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Labo Arts & Techs

Désobéissance numérique : Quand la fin justifie les moyens

Publié le 18/01/2024

Au nom de leur liberté d’expression, nombre d’artistes s’affranchissent des règles et des lois qui leur sont imposées. Avec l’omniprésence des technologies numériques, cette désobéissance prend des formes inattendues. De quelles manières se matérialise-t-elle dans la création ? À travers quels thèmes ? Comment certain.e.s artistes numériques questionnent la légalité de leurs pratiques ? Pouvons-nous aujourd'hui parler de la naissance d’un “activisme numérique” qui bouscule les règles en place ?

Article rédigé par Adrien Cornelissen en partenariat avec la revue AS.
Photo d'illustration : L.A.S.E.R Tag d’Evan Roth - Photo © Evan Roth


Une longue tradition de la censure

L’histoire de l’art dénombre quantité d’artistes se heurtant à la censure (de Michel-Ange à Ai Weiwei). Parfois les artistes se voient même assigné.e.s en justice à l’instar de Gustave Flaubert avec le célèbre procès de Madame Bovary. Pour des raisons politiques, religieuses ou morales, ces manœuvres visent à maintenir une forme d’ordre social, à consolider un intérêt et à éliminer toute forme d’expression critique. Pourtant, les artistes ont montré qu’il.elle.s. pouvaient faire preuve de désobéissance, privilégiant l’intérêt intellectuel à toute forme de contrôle. Celles et ceux qui en prennent le parti revendiquent ainsi le geste artistique comme étant par essence un acte de liberté.

Le débat n’est donc pas nouveau. Pourtant, l’omniprésence des technologies numériques réactualise ce sujet et approfondit le débat entre deux notions : art et légalité... Primo, les technologies actuelles (réseaux sociaux, intelligences artificielles ou big data en tête de gondole) amènent les artistes à s'intéresser aux conséquences numériques et aux enjeux de notre époque. La surveillance de masse et la violation de la vie privée en sont des illustrations évidentes. Secondo, il est tout à fait singulier d’observer que les technologies numériques sont à la fois objets de la critique et outils de production artistique. Cette démarche, que nous pourrions qualifier de hacking (détournement), s’opère tantôt dans l’illégalité, tantôt en se jouant de flous juridiques. Cette analyse interroge donc le rapport qu'entretiennent les artistes numériques à une forme de “désobéissance numérique”, expression empruntée à Jean-Paul Fourmentraux, professeur à l’Université d’Aix-Marseille (auteur du livre antiDATA - La désobéissance numérique - Art et hacktivisme technocritique, 2020), elle-même dérivée du concept du philosophe Henry David Thoreau (La Désobéissance civile, 1849) défini comme le fait de refuser d’obéir de manière assumée et publique à une loi, à un règlement ou à un pouvoir jugé injuste, et ce, de manière pacifique. Certain.e.s artistes se qualifient donc de lanceur.se.s d'alerte, quelques-un.e.s empruntent la voie d’un activisme radical, d’autres, enfin, refusent toute étiquette. Dans tous les cas, la légalité des procédés artistiques, et in fine des œuvres, est régulièrement questionnée, rendant cette observation d’autant plus passionnante.

Contraindre de fleuryfontaine - Photo © fleuryfontaine

Détourner l’usage des technos

L’une des matérialisations de la désobéissance numérique les plus évidentes consiste au détournement des technologies. En 2021, le collectif artistique MSCHF a lancé un projet intitulé Spot’s Rampage. Des participant.e.s étaient invité.e.s à contrôler à distance un robot Boston Dynamics équipé d’un paintball. Via une diffusion en direct, les téléspectateur.rice.s pouvaient piloter le robot et tirer avec le pistolet. Une performance artistique engagée pleine de dérision qui n’a visiblement pas été du goût de la firme américaine spécialisée dans la conception de robots militaires. Elle déclarait ainsi dans un communiqué : “L’art provocateur peut aider à promouvoir un dialogue utile sur le rôle de la technologie dans notre vie quotidienne. Cet art, cependant, déforme fondamentalement Spot® et la manière dont il est utilisé pour notre vie quotidienne”. Après avoir d'abord tenté de soudoyer le Collectif en lui offrant deux robots gratuits, Boston Dynamics a publiquement condamné le projet pour avoir utilisé son robot “d'une manière qui favorise la violence, le préjudice ou l'intimidation” et a menacé de poursuites judiciaires. Finalement, Boston Dynamics a désactivé à distance le robot Spot® acheté légalement par MSCHF au motif que ses “produits doivent être utilisés conformément à la loi et ne peuvent pas être utilisés pour blesser ou intimider des personnes ou des animaux”.

Autre exemple : les artistes Paolo Cirio et Alessandro Ludovico ont présenté en 2011 l’installation Face to Facebook consistant à voler les données personnelles de centaines de milliers d’utilisateur.rice.s Facebook et les soumettre à un algorithme de reconnaissance faciale. Ces données traitées ont ensuite été intégrées à Lovely-Faces.com, un site de rencontre fictif créé par les artistes. Les 250 000 profils créés (à l’insu des propriétaires des données) sont mis en relation les uns avec les autres, en fonction de leur “taux de compatibilité”. L’installation détourne à ses fins le système de Facebook et alerte sur l’insécurité des données recueillies par le géant états-unien. Une fin qui justifie les moyens ? Aucun doute pour Paolo Cirio : “Je pense que le procédé était justifié à la lumière de ce moment historique : à l’époque, Facebook et les réseaux sociaux ont été promus sans prévenir des conséquences imprévues. Les utilisateur.rice.s ont été poussé.e.s à télécharger toutes sortes d’informations personnelles et cette œuvre d’art les a amené.e.s à réfléchir à ce qui pourrait arriver en le faisant. Des années après ce projet, les nombreux scandales sur la façon dont Facebook abusait des données ont mis en évidence les réels dangers (ndlr l’affaire Cambridge Analytica)”. L’impact médiatique de cette œuvre a été phénoménal avec des centaines de parutions dans la presse internationale et une dizaine de menaces de procès. Paolo Cirio explique : “Nous avons évité les procès mais les menaces juridiques de Facebook ont été très agressives. Il a fallu quelques réponses de notre avocat pour classer l'affaire. Notre ligne de défense consistait à dire que nous avons créé une œuvre d'art pour informer les gens sur les dangers de Facebook. Nous avons utilisé les données comme simulation et expérience sociale dans le cadre de la performance artistique. Néanmoins, nous avons également mentionné que Facebook n’était pas propriétaire des données que nous utilisions et qu’il en abusait en premier lieu”.

La révélation du secret

Par la suite, Paolo Cirio continuera de développer cette méthodologie de l’arroseur arrosé avec le projet Loophole for All (traduction : des paradis fiscaux pour tous) visant à révéler l’évasion fiscale de grandes entreprises mondiales. L’artiste pirate le registre gouvernemental des Îles Caïmans et crée le site Loophole4All.com qui promeut la vente à faible coût (99 cents) d'identités réelles de sociétés anonymes dans un effort ironique de démocratisation des entreprises offshore. Outrepassant le principe du secret financier, cette œuvre (2013) préfigure des violations de données financières comme Panama et Paradise Papers qui, quelques années après, ont restructuré la politique mondiale. Grâce à cette œuvre, l'artiste se verra décerner un Golden Nica, prestigieuse récompense artistique, à Ars Electronica.

Faisant également œuvre de désobéissance numérique, Trevor Paglen, artiste et géographe, dévoile quant à lui les coulisses du pouvoir de l’État avec la mise en œuvre d’une cartographie des réseaux et sites militaires aux États-Unis pourtant classée secret défense. Ses images sondent les technologies de surveillance. De nombreux kilomètres de terres fédérales sécurisées entourent fréquemment les installations militaires interdites qu'il s'efforce de photographier. Pour les zoomer, l’artiste a développé une technique basée sur l'astrophotographie. "Finalement, il est beaucoup plus difficile de prendre une photo de quelque chose au sol que de quelque chose à des milliards de kilomètres", avoue l’artiste sur son site Internet. Trevor Paglen modifie donc la monture d'objectif de son reflex numérique et ajoute un télescope de grande puissance destiné à l’observation du ciel. Utilisées dans le cadre du projet de Trevor Paglen, ces lentilles agrandissent et déforment jusqu'à 65 miles d'air et de poussière qui flottent entre l'appareil photo et le sujet. Les clichés qui en résultent sont des abstractions floues qui exposent la vérité sur ces installations militaires, tout en laissant place à l'imagination.

Slow Violence - Photo © Studio Joanie Lemercier

Flirter avec les limites de la légalité

Au nom de leurs convictions, d’autres artistes n’hésitent pas non plus à flirter avec les limites de la légalité. Le duo HeHe (Helen Evans & Heiko Hansen) s’est notamment fait connaître pour sa performance artistique Nuage vert, Ivry faisant l’objet d’une censure de la part des collectivités publiques (la même performance n’avait pourtant pas connu de déboires à Helsinki). Grâce à un rayon laser, les artistes projettent une lumière verte sur le contour du nuage issu d’une cheminée de traitement de déchets. Ce nuage rend visible des déchets brûlés, faute d’avoir été recyclés, réemployés. Nuage vert démontre le dysfonctionnement d’une société urbaine et polluante. Cette performance environnementale éphémère invite les riverain.e.s et le public à réfléchir à la gestion des déchets et aux modes de vie et de consommation qui l’alimentent. La performance aura pourtant bien lieu le 27 novembre 2010. La projection prenant place depuis le toit d’un bâtiment privé, les autorités n’ont rien pu empêcher. D’autant que la législation autour de la projection mapping est aujourd’hui bien floue. Evan Roth, l’une des têtes pensantes du Graffiti Research Lab fondé dans les années 2000, et pourtant spécialiste du mapping, reconnaît lui-même l’existence d’un vide juridique : “Honnêtement, je ne sais pas vraiment ce qui est légal ou non. Nous n’avons jamais vécu de vraies poursuites judiciaires car il y a une sorte de flou juridique. Nous avons parfois eu des accrochages avec la police mais dans de nombreux cas, elle ne nous a même pas fait partir”. Dans la performance L.A.S.E.R Tag, l’artiste projette ainsi des tags numériques sur des bâtiments. Des messages pourtant subversifs comme “Fuck the police” ou “Don’t trust Bush” (2007, Rotterdam) mais jamais en contradiction avec le cadre légal du droit de l’urbanisme dans lequel s’inscrit le street art (prohibant notamment toute dégradation).

Face to Facebook de Paolo Cirio et Alessandro Ludovico - Photo © Paolo Cirio

Les effets de la désobéissance

Au-delà de l’intérêt purement artistique, il est intéressant de voir quels effets sont produits par la désobéissance numérique. Revenons à Paolo Cirio précédemment cité. Dans sa série de photos Capture, l’artiste collecte mille images publiques de policiers lors de manifestations en France et les traite avec un logiciel de reconnaissance faciale. L’artiste a ensuite créé une plate-forme en ligne avec une base de données des 4 000 visages de policiers résultants pour obtenir leurs identités. Il imprime les portraits des officiers sous forme d’affiches et les colle dans les rues de Paris. Capture s’inscrit ainsi dans le débat des abus de la reconnaissance faciale et de l'IA en remettant en question l'asymétrie du pouvoir en jeu. L’absence de réglementation sur la confidentialité de cette technologie s’est finalement retournée contre les mêmes autorités qui préconisaient son utilisation. Cette provocation a déclenché les réactions du ministre de l'Intérieur français et des syndicats de police qui ont imposé la censure de l'œuvre, pourtant saluée par les citoyens français et la presse internationale. Paolo Cirio a lancé une campagne visant à interdire la technologie de reconnaissance faciale dans toute l'Europe. En 2021, dans le cadre de sa campagne #BanFacialRecognitionEU, Paolo Cirio a remis à diverses institutions européennes un colis contenant une plainte légale accompagnée de ses recherches et d'une pétition avec plus de 50 000 signatures soutenant l'interdiction de la reconnaissance faciale en Europe. La Commission européenne a répondu à la plainte de l’artiste en reconnaissant officiellement la nécessité de restreindre légalement l'utilisation de l'intelligence artificielle. 

C’est donc un continuum art/politique qui s’observe ici comme dans d’autres projets artistiques. À ce titre, fleuryfontaine est un duo particulièrement intéressant à écouter. Leur travail se décline sous la forme d’installations, de sculptures, de performances ou de films 3D. Leur film d’animation Contraindre, plusieurs fois récompensé, traite de la question des violences d’États. C’est ce même film qui va les pousser à entrer en contact avec l’association Forensic Architecture puis avec son homologue français, Index Investigation, qui enquête sur des affaires d'intérêt public à l'aide de technologies numériques et notamment de reconstitutions 3D. “Comme il existe une médecine légale, il existe une architecture légale qui va analyser des éléments complexes dans l’espace”, explique Galdric Fleury. Antoine Fontaine poursuit : “Nous sommes restés deux ans à l’ONG Index en participant à la reconstitution de nombreuses vidéos, comme celle des violences à l’encontre d’Adnane Nassih, victime d’un tir de LBD. Nous ne nous percevons pas comme des activistes, ce travail est avant tout informatif et journalistique. C’est une forme de participation à un débat public. Ce passage dans l’ONG nourrit aussi nos pratiques. Contraindre nous a amenés à Index ; Index nous a amenés à un nouveau projet qui a comme point de départ l’affaire Adnane Nassih. Nous sommes partis de cette enquête pour réaliser un court-métrage à paraître dans les prochains mois”.

Alors faut-il voir dans tous ces projets une vague de fond d’un art qui bouscule la politique ? Certainement pas selon Jean-Paul Fourmentraux qui écrit dans son livre qu’“il ne s’agit pas de voir dans cet art de la désobéissance numérique, une esthétisation de la politique, ni une politisation de l’esthétique, mais bien davantage une ‘expérimentation’, un processus expérimental qui bouscule et renouvelle les conditions d’action, d’enquête et de connaissance de nos environnements techniques. Dans ce contexte, la désobéissance consiste tout d’abord à ne pas laisser aux seules plates-formes et aux gouvernements le monopole et la maîtrise technique”. C’est déjà là une responsabilité énorme assumée par les artistes.

Roots & cyberculture : La création numérique en Afrique

Publié le 18/01/2024

Si l'art contemporain africain commence enfin à émerger au niveau international, la création numérique made in Africa reste, en revanche, encore largement sous les radars. Pourtant, l'art numérique est bien là, présent, vivace et protéiforme, malgré le contexte social, économique, technologique et politique défavorable que connaît l'Afrique.

Article rédigé par Laurent Diouf en partenariat avec la revue AS.
Photo d'illustration : Em’kal Eyongakpa, installation - Photo DR


L'histoire impossible

Dans les années 90’, les prémices de l'art numérique se sont manifestées en Afrique australe. En 1999, Marcus Neustetter rédige un mémoire : The Potential and Limitations of Web Art - a South African Perspective. C'était l'époque du "net art" mais aussi du "mobile art", tant l'arrivée du téléphone portable a eu, et a toujours, un rôle prépondérant en Afrique. Mais il n'existe quasiment plus aucune trace de ces bidouillages graphiques, si ce n'est, peut-être, dans les profondeurs oubliées d'Internet. En Afrique de l'Ouest, à la même époque, des initiatives voient également le jour. À Dakar au Sénégal, Metissacana est une structure à l'origine du premier cybercafé d'Afrique de l'Ouest en 1996. En 1999, un atelier est monté avec l’ISEA (Inter-société des arts électroniques) pour former une vingtaine d'artistes sénégalais à la création d'œuvres multimédias. Mais l'histoire de ces pionniers reste méconnue et à écrire. L'art numérique s'impose vraiment en Afrique au tournant des années 2000, via des réseaux et des plates-formes de soutien à ces nouvelles pratiques artistiques, grâce aux nombreux fablabs qui sont aussi montés sur le continent, et dans des lieux de résidence, de création et d'exposition.

Dakar, ville créative

À Dakar, au Sénégal, Kër Thiossane ("maison de la tradition" en wolof) est emblématique. “Premier laboratoire pédagogique artistique et transdisciplinaire lié aux pratiques des technologies numériques en Afrique de l'Ouest”, cette "villa pour l'art et le multimédia" été fondée en 2002 par Marion Louisgrand et Momar François Sylla. La même année, dans le cadre de la cinquième Biennale de Dakar, est organisé le premier Forum sur les arts numériques par Sylviane Diop avec Karen Dermineur. Kër Thiossane porte le festival Afropixel qui a débuté en 2008. Au fil des éditions, le public a pu découvrir les "œuvres-machines" de Jean Katambayi Mukendi, artiste basé à Lubumbashi en République Démocratique du Congo, qui questionne la problématique de l'énergie, ou le projet de monnaie alternative de Mansour Ciss (pour ne citer que deux exemples au milieu d'une multitude de créations, projections, performances, installations, ateliers, réflexions, …).

Le centre d'art RAW Material Company et La Biscuiterie (BDM), ancienne usine qui abrite désormais des projets audiovisuels et de spectacle vivant, témoignent aussi de la part importante du numérique dans le domaine artistique à Dakar. Sur la quinzaine de "villes créatives" labellisées par l'UNESCO en Afrique, la capitale du Sénégal est la seule à l'être sous la bannière "arts numériques" !

Kongo Astronauts. Untitled #9 - Photo © Kongo Astronauts 2021

Le creuset des centres d'art

De l'Afrique du Nord à l'Afrique du Sud, les lieux dédiés à l'art contemporain sont le creuset de la création numérique. Parmi tant d'autres, nous citerons Artisttik Africa, centre culturel à Cotonou au Bénin, et Bandjoun Station, lieu de résidence et d'exposition initié par Barthélémy Toguo au Cameroun. Cet artiste est reconnu internationalement pour ses œuvres faisant appel à la gravure, la photo, la peinture, la sculpture ou au dessin – son trait orne la ligne 5 du tram de Montpellier depuis janvier 2023 – et aussi à la vidéo, l'impression 3D et à des dispositifs d'installation…

À la fois centre d’art contemporain et laboratoire expérimental des nouvelles pratiques urbaines, Doual’art, situé comme son nom l'indique à Douala, capitale du Cameroun, présente également de la vidéo, des installations in situ et du multimédia (voir l'exposition Visages de masques de Hervé Youmbi en 2016). À Lagos au Nigeria, le CCA (Centre for Contemporary Art) sert de plate-forme pour les arts visuels, la vidéo, des installations et des performances. Au Maroc, à Rabat, nous mentionnerons L'Appartement 22 qui transite cette année “vers un fonctionnement coopératif : le lieu est géré collectivement par les commissaires d’exposition et les artistes”. En Égypte, au Caire, c'est le collectif Medrar qui accueille, réunit et expose des artistes du numérique depuis 2005 au travers de son studio et d'événements, récents ou passés, dont le Cairo Video Festival et l'Open Lab Egypt.

Souvenirs du futur

Beaucoup d'événements et de festivals ont disparu ou sont en sommeil : le Di-Egy Fest qui fut le premier festival d'art numérique en Égypte organisé par Haytham Nawar et Elham Khattab au Caire en mars-avril 2013 ou encore le Digital Marrakech, Festival international des arts vidéo numériques, performances multimédias, 3D et cinéma digital (la dernière édition date de 2016, la première a eu lieu en 2010). 

En Tunisie, le festival Échos Sonores à Tunis, rebaptisé E-FEST en 2009, qui était “dédié aux cultures numériques, réunissant les univers de la musique, de l’image, et des arts médiatiques, a œuvré pendant onze années à développer et démocratiser des pratiques hybrides et multimodales”.

La suite s'écrit désormais de manière décentralisée et itinérante au travers de No Logo. Un projet de “promotion artistique et culturelle, qui développe des actions de coopération avec les institutions éducatives, les artistes, et les habitants des régions”. Au Mali, le premier festival de création numérique s'est tenu en 2011 à Bamako. Porté par le Collectif YETA, Pixelini ("petit pixel" en bambara) s'inscrivait dans le réseau des festivals Pixelache et du projet de coopération Rose des Vents Numériques également porté disparu…

African Robots - Photo DR

 

Kër Thiossane, façade - Photo DR

Identités rhizomiques 

Malgré la conjoncture socio-économique et politique, souvent source d'inspiration, il existe toujours de grands événements témoignant de la vitalité des arts numériques en Afrique. En Éthiopie, à Addis-Abeba, l'AVAF (Addis Video Art Festival) fait sortir l'art vidéo des galeries pour investir la ville et faire dialoguer des artistes nationaux et internationaux. De même, les RAVY (Rencontres d'arts visuels de Yaoundé) au Cameroun en juin 2023 qui avaient comme thématique "Identités rhizomiques"… 

En avril, les RIANA (Rencontres internationales des arts numériques et visuels d’Abidjan) en Côte d'Ivoire proposaient des expositions d'artistes en provenance de Côte d’Ivoire, du Burkina Faso, du Mali et du Cameroun, des ateliers, des masterclass, des conférences sur ChatGPT et “le numérique et le digital dans les pratiques post-photographiques”.

Images animées encore avec le Mobile Film Festival Africa qui s'est déroulé en juin dernier au Maroc, à Rabat, promue cette année capitale africaine de la Culture. Le principe est simple : "1 mobile, 1 minute, 1 film” (au total, 54 films originaires de 21 pays africains). En mai, le festival Rabat Digital Arts, Tifawt ("lumière" en tamazight) a permis de découvrir des installations immersives ou interactives, des performances, des dispositifs robotiques, du video mapping (sous l'égide de l'artiste Mehdi Riah) ainsi que le Musée virtuel des arts et traditions du Gabon conçu par Pierre Fischer et Yann Minh.

Les nouveaux défis

En Égypte, au Caire, le D-CAF (Downtown Contemporary Arts Festival), qui tenait sa dixième édition en octobre 2022, a fait la part belle à l'art des "nouveaux médias". De même que la biennale Cairotronica (festival des arts électroniques et des nouveaux médias du Caire) dont la dernière édition en date, en 2021, avait comme thème "Data fiction". La FNB Art Joburg (la foire d'art contemporain de Johannesbourg en Afrique du Sud) reste incontournable ; Tegan Bristow y avait initié une exposition intitulée Internet Art in the Global South en 2009. Cette artiste, développeuse d'installations multimédias, rédactrice et maître de conférences, a également dirigé le Fak'ugesi (African Digital Innovation Festival de Johannesbourg) en accentuant sa programmation vers le gaming, l'animation, la réalité virtuelle et augmentée. Fak'ugesi fête ses dix ans cette année avec comme mot d'ordre "More Flow" (après "PowerToThePixel", "AfroSourceCode", "AfroTechRiot" ou "RiseDigitalAfrica"…).

                           

Doual'Art, publication Public Art In Africa, 2017 - Photo DR                                                             

Afrofuturisme

Impossible de faire une photo de famille de tous les artistes numériques africains. L'African Digital Art Network, mis en ligne en 2009 par l'artiste et web-designeuse kenyane Jepchumba, est une plate-forme de présentation et d'archivage d'œuvres numériques, pour la plupart visuelles – animation, projets interactifs, collage (VonMash), art graphique, design, sculpture 3D, AR/VR, ... Ce site revendique aujourd'hui plus de 10 000 artistes venant de toute l'Afrique et des communautés afro d'Amérique du Nord et du Sud…

Il existe aussi une scène conséquente axée autour de la performance, comme les Kongo Astronauts en République Démocratique du Congo, rendus célèbres par le film Système K du réalisateur Renaud Barret qui documentait les déambulations des membres de ce collectif dans les rues de Kinshasa, revêtus de combinaisons bricolées avec des circuits électroniques pour dénoncer le pillage des métaux rares utilisés dans les portables, ordinateurs et satellites.

Dans sa série Relic, Larry Achiampong, artiste d'origine ghanéenne, utilise la performance, audio et vidéo, et met également en scène des personnages avec des combinaisons spatiales dans une optique très afrofuturiste, inversant les facteurs technologiques et écologiques en faveur de l'Afrique pour mieux dénoncer et questionner l'hégémonie de l'Occident.

Installations interactives 

Il faut aussi citer, parmi tant d'autres, Abdoulaye Armin Kane, peintre et sculpteur sénégalais, également vidéaste, le premier à avoir créé une œuvre spécialement pour Wikipédia. Nous lui devons aussi une installation interactive faisant référence aux migrants, 100 Frontières. Ce dispositif est composé de valises posées au sol et de vidéos dont la projection s’enclenche lorsqu'un visiteur s'en approche, projetant des images de visas et de papiers…

Le duo sud-africain interdisciplinaire Dala ("faire/créer" en zoulou) dont le champ d'intervention est l'espace public, établit un pont entre artistes, architectes, chercheurs, performeurs, urbanistes et designers… ; l'Égyptien Magdi Mostafa qui pratique l'art sonore, entre land art et field recordings ; Stefanus Rademeyer adepte de l'art algorithmique qui conçoit des œuvres géométriques et génératives, parfois renforcées de lumière et de son. Ou bien encore l'interdisciplinarité de l'artiste camerounais Em’kal Eyongakpa dont les installations interactives intègrent photo, vidéo, dessin, sculpture, poésie et son ; le Sud-Africain François Knoetze avec ses installations, interventions et créations, parfois collaboratives, qui peuvent combiner vidéo, sculpture, réalité virtuelle ou performance costumée… 

African Robots

Les nouvelles technologies permettent de garder un lien avec la tradition, si ce n'est de la "réactualiser"… Un exemple avec les masques numériques interactifs, permettant de projeter des images vidéo en temps réel et de les superposer au visage de son porteur, qui ont été présentés par Yassine Balbzioui lors du Dak’Art_Lab de la Biennale de Dakar au Sénégal en 2012. 

Dans un autre genre, l'art robotique du projet collectif African Robots s'inspirait en partie des jouets bricolés en fil de fer par les enfants des rues en les "augmentant" d'électronique DIY pour démocratiser les pratiques liées à l'informatique et à des créations interactives et cinétiques ; “tout en revalorisant des connaissances non européennes ou extra-occidentales comme les conceptions d'automates de l'inventeur islamique du XIIe siècle Al-Jazari (qui comprennent certains des premiers exemples connus de dispositifs programmables) et des domaines tels que l'ethno-mathématique, qui reconnaissent l'utilisation de principes mathématiques issue de pratiques artisanales telles que le tissage”.

Flyer D-CAF, Text To Image : Democratizing Art with AI, 2022 - Photo DR

Low-tech et recyclage

Au Ghana, en avril 2018, la première édition du sommet Africa OSH (Open Science & Hardware) a vu le mouvement Maker et le réseau des fablabs essayer de poser des jalons pour une "science ouverte" et des espaces collaboratifs se démarquant des critères occidentaux. La question du low-tech et du recyclage agite beaucoup les européens, alors qu’elle se pratique depuis des décennies à l'échelle de la société africaine toute entière… 

Dans cette optique, nous pouvons citer The Exploratory fondé par Connie Show à Accra au Ghana, le WakatLab à Ouagadougou au Burkina Faso ou le WoeLab ("woe", fais-le en éwé), porté par Sénamé Koffi Agbodjinou à Lomé au Togo d'où est sortie la W.Afatz, première imprimante 3D made in Africa conçue à 100 % avec des matériaux et composants recyclés il y a une dizaine d'années. 

Expérience renouvelée au Buni Hud à Dar es-Salaam en Tanzanie qui concevra aussi un drone sur ce modèle. À Dakar, dans le cadre de la dixième édition de Partcours, c'est un "baobab interactif" – rappelons que cet arbre est l'un des symboles du Sénégal – qui a été construit par plusieurs artistes à partir de bouteilles en plastique. Le fablab Defko Ak Niëp ("DIY" en wolof) de Kër Thiossane ayant conçu l’interaction sonore, visuelle et haptique de ce dispositif géant qui dénonçait la pollution des déchets plastiques.

Les biais cognitifs de l'IA 

Autre sujet de préoccupation : l'intelligence artificielle et les NFT. En mars 2021, à Kër Thiosanne, des rencontres ont réuni des artistes s'interrogeant sur les représentations de genre, de race ou de classe dans certains programmes d'intelligence artificielle. Pionnière en la matière, l'artiste sénégalaise Linda Dounia produit notamment des œuvres génératives dont les motifs s'inspirent de tissus traditionnels et a monté une exposition en avril 2022 qui pointait les problèmes de discrimination dans la technologie de reconnaissance faciale et le manque de représentation des perspectives non occidentales dans les réseaux antagonistes génératifs (Generative Adversarial Networks). Linda Dounia est également à l'origine de Cyber Baat, un événement et une organisation autonome décentralisée qui se donne pour mission de “résoudre le problème de la sous-représentation des artistes d'ascendance africaine dans l'espace numérique en utilisant la puissance du web3 et de la blockchain”.

Les NFT

Le webdesigner et illustrateur Pamplumus (PM Kane) s'est emparé des NFT pour taguer ses dessins des fameux "cars rapides" qui sillonnent Dakar pour "occuper l'espace numérique" face au marché occidental, garder la main sur ses créations et au besoin se les réapproprier y compris dans le Métavers… Une démarche en accord avec la note d'intention de la huitième édition du MOCA (Festival des industries culturelles et créatives africaines de Rabat au Maroc en mai 2023), où il était mentionné que les acteurs du secteur doivent faire face aux “enjeux liés à la propriété intellectuelle et à la concurrence des produits culturels étrangers”.

Renzo Martens, artiste hollandais qui partage son temps entre Amsterdam et Kinshasa, se sert des NFT pour en faire “un outil de décolonisation et de restitution numérique” dans le cas de son projet Balot NFT, réplique d'une statuette figurant un officier belge qui sera décapité lors du soulèvement des ouvriers des plantations d'Univeler au Congo, l'originale étant conservée au musée VMFA de Richmond (Virginie).

Le Métavers est mort ! Vive les Métavers ?

Publié le 17/01/2024

Dans le monde de la tech et de la création numérique, rares sont les sujets suscitant autant la controverse que celui des Métavers. Concept technologique désormais célèbre – notamment après l’annonce en 2021 du fondateur de Facebook visant le rebranding de son entreprise (renommée Meta) et la création de sa plate-forme Métavers (Meta Platforms) –, il reste néanmoins sujet aux fantasmes les plus fous. Si beaucoup de spécialistes prédisaient, il y a quelques mois, l’arrivée imminente de ces nouveaux univers virtuels, plusieurs communiqués de firmes internationales (Facebook, Tencent, Walt Disney, …) ont récemment annoncé mettre un frein aux investissements massifs dans les Métavers. Les Métavers sont-ils définitivement tombés à l’eau ? Aujourd’hui, quel est l’état des lieux des Métavers existants ? Par quels usages artistiques existent-ils ? Que laissent présager ces mondes virtuels de la création future ? Autant de questions qui approfondissent le vaste débat des Métavers et dessinent les contours d’un futur possible de la création artistique.

Article rédigé par Adrien Cornelissen en partenariat avec la revue AS.
Photo d'illustration : M.O.A. (My own assistant) - Photo © Charles Ayats / Red Corner


Un ou des Métavers ?

En préalable, la question est toute simple : que sont les Métavers ? Force est de constater qu’une définition partagée peine à être trouvée par la communauté tech. La tentative de Philippe Fuchs, titulaire de la chaire Robotique et réalité virtuelle de PSA Peugeot-Citroën - Mines ParisTech et auteur d’ouvrages sur la VR, est intéressante car elle embrasse un ensemble de critères : “Les Métavers permettent à un nombre illimité d’usager.ère.s de partager simultanément des expériences sensori-motrices, cognitives et émotionnelles, qui sont collectives, publiques ou privées, dans un monde artificiel, persistant et évolutif, créé numériquement sur Internet, dans le but d’activités sociales, ludiques, économiques, professionnelles, artistiques ou culturelles”. Premier enseignement : il n’existe pas un seul et unique Métavers mais une multitude. Pour le dire plus explicitement encore, les Métavers ne sont pas la propriété unique de Facebook. Aujourd’hui, il existe en effet une pluralité de plates-formes comme VRChat, Sandbox VR, Wave, Decentraland ou Roblox. Cette dernière est notamment devenue la référence ultime au point d’être qualifiée par des spécialistes de proto Métavers (Le Meilleur des mondes, France Culture, avril 2023). Laurent Chrétien, ancien directeur de Laval Virtual et président de Komodal, prestataire de services B to B dans les mondes virtuels, précise également qu’“aujourd’hui, en Europe et aux États-Unis, il existe plus de 300 éditeurs de mondes virtuels. Il en sort toutes les semaines. De nouveaux géants émergeront, avec des modèles économiques sans doute encore à inventer”. De quoi entrevoir une réelle structuration des Métavers.

Ensuite, il existe une différence notable entre réalité virtuelle, dont l’équipement usuel est un casque VR, et Métavers. Autrement dit, un monde Métavers n’est pas nécessairement construit dans la réalité virtuelle (et vice versa). Un Métavers peut tout à fait être une plate-forme 3D en ligne, à la façon d’un Second Life devenu précurseur dans le domaine du gaming. Enfin, il est important de souligner le caractère social des Métavers puisqu’il s’agit ici de proposer des expériences collectives avec un grand nombre d’usager.ère.s, jusqu’à des millions simultanément. De cette vision sociale, absolument fondamentale, apparaissent trois éléments qui distinguent les Métavers de simples jeux vidéo, et particulièrement des MMOG (Massively multiplayer online game) : le critère d’ubiquité (le fait qu’un.e usager.ère soit incarné.e. par un avatar), le critère d’évolutivité des mondes virtuels (le fait que ces mondes soient en constante évolution même lorsque l’usager.ère n’est pas connecté.e), le critère d’interopérabilité (le fait que l’usager.ère garde son identité, ses objets, ses données en passant d’un Métavers à un autre). Ce dernier point est de loin le moins avancé et illustre le chemin à parcourir pour arriver à une sorte de “guichet unique”. Enfin, notons que les Métavers peuvent concerner tous les secteurs d’activités de la société : industrie aérospatiale, formation professionnelle, santé, architecture, sport de haut niveau, industrie pornographique, … et bien sûr les industries culturelles et créatives dans lesquelles les jeux vidéo arrivent en pole position. C’est justement sur les créneaux des industries culturelles et créatives, et de la Culture, que cette analyse se poursuit.

Virbela Komodal Meetup - Document © Komodal

La mort des Métavers ?

Si des géants de l'entertainment comme Facebook ou Disney ont beaucoup investi dans les Métavers ces dernières années, ils ont fini par se rétracter en 2023, annonçant un désinvestissement. Faut-il y voir un abandon définitif de cette technologie ? Reconnaissons que la tendance Métavers est moins forte aujourd’hui qu’il y a quelques mois, éclipsée par les avancées dans l’intelligence artificielle (ChatGPT, Midjourney, …). En mars 2023, Marc Zuckerberg annonçait ainsi, dans une lettre adressée au personnel, que l’investissement le plus important de Méta porterait dorénavant sur l’IA. Cependant, de nombreux signaux faibles montrent que les Métavers semblent en état de veille et qu’ils redeviendront rapidement une priorité pour les géants de la tech… Premier indice : la vente des équipements comme les casques Oculus (filiale du groupe Meta) qui, bien qu’en chute commerciale (diminution totale de 2 % en 2022, selon une étude du cabinet de recherche NPD Group), n’est pas non plus négligeable (environ 20 millions de casques toutes marques confondues vendus en 2021 et 2022). Preuve de l’intérêt constant de Facebook, Meta annoncera prochainement une nouvelle gamme de lunettes immersives ; tout comme Apple qui planche sur une sortie de ses Apple Glass dans les prochains mois.

Deuxième indice : plutôt que de se concentrer sur un Métavers by Facebook sorti de nulle part (nombre d’expert.e.s estiment que cette annonce était un nuage de fumée pour occulter les failles de confidentialité du réseau social et l’exposition médiatique de l’audition au Sénat américain), il est sans doute plus judicieux de se concentrer sur les quelques plates-formes Métavers ayant trouvé un réel usage et de souligner leur état de santé financier. Du côté du gaming et particulièrement de Roblox, plate-forme ultra populaire de distribution de jeux adressée aux enfants et qui fonctionne comme un réseau social, le.la joueur.euse crée un avatar que l’on retrouve dans tous les autres jeux. Les chiffres de Roblox sont plus qu'explicites : 2 milliards de chiffre d’affaires en 2022 et plus de 200 millions d’utilisateur.rice.s actif.ve.s en 2023. Rien que cela !

Troisième indice : le secteur événementiel profite durablement des comportements post-Covid : les pratiques de rencontres en distanciel se sont généralisées et se taillent une part de marché importante. Laurent Chrétien confirme la tendance de fond : “Le confinement a généralisé un besoin des entreprises de moins se déplacer physiquement et de se rencontrer dans des espaces de réalité virtuelle, générant un intérêt pour les technologies immersives. Le secteur événementiel profite de cette opportunité en proposant des expériences de formation ou de séminaires avec un grand nombre de participant.e.s. Notre entreprise Komodal a par exemple organisé plus de 300 événements professionnels en l’espace de trois ans”.

Conclusion : quand le marché est en phase avec un usage, les Métavers existent et fonctionnent. Il y a donc fort à parier qu’ils reviennent en force – médiatiquement et financièrement – dans les prochains mois.

Matadero Madrid et L.E.V. NeuroXcape Hybrid E-Rave 666 - Document DR

État de la création…

Alors quid de la création dans ces univers virtuels ? Il y a plusieurs façons d’observer cette inventivité artistique : en premier lieu à travers la création au sein des industries culturelles et créatives et particulièrement celles des jeux vidéo. Comme dit auparavant, c’est par la communauté que l’usage se crée. Les jeux dits “bac à sable” ou “sandbox” comme Fortnite Creative, Minecraft ou Roblox invitent les usager.ère.s à créer leurs propres univers et, de facto, leurs propres jeux vidéo. Grâce à une ergonomie optimisée (par exemple, modélisation 3D simplifiée par le No-Code), les joueur.euse.s vont s’approprier une boîte à outils et créer des expériences personnelles, scrutées au plus près par les concepteur.rice.s des jeux vidéo. Cette forme de “captation de la créativité” va jusqu’à débaucher certain.e.s joueur.euse.s intégrant officiellement les équipes de conception. Dans le domaine de la musique, les Majors semblent également avoir trouvé une niche exploitable à travers ces mêmes jeux “bac à sable”. Le Musicverse propose ainsi à une communauté des concerts live en ligne. Lil Nas X, Ariana Grande, Jean-Michel Jarre et consors cumulent ainsi des millions de spectateur.rice.s dans ces mondes virtuels. En 2022, Spotify, leader mondial du streaming musical, a ainsi lancé son propre monde virtuel sur Roblox. Les joueur.euse.s ont la possibilité d’interagir avec les avatars des artistes et accèdent à des contenus exclusifs. Par ailleurs, certains festivals en ligne ont déjà vu le jour avec plus ou moins de succès : Block By Blockwest (festival de musique sur Minecraft lancé en 2020) ou Coachella sur Fortnite en 2023 sont des tentatives nouvelles bien qu’encore limitées dans les interactions possibles.

Ensuite, loin des industries culturelles et créatives, au plus proche des disciplines artistiques et du spectacle vivant, les choses sont plus nuancées. L’intérêt ne manque pourtant pas chez les acteur.rice.s des arts numériques. L.E.V., festival d’arts numériques de Madrid, imaginait une édition 2022 appelée “Métavers, réalités en transition” avec plusieurs performances comme NeuroXcape Hybrid E-Rave 666: The Shadowbanner, une e-rave hybride mêlant virtuel et physique, et des installations explorant les enjeux du Métavers. Pourtant, les œuvres présentées ressemblaient davantage à des œuvres VR. Remarque semblable en France avec le festival Recto VRso, émanation du salon Laval Virtual (événement dédié aux technologies immersives) qui s’intéresse à la production de contenus artistiques immersifs (VR/AR) sans pour autant coller à une définition stricte et mentionnée précédemment des Métavers. Charles Ayats, designer interactif et game designer, partage ce sentiment : “Je pense que nous sommes très loin d’avoir des mondes métavers arpentables, faits d’expériences collectives et artistiques abouties. Pourtant, aujourd’hui, les éditorialistes en parlent comme s’il existait déjà, ce nouveau web avec ses usages établis. Il est vrai que la démocratisation des outils 3D est subjuguante, notamment grâce aux IA capables d’agréger des quantités astronomiques de contenus open source, de les traiter et de les réinterpréter. Sous peu, les artistes vont avoir accès à des outils incroyablement puissants et pourront créer des environnement 3D procéduralement, avec des règles paramétrables, aisément par écrit, sans savoir coder”. Le constat côté artiste est pour le moment assez unanime : de la même manière qu’il existe peu d’artistes se revendiquant “artistes Métavers”, il existe peu d'œuvres artistiques faisant consensus. “Nous sommes au tout début de l’histoire des Métavers. C’est normal qu’il n’y ait pas encore ce foisonnement artistique. Je suis convaincu que le rôle des artistes sera essentiel dans l’exploration des sens et le défrichage des usages”, souligne de son côté Laurent Chrétien.

Virbela Komodal Winter Party - Document © Komodal

Nouvelles perspectives de diffusion

L’exploration des sens… C’est justement la perception des œuvres par le public, et donc le sujet de la diffusion des œuvres, qui est à interroger en profondeur. Revenons sur les origines du festival Block By Blockwest. Cet événement a été créé dans un contexte de confinement international dû à la pandémie et a permis de rassembler des milliers de spectateur.rice.s. Un test intéressant au regard des enjeux écologiques. Dominique Levy, collectionneuse d’art numérique et présidente de l’association Métavers Art & Culture visant l’accompagnement des établissements culturels et des institutions sur les enjeux du Métavers, complète cette analyse : “Le Métavers a la capacité de rassembler des millions de personnes de façon virtuelle. C’est une voie possible à la limitation des déplacements du public sans pour autant supprimer nos grands événements, festivals, spectacles, expositions, … Écologiquement c’est une piste crédible à étudier”. Elle complète ses propos sur la sensorialité des œuvres d’art : “En tant que collectionneuse, j’ai créé des espaces d’exposition sur Sansar (une plate-forme Métavers). Tous ses espaces sont connectés les uns aux autres et les avatars peuvent aller et venir. J’ai la conviction que montrer une œuvre d’art ne suffit plus aujourd’hui, il faut avoir d’autres types d’interactions. Par exemple donner au public et aux artistes la possibilité de nouer de nouveaux liens. C’est cela qui est révolutionnaire avec le Métavers. À ce titre, le spectacle vivant pourrait être complètement bouleversé”. Imaginer ces interactions artistes/publics (visites commentées, contenus interactifs, accès à des rencontres, éveil de sens kinesthésique, du toucher, …) constitue donc un point essentiel dans la recherche de nouveaux usages. 

Des Métavers à quel prix ?

Cette recherche artistique – comme tous les autres secteurs – doit néanmoins être questionnée sous un angle éthique, social et écologique. D’un point de vue éthique d’abord, rien n’indique que les Métavers ressembleront à des mondes aux possibilités infinies : “Le choix risque d’être cornélien pour les artistes car ces outils seront sans doute exclusifs et ne permettront d’alimenter que les plates-formes propriétaires possédées par tel ou tel GAFAM et des marques comme Dreams sur Playstation. Les Métavers seront préemptés par quelques entreprises qui auront des intérêts commerciaux ou idéologiques ; j’essaye malgré tout de rester optimiste en me disant que si le WorldWideWeb a réussi à rester dans le domaine public, son évolution le sera tout autant”, exprime Charles Ayats. C’est sans doute là un rôle important des orientations et des choix politiques. Dominique Levy le confirme mais sur un autre sujet : “Si nous parlons des équipements des Métavers, il faudra réaliser des études et des campagnes de sensibilisation pour un bon usage. Par exemple, les casques VR ne doivent pas être utilisés par de jeunes enfants. C’est une question de santé publique !”.


Le coût d’exploitation dans un Métavers – consommation énergétique, production des interfaces et des équipements – est loin d’être négligeable. Si aucune étude n’existe pour l’heure, ce coût doit être sérieusement évalué en termes d’efficacité avérée, de retombées économiques et d’empreinte écologique. C’est sans doute un point essentiel qui n’est que trop rarement évoqué. “Concernant la surconsommation électrique, nous sommes dans l’inconnu car nous n’avons aucune idée de ce que seront les Métavers dans vingt ans. Aujourd’hui, il y a 2 milliards de sites web, pourquoi pas 2 milliards de Métavers dans quelques années ?”, cite Laurent Chrétien. Une comparaison pas si farfelue qui donne une idée de l’ampleur des enjeux Métavers des prochaines années. Annoncer que “le Métavers est mort ” est une chose… Déclamer “vivent les Métavers” engage à de toutes autres responsabilités.

RETOUR SUR LA CLOTURE D'AMBIVALENCES

Publié le 02/11/2023

Dans le cadre de de le 21e édition de  Scopitone, jeudi 14 septembre 2023 avait lieu le troisième et dernier rendez-vous du troisième cycle de conférences Ambivalences, consacré aux politiques du numérique. Revivez les interventions d'Olivier Alexandre, d'Anna Longo, ou encore de Felix Luque Sanchez ! 

organisé en collaboration avec Oblique/s et Electroni[k]

Avec :

Pauline Briand, journaliste, rédactrice et consultante
Olivier Alexandre, chercheur en sociologie et auteur
Anna Longo, philosophe et autrice
Felix Luque Sanchez, artiste
Luc Brou, festival ]interstice[/Oblique/s
Samuel Arnoux, festival Maintenant/Electroni[k]
Martin Lambert, festival Scopitone/Stereolux

ÉCORESPONSABILITÉ : Comment la culture maker inspire-t-elle les artistes ?

Publié le 06/06/2023

À travers leur philosophie Do It Yourself, la mise en commun de ressources ou la réappropriation des outils de production, les Makers – ces membres d’ateliers tourné.e.s vers la création collective – ont initié des usages précurseurs en matière d’écoresponsabilité. Bien que les artistes et les Makers soient souvent identifié.e.s comme deux communautés distinctes, la frontière est en réalité plus poreuse et pousse à des échanges de pratiques. De quelles manières l’esprit maker a-t-il influencé une génération d’artistes engagé.e.s ? Pourquoi est-il nécessaire d’encourager des collaborations hybrides pour accélérer la transition écologique ?

Adrien Cornelissen - Article rédigé en partenariat avec le Laboratoire Arts & Technologies de Stereolux


Positively Charged de Kasia Molga

Je fais attention à ne plus produire de déchets, à ne pas acheter trop de nouveaux composants électroniques, à favoriser le réemploi de matériaux pour créer mes œuvres. Pour chaque projet, j'ai mon propre calculateur d'empreinte carbone afin d’être au plus proche de mes engagements personnels. J’encourage les autres  artistes à analyser leur consommation énergétique ; c’est devenu incontournable à notre époque”, explique Kasia Molga, artiste dont l’installation Positively Charged, actuellement présentée à la Biennale Chroniques 2022, invite les visiteurs à produire eux-mêmes l’énergie qui alimente l'œuvre. À y regarder de plus près, ce témoignage illustre un fait : les préoccupations écologiques poussent les artistes à s’interroger sur leurs pratiques et sur le sens à donner à leurs œuvres.

Une réflexion partagée dans plusieurs sphères créatives. Dans le milieu maker, dénombrant plus de 3 000 makerspaces rien qu’en France, et des fablabs (ateliers mettant à disposition des outils de fabrication d'objets assistée par ordinateur, type imprimante 3D, …), les communautés ont depuis longtemps adopté des pratiques écoresponsables. Elles se traduisent par des détournements d’objets, l’usage de freeware, des conceptions low tech ou le réemploi de matériaux.

Fablab à Nantes - Photo © Association Ping

En fréquentant ces “faiseurs”, il est passionnant d’observer leur influence sur les artistes : “J’ai été inspirée par la culture open source et DIY. L'une des personnes qui a le plus façonné ma compréhension écologique est un ami à l'origine de certaines machines d'impression 3D. Nous avons passé d'innombrables heures à discuter pour limiter notre production de déchets et nous concentrer sur des pratiques de réparation inspirées de la nature”, confie Kasia Molga.

Concrètement, de quelles manières la culture maker a-t-elle influencé cette génération d’artistes engagé.e.s dans la transition écologique ? Comment cela se traduit-il en termes d’écoconception ? Pourquoi le décloisonnement des pratiques vers des collaborations hybrides peut être un formidable levier de la transition des arts et de la Culture ? À l’heure où les enjeux environnementaux deviennent une priorité, il semble déterminant d’analyser ces multiples influences et de comprendre les mécanismes des pratiques écoresponsables.

Réappropriation des outils…

La base de cette analyse repose sur l’ADN maker, précurseur d’une pratique écologique. Ewen Chardronnet, rédacteur en chef du magazine Makery, propose sa définition de la culture maker et esquisse une hypothèse. “Nous pouvons remonter ses origines aux pensées de William Morris et John Ruskin, artistes du XIXe siècle, qui défendaient déjà une vision originale de la préservation des savoir-faire. La philosophie est large mais peut se résumer ainsi : la culture maker prône une vision de l’économie de l’atelier avec l’idée centrale de la déconstruction de la ‘boîte noire’, c'est-à-dire comprendre le fonctionnement des objets. Le Maker défend le travail collectif contre des systèmes d'industrialisation. C’est une façon révolutionnaire de se réapproprier une production mondialisée. Or, si nous parlons de l’urgence climatique, la question de la relocalisation de la production est totalement logique et centrale dans la transition écologique.Les fablabs sont l’un des exemples de makerspace les plus marquants et démocratisés, comptabilisés à près de 1 700 dans le monde selon les critères du MIT. L'idée d’origine est d’installer un même équipement (imprimante 3D, découpe laser, …) dans des ateliers quelle que soit leur localisation et de pouvoir produire un projet à l’identique en s'inspirant d'une documentation enrichie, notamment grâce à la culture libre.

… synonyme d’effets positifs

D’emblée cette relocalisation et la réappropriation des outils engendrent des effets écologiques. D’abord, le fait de détourner l’outil de son usage unique permet de limiter sa consommation en nouveaux matériels. Les machines sont parfois même créées par les utilisateur.rice.s de ces lieux. Adrien Martinière, chargé d'animation à Ping, un fablab situé à Nantes, témoigne : “Les fablabs proposent des voies alternatives au productivisme, dans lesquelles il existe beaucoup de pratiques de réappropriation. Nous partons d'un existant que nous enrichissons à chaque fois. Si nous remplaçons les lames d'une découpeuse vinyle sur rouleaux par des crayons, cela fait une machine à dessiner. Les équipements contraignent à un usage et donc en le détournant, nous multiplions les possibilités sans avoir besoin d'autre chose”.

Ensuite, la question de l’économie circulaire et du réemploi est centrale au sein des communautés makers ; sans doute par militantisme mais aussi parce que la pratique est basée sur l’apprentissage et l’expérience. “Il n'y a aucun problème à se tromper. Ici nous sortons de la productivité et du fonctionnel. Nous tentons quelque chose et voyons si cela fonctionne. C'est un vrai décalage dans notre monde où l'erreur est sanctionnée”, commente Adrien Martinière. Conséquence directe : il n’est pas possible de travailler à partir de matériaux neufs, trop onéreux. Des matériaux sont récupérés pour tester, expérimenter. Dans cette perspective, plusieurs ressourceries dédiées aux Makers ont vu le jour en France. La Réserve des arts à Paris, citée en exemple comme modèle de la Fab city en Île-de-France, ou Stations Services à Nantes, sont des initiatives notables dédiées au réemploi des matières et déchets pour les créatifs.

Fablab à Nantes - Photo © Association Ping

Enfin, la culture maker est centrée sur la compréhension du fonctionnement d’un objet, très souvent opaque dans sa conception industrielle. Le démontage permet de se l’approprier, d’en proposer une vision critique. En réalité, une réflexion sur l’écoconception n’est finalement possible qu’en ayant la maîtrise des outils de production et des matériaux. C’est dans cette veine qu’est né le courant techno critique de la low tech, permettant d'engager une démarche environnementale en matière d’écoconception, de résilience, de robustesse, de réparabilité, …

Artistes au cœur des communautés

Observons maintenant que ces ateliers sont fréquentés par des artistes. Marie Albert, ex-administratrice de Ping et aujourd’hui directrice de production pour l’agence Dark Euphoria, poursuit : “Avec Ping, nous avons ouvert le premier fablab à Nantes en 2011. Nous y accueillons des artistes en résidence autour des technologies en open source. Au sein de l’atelier, nous avions des profils très différents : des passionnés de design, par exemple, ou d’autres qui venaient pour des raisons artistiques”. Adrien Martinière, chargé d’animation à Ping, confirme cette tendance : “Une grande part de nos usagers ont des pratiques artistiques. Beaucoup ont des professions créatives en lien direct comme architecte, designer, scénographe, graphiste, …”. Ces artistes viennent pour différentes raisons : en premier lieu pour accéder à un équipement complet et souvent peu accessible pour un simple particulier, et en deuxième lieu pour partager leurs points de vue et bénéficier des compétences de la communauté.

Fabien Bourdier, designer sonore et auteur de plusieurs installations, commente sa découverte des fablabs et les changements engendrés : “J’ai découvert les pratiques makers avec la Labomedia à Orléans en 2010. J’ai passé beaucoup de temps avec les membres de la communauté, j’ai appris la culture du logiciel libre et l’usage de Pure Data. Le fablab m’apportait la démocratisation des outils mais j’ai découvert beaucoup plus : un état d’esprit DIY, apprendre à apprendre et transmettre l’idée qu’il est possible de faire les choses soi-même, tout en s’appuyant sur des ressources communes. L’avantage est de pouvoir apprendre avec les autres, profiter des idées déjà testées. La Labomedia a été une étape importante dans le développement de ma pratique. Aujourd’hui, je travaille avec des cartes Arduino, des graveurs lasers et j’axe ma pratique sur le réemploi de matériaux biosourcés”. Les artistes fréquentant les makerspaces se forment donc et montent en compétences sur des pratiques d’écoconception jusqu’à parfois interroger l’essence même de leur travail. “Auparavant, certains de mes projets pouvaient inclure un vidéoprojecteur qui restait longtemps allumé. C’est finalement peu moderne d’un point de vue écoconception. Aujourd'hui, je suis plus conscient de ma consommation et c’est un critère important. Par ailleurs, j'oriente mon travail de manière à produire des sons plus naturels : la pratique du bruitage ou du field recording n’a pas la même connotation que des sons produits par des synthés parfois moins organiques, moins texturés selon les cas de figure. C’est assez facile d'acheter des packs de samples, mais l’idéal est de tout fabriquer soi-même. Dans cette optique, nous pouvons même parler d'écologie dans la pensée artistique”, explique Fabien Bourdier. 

Les creative technologists

De toutes les disciplines, les artistes issu.e.s des pratiques numériques sont peut-être celles et ceux qui ont le mieux intégré la culture maker. D’abord parce que l’art numérique mélangeant tout type d’art (danse, arts plastiques, vidéo, théâtre, …) est par essence interdisciplinaire et donc que les notions de commun et de production collective sont vite devenues des normes. Ensuite, les artistes numériques apparus depuis les années 90’ avec l’émergence du web intègrent une culture du détournement technologique et quelques accointances pour les freewares et l’open source. Résultat, il existe l’équivalent du Maker dans le monde des arts numériques et il s’appele le creative technologist. Marie Albert travaille régulièrement avec ce genre de profil : “Beaucoup d’artistes préfèrent se qualifier de creative technologists. Ils.elles créent des projets artistiques mais sont aussi dans le design d'expériences. Ils.elles maîtrisent la technologie autant que la conception artistique. C'est intéressant car ces personnes développent leurs propres solutions technologiques et portent une vision sociétale de la technologie notamment sur un aspect écologique. Par ailleurs, je remarque que les créatif.ve.s qui ne maîtrisent pas les outils numériques sont souvent celles et ceux qui sont en demande de plus de tech. L’inverse est également vrai. Les creative technologists ont une maîtrise des tech pour mieux les détourner”. Cette description pourrait correspondre à plusieurs artistes comme Joanie Lemercier ou Memo Akten, références sur la scène numérique et auteurs de réflexions écologiques très intéressantes, particulièrement sur la low tech ou l’empreinte énergétique du numérique.

Collaborations Makers/artistes

La transmission de la culture maker s’opère aussi auprès des futur.e.s créatif.ve.s où de nombreuses écoles incitent leurs étudiant.e.s à fréquenter les fablabs. “Chez Ping, nous accueillons des étudiant.e.s de l’École des Beaux Arts, de l’École de Design”, explique Adrien Martinière. Des contacts existent également hors les murs puisque beaucoup d’artistes ou designers converti.e.s à la culture maker interviennent dans des établissements d’enseignement supérieur.

Fablab à Nantes, Association Ping - Photo DR

Fabien Bourdier fait partie de l’équipe pédagogique de l’École supérieure d'art et de design TALM (Tours-Angers-Le Mans). “Au fur et à mesure des interventions et des workshops, les étudiant.e.s prennent conscience de ces problématiques environnementales et réfléchissent à la conception d’objets à partir de matériaux biosourcés, avec une gestion de la consommation électrique ou des datas. Par exemple, comment pouvons-nous utiliser des machines de fablabs pour économiser certaines ressources et éviter la consommation de matériels neufs.

En parallèle, certains festivals comme Maker Faire (festival lié à l’innovation et la créativité organisé dans plusieurs villes françaises) et quelques lieux culturels se sont spécialisés sur les intéractions Makers/artistes. La Labomedia d’Orléans fait sans doute figure de modèle en France. Depuis vingt ans, ce projet à la croisée des pratiques artistiques s’articule autour d’un pôle dédié à la création artistique, d’un pôle intégrant un fablab et d’un pôle ressources tourné vers l’accompagnement de projets, l’innovation pédagogique et la transmission de savoirs selon le principe des logiciels et connaissances libres. Autre exemple, le Laboratoire Arts & Technologies de Stereolux à Nantes a engagé depuis plusieurs mois une large réflexion sur l’écoconception dans les arts numériques en programmant des événements comme DIWO (Do It With Others) en septembre 2021, brassant des publics makers et artistes. Le Laboratoire a renouvelé l’expérience en proposant en décembre 2022 un cycle d’événements sur les enjeux environnementaux des arts numériques au cours desquels ont été évoqués des thèmes comme la low tech ou la soft robotic, inspirés de la culture maker.

Briser les étiquettes

Pour autant, les points de rencontre avec la culture maker sont encore trop timides en France, alors même que l’impact des pratiques écoresponsables semble réel. Pour repenser les choses, peut-être faudrait-il arrêter de distinguer si nettement artiste, Maker et creative technologist  ? D’autant plus à l’heure d’une génération slasher, ces actifs jonglant entre plusieurs activités (designer/architecte/graphiste/Maker/codeur/artiste/auteur, …). S’instaurant de plus en plus comme une norme sociale, il n’est pas rare qu’un.e artiste numérique reconnu.e dans les réseaux des politiques culturelles soit issu.e du code informatique, soit également salarié.e ou dirigeant.e d’une entreprise et ait une pratique régulière dans un fablab

En France, la tradition veut que nous attachions des valeurs symboliques à la Culture : celle de l’artiste et de son œuvre unique. Les artistes anglo-saxons privilégient l’existence de studios ou de collectifs mélangeant toutes disciplines créatives. Cette perception permet d’imaginer plus facilement des passerelles entre communautés et des événements s’adressant parfois aux mêmes publics. De plus, si le costume d’artiste ou de maker semble trop petit pour cette nouvelle génération, il a aussi pour conséquence de rendre peu perméable la création à d’autres secteurs de la société, comme le champ économique. “L’éthique dans les fablabs est souvent sans concession et assez difficile à décloisonner. Il y a une revendication underground qui a parfois du mal à prendre corps dans l'économie réelle. C'est une communauté puissante qui mériterait sans doute d'être plus transversale et mieux connue du grand public. Il y a aussi tout un pan de la société qui passe à côté des fablabs et qui pourrait profiter de ces convictions DIY et écologiques”, exprime Fabien Bourdier. La remarque résonne d’autant plus que les collaborations avec des profils changemakers (entrepreneur.se.s de l’économie sociale et solidaire) seraient pertinentes. Les acteur.rice.s du changement seront certainement une hybridation de profils trop longtemps dissociés.

Quoi qu’il en soit, la culture maker et ses pratiques écoresponsables infusent désormais les sphères artistiques. Reste à faire en sorte qu’elle soit plus largement diffusée pour accélérer la transition écologique dans le domaine de l’art qui a lui aussi un immense rôle à jouer, au moins dans son exemplarité et son pouvoir de façonner les imaginaires de demain.

Lumière et arts numériques : Que la lumière soit

Publié le 31/05/2023

Héritier·es des courants esthétiques qui les précèdent, les artistes numériques ne dérogent pas à la règle quand il s’agit d’utiliser la lumière. Dans le cadre d’expositions ou de spectacles, naturelle ou artificielle, qu’il s’agisse d’une installation monumentale ou d’un modeste pixel, la lumière continue de fasciner ceux et celles qui se sont donné·es pour mission d’en appréhender les multiples facettes, d’en questionner l’origine ou de jouer avec notre perception. Une ambition qu’accompagne l’usage créatif des outils numériques à disposition, tout en mettant à l’épreuve leur imagination, et la nôtre.

Article rédigé par Maxence Grugier en partenariat avec la revue AS
Photo d'illustration : Complex Meshes, Miguel Chevalier - Photo © Nicolas Gaudelet


Source de toute vie, la lumière est aussi source d’inspiration. Élément fondamental de notre développement, biologique et cognitif, elle est non seulement nécessaire à la vie (la nôtre et celle des espèces avec qui nous cohabitons) mais également nécessaire à notre perception. C’est donc naturellement qu’elle est l’instrument de tous les arts visuels. Depuis les fresques pariétales jusqu’aux clairs-obscurs des peintres flamands, dans les vibrations des impressionnistes ou le mouvement des cinétiques, la photographie ou encore le cinéma, la lumière est présente, à la fois médium et média, matière et révélateur. Devenue plus facilement manipulable avec l’avènement de l’électricité et la démocratisation de technologies de pointe, il était inévitable qu’elle devienne le matériau privilégié des artistes œuvrant dans le champ des cultures numériques. Qu’il s’agisse de questions techniques ou philosophiques, de visualisation et de perception, de questions d’ordres esthétiques autant que scientifiques (et même sociétales !) que les arts numériques mettent littéralement en lumière depuis de nombreuses années. Des artistes qui se sont emparé·es de la lumière comme d’une matière de création autant que d’un espace de révélation.


Caustic Ballet, festival DN[A], 2019 - Photo DR

Comment représenter la lumière ?

Renouveler l’usage d’un phénomène aussi banalisé que l’utilisation de la lumière dans la longue histoire des arts relève sans doute du défi. Défi technique, bien sûr, mais également esthétique. Or, la lumière étant avant tout un phénomène physique, pour représenter il faut comprendre et donc expliquer. C’est ce à quoi s’attachent les artistes Flavien Théry et Fred Murie (collectif Spéculaire) dans l’exposition art-science Le rayon extraordinaire présentée jusqu’au 5 mars dernier dans l’espace des Champs Libres à Rennes. Fruit d’une collaboration de deux ans avec le chercheur Julien Fade, dans le cadre d’une résidence art & science au sein de l’Institut Foton (Université de Rennes 1/CNRS), à l’Hôtel Pasteur puis à l’INSA de Rennes, cette exposition s’applique à rendre visible l’invisible de manière sensible grâce à une trentaine d’œuvres qui se concentrent sur un phénomène optique : la polarisation de la lumière. Comme l’expliquent les artistes et le chercheur sur le site des Champs Libres, “le phénomène de polarisation de la lumière est omniprésent dans notre environnement quotidien : dans le bleu du ciel, dans les reflets sur des vitrages ou des surfaces d’eau, dans les ailes de certains papillons ou oiseaux. Il reste pourtant invisible aux humains, contrairement à certains insectes et plusieurs espèces d’animaux comme les seiches”. Avec les outils de création contemporains et avec l’aide des technologies innovantes d’imagerie à champ de lumière développées par la société InterDigital avec qui ils collaborent, Flavien Théry et Fred Murie réussissent à rendre tangibles ces phénomènes visuels paradoxalement indiscernables. Le rayon extraordinaire nous aide ainsi à mieux comprendre de “quoi est faite la lumière”, mais surtout, et de manière plus politique, comment celle-ci nous relie imperceptiblement au vivant : “Dans ce projet [...], la polarisation lumineuse est envisagée comme un révélateur de porosité entre deux aspects du monde : celui de l’espace physique, [...] dans lequel nos corps et l’ensemble du vivant évoluent, et celui de l’espace imaginaire, [...] dans lequel nos esprits se meuvent”, expliquent-ils.

Fiat Lux

Une autre exposition illustre les différentes facettes de représentation de la lumière chez les artistes numériques. Sur un commissariat de Julien Taïb de Crossed Lab, l’exposition Fiat Lux, présentée jusqu’au 15 avril 2023 au Centre Tignous d’Art Contemporain (Montreuil), proposait de découvrir une dizaine d’artistes qui, toutes et tous, développent leur propre approche du médium lumière.

Julien Taïb : En tant que commissaire, je souhaitais qu’il y ait une déclinaison, ou en tout cas une complémentarité entre la manière d’approcher l’usage de la lumière au sein de différents médiums, dont certains se recoupent, tout en exploitant deux axes qui s’incarnent ici dans une approche technologique, contemplative et esthétique assumée, comme plastique (ou comme “fin en soi”) et des pièces qui posent un regard critique dans son rapport au médium utilisé.

Digital Moirés 2023, Miguel Chevalier - Photo © Thomas Granovsky

Exposition collective qui rassemble des artistes aussi différent·es qu’Olivier Ratsi, Félicie d'Estienne d'Orves, le Collectif IAKERI (Alice Guerlot-Kourouklis, Jimena Royo-Letelier et Aneymone Wilhelm), Marie-Julie Bourgeois, Joan Giner, Barthélémy Antoine-Lœff, Martin Le Chevallier ou le pionnier François Morellet, Fiat Lux rend hommage aux mouvements expérimentaux de l’art cinétique ou de l’art optique et met en lumière, parfois avec humour (comme avec Luminothérapie de Martin Le Chevallier, un bon pour une séance de luminothérapie fictive adressée à l’Association française des climatosceptiques), la puissance symbolique et la charge esthétique de l’usage de la lumière en art, tout en l’amenant dans le champ des idées (avec MURS INVISIBLES (ou les murs visibles du patriarcat) du Collectif IAKERI, “un contrepoint lumineux et saisissant sur les rapports de domination des hommes sur les femmes, à travers un dispositif collectant des données sur ce sujet”) ou encore Extension du Vide de Marie-Julie Bourgeois, une troublante “extension de notre vision à travers le phénomène de prolifération des caméras de surveillance”.

Manipulation de la perception

S’il est un artiste dont la contribution à l’usage renouvelé de la lumière est évidente, c’est bien Olivier Ratsi, qui présente justement La Chute d’Icare lors de l’exposition Fiat Lux. Qu’il s’agisse de créer une architecture invisible ou de définir de nouvelles perspectives, en bref d’habiller et d’habiter un lieu préexistant, tout son travail tourne autour des usages multiples de la lumière, des questions d’échelle et d’espace, ainsi que de leurs effets sur notre perception. Un sacerdoce qui s’impose comme une évidence lorsque nous expérimentons les effets Doppler perceptifs d’Avancée Immobile, monumentale et déstabilisante installation lumineuse (et sonore) présentée dans le cadre de Chroniques, biennale des imaginaires numériques. “J’envisage la lumière comme un moyen d’investigation de l’espace liée à la perception de notre environnement”, explique l’intéressé. “Je cherche toujours à utiliser la lumière au sein d’un lieu donné : une salle, une place publique. Cela me permet de jouer sur les espaces que j’investis, d’en modifier la perception en les manipulant.” Bien qu’utilisant les outils numériques de modélisation actuellement à disposition (SketchUp, MadMapper, Cinéma 4D), Olivier Ratsi travaille comme un peintre. “Je cite souvent les artistes du Quattrocento qui plaçaient les humains au centre. Or mon travail se préoccupe surtout de la perception du spectateur.” Avec La Chute d’Icare, sculpture de 5 m de haut pour 10 m de large, l’artiste crée le mouvement dans une proposition statique rendant hommage aux pionniers de l’Op Art et s’amuse autour du mythe de la connaissance interdite symbolisée par le malheureux Icare. “Le mouvement est présent mais je ne m’autoriserais pas à créer des structures en mouvement. Mon but est d’arrêter le temps, de travailler le mouvement sans le montrer.”

Matière et révélateur

La lumière est présente qu’on le veuille ou non. C’est un flux. Je ne la conçois pas comme une matière, mais comme un révélateur de matière”, affirme l’artiste Joan Giner, également présent lors de Fiat Lux avec sa pièce Caustic Ballet. “Elle me permet de donner l’illusion que des matériaux qui ne sont pas lumineux par essence le deviennent.” C’est en effet le cas ici avec cette sculpture mappée à l’échelle humaine et composée de tubes de Plexiglas transparents sur lesquels vient se diffracter la lumière d’un vidéoprojecteur à 360°. En mêlant les techniques originelles du mapping vidéo à celles de la sculpture (et de la création sonore : l’œuvre bénéficiant d’une bande son composée par l’artiste et actuel directeur du Théâtre de l’Hexagone, Jérôme Villeneuve) dans une évocation troublante d’un univers englouti de science-fiction, Joan Giner immerge le public dans son architecture virtuelle et lumineuse. De son côté, le plasticien Barthélémy Antoine-Lœff donne corps à la lumière en usant de changements d’échelle et de manipulations spatiales (nous l’avons vu avec les jeux de spectres lumineux de Ljós, son installation lauréate du Prix Cube 2016). Pour Fiat Lux, il présente Soleil Noir, une supernova enfermée dans un cube, tentative poétique pour capturer la lumière insaisissable d’une étoile mourante. “Lumière, c’est la vie, la transformation. Soleil Noir représente la fin d’une étoile et le début d’un trou noir. J’aime mettre en scène des phénomènes invisibles, climatiques, environnementaux, physiques en m’emparant de la lumière, qui est aussi le symbole de la connaissance”, nous explique l’artiste. Lui aussi, comme son confrère Olivier Ratsi, use de différentes approches quand il s’agit d’utiliser de la lumière dans son travail. “Pour moi, c’est une lumière-matière qui révèle les activités physiques invisibles qui nous environnent. La lumière enrichit notre rapport à la vie, elle éclaire (dans les deux sens du terme) notre rapport au monde. Elle rend perceptible ce qui nous échappe, même quand nous ne captons pas toutes ses manifestations. C’est très mystérieux et poétique.”

 

Soleil Noir de Barthélemy Antoine-Loeff - Photo © BAL

Pixel Noir

Source de lumière matricielle de la création numérique, le pixel est à l’échelle de l’infiniment petit ce que le soleil, noir ou pas, est à l’infiniment grand. Miguel Chevalier, qui présente actuellement Digital Beauty, une installation immersive et interactive géante réalisée pour une exposition monographique de l’artiste dans le cadre exceptionnel de l’ARA Art Center de Séoul, manipule ce point élémentaire de l’image numérique (qui en définit la couleur et la luminosité) depuis de longues années. Il est de ces artistes qui donnent vie aux éléments numériques et à leurs technologies d’une façon quasiment organique (c’est le cas par exemple de Fractal Flowers, un jardin virtuel génératif de huit écrans pour huit graines virtuelles qui poussent sur des écrans, mais aussi d’Extra Natural ou de Sur Nature).

 

Avancée Immobile d’Olivier Ratsi aux Biennales Chroniques 2023 - Photo © OR

Miguel Chevalier : Nous connaissons tous les fractales de Benoît Mandelbrot, mais il y a beaucoup d’autres modèles mathématiques qui sont exploités par les algorithmes et qui sont des sources de création possibles. Ce qui m’intéresse c’est comment ces formes permettent de nombreuses variations grâce aux algorithmes, dans une esthétique qui est vraiment propre au digital.

Pionnier des arts numériques, Miguel Chevalier compose des paysages à base de dispositifs interactifs s’inscrivant naturellement dans notre paysage technologique. “C’est un aspect qui est spécifique au digital. Il n’y a aucune autre forme d’art – ou aucun médium – qui permet une telle interactivité avec la création”, déclare l’artiste dont les œuvres posent des questions philosophiques sur notre avenir en tant qu’espèce dans l’environnement techniciste contemporain tout en s’inscrivant dans la longue histoire de l’art. “Je pense souvent à Seurat qui, à partir de la théorie de Michel-Eugène Chevreul, s’est intéressé au phénomène de diffraction de la lumière qui préfigure le tube cathodique, ou à des artistes comme Mondrian qui, en partant du figuratif, s’est emparé de l’abstraction et qui préfigurait déjà cette notion de pixel, elle-même préfigurée par les mosaïques qui, au fond, devancent un peu la notion d’image digitale”, nous explique-t-il enthousiaste.


La Chute d’Icare d’Olivier Ratsi, Centre Tignous, 2023 - Photo © OR

Nous le voyons, l’usage de la lumière est inhérent aux pratiques des artistes dits “numériques”. Celui-ci doit aussi beaucoup à la démocratisation des techniques, matérielles et logicielles : tou.te.s les artistes précité.e.s sont d’accord pour affirmer qu’ils bénéficient d’un accès facilité aux technologies actuelles. C’est aussi, de manière plus triviale, grâce à la large distribution de produits (tubes fluorescents puis tubes au néon, lampes au phosphore, LEDs) et de technologies (logiciels, programmation, machinerie, éclairages scénographiques) que ces artistes déterminent aujourd’hui les conditions de possibilité de nos expériences artistiques, tout en bouleversant notre rapport au monde et à l’œuvre. Et c’est ainsi que la longue histoire de l’art se poursuit.

 

2031, le podcast de Stereolux x La Cantine numérique revient pour une saison 3

Publié le 12/05/2023

Notre podcast 2031 co-produit avec La Cantine Numérique est de retour pour une troisième saison  ! Le journaliste Jean Chabod continue à décortiquer un sujet lié au numérique ou à l'innovation, et se demande ce que cela deviendra... Dans dix ans. Pour cette troisième saison, le format change : ce sont cinq épisodes qui se succéderont. 


EPISODE 1 - création par l'IA : que reste-t-il aux métiers créatifs ?

Midjourney et Dall-E sont les plus connus : des logiciels très puissants, reposant sur les principes de l’intelligence artificielle et capables de créer des images originales en 5 secondes sur simple demande. Leurs usages et leur fonctionnement posent question : si des applications “text-to-image” sont capables de générer gratuitement des dessins, des photos, des peintures ou des lettrages, que restera-t-il aux graphistes, designers, typographes et illustrateur-trices d’ici 2031 ?

Avec :
Sarah Garcin, designeuse et développeuse
Vadim Bernard, designer et enseignant à l'Ensad
 


EPISODE 2 - TÉLÉTRAVAILLEUSES ET TÉLÉTRAVAILLEURS, VOUS ÊTES SURVEILLÉ·EES : RÉAGISSEZ !

La CNIL a signalé une augmentation de la surveillance des salarié·es travaillant à distance, avec certains dispositifs de contrôle jugés excessifs. 70% des grandes entreprises ont renforcé la surveillance de leurs collaborateur·rices en télétravail. Face à ce phénomène, la résistance s’organise : les artistes et développeur·euses du projet Telecommuters proposent des outils pour prendre l’employeur à son propre piège. Avec elles-eux, et en compagnie d’une avocate spécialisée, projetons-nous en 2031 pour imaginer à quoi ressemblera cette guerre de la télésurveillance au travail.

Avec :
Marie-Pierre L'Hopitalier, avocate associée
Marika, artiste membre du collectif RYBN
Frédéric, poète membre du collectif RYBN
 

 

À SUIVRE !

 

Retrouvez la playlist avec l'intégralité des épisodes sortis :

 

 

Retour sur l'événement ART GÉNÉRATIF : CODE ET CRÉATION ARTISTIQUE

Publié le 13/04/2023

En collaboration avec Lionel Radisson, Stereolux proposait les 29 et 30 mars 2023 un voyage de deux jours dans le monde de l'art génératif*, où algorithmes et création entrent en collision pour générer de façon autonome des formes artistiques. À travers des temps de réflexions, expérimentations, mais aussi une soirée conviviale autour du live coding, ces deux journées étaient l'occasion d'explorer les potentialités du code, d’ouvrir des pistes de réflexion et de repousser les limites de ce champ artistique passionnant !

Avec : Julien Gachadoat, Béatrice Lartigue, Mark Webster, Florine “Flopine” Fouquart, Camille Amet (Lime68k - Cookie Collective), Julien Espagnon


* L'art génératif est une pratique où l'artiste crée un procédé, par exemple un ensemble de règles langagières, un programme informatique, une machine ou tout autre mécanisme qui est par la suite mis en marche et qui, avec un certain degré d'autonomie, entraîne la création d'une oeuvre d'art issue de ce procédé.

Philip Galanter dans son article «What is Generative Art».


Vous avez manqué ce rendez-vous ?
Retrouvez les vidéos et présentations des différentes interventions ! 


Dessins algorithmiques

L’invention et le développement de l’ordinateur pendant la Seconde Guerre Mondiale a permis l’émergence après guerre d’une génération d’artistes qui a su exploiter les capacités des machines pour créer les premières œuvres programmées. L’algorithme est devenu alors une matière nouvelle avec laquelle composer, permettant l’exploration itérative et sans bornes de formes graphiques originales. Infatigable et infaillible, l’ordinateur est devenu aujourd’hui un assistant de choix pour les artistes œuvrant dans le domaine de l’art génératif, ou l’art de créer des images avec du code.

La conférence aborde l’histoire de l’ordinateur et des langages de programmation dans le processus de création artistique, en partant des premiers « computers » humains au 18ème siècle jusqu’aux artistes pionnier·es du 20ème siècle.

Par Julien Gachadoat

 

Entre les lignes…

Une histoire du point et de la ligne à travers les arts : visuels, sculpture, littérature…; et présente une sélection de travaux personnels et d'œuvres d’artistes inspirant·es, à la lumière de l’art procédural.

Par Béatrice Lartigue

 

L'émergence inattendue de la forme

Depuis 2021, l’intérêt principal de Mark Webster est d'explorer l'intelligence artificielle comme outil dans sa pratique artistique. Cette technologie l’intrigue autant qu’elle l’interpelle. À travers deux projets artistiques distincts, il tente de révéler l’expérience d’un artiste qui erre en permanence entre le sublime et l’inconnu.

Par Mark Webster

 

 

[APPEL À PROJETS] Création d’œuvres sous dômes

Publié le 13/04/2023

 

TELECHARGER l'APPEL À PROJET
Date limite de candidature : 30 avril

CONTEXTE

Cet appel invite les créateur·trices à soumettre des projets explorant différentes esthétiques et conçus pour proposer une expérience collective pour dôme (projection sphérique, spatialisation sonore et scénographie immersive ou augmentée).

Associant des partenaires issus de cultures artistiques pluridisciplinaires et plus particulièrement numériques, musicales et scientifiques, notre ambition est de mettre en commun nos compétences et nos ressources afin de développer des moyens de recherche/création, production, médiation et de diffusion, en vue de faire partager au public ces nouvelles expériences d’immersion collective.

L’équipe sélectionnée bénéficiera de périodes de résidences dans chacun des lieux partenaires et d’un parcours d’accompagnement artistique, technique, ainsi qu’en communication et administration.

Ce parcours de résidences a pour objectif d’enrichir les créations de l’expertise et des ressources de chacun des partenaires. Cette initiative permettra aux artistes d’aller à la rencontre de publics variés et aux œuvres créées d’ouvrir leur potentiel de diffusion sur plusieurs territoires.


ÉLIGIBILITÉ DES PROJETS

Nous souhaitons accueillir des équipes défendant un propos artistique fort par leurs démarches et leurs contenus. L’appel à projets est ouvert aux artistes ou collectifs - sans aucune restriction de disciplines (théâtre, musique, audiovisuel, transmédia, illustration...) - qui prendront sens et/ou corps sous un dôme et exploiteront les particularités de ce dispositif :

● Projection sphérique ;
● Systèmes de spatialisation sonore ;
● Modularité des espaces scénique physiques et virtuels ;
● Usage de scénographie augmentée ;
● Expérience audiovisuelle immersive originale.

Les projets présentés devront :
● S’adapter aux différents espaces de travail et calendriers proposés. (découvrez les éléments techniques en annexes ci-dessous) ;
● Être portés par une équipe dont au moins un·e des membres aura déjà produit des contenus audios ou visuels destinés à un environnement immersif (dôme ou autre format).


Une attention particulière sera portée aux projets :
● pouvant se décliner sous plusieurs formats pour faciliter la diffusion : film, performance live et/ou tout autre format immersif (VR/ cave/multi-projection...) ;
● proposant un axe de travail en lien avec les planétariums (astrophysique, mathématiques, sciences du vivant, géologie... - le jury sera sensible à la recherche menée et aux éléments de bibliographie fournis) et les projets de l’AADN et/ou de Stereolux ;
● favorisant l’hybridité des genres et des disciplines artistiques ;
● favorisant une logique de diversité et d’inclusion (y compris sur la répartition des missions occupées au sein de l’équipe).


APPORTS DES PARTENAIRES

RÉSIDENCES DE CRÉATION 21 JOURS SOUS DÔME
Planétarium de Vaulx-en-Velin , LabLab (Villeurbanne), Planétarium de la Cité des sciences et de l’industrie (Paris), Planétarium de Nantes, Stereolux (Nantes)

ACCOMPAGNEMENT Technique, artistique et administratif, possibilité
d’aide au montage de la production et à la diffusion de l’œuvre sélectionnée

APPORT EN CO-PRODUCTION JUSQU’À 8 000€
Ce montant inclut un préachat du Planétarium de la Cité des Sciences et de l’Industrie. D’autres dates de diffusion des œuvres créées dans le cadre de ce parcours de résidences pourront être proposées par chacun des partenaires ultérieurement. Elles viendront en sus de cet apport. Les frais de déplacement, d’hébergement et de repas ne sont pas pris en charge directement par les lieux associés et sont à comptabiliser dans le
budget de production.

Des demandes complémentaires de financement pourront être déposées
par les différentes structures partenaires (aide à la mobilité, aide à la création...)


COMMENT POSTULER ?

Pour postuler merci de remplir le formulaire en ligne et de nous fournir par mail à prog@aadn.org un dossier de création comprenant :

UNE PRÉSENTATION DU PROJET ARTISTIQUE : intentions, propos, formes ;
UNE FICHE TECHNIQUE : schéma d’implantation, configuration, set-up, technologies envisagées ;
UN CALENDRIER DE CRÉATION : phases de travail envisagées (acquises ou souhaitées) et périodes de travail réalisées ;
UN BUDGET DE PRODUCTION précisant vos besoins (demandés) et apports (acquis) ainsi que tout autre partenaire en cours ou confirmé ;
LES CV DES ARTISTES IMPLIQUÉ ·ES (ainsi que tous documents permettant d’analyser la démarche artistique globale : sites web, ShowReel,
books...) ;
TOUS SUPPORTS VISUELS OU AUDIOS permettant d’illustrer les parti-
pris esthétiques (privilégiez les liens plutôt que l’envoi de fichiers lourds).

 

Arts numériques : résilience et écoresponsabilité

Publié le 09/03/2023

Face à l’urgence climatique, les arts numériques se remettent eux aussi en question et tendent vers des pratiques plus durables et moins énergivores. Comment l’écoconception impacte-t-elle l’esthétique mais aussi l’éthique de la création numérique ?

Autrice : Carine Claude
Article rédigé en partenariat avec la revue AS
 
Photo d'illustration : Monolithe de Fabien Léaustic – Photo © Adagp Photographies / Juan Cruz Ibanez

L’art numérique ne se résume pas qu’aux écrans. Il irrigue les installations de ses données, joue à cache-cache dans la low tech, dialogue avec le vivant. L’écoconception des œuvres numériques s’inscrit dans toutes les strates complexes de ces artefacts hybrides, de leur création à leur production en passant par leur monstration.

“L’écologie et l’environnement sont des problématiques très pragmatiques dans la production des œuvres, mais elles sont aussi un sujet en soi”, explique l’artiste chercheur Fabien Léaustic qui centre son travail sur la prospective entre art et sciences. Ses matériaux de prédilection ? Le phytoplancton, l’argile et l’ADN. “À mon échelle personnelle, mais aussi en tant qu’artiste et chercheur, je m’interroge sur le genre de production à laquelle j’ai envie d’aboutir, quelle construction je veux pour un futur souhaitable. Les œuvres que j’ai développées en collaborant avec ces matières se sont implémentées au fur et à mesure dans ma recherche de manière très concrète avec cette dimension d’écoconception.”

Avec Geysa (2018), un hypnotique geyser d’eau et d’argile rouge qui jaillit à 20 m de hauteur, il reproduit un phénomène naturel de manière artificielle. Un geste plasticien et technologique spectaculaire réalisé à la Cité des sciences pendant la Nuit Blanche mais très énergivore. Un constat qui a amené Fabien Léaustic à repenser de A à Z la conception de son œuvre avec un nouvel avatar, La Terre est-elle ronde ? “Par rapport à Geysa, je divise par cinquante la quantité d’eau et d’argile”, explique l’artiste qui a réalisé sa thèse dans le cadre du programme SACRe (Sciences, arts, création, recherche). “J’ai choisi de l’argile employée pour lubrifier les têtes de forage qui puisent dans les nappes aquifères et les gisements pour ses propriétés plastiques et pour toute la sémiologie transmise par cette matière utilisée dans l’industrie extractiviste.”

Dans l’installation Ruines (2017), il fait du vivant son matériau de création. Ses hauts monolithes de phytoplanctons irrigués par de l’eau mutent au rythme de la croissance des organismes. “La démarche pragmatique de la conception écologique de l’œuvre prend en considération les problématiques éthiques et environnementales qui, pour finir, déterminent un choix esthétique.” Là encore, les différentes itérations de cette installation ont abouti à son autonomisation : “Même si la pompe consomme peu, lorsque j’aurai mis en place un pompage mécanique, gravitationnel, et non plus électrique, j’aurai affranchi totalement le dispositif de l’électricité. Je déconnecte la prise du réseau”.

Ruines de Fabien Léaustic - Photo © Adagp Photographies / Juan Cruz Ibanez
 

Le coût environnemental des activités digitales est aussi l’une des préoccupations de cet artiste qui crée également des œuvres 100 % numériques. “Nous parlons souvent de l’impact environnemental du numérique dans le stockage mais ce sont surtout les calculs et les flux de données qui posent problème”, confie-t-il. “En outre, mettre à disposition du public des œuvres en ligne permet de démocratiser l’accès à l’art, mais à quel prix ? Si elles sont stockées sur un serveur alimenté au charbon, la balance n’est plus bonne car il n’y a plus de rapport positif à l’art.” Cette question du rapport à l’œuvre soulève également celle de sa monstration. Les œuvres numériques doivent-elles être nécessairement en ligne pour exister ou peuvent-elles vivre off line en étant présentées dans un contexte d’exposition sur une période donnée ?

Ces questions de fond, Cédric Carles les explore depuis plus de vingt ans. Artiste, designer et chercheur, il est à l’initiative du Solar Sound System, un module de sonorisation fonctionnant à l’énergie solaire et de l’Atelier 21, un laboratoire citoyen d’utilité publique. “Toute la question est : les artistes du numérique qui essayent de limiter leurs impacts environnementaux, que racontent-ils dans leurs œuvres ? Nous ne pouvons pas séparer le discours, le concept et la forme. L’art est une forme de résistance. Quand nous sommes dans ce processus créatif, nous intégrons, d’un point de vue philosophique mais aussi terre à terre, toutes ces contraintes environnementales : comment puis-je limiter mon empreinte ? Comment trouver et utiliser des énergies plus durables, frugales et responsables ?”

Tête chercheuse de projets écoresponsables et d’innovations énergétiques, il est à l’origine de Paléo-énergétique, un programme de recherche citoyen retraçant une histoire alternative de l’énergie et développant des solutions durables à partir de brevets anciens. “Dans nos développements, nous ne nous empêchons pas d’utiliser le numérique car il faut bien identifier les luttes dont nous parlons. Nous vivons un éclatement socioculturel. Or, nous savons que seuls l’art et la culture arrivent à tendre la main à des peuples qui ne partagent pas la même langue. L’art et la musique sont des langages de paix. Le numérique offre cette capacité de liberté qui permet de diffuser les artistes au même niveau que les grosses plates-formes.” La radio du Solar Sound System, radio3s.org, émet ainsi dans le monde entier. “C’est un porte-voix pour les jeunes producteurs de musique électronique, une porte ouverte sur le monde. Comme tous nos sites, elle est hébergée à l’énergie solaire par Horus, une plate-forme d’hébergement responsable suisse.”

Cette année, il a lancé un nouveau site, le Retrofutur Museum, un musée virtuel retraçant les recherches du programme Paléo-énergétique qui donne une seconde vie à ces inventions et à leurs créateurs, grands oubliés de la transition énergétique. Dans cet esprit, l’Atelier 21 vient de publier Retrofutur : une autre histoire des machines à vent. “Quand quelqu’un fait appel à l’Atelier 21 ou au Solar Sound System, il y a certes cet aspect écologique mais derrière, tu soutiens quelque chose en plus, des projets de fond, une autre vision de la société.”

Retrofutur Museum, parabole Mouchot - Photo © Cédric Carles
 

Un nécessaire dialogue

Au-delà de leur création, l’écoconception interroge de manière plus large la monstration des œuvres numériques dans le contexte de l’exposition. Ce questionnement, qui porte à la fois sur la matérialité de l’œuvre et l’écosystème dans lequel elle est présentée au public, induit un nécessaire dialogue entre artistes et diffuseurs, parfois très en amont de la production. “Lorsqu’un artiste te propose une installation numérique, il est toujours intéressant de pouvoir l’interpréter avec ses propres inputs, sa propre culture”, témoigne Carine Le Malet, curatrice et directrice artistique spécialiste des arts numériques. “Il te donne des clés, des bases, une manière de l’aborder, mais cet espace te laisse la place d’ajouter ton propre niveau de lecture, ce qui se traduit par des questions concrètes : que voulons-nous montrer au public ? Pourquoi ? Comment y parvenir ? L’écoconception fait partie de ce processus.”

Si la prise de conscience n’est pas récente pour les centres d’art, les galeries et les musées, la mise en pratique tâtonne. Système D et bonne volonté individuelle prévalent chez les programmateurs. “Beaucoup en sont encore au stade de la sensibilisation car la difficulté est de se rendre compte de l’impact réel du numérique, ce qui demande des connaissances et des compétences qu’il est parfois difficile de trouver chez les diffuseurs”, constate Fanny Legros. En 2020, cette ancienne directrice de la galerie Jérôme Poggi a créé Karbone Prod, une agence de conseil pour accompagner les acteurs du monde de l’art dans l’écoconception de leurs productions. Elle explique que 90 % des impacts environnementaux d'une production ont lieu dès sa conception : “Malheureusement, il n’y a pas de réponses miracles, tout dépend des situations de chacun en fonction des usages, de la création, du bâtiment, du nombre d’expositions, des productions réalisées et des moyens mis en place par les équipes”.

“Toute la difficulté est de savoir où placer le curseur. Nous arrêtons-nous aux œuvres elles-mêmes ou devons-nous prendre en compte toute la logique de production ?”, s’interroge pour sa part Clément Thibaut, directeur artistique du centre d’art numérique Le Cube. Il précise : “Si nous prenons l’exemple de l’empreinte carbone, n’analysons-nous que l’exposition, c’est-à-dire la fabrication, le transport des œuvres et la scénographie ou devons-nous prendre en compte la consommation électrique ainsi que l’ensemble des mouvements et des transports, y compris des publics ? Les espaces de stockage et les flux numériques utilisent également des ressources fossiles. Le premier point complexe est de réussir à mesurer l’impact ; le second est de définir des critères et une méthodologie pour moduler et modifier nos actions, et enfin trouver des idées de contournement”.

Des réseaux comme HACNUM – le Réseau national des arts hybrides et cultures numériques – se penchent sur ces problématiques. Régulièrement, il convie ses membres à réfléchir, dans des groupes de travail, aux impacts environnementaux des activités culturelles, notamment numériques. “Les réseaux ont une véritable place à prendre sur ces questions”, confirme Clément Thibaut. “Nous sommes tous d’accord sur le constat mais il faut maintenant trouver des moyens d’action efficaces.”

La Terre est-elle ronde ? de Fabien Léaustic - Photo © Adagp Photographies / Juan Cruz Ibanez
 

Le contexte d’exposition des œuvres numériques soulève d’autres interrogations. Pour le directeur artistique du Cube, si la matérialité des expositions demeure nécessaire, la question se pose pour certaines œuvres numériques. “C’est un problème complexe. Pour IA, qui es-tu ?, l’exposition des vingt ans du Cube, nous avons décidé de la monter en ligne – nous étions encore dans un contexte de confinement. Même si le coût est quatre fois plus cher, nous avons eu recours à un hébergeur vert. Il s’agissait aussi de développer un site frugal et optimisé en termes de consommation énergétique.” Cette démarche “résiliente” a été inscrite en amont du cahier des charges pour les équipes. “Cette expérience nous a aussi poussés à nous interroger sur ce qu’est une bonne exposition en ligne. Avec le Covid, les expositions virtuelles se sont multipliées, mais souvent au détriment du rapport à l’œuvre.”

De plus en plus d’appels à projets artistiques, en particulier dans le secteur des arts numériques, intègrent des objectifs d’écoresponsabilité dans la conception et la production des œuvres. Avec le paradoxe que, pour obtenir des subventions, certains concepteurs confèrent une inflexion green à leurs créations, au risque qu’elles soient davantage d’ordre cosmétique que conceptuelle. “De nombreux artistes sont habités depuis longtemps par ces préoccupations environnementales, comme Sandra et Gaspard Bébié-Valérian ou Barthélemy Antoine-Lœff”, rappelle la curatrice Carine Le Malet. “Nous avons vu fleurir des appels à projets sur la fonte des glaces, puis sur la surveillance, puis sur la mémoire, le sommeil, le travail. Les artistes sont des éponges qui captent les signaux faibles de la société et ils vont mettre dans leurs créations leurs observations, leurs joies, leurs angoisses. Ils n’ont pas forcément besoin qu’on leur souffle à l’oreille des sujets ou qu’on leur dise d’être écoresponsables.” Par contre, pour les institutions culturelles, inscrire l’écoresponsabilité dans leurs missions s’avère indispensable. “Je crois savoir que le ministère de la Culture prépare des ‘référentiels’ pour le secteur”, confie Fanny Legros. “Je pense qu’il est indispensable de réfléchir à des outils qui apportent des résultats multicritères autres que carbone et qui peuvent aider les institutions dans leur prise de décisions en fonction de l’impact des projets. Il va falloir aussi un appui important du Code des marchés publics.”

Face à l’urgence sociale et environnementale, des voix s’élèvent pour établir un cadre servant à inscrire l’écoresponsabilité dans les pratiques curatoriales. Dans une tribune publiée dans Le Monde le 28 septembre dernier, Guillaume Désanges, président du Palais de Tokyo, lançait un cri d’alarme. Selon lui, les espaces de monstration doivent implémenter d’urgence ces pratiques écoresponsables, un virage éthique vers ce qu’il appelle une “permaculture institutionnelle”. “Les artistes sont les champions de l’adaptation, sachant sublimer le réel et créer à partir de peu”, écrit-il. “Son histoire étant bien plus ancienne que la modernité industrielle, l’art a beaucoup à nous apprendre en matière d’autonomie, de réflexion critique sur les matériaux, de durabilité, de recyclage et de simplicité comme force.” Les artistes du numérique le prouvent.