “poème informatique” sans fin. Nous ne les voyons pas à l'œuvre, si l'on ose dire, puisqu'ils sont contenus dans une sorte de sarcophage carré relié à un ordinateur. Leurs minuscules mouvements sont convertis en impulsion électrique qui actionne une machine à écrire virtuelle (worm.txt, 2017). Leur prose défile en continu sur l'écran (et en français qui plus est !).

Christiaan Zwanikken, Spider Goose - Photo © Christiaan Zwanikken

Sa Majesté des mouches

Le dispositif de David Bowen agit par contre en toute transparence. Il a enfermé des mouches dans une sphère en acrylique où trône un clavier sans fil. À l'extérieur, une caméra traque leurs mouvements en temps réel. Lorsqu'une mouche survole ou se pose sur une touche, le caractère correspondant est enregistré. Lorsqu'il y en a 140 (l'installation date d'avant le passage à 280) ou qu'une mouche déclenche la touche “entrée”, un tweet à la syntaxe aléatoire et au sens énigmatique est envoyé (fly tweet). David Bowen a créé quelques variantes en substituant le clavier à un dispositif, déclenchant une fraiseuse qui fonctionne à la manière d'une imprimante 3D (Fly Carving Device) et une cible pilotant une arme (fly revolver).

Pour sa vidéo-sculpture pouvant être regardée de chaque côté – la projection se faisant sur une plaque de verre agissant comme un écran double-face –, Adrien Missika a épinglé une mouche sur un cure-dent. En fait, elle semble juste collée sur ce support et continue de battre des ailes dans un mouvement sans fin capturé au ralenti (Regarde les Mouches Voler, 2012). Cette installation vidéo a été réalisée lors d'une résidence à l'Insect Flight Lab du National Center for Biological Sciences de Bangalore, en Inde, dans le cadre du programme Artists in Lab du ZHDK de Zurich.

Survivance des lucioles 

À ce stade, la tentation est grande d'intervenir directement sur les animaux pour assurer un rendu plus “artistique”. Le pas est franchi avec Marta de Menezes qui s'est livrée à des manipulations morphogénétiques sur un papillon avec Nature? (1999). À l'aide de micro-aiguilles, elle a modifié les motifs des ailes qui, nous rassure-t-elle, ne contiennent pas de terminaisons nerveuses. Ces travaux ne constituent qu'une partie de l'approche de cette artiste diplômée de l'Université des Beaux-Arts de Lisbonne et d'Histoire de l'art et de culture visuelle de l'Université d'Oxford. Elle a aussi tenté des modifications sur le poisson-zèbre pour que les pigmentations et motifs ressemblent à ceux d'un zèbre justement (Zebra).

Ces tentatives pour modifier le vivant à des fins artistiques, en intervenant sur l'ADN et des révélateurs fluorescents, sont l'apanage des artistes du bio art. Nous pensons bien sûr à Eduardo Kac et son lapin vert fluo dans GFP Bunny (2000) – Alba de son petit nom (GFP signifiant Green fluorescent protein pour protéine verte fluorescente). Nous avons beaucoup parlé de cette expérience vraiment chimérique dont les ressorts ont été mis au point dans un laboratoire de l'INRA. Nous oublions trop souvent la polémique qui l'opposa aux chercheurs pas vraiment ravis de voir leur protéine, destinée aux études sur le développement embryonnaire, transformée en outil pour l’art "transgénique"… Le designer Joris Laarman s'est également intéressé à la fluorescence animale pour créer une lampe (Half Life Lamp, 2010). La lueur verdâtre qui émane de cet objet bioluminescent provient de cellules génétiquement modifiées de lucioles.

Dardex, Machine 2 Fish - Photo © Dardex

Mémoire d'un poisson rouge

Les manipulations peuvent aussi se faire autour ou sur le corps de l'animal lui-même, et non pas à l'échelle de ses cellules. Le duo Auger Loizeau, dont les travaux figurent au MoMa à New York, a réalisé en 2001 une série intitulée Augmented Animals, suite "techno-logique" de la théorie de l'évolution… Partant du fait qu'il n'y a pas de raison que seul l'homme bénéficie des apports de la technologie, ils ont notamment doté un pigeon de LEDs aux couleurs variables pour le transformer en artiste aérien… Même chose pour un chien dont la queue délivre un message lumineux (I missed you…).

Sans oublier des rongeurs équipés de lunettes de survie à vision nocturne, des écureuils localisant et amassant des noix à l'aide de GPS ou des poissons évitant les hameçons des pêcheurs grâce à des détecteurs de métaux. Dans le genre, Machine 2 Fish (2016), imaginé par le collectif Dardex qui regroupe Quentin Destieu, Sylvain Huguet et Romain Senatore, s'inscrit entre hacking et biomimétisme. Posé sur un fauteuil motorisé, un poisson rouge scrute l'extérieur de son aquarium. Une caméra et des capteurs réagissent à ses mouvements, entraînant le moteur du fauteuil. Le parcours est parfois erratique, se heurtant aux murs puis poursuivant son chemin non balisé.

Suite équestre 

Avec Art Orienté Objet (Marion Laval-Jeantet et Benoît Mangin), c'est l'artiste qui s'appareille et non l'animal qui est appareillé. Si vous souffrez d'équinophobie, la performance de ce duo vous paraîtra vraiment horrifique. Juchée sur des prothèses ressemblant à des échasses en forme de pattes de cheval, Marion Laval-Jeantet se rapproche de l'animal, à hauteur d'œil. L'objectif est de réduire et de questionner l'altérité, de se rapprocher corporellement de l'animal. Des expériences annexes ont aussi été tentées avec d'autres prothèses pour "singer" les cervidés et un chat. L'ultime étape consiste à s'injecter du sang de l'animal (plus précisément le sérum sanguin du cheval). Nous comprenons mieux le titre de cette performance : Que le cheval vive en moi (2011). Si l'on en croit l'artiste, l'effet est assez boostant… Histoire de garder une trace du happening, ce sang mêlé est à son tour prélevé puis lyophilisé et enchâssé dans des reliquaires (huit au total). Nous ignorons s'il existe des divans assez grands pour accueillir les chevaux… Précurseur, Haus-Rucker-Co, le collectif d'architectes-artistes fondé à la fin des années 60’, avait mis au point des casques destinés à altérer la perception de l'espace et désorienter les sens. En Plexiglas®, munis d'un casque audio et de tout un appareillage au niveau des yeux, ces artefacts étaient destinés à nous faire entrevoir la perception d'un insecte (Flyhead, 1967).

Pascal Bauer, Le Cercle - Photo © Pascal Bauer

Robot Blues

L'animal peut aussi disparaître complètement sous la technique et la robotisation ; ou n'apparaître que sous forme vidéo, comme le taureau de Pascal Bauer qui tourne en rond sur écran (Le Cercle). Cet écran est monté sur un chariot pivotant autour d'un axe fixe. L'animal est représenté en taille réelle. Ses mouvements de fauve en cage commandent le sens de la rotation, les à-coups et les arrêts du dispositif. La bête, prisonnière de cette trajectoire circulaire, tente d'échapper à son destin par une course chaotique mais vaine…

S'emparant des problématiques suscitées par les programmes de réintroduction du loup, l'artiste Fernando Garcia-Dory – en collaboration avec Sue Hull, experte en comportement animal, et Paolo Cavagnolo, hacker et ingénieur en électronique – a développé un mouton bionique (Bionic Sheep, 2006 -) qui embarque un système de protection par ultrason alimenté par énergie solaire. De loin, nous jurerions voir un vrai. Par contre, l'artiste Rihards Vitols n'a pas cherché le réalisme pour sa série Woodpecker (2016-2019), une collection d'une trentaine de faux piverts remplissant une vraie fonction : éloigner les insectes des arbres d'une forêt située près de Düsseldorf. De près, ce sont de simples artefacts constitués de plaquettes de bois, d'un microcontrôleur, d'un panneau solaire, d'une batterie et d'un petit moteur à solénoïde (linéaire) qui frappe l'arbre pour produire le son du pivert.

Animal on est mal

La taxidermie est aussi redécouverte et utilisée par certains artistes comme Claire Morgan dans des installations avec des renards, corbeaux, écureuils, mésanges ou paons (The Vanity of Supposing Significance, 2017). Les animaux naturalisés sont mis en scène avec des entrelacs de bouts de plastique colorés, suspendus par des fils de nylon et dessinant des formes géométriques. Christiaan Zwanikken utilise aussi des animaux empaillés mais dans une configuration moins statique, plus mécanique et robotique. Il conçoit des sculptures cinétiques animées par des servomoteurs et pilotées par un ordinateur. Montés sur des tiges d'aluminium, des crânes d’animaux deviennent doués de mouvements et de paroles, entamant une étrange représentation théâtrale (The Good, The Bad and The Ugly, 2005). Sur ce principe, nous lui devons aussi des exosquelettes animés qui évoquent des fossiles de dinosaures (Exoskeletal, 2013) ; d'étranges chimères mécanisées comme ce monstre composé d'une tête d'oie, de pattes de crabe et d'un corps de paon ; un petit robot surmonté d'un crâne de chien très expressif (Who Let the Dogs Out, 2001) ; un squelette d'aigle qui menace le petit lapin des piles Duracell ; un mobile suspendu avec des chauves-souris (Bat Trip, 2004) ; et un lièvre empaillé dont le museau est pris dans une sorte de scaphandre bricolé aux reflets cuivrés, évoquant le steampunk et l'univers cinématographique de Caro & Jeunet (How a Dead Hare Explains Paintings, 2010), titre faisant référence à une performance de Joseph Beuys (How to Explain Pictures To A Dead Hare, 1965).

Claire Morgan, The Vanity of Supposing Signifiance - Photo © Claire Morgan

Dead can dance

Avec Gildas Morvan, enseignant et chercheur au Laboratoire de Génie informatique et d'automatique de l'Artois, Martin uit den Bogaard a créé une série d'installations captant l'énergie résiduelle de dépouilles d'animaux. Esthétiquement, cela se présente comme des aquariums, sans eau et hermétiquement scellés, au fond desquels reposent des cadavres d'animaux (hibou, chat, chien, souris) et, histoire de faire bonne mesure, quelques fœtus (poulain, veau). En dépit des apparences, ce Frankenstein sonore considère ses œuvres comme des sculptures "vivantes". Les corps sont reliés à des voltmètres et un ordinateur convertit les variations électriques enregistrées en sons et images qui évoluent dans le temps (Painting and Singing Kangaroo, 2003).

Il existe aussi des animaux qui ne sont plus que des fictions, qui ont définitivement disparu. Alexandra Daisy Ginsberg s'en est emparée avec The Subsitute (2019-). Au début, le spectateur fait face à un container en apparence vide. Peu à peu apparaît un assemblage grossier de cubes. L'image en rendu 3D s'affine et nous commençons à deviner une silhouette : celle d'un rhinocéros, grandeur nature. La pixellisation s'estompe lorsque l'animal est complètement reconstitué. Cette reconstitution virtuelle s'inspire d'un vrai modèle. Un rhinocéros blanc originaire de l'Afrique de l'Est et centrale. Le dernier représentant mâle de cette espèce est mort en 2018 ; il s'appelait Sudan. À ce jour, il ne reste plus que deux femelles en captivité. Ce genre d'artefacts préfigure peut-être les zoos de demain…


(1)   État de conscience particulier intermédiaire entre celui de la veille et celui du sommeil 

Justine Emard et Jean-Emmanuel Rosnet en résidence autour d'une création sur les rêves [interview]

Publié le 17/06/2022

Justine Emard, artiste, explore le monde qui l’entoure dans ses créations artistiques. Elle associe et croise différents médiums de l’image pour faire état des liens entre nos existences et la technologie. Après avoir présenté Supraorganism dans le cadre d’Hyper Nature - exposition de Scopitone 2021 -, elle collabore cette année avec l’artiste sonore Jean-Emmanuel Rosnet pour créer une nouvelle installation expérientielle créée à partir du rêve, qui sera présentée prochainement à Stereolux.
En résidence de recherche pendant une semaine dans nos murs, ils ont pu répondre à nos questions autour de leur future création ; une installation expérientielle créée à partir du rêve, qui sera prochainement présentée à Stereolux.

Il existe une multitude et une particularité de ces récits oniriques, pour une multitude d’interprétations propres, selon qu’elles soient culturelles, personnelles, scientifiques, psychanalytiques, spirituelles ou religieuses.

 

1. Vous êtes en résidence à Stereolux pendant une semaine. Qu’allez-vous faire lors de cette résidence ?

Justine : C’est une résidence de recherche et d’exploration. Nous avons créé un espace pour recevoir des récits sonores de rêves. Nous partons du cerveau de certaines personnes pour recueillir leurs expériences oniriques, les interprétations et symboliques qui les traversent. Le rêve est un dispositif physiologique universel que chacun·e explore avec différents moyens, il devient notre matière. C’est cela que l’on souhaite mettre en exergue ; qu’il existe une multitude et une particularité de ces récits oniriques, pour une multitude d’interprétations propres, selon qu’elles soient culturelles, personnelles, scientifiques, psychanalytiques, spirituelles ou religieuses.

Jean-Emmanuel : Cette résidence est avant tout l'occasion de confronter nos univers respectifs autour d'un projet dans lequel nos compétences mutualisées nous permettent d'inventer de nouvelles choses. Nous essayons de croiser nos regards  et d'être à l'écoute de l'un·e et l'autre sur les différentes composantes de cette future création : univers sonore, visuels, scénographie, choix techniques et technologiques, etc.

Live Dream, image de recherche © Justine Emard / Adagp 2022

2. Pouvez-vous nous parler du projet ?

Jean-Emmanuel : L'idée de ce projet est de proposer une expérience collective en lien avec l'inconscient et le monde des rêves. Pour donner corps à cette expérience, je travaille sur une trame documentaire alimentée par des témoignages de rêves qui seront ensuite, assemblés, transformés. L'utilisation de dispositifs (dont seront muni·es les spectateur·ices) visant à capter des données neuronales en temps réel, vont nous permettre d'utiliser divers signaux qui nous serviront à perturber et influer sur la composition sonore qui sera créée spécifiquement pour ce projet.

Justine : C’est un format un peu hors des cadres : partir du documentaire, de ce qui est réel, pour aller vers quelque chose de plus fictionnel et abstrait, mais qui soit toujours bien ancré dans la réalité. Des images compressées seront générées à partir des récits et illumineront des écrans LED. Et puis, la performance se penche sur le temps présent : les spectateur·ices sont amené·es à porter des électrodes lors de la performance, qui vont recueillir en temps réel des données et ainsi transformer l'issue du récit, en fonction de ce qu’elles·ils entendent, de ce qu’elles·ils voient, et de ce que cela éveille en elles·eux. Le public est donc actif, individuellement mais aussi collectivement : nous attendons une vingtaine de personnes par performance. Aucun spectacle ne pourra se ressembler, rien ne sera figé, prédictible ou écrit.

3. Il est parfois difficile de comprendre les tenants et aboutissants d’une résidence. Quelle serait votre définition personnelle ?

Une résidence, c'est donner à un·e artiste tous les moyens pour qu’il·elle n’ait qu’à créer.

Justine : Une résidence, c’est un travail d’immersion. C’est donner à un·e artiste tous les moyens pour qu’il·elle n’ait qu’à créer. Il y a ce rapport spécifique à la résidence, lorsque l’on est dans un moment, dans un lieu, lorsque la vie personnelle se déconnecte, où seule la concentration de travail est importante. C’est donner aux artistes les conditions idéales, matérielles et humaines pour créer et chercher.

Jean-Emmanuel : Ici à Stereolux, hormis les précieux moyens humains et techniques mis à notre disposition, notre travail de recherche s'inscrit au sein d'un territoire spécifique avec lequel nous essayons d'interagir. La résidence nous a donné l'opportunité de rencontrer les rêveur.euses locales·aux qui ont accepté de nous partager des témoignages précieux et intimes. Le labo Arts & Techs joue aussi un rôle de facilitateur dans la mise en relation avec des professionnels susceptibles de nourrir nos réflexions.

4. Quels résultats recherchez-vous dans cette nouvelle création ?

Justine : L’idée est de porter une attention au rêve, d’un point de vue artistique, mais aussi scientifique voire sociologique avec des médiums comme le son et la lumière. Peut-être que l’effet sera la reconnexion du public à leurs rêves, à ce qu’ils·elles soient plus attentif·ves vis-à-vis de cet état. Le rêve fait partie du réel, il active la même zone du cerveau que les perceptions ou l’imagination en éveil. C’est une traversée onirique, une exploration que l’on essaie de restituer dans la performance, jusqu’à des inductions qui peuvent plonger le public dans un état de focalisation attentionnelle. J’aime penser que le rêve est une cognition ; au-delà même de la psychanalyse, il y a toute une fonction du rêve que l’on essaie d’approcher. Chacun·e de nous définit une fonction très personnelle du rêve, similaires et éloignées à la fois.

Je suis curieux de voir comment les gens vont se prêter à cette expérience singulière qui consiste à vivre, en quelque sorte, un rêve collectif.

Jean-Emmanuel : Je suis curieux de voir comment les gens vont se prêter à cette expérience singulière qui consiste à vivre, en quelque sorte, un rêve collectif dans lequel le public aura une main mise sur des passages du scénario pré-établi. Il y a un véritable enjeu technologique qui consiste à faire évoluer les "différents tableaux" de notre expérience, à partir des signaux collectés en temps réel auprès du public.

Live Dream, image de recherche © Justine Emard / Adagp 2022

5. Que répondriez-vous à quelqu’un qui vous affirme que la science ne peut pas avoir de rapport quelconque avec l’art ?

L’artiste et le scientifique sont tous·tes les deux dans une recherche de vérité.

Justine : L’artiste et le scientifique sont tous·tes les deux dans une recherche de vérité. Nous partageons les un·es avec les autres une aspiration identique, des protocoles communs, l’envie de décrypter des vérités dans ce monde. Lors de notre résidence, nous avons échangé avec un spécialiste de la transe et de l’hypnose afin d’envisager des territoires de conscience modifiée et visiter des laboratoires des sciences du numérique. Ces rencontres affinent le travail et donnent une direction parfois inattendue au projet. 

6. Quelles relations existent entre l’art et la technologie ?

Justine : J’aime ces terrains de recherche et de création expérimentaux et incertains. Je pense que c’est une force que les artistes utilisent des outils de leur temps. Le plus important, ce n’est pas le médium, c’est ce qu’il vient dire. Ce choix renforce le fond du propos, d’autant plus quand on utilise des technologies de notre monde contemporain. Il faut faire confiance au public et à sa force de projection : il sait rassembler les pièces lui-même.

Jean-Emmanuel : La création contemporaine se caractérise notamment par une forte propension à se nourrir des innovations technologies. Mais ce ne sont pas les outils numériques qui font l'essence même de cette création contemporaine mais plutôt la capacité des artistes à les détourner ou les questionner.

Live Dream, image de recherche © Justine Emard / Adagp 2022

7. Vous avez fait beaucoup de collaborations. Que retenez-vous de ces dernières ?

Justine : En tant qu'artiste, j’ai toujours été attirée par le milieu des arts vivants. On travaille pour créer un instant, avec les dimensions éphémères et imprédictibles qu’il comporte. C’est terrorisant et fascinant à la fois. La dimension collective sera aussi incarnée dans le dispositif avec les spectateur·ices connecté·es qui seront plongé·es comme dans un rêve collectif.

9. L’histoire des civilisations et la psychique de l’humain semblent vous fasciner particulièrement. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Les peintures des grottes et les rêves étaient-ils déjà intrinsèquement liés ?

Justine : L’origine des choses m’intéresse, de l’origine de l’image dans le cerveau, au niveau du cortex visuel, jusqu’à l’origine visuelle des peintures rupestres dans les grottes préhistoriques. Il y a une croisée des temps : le temps humain, éphémère, et le temps des minéraux et des fossiles, pérenne ; et puis enfin, le temps du numérique, plus éphémère encore. Ces lignes de temps peuvent se croiser, et c’est cela qui est fascinant. C’est pour cela que j’aime collaborer avec des neurologues, des archéologues, des spécialistes de la préhistoire, des spécialistes du milieu spatial. Finalement notre expérience en tant qu’être humain est très anthropocentrée. J’aime créer des décentrements et constater l’évolution. Les peintures des grottes et les rêves étaient-ils déjà intrinsèquement liés ?


Ce projet est financé par le fonds de soutien à la création artistique numérique (Fonds [SCAN]) et porté par la Région et par la Drac Auvergne-Rhône-Alpes.

La première représentation est prévue début 2023.

LAB DIGITAL MAROC : RENCONTRE AVEC SOUKI, AMINE, RACHID ET LE COLLECTIF WAHM (INTERVIEW)

Publié le 09/05/2022

Le vendredi 29 avril, après Rotterdam, c’était le Maroc, ses inspirations, ses artistes et leur singularité qui s’invitaient dans nos murs pour une soirée dans le cadre de Stereotrip. Les lauréats du Lab Digital Maroc, un dispositif d'accompagnement artistique de l'Institut des Beaux-Arts de Tétouan et de l’Institut Français du Maroc auxquels Stereolux est associé, étaient présent·es pour une résidence de création de deux semaines. Entre artistes multidisciplinaires, plasticien·nes, visuel·les et vidéastes marocain·es, cette résidence a abouti sur l'exposition de leurs travaux lors de la soirée Stereotrip Maroc.

Retour d'expérience avec Soukayna Belghiti (Marchands de Sable), Amine Asselman (MUSAIC), Rachid Benyaagoub (Miroir d'écran) et Jad Mouride, Mouad Laalou, Zineb Sekkat du Collectif WAHM (Surveillé(e)).

Quels sont vos projets ?

J’ai compris plus tard qu’inconsciemment, mon sujet était la migration.

Souki : J’ai récolté des berceuses de femmes marocaines via Whatsapp et des images de manière quasi-obsessionnelle à la plage de Casablanca. J’ai compris plus tard qu’inconsciemment, mon sujet était la migration. Le fond de Marchands de Sable, ce sont des bribes de témoignages.

Soukayna Belghiti, Marchands de Sable

L’écran, c’est la matérialisation du quotidien et de l’identité.

Rachid : A travers Miroir d'écran, j’ai imaginé une nouvelle conception de l’écran, en tant qu’objet, en questionnant l’identité à l’ère du numérique. J’ai donc placé des bandes de miroirs sur un écran, pour en faire un code-barre. L’écran, c’est la matérialisation du quotidien et de l’identité. Il symbolise le voyage entre le réel et le virtuel. L’assemblage d’un écran numérique et d’un miroir, c’est le voyage entre deux identités, entre notre réflexion et ce que l’on souhaite voir. A l’aide de capteurs de mouvement, la personne qui vient regarder son reflet trouve finalement tantôt sa réflexion véritable dans un miroir, tantôt le reflet d’une silhouette en feu dans l’écran, suivant les mouvements en temps réel. 

Rachid Benyaagoub, Miroir d'écran

C’est une atmosphère, à travers laquelle la personne surveillée devient tout d’un coup celle qui surveille.

Mouad (collectif WHAM) : Surveillé(e) est une expérience immersive. Elle veut attirer l’attention vers les dérives des pratiques et des habitudes du numérique par le prisme de la surveillance. Nous pouvons penser que nous avons tous·tes quasiment la même relation au numérique, pourtant chacun·e en fait sa propre interprétation, sa propre appropriation, sa propre expérience. C’est aussi le cas de notre installation, en recréant une expérience de surveillance à petite échelle. Elle est ainsi composée de deux écrans, symbolisant les aspects positifs de la surveillance d’une part, et les aspects négatifs d’autre part. C’est une atmosphère, un espace dans lequel on s’immerge, avec une signalétique sonore immersive, des projections interactives sans texte, à travers laquelle la personne surveillée devient tout d’un coup celle qui surveille.
 

Collectif WAHM, Surveillé(e)

Je voyais chacune des mosaïques de l'Alhambra à Grenade comme des partitions.

Amine : J’ai réalisé une thèse sur les mosaïques géométriques arabo-andalouses, puis j’ai voulu créer une méthode pour développer une infinitude de formes géométriques représentatives de notes musicales. Musaïc cherche à dessiner le lien entre la musique et l’art de la mosaïque, puisqu’il me semble qu’ils sont construits de la même façon. Ils ont de commun le rythme, les répétitions,... ; j’aime rendre visible et visuel le son. Lorsque j’ai visité l’Alhambra de Grenade, je voyais chacune des mosaïques comme des partitions. C’est après ce déclic, cette curiosité, que j’ai commencé à travailler sur le sujet. Je me suis aperçu que l’architecture de l’Alhambra et ses mosaïques étaient éternels, ainsi que la musique que je percevais derrière la céramique qui les composait. Depuis, ma démarche artistique réside dans l’envie de figer le caractère éphémère du son, de rendre physique l’infinité de la musique. 

Amine Asselman, MUSAIC

Que souhaitez-vous explorer par l’art ?

Rachid (Miroir d'écran) : J’ai toujours travaillé sur l’identité. L’identité en tant que marocain·e, d’abord, qui compte beaucoup à mes yeux. Et puis, l’identité virtuelle, celle qui nous prend parfois au piège. Dans cette exploration thématique, j’y recherche la réaction des gens face à leur propre mise en abîme. Dans Miroir d'écran, le feu symbolise ce que l’on a créé de nos mains et qui a eu ses dérives dangereuses, comme le numérique.

Zineb, Collectif WHAM (Surveillé(e)) : Nous tentons de répondre à des questionnements philosophiques actuels, de notre inconscience de la surveillance et bientôt des prétextes insidieux qui nous amèneront à modifier nos comportements et à les ingérer intuitivement, par réflexe. Nous souhaitons répondre à ces questions, et éveiller l’esprit de l’utilisateur·ice. Faire mûrir des réflexions, des prises de conscience. Sensibiliser aussi sur les avancées technologiques, l’intelligence artificielle, les blockchains, les NFT, le métaverse… et interroger leurs limites et leurs responsables.

L’art est thérapeutique. Je souhaite que, s’il l’est pour moi, il le soit pour les autres.

Souki (Marchands de Sable) : Je n’aime pas quand un travail artistique est trop “dans ta face”, dénonciateur, violent. Je souhaite honorer un héritage générationnel, émotionnel, spirituel. Alchimiser l'œuvre par l’espoir, ou du moins le courage. L’art est thérapeutique. Je souhaite que, s’il l’est pour moi, il le soit pour les autres. Que mon trauma puisse faire échos chez les autres, même s’il est différent. L’art, c’est transmettre. J’aime à ce qu’il soit poétique, et qu’il soit ce qu’il est. J’ai un héritage multiple, et ce dernier, à travers l’art, est une conquête pour moi.

Amine (MUSAIC) : A travers mes partitions en mosaïque, j’explore, je fige puis je réanime la musique avec le mapping, par exemple. Le travail manuel et l’artisanat sont très importants dans mon travail. Je réalise de vraies mosaïques en céramique. Chacune des pièces représente une note musicale ; j’en ai sélectionné douze. Ces dernières sont de couleur ou de forme différente, en fonction du son aigu ou grave ou de la longueur du contenu musical. Toutes assemblées, elles rendent une mosaïque symétrique, comme la musique. Une fois en mouvement grâce au mapping, on peut voir les changements de couleur de la musique. L’esthétique prend une place majeure dans mon travail. C’est elle qui attire l’attention, puis qui délivre le sens quand on s’en approche.

Collectif WAHM, Surveillé(e)

Quels liens faites-vous entre l’élan artistique et le numérique ?

Souki (Marchands de Sable) : Je viens d’une formation dans le cinéma. Il a toujours été un instrument de propagande pour tous les régimes autoritaires du monde. Le numérique connaît aussi ses dérives : la surveillance massive par exemple, ou le fait qu’on ne puisse pas y échapper, puisque c’est un outil de conversation. Certain·es résistent dans l’opposition, mais ma manière à moi, c’est d’y réinjecter de la vie, redonner du souffle, y rattacher ma mémoire. C’est comme ça que j’utilise ces outils. 

Rachid (Miroir d'écran) : J’essaie de déformer la réalité et l’identité, pour créer un entre-deux-mondes entre virtuel et réel. Je ne critique pas, je questionne, et j’adapte à ce nouveau monde numérique. J’utilise le support que je dénonce pour créer de l’art, des questionnements, des chocs.

L’esthétique compte, parce qu’elle représente la transmission de la sensibilité individuelle.

Zineb (Surveillé(e)) : Le numérique donne des libertés en tant qu’artiste. C’est une force. Il permet de créer l’expérience. Nous utilisons des outils, des logiciels comme TouchDesigner, qui permettent d’accéder à une grande précision et de nous rendre cohérent·es. Pourtant, nous voyons ces outils comme ce qu’ils sont : des objets possédant un état de finitude, composés de différents matériaux. En revanche, dans une installation, l’ordinateur n’est pas qu’un simple ordinateur : mêlé aux autres objets, tout devient un espace vivant. Et puis, le numérique décuple les esthétiques possibles. L’esthétique compte, parce qu’elle représente la transmission de la sensibilité individuelle. Dans Surveillé(e), la texture, les couleurs, le son, les mouvements, tout a été réfléchi du point de vue de l’esthétique avec beaucoup de précision. C’est un défi quand on utilise plusieurs logiciels et outils complexes et techniques.

Amine (MUSAIC) : J’utilise différentes techniques et différents outils. Je ne m’en prive pas. J’aspire à ce que mes conceptions restent artisanales, mais les nouvelles technologies peuvent accompagner le travail manuel. Par exemple, recourir à l’usage de l’impression 3D pour créer des moules céramique sur mesure. Il faut que ces nouveaux outils soient au service de l’artisanat. Ils me permettent de gagner du temps dans la conceptualisation des partitions et de mettre en place cette réanimation de la musique qui me tient à cœur. 

Amine Asselman, MUSAIC

Quelle définition personnelle donneriez-vous à l’art contemporain ?

Souki (Marchands de Sable) : L’Art contemporain, c’est l’Art qui se fait aujourd’hui, dans sa définition. Mais il y a parmi toutes les branches de l’art “qui se fait aujourd’hui”, une branche instrumentalisée, un art de marché qui occulte le reste. C’est problématique. Il faut réussir à trouver du surplomb par rapport à cela. Amener quelque chose de spirituel, de personnel à la matière. L’art est une nécessité humaine. C’est une transmission transgénérationnelle, un rituel magique depuis les cavernes et depuis que l’on dessine dans des grottes, pour, justement, transmettre.

Mouad (Surveillé(e)) : L’art contemporain, c’est ce qui désigne toutes les œuvres artistiques produites depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. C’est large, et ça laisse place à beaucoup de raccourcis. Nous sommes new media artists, c’est-à-dire les artistes tourné·es spécifiquement vers les technologies comme supports, comme outils, comme medium. C’est un risque de spécifier qu’on est artistes lorsque l’on cible l’usage des technologies.

L’objectif principal, c’est la transmission.

Amine (MUSAIC) : Je me dis que l’important c’est de pouvoir ouvrir toutes les possibilités en matière de création et d’imagination. Je n’ai pas envie de m’enfermer dans une définition exacte, tant que je peux continuer d’exercer et de créer dans une pluralité de techniques, l’artisanat, le design, les nouvelles technologies, etc. Lorsque j’ai une idée, je visualise tous les moyens possibles pour la transmettre aux autres du mieux que je peux, par le biais de n’importe quelle technique. L’objectif principal, c’est la transmission. 

Soukaya Belghiti (Marchands de Sable) 

Qu’attendez-vous de voir vendredi ?

Souki (Marchands de Sable) : Les travaux sont très divers. Tous questionnent le monde actuel, les outils de contrôle, le numérique, mais les héritages, les bagages, les inspirations sont pluriels. 

Mouad (Surveillé(e)) : En réalité, même si j’avais exposé une fois dans le cadre du 200ème anniversaire de la relation entre le Maroc et les Etats-Unis à Rabat, il ne s’agissait pas d’une œuvre personnelle. C’est donc réellement la première fois avec Zineb et Jad que nous exposons cette installation. Nous sommes curieux·ses des réactions et des suggestions que les gens pourront nous donner. On le voit comme un temps d’échange, d’ouverture, de recueil qui puisse aussi nous permettre de modifier l’installation par la suite si besoin.

Le public est essentiel dans mon travail : c’est lui qui crée l'œuvre.

Rachid (Miroir d'écran) : Au Maroc, un mode d’emploi est nécessaire pour accompagner mes œuvres. C’est la première fois que j’expose en Europe, en France. J’ai hâte de découvrir les réactions des gens. Parce que le public est essentiel dans mon travail : c’est lui qui crée l'œuvre.

Amine (MUSAIC) : J’ai hâte de voir le fruit du travail de mes collègues et ce qu’ils ont pu imaginer lors de cette résidence, tant dans les résultats artistiques que techniques, car je sais qu’ils sont impressionnants dans le domaine. Il me tarde aussi de faire le bilan d’après-résidence, la réception des gens, ce qu’il y aurait à changer, à préciser, à conserver. Vendredi, je prendrai plaisir à leur expliquer le concept et le sens de mon installation. Lorsque leur attention sera portée sur ce qu’ils trouvent beau, je leur donnerai la clé pour comprendre l'œuvre dans son entièreté. 

Rachid Benyaagoub, Miroir d'écran

2031, les blockchains : nouvelle saison pour le podcast la cantine x stereolux

Publié le 22/04/2022


Notre podcast 2031 co-produit avec La Cantine Numérique est de retour pour une deuxième saison ! Après une première édition dédiée à la thématique « Crises et Numérique », nous revenons avec le journaliste Jean Chabod pour décortiquer les « Blockchains », ces objets techniques aux enjeux politiques et sociaux.

 


La technologie blockchain a fêté ses dix ans avec Bitcoin. Aujourd'hui, ces petits joujoux technologiques se comptent par centaines. Mais à quoi servent-elles et surtout à quoi serviront-elles dans dix ans ? En 2031 (ou plutôt en 2032, mais c’est pour les besoins du titre de la série, hein !), est-ce que cette techno – qu'on dit révolutionnaire pour la sécurité des données – sortira enfin de sa niche de technophiles et de spéculateur-trices pour connaître le succès populaire ?

Avec ce podcast, notre objectif est le suivant : faire en sorte que vous ne disiez plus jamais que vous n'y comprenez rien, à la blockchain.


EPISODE 0 - Là où tout commence

Détrompez-vous : les blockchains ne sont pas des objets techniques, mais bien politiques et sociaux. Leur histoire - plus ancienne qu’on le pense - le prouve.

Avec  :
Analia Ramos G., co-fondatrice de l'association Positive Blockchain
Damien Lecan, président de l'association Blockchain et Société
 


EPISODE 1 - blockchains, comment ça marche ?

Un épisode copieux pour les (très) courageux-ses qui n’ont pas (trop) peur de mettre les mains dans le moteur des blockchains. Si la technique vous rebute, passez directement à l’épisode 2 !


EPISODE 2 - blockchains et environnement sont-ils compatibles ?

La blockchain bitcoin consomme autant d’électricité que les Pays-Bas, et l’usage d’énergies renouvelables ne résout pas tout le problème. D’autres blockchains ont choisi des méthodes moins polluantes… mais moins sécurisées.

Avec :
Analia Ramos G., co-fondatrice de l'association Positive Blockchain
Jean-Paul Delahaye, mathématicien et enseignant-chercheur à l'Université Lille 1 & au CNRS
Damien Lecan, président de l'association Blockchain et Société
 


EPISODE 3 : Blockchain for good : les projets à impact sont-ils solubles dans les blockchains ?

Il n’y a pas que la spéculation dans la vie. Éthique, droits de l’Homme, protection des minorités, environnement: les blockchains peuvent aussi (aussi) servir des projets à impact.

Avec :
Analia Ramos G., co-fondatrice de l'association Positive Blockchain
 

EPISODE 4 : Identité décentralisée : les blockchains nous rendront-elles notre identité ?

Les blockchains promettent de reprendre la main sur son identité numérique, celle qui prouve que vous êtes vous et que je suis moi. Voilà l’enjeu de l’identité décentralisée.
 
Avec :
 
 

EPISODE 5 : Monnaies d’Etat : une fausse bonne idée ?

Plus de 60 banques centrales (des Etats, donc) envisagent de lancer leur propre monnaie digitale : une sorte de crypto monnaie publique qui pourrait bouleverser les relations internationales... et menacer les libertés individuelles.

Avec :
Noémie Dié, chercheuse en économie
Xavier Lavayssière, chercheur et entrepreneur spécialisé dans la blockchain
 

Episode 6 : Communauté : les DAO, une nouvelle façon de se retrouver ?

Les organisations autonomes décentralisées (DAO) peuvent réunir plusieurs millions de membres. Comparables à des associations, elles préfigurent aussi un nouveau modèle d’entreprise.

Avec :
 

EPISODE 7 : NFT : comment ça fonctionne et quelle place vont-ils prendre ?

Du jeu vidéo à la mode, les NFT (certificats d’authenticité d’un objet virtuel) connaissent un franc succès… qui pourrait être freiné par les nombreux problèmes qu’ils soulèvent.

Avec :
Maxime Laglasse, directeur du contenu chez NonFungible
Anthony Masure, professeur associé et responsable de la recherche à la Haute école d’art et de design de Genève
 


EPISODE 8 : Marché de l'art : quel rôle futur pour les NFT ?

Objet médiatique et de spéculation, les NFT promettent aux artistes de s’affranchir des intermédiaires et de toucher des droits à chaque revente de leur œuvre. La contrepartie: spoliation et plagiat.
 
Avec :
Maxime Laglasse, directeur du contenu chez NonFungible
 


Episode 9 : Finance, les cryptomonnaies remplaceront-elles les monnaies actuelles ?

Le Salvador est le 1er pays à faire du bitcoin sa monnaie officielle. Il existe 15 000 autres crypto-monnaies qui ont notamment permis à la finance décentralisée (DeFi) d’émerger. Et la DeFi ambitionne clairement de renverser la finance traditionnelle.

Avec : 
Xavier Lavayssière, chercheur et entrepreneur spécialisé dans la blockchain
 


Episode 10 : Sécurité, quelles menaces pèsent sur l'inviolabilité des blockchains ?

Ordinateurs quantiques, bugs dans le code des blockchains, attaques pirates quotidiennes: la prétendue inviolabilité des blockchains connaît des menaces qui pourraient se transformer en risques.

Avec :
Jean-Paul Delahaye, mathématicien et enseignant-chercheur à l'Université Lille 1 & au CNRS
 
 

 

 


Crédits :

Jean Chabod, Interviews, écriture, réalisation et montage.
Magali Olivier, @La Cantine : Production
Martin Lambert, @Stereolux : Production
Corentin Pajot, @La Cantine : 3D Design
Maëva Jouade, @La Cantine : Mixage, musique, habillage sonore et visuel

Atelier d’initiation à Processing

Publié le 20/04/2022

LABO : ATELIERS TOUCHDESIGNER AVEC MAOTIK

Publié le 13/04/2022

Vendredi 8 avril se tenait la restitution des travaux des étudiant·es de Sciences au sein de leur faculté, dans le cadre de l’Unité d’Enseignement de Découverte : Arts&Sciences. Ils ont été encadré·es par l’artiste Maotik et leur professeur, Baptiste Chantraine, enseignant-chercheur en Mathématiques.

Pour la troisième fois, le laboratoire Arts & Technologies de Stereolux a eu le plaisir de collaborer avec Nantes Université dans le cadre de l’Unité d’Enseignement de Découverte Arts & Sciences. Ensemble, nous questionnons et encourageons les nouvelles formes de créations artistiques numériques. Ces élèves de deuxième année de licence en Biologie, en Mathématiques et en Informatique, ont pu découvrir le logiciel TouchDesigner, un langage de programmation visuel.

Photo : © Alex Guevara
 

L’artiste Maotik travaille avec des algorithmes et des combinaisons numériques diverses, permettant de générer une infinité d’images. Il a entre autres réalisé des environnements multimédia immersifs, des performances audiovisuelles ou encore des installations interactives.

Après seize heures d’ateliers, soit quatre séances de quatre heures, les étudiant·es ont pu faire la restitution de leurs créations. L’objectif : à partir de données météorologiques récoltées en temps réel, générer une visualisation graphique de différents objets virtuels. Par exemple, dans le cas de la visualisation d’un arbre, ce dernier change d’aspect en fonction de la ville dans laquelle nous voulons bien le situer : il pleut à Montréal, l’arbre est dans des tons froids et embrumés ; il fait 30°c à Sydney, il est alors rouge et en mouvement, grâce aux paramètres de ce dernier déterminés en amont. Les étudiant·es rencontré·es nous expliquent.

Comment se sont déroulées ces seize heures de workshop ?  

Étudiant·e : “Nous avions le choix du sujet à traiter, parmi la météo, l’environnement, soit la neige, la pluie ou le soleil, la vitesse du vent et sa direction ou encore la température… Une fois ce choix fait, nous avons recueilli les données correspondantes via des sites, que nous avons intégrées dans le logiciel TouchDesigner.”

Quel en était l’objectif ?

Étudiant·e : “Nous devions mettre en place la programmation d’un arbre interactif. Mais nous n’avons pas seulement réalisé des arbres : certain.es ont créé des feuilles, d’autres des roses des vents, ou encore des fleurs et des fruits. L’important, et le fond du travail, c’était surtout l’interactivité en temps réel via les données rassemblées et leur matérialisation.”

L’envers du décor et l’aspect technique, ainsi que les résultats possibles, étaient impressionnants.

TouchDesigner est un outil technique qui permet de démultiplier les possibilités créatives. Qu’en avez-vous pensé ?

Étudiant·e : “Au début du semestre, j’avais cherché des vidéos présentant le logiciel TouchDesigner. C’était très visuel, l’aspect créatif semblait très présent. Une fois que nous l’avons pris en main, je me suis rendue compte à quel point l’envers du décor et l’aspect technique, ainsi que les résultats possibles, étaient impressionnants.”


Si le logiciel TouchDesigner peut parfois effrayer par sa technicité, il est un outil efficace et complet, au service de la création. En parallèle de cet atelier, l’artiste Maotik et le professeur Baptiste Chantraine ont également pu collaborer autour d’un projet artistique commun lors de résidences dans nos murs et à l’Université.

Pour une actualisation de la virtualité

Publié le 14/03/2022
 

Participer à une transformation de l’espace scénique, initier des innovations scénographiques, illustrer symboliquement les grands débats théoriques qui animent nos sociétés et la création contemporaine, aborder des points de vue philosophiques via des œuvres d’art et des spectacles, voilà à quoi peut – et doit – servir l’utilisation des différentes technologies de réalité virtuelle (mixte, augmentée(1)) dans l’exercice du spectacle vivant contemporain. Dix ans après les premières incursions concrètes de ces techniques dans l’univers de l’art et du spectacle, où en sommes-nous ? Que pouvons-nous retirer de ces expériences ?

Par Maxence Grugier 
Article rédigé en partenariat avec la revue AS (Actualité de la Scénographie)
 

 

Passé l’engouement initial pour une technologie émergente dans le champ du spectacle et de la pratique artistique, en constante évolution et son impact sur l’écriture (théâtrale, chorégraphique, scénographique) que reste-t-il ? Quelques cas d’école, des moments marquants dans l’histoire de la création et de vrais chefs-d’œuvre bien sûr, mais aussi des expériences éphémères qui n’auront eu pour vraies raisons d’être que l’audace d’avoir introduit des technologies issues de la recherche et du divertissement dans le domaine de la pratique artistique et du spectacle vivant. En ce qui concerne la façon de s’approprier les dites technologies, tout est affaire de choix. Certains prendront le parti du pur entertainment, tandis que d’autres préféreront creuser. Ceux-là interrogeront les relations qu’entretiennent univers matériels et virtuels, en fusionnant espaces scéniques et scénographies numériques. Ils relèveront le challenge de l’immersion du public dans des environnements fondés sur l’expérience, en proposant des œuvres destinées à être vécues et en faisant appel à l’engagement physique du spectateur, en sollicitant tous ses sens et en altérant sa notion du réel. D’autres préfèreront présenter symboliquement la place que prennent ces univers fictifs dans nos vies en usant de ses prothèses (casques, tablettes, …) comme de simples éléments scénographiques.

La réalité virtuelle, et tout ce qui l’entoure, présente donc plusieurs défis de taille en matière d’écriture, d’accès, de scénographie. Se présente tout d’abord la question du spectaculaire, où il s’agit de proposer au public de nouvelles expériences des réalités tout en étendant son champ de perception et de réflexion ; technique et scénographique ensuite, où s’impose le besoin de réinventer l’accès aux œuvres et à la création en général, dans des lieux de diffusion équipés pour l’accueillir et comprenant des équipes et des régies formées et informées des tenants et aboutissants des techniques impliquées ; esthétique enfin, à l’heure où les environnements immersifs s’interrogent de plus en plus couramment sur les relations qu’entretiennent science, recherche et création artistique au service d’œuvres hybrides et novatrices. C’est à la jonction de ces différentes ambitions que nous trouverons les œuvres les plus pertinentes en matière de propositions techniques et esthétiques.

Le poids du symbole

Même si elle est encore loin d’avoir conquis les foyers et tous les lieux de création, nous pouvons dire de la réalité virtuelle et de ses dérivés qu’ils font désormais partie du champ d’expérience esthétique d’une part croissante du public. C’est aussi le cas pour les professionnels du spectacle qui s’en emparent régulièrement, comme nous l’avons souvent vu dans ces pages. Ses périphériques (casques, capteurs, ordinateurs) étant inscrits au patrimoine des nouveaux outils de création, dramaturges, scénographes et metteurs en scène peuvent désormais se permettre de les utiliser comme des symboles, insistant parfois sur leurs aspects aliénants de gadgets technologiques et de produits de consommation, pour proposer une vision critique du monde dans lequel nous évoluons. C’est le cas avec En Marge ! de Joris Mathieu et Nicolas Boudier qui offre une relecture post-moderne du Loup des steppes d’Hermann Hesse. Partageant comme le personnage du roman un même trouble face aux soubresauts d’une modernité en constante accélération, les auteurs s’emparent de l’usage de l’emblématique casque de réalité virtuelle en le réduisant à une simple métaphore, celle d’une nouvelle forme d’incommunicabilité et de réclusion volontaire dans les mondes virtuels. Adoptés par l’ensemble de la société comme totem et représentants de futurs mondes numériques à explorer, la réalité virtuelle et son artefact bien réel, le casque, ne sont plus ici qu’un totem de plus proposé (imposé ?) par la pop culture.

Les Aveugles - Photo © Collectif INVIVO

En immersion

L’immersion, grand défi de ce siècle en art, s’impose paradoxalement de plus en plus souvent comme le cadre un rien rigide de la création contemporaine. Ce n’est pas le cas avec Spaced Out de Pierre “PYARé” Friquet qui présentait, il y a peu, ce que nous pourrions presque considérer comme la pièce participative ultime en matière d’union de réalité virtuelle et de scénographie immersive. Découverte lors de la dernière édition du Mapping Festival de Genève en août, Spaced Out est une expérience unique qui nous emmène dans un voyage de la Terre à la Lune, guidés par les conversations sonores de la mission Apollo 11. Pour éprouver véritablement la sensation d’apesanteur expérimentée par les astronautes, Pierre “PYARé” plonge les participants dans une piscine en les équipant de DIVR (pour “dive VR”, ou “réalité virtuelle de plongée”), un casque VR étanche créé par la société Ballast Technologies. Summum de l’immersion, Spaced Out est donc un mix d’expérience aquatique et de réalité virtuelle. Flottant sur l'eau avec masque et tuba, l’utilisateur ressent physiquement l’impression de flottement et le déracinement provoqué par l’absence de pesanteur. Un projet qui repousse encore les frontières de la scénographie et qui pourrait certainement être mis à profit dans le cadre narratif et dramaturgique dans le futur.

Au-delà du réel

Des scénographies émergent également pour porter de nouveaux récits et proposent une relecture de ce que nous considérons comme “le réel”. Dans ce champ exploratoire fertile, le collectif INVIVO présente Les Aveugles, première partie d’une trilogie (Petite trilogie de la mort de Maeterlinck) et adaptation pour douze spectateurs assis sur scène et munis de casque VR du texte de cet auteur mystique. Après 24/7, une pièce mixte déjà singulière qui entreprenait une fusion scène/plateau et réalité virtuelle, INVIVO continue de défricher un territoire encore vierge en mixant ici espace scénique et numérique, tout en rendant hommage au répertoire théâtral. “Ce texte est vraiment fondateur de mon envie originelle de faire du théâtre”, explique Julien Dubuc, l’un des fondateurs du Collectif. Il poursuit : “Je trouvais vraiment intéressant ici d’exercer une friction entre un texte classique et l’utilisation formelle de techniques contemporaines telles que la réalité virtuelle envisagée sous une forme expérimentale. En aveuglant le spectateur, nous lui permettons de poser un regard différent sur le monde qui l’entoure tout en abordant ce texte métaphysique de façon plus intense”. Avec ces douze personnes immergées dans une forêt perdue, Les Aveugles propose également une critique de l’aveuglement technologique et de la déconnexion d’avec la nature : que suivons-nous aveuglément ? Où cela nous emmène-t-il ? “Vers d’autres expériences”, promet Julien Dubuc. “Car nous comptons bien continuer dans cette voie et proposer d’autres pièces inspirées de cette trilogie.”

À l’origine fut la vitesse, le testament de Sov Strochnis - Photo © Nicolas Boudier

 

Autre déconstruction de l’expérience de la virtualité dans le spectacle et autre remise en question de ce que nous nommons le réel avec #Alphaloop d’Adelin Schweitzer, une expérience psychédélique ou une lecture chamanique de notre réalité déjà largement contaminée par le virtuel. “#Alphaloop est un champ de recherche, tout autant qu’une proposition artistique transmédia qui interroge le public sur sa relation au dogme de l’innovation et aux artefacts que celui-ci produit”, déclare son créateur. C’est aussi une expérience immersive dans laquelle le spectateur est invité à explorer “un univers proche du sien” mais décalé par l’usage de la réalité augmentée. Il est accompagné dans ce voyage entre réel et virtuel par deux personnages, LUI et le MÉTA. L’œuvre mélange ainsi différents formats, différentes techniques et approches narratives qui embarquent le public-participant, équipé de casques de réalité augmentée, dans une aventure métaphysique unique au regard des propositions actuelles. Notons au passage que “parallèlement au spectacle, le projet se développe sous deux autres formes autonomes : mini-série et film VR en prises de vue réelles”. À suivre donc…

Le META - Photo © Adelin Schweitzer

Déconstruction virtuelle

Avec À l’origine fut la vitesse, le testament de Sov Strochnis, une adaptation originale du roman d’Alain Damasio, La Horde du Contrevent, Philippe Gordiani et Nicolas Boudier initient, à leur façon très singulière, une déconstruction des codes de la VR grâce à un dispositif inédit, sans utiliser l’environnement technique des outils de la virtualité : ici, le public est équipé d’un casque à conduction osseuse et d’un casque occultant sur lequel est projeté de la lumière pendant que lui sont racontés, lus en musique et en live, des passages de ce pilier littéraire de la science-fiction post-apocalyptique contemporaine. À l’origine fut la vitesse, le testament de Sov Strochnis est un spectacle sonore, musical et théâtral qui s’inscrit dans un dispositif scénographique ingénieux et surtout inventif ! Ici, le spectateur n’est pas consommateur d’images mais c’est bien lui qui travaille, s’inventant des mondes en aveugle, retenu captif par la lumière, le texte et le son en suivant le fil d’une narration dont les visuels seront le seul fruit de son imagination. L’ultime réalité virtuelle ne serait-elle pas ici, telle que proposée par la rencontre de l’univers d’un auteur, d’un musicien et d’un scénographe talentueux ? Une virtualité diffusée dans nos cerveaux, dans nos esprits ? La nôtre, ultime et inaltérable. Pure et non retouchée numériquement.

Et demain, la réalité mixte ?

Aller encore plus loin dans l’inclusion de mondes virtuels dans le réel en repoussant les frontières de l’immersion du public – mais aussi celles des comédiens, danseurs et performeurs – c’est aussi la grande ambition du spectacle contemporain. Et si demain les spectateurs, mais aussi les artistes, se trouvaient plongés en temps réel dans les décors et paysages oniriques que nous avons de plus en plus de mal à qualifier de “virtuels” ? C’est un peu la proposition de Théoriz Studio avec Passage, un film en réalité mixte réalisé à partir de la technologie Augmenta, mise au point par ce studio lyonnais. “La réalité mixte est l’inverse de la réalité augmentée”, explique le cofondateur de Théoriz, David-Alexandre Chanel : “Alors que la réalité augmentée incorpore des éléments virtuels dans le monde réel, la réalité mixte, elle, fait entrer du réel dans le virtuel”. En proposant un scénario de fiction et une narration interprétée librement par deux danseurs dont les mouvements sont captés en direct dans l’espace et instantanément intégrés au sein de décors virtuels sans fond vert, Passage laisse libre cours à l’imagination tout en innovant techniquement et en floutant notre rapport au monde matériel.

À sa manière, nous pouvons dire de Passage qu’il laisse la porte ouverte à de nombreuses créations futures. Même s’il est encore difficile de juger des œuvres qui doivent autant à la rencontre de l’innovation issue des studios de jeux vidéo ou des scénographies spectaculaires des grands évènements populaires qu’aux différentes techniques mises au service de l’expression de plus en plus concrète de la virtualité, il est cependant quasiment certain qu’à une époque où l’imaginaire technique infuse continuellement celui des artistes, la mixité des genres, la transversalité des techniques et le besoin d’expérimenter continueront d’accoucher d’œuvres inclassables qui repousseront toujours plus loin les frontières de la création.

 

(1)   Voir nos articles détaillés par discipline dans les AS 210, 211 et 212