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LAB DIGITAL MAROC : RENCONTRE AVEC SOUKI, AMINE, RACHID ET LE COLLECTIF WAHM (INTERVIEW)

Publié le 09/05/2022

Le vendredi 29 avril, après Rotterdam, c’était le Maroc, ses inspirations, ses artistes et leur singularité qui s’invitaient dans nos murs pour une soirée dans le cadre de Stereotrip. Les lauréats du Lab Digital Maroc, un dispositif d'accompagnement artistique de l'Institut des Beaux-Arts de Tétouan et de l’Institut Français du Maroc auxquels Stereolux est associé, étaient présent·es pour une résidence de création de deux semaines. Entre artistes multidisciplinaires, plasticien·nes, visuel·les et vidéastes marocain·es, cette résidence a abouti sur l'exposition de leurs travaux lors de la soirée Stereotrip Maroc.

Retour d'expérience avec Soukayna Belghiti (Marchands de Sable), Amine Asselman (MUSAIC), Rachid Benyaagoub (Miroir d'écran) et Jad Mouride, Mouad Laalou, Zineb Sekkat du Collectif WAHM (Surveillé(e)).

Quels sont vos projets ?

J’ai compris plus tard qu’inconsciemment, mon sujet était la migration.

Souki : J’ai récolté des berceuses de femmes marocaines via Whatsapp et des images de manière quasi-obsessionnelle à la plage de Casablanca. J’ai compris plus tard qu’inconsciemment, mon sujet était la migration. Le fond de Marchands de Sable, ce sont des bribes de témoignages.

Soukayna Belghiti, Marchands de Sable

L’écran, c’est la matérialisation du quotidien et de l’identité.

Rachid : A travers Miroir d'écran, j’ai imaginé une nouvelle conception de l’écran, en tant qu’objet, en questionnant l’identité à l’ère du numérique. J’ai donc placé des bandes de miroirs sur un écran, pour en faire un code-barre. L’écran, c’est la matérialisation du quotidien et de l’identité. Il symbolise le voyage entre le réel et le virtuel. L’assemblage d’un écran numérique et d’un miroir, c’est le voyage entre deux identités, entre notre réflexion et ce que l’on souhaite voir. A l’aide de capteurs de mouvement, la personne qui vient regarder son reflet trouve finalement tantôt sa réflexion véritable dans un miroir, tantôt le reflet d’une silhouette en feu dans l’écran, suivant les mouvements en temps réel. 

Rachid Benyaagoub, Miroir d'écran

C’est une atmosphère, à travers laquelle la personne surveillée devient tout d’un coup celle qui surveille.

Mouad (collectif WHAM) : Surveillé(e) est une expérience immersive. Elle veut attirer l’attention vers les dérives des pratiques et des habitudes du numérique par le prisme de la surveillance. Nous pouvons penser que nous avons tous·tes quasiment la même relation au numérique, pourtant chacun·e en fait sa propre interprétation, sa propre appropriation, sa propre expérience. C’est aussi le cas de notre installation, en recréant une expérience de surveillance à petite échelle. Elle est ainsi composée de deux écrans, symbolisant les aspects positifs de la surveillance d’une part, et les aspects négatifs d’autre part. C’est une atmosphère, un espace dans lequel on s’immerge, avec une signalétique sonore immersive, des projections interactives sans texte, à travers laquelle la personne surveillée devient tout d’un coup celle qui surveille.
 

Collectif WAHM, Surveillé(e)

Je voyais chacune des mosaïques de l'Alhambra à Grenade comme des partitions.

Amine : J’ai réalisé une thèse sur les mosaïques géométriques arabo-andalouses, puis j’ai voulu créer une méthode pour développer une infinitude de formes géométriques représentatives de notes musicales. Musaïc cherche à dessiner le lien entre la musique et l’art de la mosaïque, puisqu’il me semble qu’ils sont construits de la même façon. Ils ont de commun le rythme, les répétitions,... ; j’aime rendre visible et visuel le son. Lorsque j’ai visité l’Alhambra de Grenade, je voyais chacune des mosaïques comme des partitions. C’est après ce déclic, cette curiosité, que j’ai commencé à travailler sur le sujet. Je me suis aperçu que l’architecture de l’Alhambra et ses mosaïques étaient éternels, ainsi que la musique que je percevais derrière la céramique qui les composait. Depuis, ma démarche artistique réside dans l’envie de figer le caractère éphémère du son, de rendre physique l’infinité de la musique. 

Amine Asselman, MUSAIC

Que souhaitez-vous explorer par l’art ?

Rachid (Miroir d'écran) : J’ai toujours travaillé sur l’identité. L’identité en tant que marocain·e, d’abord, qui compte beaucoup à mes yeux. Et puis, l’identité virtuelle, celle qui nous prend parfois au piège. Dans cette exploration thématique, j’y recherche la réaction des gens face à leur propre mise en abîme. Dans Miroir d'écran, le feu symbolise ce que l’on a créé de nos mains et qui a eu ses dérives dangereuses, comme le numérique.

Zineb, Collectif WHAM (Surveillé(e)) : Nous tentons de répondre à des questionnements philosophiques actuels, de notre inconscience de la surveillance et bientôt des prétextes insidieux qui nous amèneront à modifier nos comportements et à les ingérer intuitivement, par réflexe. Nous souhaitons répondre à ces questions, et éveiller l’esprit de l’utilisateur·ice. Faire mûrir des réflexions, des prises de conscience. Sensibiliser aussi sur les avancées technologiques, l’intelligence artificielle, les blockchains, les NFT, le métaverse… et interroger leurs limites et leurs responsables.

L’art est thérapeutique. Je souhaite que, s’il l’est pour moi, il le soit pour les autres.

Souki (Marchands de Sable) : Je n’aime pas quand un travail artistique est trop “dans ta face”, dénonciateur, violent. Je souhaite honorer un héritage générationnel, émotionnel, spirituel. Alchimiser l'œuvre par l’espoir, ou du moins le courage. L’art est thérapeutique. Je souhaite que, s’il l’est pour moi, il le soit pour les autres. Que mon trauma puisse faire échos chez les autres, même s’il est différent. L’art, c’est transmettre. J’aime à ce qu’il soit poétique, et qu’il soit ce qu’il est. J’ai un héritage multiple, et ce dernier, à travers l’art, est une conquête pour moi.

Amine (MUSAIC) : A travers mes partitions en mosaïque, j’explore, je fige puis je réanime la musique avec le mapping, par exemple. Le travail manuel et l’artisanat sont très importants dans mon travail. Je réalise de vraies mosaïques en céramique. Chacune des pièces représente une note musicale ; j’en ai sélectionné douze. Ces dernières sont de couleur ou de forme différente, en fonction du son aigu ou grave ou de la longueur du contenu musical. Toutes assemblées, elles rendent une mosaïque symétrique, comme la musique. Une fois en mouvement grâce au mapping, on peut voir les changements de couleur de la musique. L’esthétique prend une place majeure dans mon travail. C’est elle qui attire l’attention, puis qui délivre le sens quand on s’en approche.

Collectif WAHM, Surveillé(e)

Quels liens faites-vous entre l’élan artistique et le numérique ?

Souki (Marchands de Sable) : Je viens d’une formation dans le cinéma. Il a toujours été un instrument de propagande pour tous les régimes autoritaires du monde. Le numérique connaît aussi ses dérives : la surveillance massive par exemple, ou le fait qu’on ne puisse pas y échapper, puisque c’est un outil de conversation. Certain·es résistent dans l’opposition, mais ma manière à moi, c’est d’y réinjecter de la vie, redonner du souffle, y rattacher ma mémoire. C’est comme ça que j’utilise ces outils. 

Rachid (Miroir d'écran) : J’essaie de déformer la réalité et l’identité, pour créer un entre-deux-mondes entre virtuel et réel. Je ne critique pas, je questionne, et j’adapte à ce nouveau monde numérique. J’utilise le support que je dénonce pour créer de l’art, des questionnements, des chocs.

L’esthétique compte, parce qu’elle représente la transmission de la sensibilité individuelle.

Zineb (Surveillé(e)) : Le numérique donne des libertés en tant qu’artiste. C’est une force. Il permet de créer l’expérience. Nous utilisons des outils, des logiciels comme TouchDesigner, qui permettent d’accéder à une grande précision et de nous rendre cohérent·es. Pourtant, nous voyons ces outils comme ce qu’ils sont : des objets possédant un état de finitude, composés de différents matériaux. En revanche, dans une installation, l’ordinateur n’est pas qu’un simple ordinateur : mêlé aux autres objets, tout devient un espace vivant. Et puis, le numérique décuple les esthétiques possibles. L’esthétique compte, parce qu’elle représente la transmission de la sensibilité individuelle. Dans Surveillé(e), la texture, les couleurs, le son, les mouvements, tout a été réfléchi du point de vue de l’esthétique avec beaucoup de précision. C’est un défi quand on utilise plusieurs logiciels et outils complexes et techniques.

Amine (MUSAIC) : J’utilise différentes techniques et différents outils. Je ne m’en prive pas. J’aspire à ce que mes conceptions restent artisanales, mais les nouvelles technologies peuvent accompagner le travail manuel. Par exemple, recourir à l’usage de l’impression 3D pour créer des moules céramique sur mesure. Il faut que ces nouveaux outils soient au service de l’artisanat. Ils me permettent de gagner du temps dans la conceptualisation des partitions et de mettre en place cette réanimation de la musique qui me tient à cœur. 

Amine Asselman, MUSAIC

Quelle définition personnelle donneriez-vous à l’art contemporain ?

Souki (Marchands de Sable) : L’Art contemporain, c’est l’Art qui se fait aujourd’hui, dans sa définition. Mais il y a parmi toutes les branches de l’art “qui se fait aujourd’hui”, une branche instrumentalisée, un art de marché qui occulte le reste. C’est problématique. Il faut réussir à trouver du surplomb par rapport à cela. Amener quelque chose de spirituel, de personnel à la matière. L’art est une nécessité humaine. C’est une transmission transgénérationnelle, un rituel magique depuis les cavernes et depuis que l’on dessine dans des grottes, pour, justement, transmettre.

Mouad (Surveillé(e)) : L’art contemporain, c’est ce qui désigne toutes les œuvres artistiques produites depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. C’est large, et ça laisse place à beaucoup de raccourcis. Nous sommes new media artists, c’est-à-dire les artistes tourné·es spécifiquement vers les technologies comme supports, comme outils, comme medium. C’est un risque de spécifier qu’on est artistes lorsque l’on cible l’usage des technologies.

L’objectif principal, c’est la transmission.

Amine (MUSAIC) : Je me dis que l’important c’est de pouvoir ouvrir toutes les possibilités en matière de création et d’imagination. Je n’ai pas envie de m’enfermer dans une définition exacte, tant que je peux continuer d’exercer et de créer dans une pluralité de techniques, l’artisanat, le design, les nouvelles technologies, etc. Lorsque j’ai une idée, je visualise tous les moyens possibles pour la transmettre aux autres du mieux que je peux, par le biais de n’importe quelle technique. L’objectif principal, c’est la transmission. 

Soukaya Belghiti (Marchands de Sable) 

Qu’attendez-vous de voir vendredi ?

Souki (Marchands de Sable) : Les travaux sont très divers. Tous questionnent le monde actuel, les outils de contrôle, le numérique, mais les héritages, les bagages, les inspirations sont pluriels. 

Mouad (Surveillé(e)) : En réalité, même si j’avais exposé une fois dans le cadre du 200ème anniversaire de la relation entre le Maroc et les Etats-Unis à Rabat, il ne s’agissait pas d’une œuvre personnelle. C’est donc réellement la première fois avec Zineb et Jad que nous exposons cette installation. Nous sommes curieux·ses des réactions et des suggestions que les gens pourront nous donner. On le voit comme un temps d’échange, d’ouverture, de recueil qui puisse aussi nous permettre de modifier l’installation par la suite si besoin.

Le public est essentiel dans mon travail : c’est lui qui crée l'œuvre.

Rachid (Miroir d'écran) : Au Maroc, un mode d’emploi est nécessaire pour accompagner mes œuvres. C’est la première fois que j’expose en Europe, en France. J’ai hâte de découvrir les réactions des gens. Parce que le public est essentiel dans mon travail : c’est lui qui crée l'œuvre.

Amine (MUSAIC) : J’ai hâte de voir le fruit du travail de mes collègues et ce qu’ils ont pu imaginer lors de cette résidence, tant dans les résultats artistiques que techniques, car je sais qu’ils sont impressionnants dans le domaine. Il me tarde aussi de faire le bilan d’après-résidence, la réception des gens, ce qu’il y aurait à changer, à préciser, à conserver. Vendredi, je prendrai plaisir à leur expliquer le concept et le sens de mon installation. Lorsque leur attention sera portée sur ce qu’ils trouvent beau, je leur donnerai la clé pour comprendre l'œuvre dans son entièreté. 

Rachid Benyaagoub, Miroir d'écran

ALLER SIMPLE POUR L'UNIVERS DE DEDOUZE (INTERVIEW)

Publié le 14/04/2022

Nous aurons le plaisir d'accueillir dans le Hall l’exposition gratuite de l’artiste Dedouze, du 19 avril au 16 juin. Travaillant le Motion Design à l’aide du logiciel Blender, il imagine un monde mystérieux haut en couleurs et en relief. L’artiste dessine des histoires aux inspirations parfumées d’autrefois, des personnages ondulant dans un univers aux couleurs insolubles, dans une atmosphère tantôt tendre, tantôt mystérieuse.

DÉDOUZE


1. On pourrait facilement penser que le dessin a toujours été pour vous une évidence professionnelle. Pourtant, ça n’est pas vraiment le cas... Pourriez-vous nous raconter le parcours de Dédouze ?

Le dessin était au départ un passe-temps. J’étais développeur web avant d'être illustrateur, mais je m’intéressais déjà beaucoup au graphisme et aux différentes techniques d’illustration digitale et traditionnelle, alors je me suis formé moi-même dessus. J’ai utilisé les réseaux sociaux au départ pour montrer mes réalisations à mes proches et à quelques curieux·ses, et de plus en plus de personnes sont tombées dessus, y compris des professionnel·les du cinéma et de l’art. C’est ainsi que j’ai fini par être contacté pour réaliser des illustrations et animations pour des séries, pour des clips, et pour des marques. J’aimais beaucoup mon travail de développeur web mais le dessin a commencé à prendre beaucoup de place, et j’ai pensé que j’avais quelque chose à apporter dans ce domaine. Je m’y suis finalement mis à plein temps pour essayer d’aller plus loin, et apporter quelque chose de nouveau, et peut-être inspirer d’autres artistes un jour !

2. Vous tenez à ce que vos mondes et vos personnages ne dévoilent pas tous leurs secrets, pour laisser aller les gens à leur propre imagination. Y’a-t-il un peu de vous, dans ces secrets ?

La plupart de mes illustrations sont inspirées de mes rêves, et les histoires courtes que je raconte sont une version un peu romancée d’anecdotes personnelles, mais je fais beaucoup d’efforts pour mettre en scène ces histoires dans un monde qui n’existe pas. C'est-à-dire dans quelque chose qui me dépasse en quelque sorte, et qui sort un de ma petite vie ordinaire. Je donne à mes personnages un côté un peu mystérieux, dans leur attitude, leur regard, etc. Ils sont souvent en train de se rendre quelque part, ou ils sont occupés dans une conversation, une méditation… Et comme je médite en même temps sur des mondes imaginaires et sur ma propre vie quand je réalise mes œuvres, je crois que mes pensées se retrouvent transposées discrètement sur les personnages que je dessine.

Il y a une esthétique particulière dans les décors urbains et les véhicules dans tous les vieux dessins animés japonais, et au final, avec la bande dessinée franco-belge, on aboutit à ce mix rétro-futuriste que j’essaye de retrouver aujourd’hui.

3. Grâce au logiciel Blender et une technique originale mixant 2D et 3D, vous aimez mélanger vos inspirations, les époques et les univers graphiques, de la bande dessinée franco-belge aux animés japonais des années 90. D'où vous viennent ces influences et comment avez-vous réussi à en faire émerger votre style graphique si singulier ?

Le souvenir le plus lointain que j’ai des films d’animation japonais doit être une scène de Porco Rosso qui m’avait marqué quand j'étais petit, la scène de l’hydravion qui démarre et qui parcourt le fleuve à toute vitesse. A l'époque, je ne pensais pas du tout que je me lancerais dans l’illustration un jour, mais je crois que cette scène est restée dans ma mémoire et a beaucoup participé à ma sensibilité au dessin et à l’animation. Plus tard, comme beaucoup d’ados, j’ai passé des heures à redessiner les personnages des bandes dessinées achetées par mes parents, ou les personnages de séries qui passaient à la télé, et donc le hasard a fait qu’il y a eu beaucoup de Tintin, Gaston Lagaffe et Dragon Ball et autres. Il y a une esthétique particulière dans les décors urbains et les véhicules dans tous les vieux dessins animés japonais, et au final, avec la bande dessinée franco-belge, on aboutit à ce mix rétro-futuriste que j’essaye de retrouver aujourd’hui.

C’est beaucoup plus tard que j’ai découvert par mes recherches ce qui a nourri mes influences, c'est-à-dire les grands noms comme Mucha ou Moebius qui a lui-même inspiré Miyazaki. C’est en découvrant le travail de Moebius que j’ai eu confirmation que le thème du rétro-futurisme colle parfaitement au style de dessin que j’essaye de produire depuis tout ce temps. J’ai utilisé toutes sortes de logiciels pour essayer d’obtenir ce genre de rendu, mais sans reproduire ce qui existait déjà. Mes premières réalisations étaient trop proches des dessins de Moebius mais en beaucoup moins bien. C’est finalement grâce au logiciel Blender que j’ai réussi à créer quelque chose de nouveau visuellement, mais familier en même temps, à cause du rendu à la fois 3D et fait main qui est possible avec cet outil.

4. Vous incorporez à vos œuvres tantôt musique, fiction, BD, tantôt animation. Est-ce un moyen de repousser les limites de création et d’imagination ? Est-ce dans le but d’être totalement immergé.es dans vos histoires ?

Je dessine souvent en écoutant les bandes originales de films pour mieux me plonger dans l’imaginaire. Et effectivement je compose beaucoup de musique, mais je n’en montre que des petits bouts pour le moment, car mes compositions maison font vraiment pâle figure à côté des B.O que j’écoute. Mon but est d’ajouter ma musique sur mes prochaines petites animations et pourquoi pas sur un futur court métrage. Mais vu que j’ai dessiné en écoutant pas mal d’Ennio Morricone et autres classiques du cinéma, je crois que j’ai encore beaucoup de chemin pour atteindre le niveau que j’ai en tête !

 

5. Aimeriez-vous vivre dans le monde que vous dessinez ? Que représente-t-il pour vous ? Qu’en est-il de vos personnages ?

Je rêve complètement d'être dans les mondes que je dessine ! Parfois j’ai envie de raconter juste des tranches de vies imaginaires autour de mes personnages pour me mettre en scène avec eux. Je pense que, comme beaucoup d’artistes, je crée les choses qui me manquent dans le monde réel. C’est un monde plutôt optimiste, où je peux transposer les tracas et les angoisses de la réalité, mais en leur donnant une tournure plus poétique, et en y ajoutant une touche de fantaisie et d’aventure.

J'essaye de reproduire l’enthousiasme qu’on avait pour le futur quand on venait à peine d’inventer les premiers appareils électroniques.

6. On appelle votre esthétique rétro-futuriste. Êtes-vous plutôt un authentique nostalgique ou bien un enthousiaste avant-gardiste ?

C’est exactement les deux en même temps ! Je crois que la plupart des mondes que j’imagine sont des versions de notre propre futur, mais tel qu’on l’a imaginé il y a 20 ans ou 100 ans même. On peut dire que j’essaye de reproduire l’enthousiasme qu’on avait pour le futur quand on venait à peine d’inventer les premiers appareils électroniques, ou quand on était enfants, pour utiliser une échelle plus individuelle.

7. A partir d'AUJOURD'HUI et jusqu'au 16 JUIN, dans le cadre du festival Motion Motion, nous aurons l’honneur d’accueillir votre exposition dans le hall de Stereolux. Qu’allons-nous pouvoir y trouver ?

Vous pourrez y trouver certaines de mes illustrations de ces dernières années, toujours dans ma palette de couleurs vives et pop. J’ai conçu l’exposition pour qu’elle reflète l’univers que j’essaie de développer depuis un certain temps. C’est un mélange de créations personnelles et de travail de commandes. Cette exposition a été pensée et créée pour une immersion dans mon univers, pour vous faire voyager dans mon imaginaire. Il y aura aussi des behind the scenes en vidéo où je montre comment les scènes sont assemblées. On y voit quelles sont les parties dessinées à la main, et quelles sont les parties réalisées en 3D sur ordinateur.

 

Vernissage le 26 avril !
 

LABO : ATELIERS TOUCHDESIGNER AVEC MAOTIK

Publié le 13/04/2022

Vendredi 8 avril se tenait la restitution des travaux des étudiant·es de Sciences au sein de leur faculté, dans le cadre de l’Unité d’Enseignement de Découverte : Arts&Sciences. Ils ont été encadré·es par l’artiste Maotik et leur professeur, Baptiste Chantraine, enseignant-chercheur en Mathématiques.

Pour la troisième fois, le laboratoire Arts & Technologies de Stereolux a eu le plaisir de collaborer avec Nantes Université dans le cadre de l’Unité d’Enseignement de Découverte Arts & Sciences. Ensemble, nous questionnons et encourageons les nouvelles formes de créations artistiques numériques. Ces élèves de deuxième année de licence en Biologie, en Mathématiques et en Informatique, ont pu découvrir le logiciel TouchDesigner, un langage de programmation visuel.

Photo : © Alex Guevara
 

L’artiste Maotik travaille avec des algorithmes et des combinaisons numériques diverses, permettant de générer une infinité d’images. Il a entre autres réalisé des environnements multimédia immersifs, des performances audiovisuelles ou encore des installations interactives.

Après seize heures d’ateliers, soit quatre séances de quatre heures, les étudiant·es ont pu faire la restitution de leurs créations. L’objectif : à partir de données météorologiques récoltées en temps réel, générer une visualisation graphique de différents objets virtuels. Par exemple, dans le cas de la visualisation d’un arbre, ce dernier change d’aspect en fonction de la ville dans laquelle nous voulons bien le situer : il pleut à Montréal, l’arbre est dans des tons froids et embrumés ; il fait 30°c à Sydney, il est alors rouge et en mouvement, grâce aux paramètres de ce dernier déterminés en amont. Les étudiant·es rencontré·es nous expliquent.

Comment se sont déroulées ces seize heures de workshop ?  

Étudiant·e : “Nous avions le choix du sujet à traiter, parmi la météo, l’environnement, soit la neige, la pluie ou le soleil, la vitesse du vent et sa direction ou encore la température… Une fois ce choix fait, nous avons recueilli les données correspondantes via des sites, que nous avons intégrées dans le logiciel TouchDesigner.”

Quel en était l’objectif ?

Étudiant·e : “Nous devions mettre en place la programmation d’un arbre interactif. Mais nous n’avons pas seulement réalisé des arbres : certain.es ont créé des feuilles, d’autres des roses des vents, ou encore des fleurs et des fruits. L’important, et le fond du travail, c’était surtout l’interactivité en temps réel via les données rassemblées et leur matérialisation.”

L’envers du décor et l’aspect technique, ainsi que les résultats possibles, étaient impressionnants.

TouchDesigner est un outil technique qui permet de démultiplier les possibilités créatives. Qu’en avez-vous pensé ?

Étudiant·e : “Au début du semestre, j’avais cherché des vidéos présentant le logiciel TouchDesigner. C’était très visuel, l’aspect créatif semblait très présent. Une fois que nous l’avons pris en main, je me suis rendue compte à quel point l’envers du décor et l’aspect technique, ainsi que les résultats possibles, étaient impressionnants.”


Si le logiciel TouchDesigner peut parfois effrayer par sa technicité, il est un outil efficace et complet, au service de la création. En parallèle de cet atelier, l’artiste Maotik et le professeur Baptiste Chantraine ont également pu collaborer autour d’un projet artistique commun lors de résidences dans nos murs et à l’Université.

Et si on parlait de la Moroccan Touch ?

Publié le 30/03/2022

Parmi les scènes électroniques et numériques underground actuelles, le Maroc s’est fait une place de choix. De par son inventivité, sa variété d'artistes et de styles et surtout par un affranchissement des clichés exotiques qui lui a longtemps collé à la peau, la scène marocaine revendique désormais une authenticité et une effervescence des plus remarquables. En perspective de la soirée Stereotrip prévue le 29 avril et du partenariat entre Stereolux et le Lab Digital Maroc, voici un coup de projecteur sur quelques artistes et structures culturelles notables qui contribue à faire émerger une Moroccan Touch

Stereotrip I Maroc : Glitter · KHTEK · CAÏN MUCHI · GUEDRA GUEDRA · STUDIO NOUJOUM LA GIRONDE


Un underground issu des années 90’s

Les années 90 ont vu naître une multitude d’artistes electro au Maroc. Grâce à la démocratisation des machines, musicien·nes et producteur·rices ont offert de nouvelles interprétations aux musiques traditionnelles et créé des formes musicales complexes. En témoigne l’apparition de labels tels que Barraka El Farnatshi, pionnier dans le mélange de sonorités ancestrales et de styles contemporains (dub, trance, house, techno…), et l'émergence d’artistes tels que Aisha Kandisha’s Jarring Effects (AKJE), Amïra Saqati, Mara & Jalal ou Khalid Fikri

Ces artistes, sont à l’image de la diversité du Maroc - pays  arabo-berbère au patrimoine musical d’une incroyable richesse (entre autres le chaâbi, le melhoune, le gnawa ou le hassani) - et inspireront les générations futures par une approche avant-gardiste faisant usage de boîtes à rythmes, de séquenceurs ou de synthétiseurs. Les sets de Guedra Guedra, artiste programmé lors de la soirée Stereotrip du 29 avril, sont à eux seuls un condensé de cette musicologie marocaine.

Le temps des acculturations

L'acculturation musicale franchit un nouveau cap à partir des années 2000. D’abord par une offre de festivals en constante évolution au Maroc ; même si à contrario il semble encore complexe de trouver des clubs où la liberté musicale prime. Si des événements comme L'Boulevard créé en 1999 sont bien installés dans le paysage, d’autres plus récents comme l’Atlas Electronic Festival à Marrakech, l’Oasis Festival, organisé dans des lieux exceptionnels ou encore le Moga Festival à Essaouira dans une tonalité lounge, forment désormais une offre complète pour les amateur·rices de cultures électroniques. 

Ensuite les artistes ne sont pas circonscrits aux frontières marocaines et intéressent un public plus large, international. Cause et conséquence, de nombreux·euses artistes de références ont vécu dans des villes à l’étranger et plusieurs collectifs ont ainsi vu le jour en France, accélérant les influences réciproques (comme Paradox, collectif marseillais qui sert de passerelle entre les deux rives méditerranéennes). Les artistes Lina Benzakour et Sinclair Ringenbach ayant vécu à Marseille s’inscrivent dans cette lignée. Ensemble ils portent Caïn و Muchi, programmé le 29 avril prochain, un projet hybride qui fusionne musiques traditionnelles du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, le tout porté dans un univers dark où se mêlent battements électroniques et pulsions percussives.

 

Quoi qu’il en soit, plusieurs artistes marocain·es s’adressent désormais à une communauté internationale et sont désormais sous le feu des projecteurs avec quelques têtes de proue comme Amine K (concepteur du collectif Moroko Loko).

Une scène d’artistes engagé·es

C’est aussi le cas de يثيثر٥٥Glitter, artiste invitée au prochain Stereotrip, qui est devenue en quelques années seulement une référence incontournable de la scène electro marocaine. Son secret ? Une techno puissante inspirée d’influences orientales. Mais également grâce à un engagement politique multiple : يثر٥٥Glitter dénonce la mode surfant sur l’ “exotisme” des musiques électroniques du Maghreb autant qu’elle défend les libertés d’expression pour les artistes. Elle se revendique avec brio d’une nouvelle génération capable d’explorer leur héritage pour le propulser tout droit dans le futur. 

يثر٥٥Glitter, référence de la scène electro marocaine présentera un projet audiovisuel réunissant ses compositions et des projections.
 

Dans un autre style musical mais tout aussi radicale, la rappeuse Khtek (« ta sœur » en marocain), également programmée à Streotrip, défend un rap engagé et sans détours. Jonglant avec les langues - arabe marocain, français et anglais - Khtek infuse un certain lâcher prise qui tranche avec l’importance de son message. Déjà en 2020 elle critiquait les inégalités au Maroc et les conditions de vie des femmes dans une société patriarcale, notamment à travers son titre Kick Off.

 

L’hybridation des cultures électroniques

Si l’univers musical a donc bien entamé sa mue, les arts plastiques et visuels ne sont pas en reste et l’hybridation avec les cultures électroniques prend un nouveau virage. En témoigne le Lab Digital Maroc, initiative portée par l’Institut Français du Maroc et située au sein de l’Institut national des Beaux-Arts de Tétouan. Ce laboratoire offre un espace de création aux porteurs de projets multimédia notamment autour des arts numériques, de la réalité immersive, de l’animation et du jeu vidéo. Stereolux accueille pour la deuxième année plusieurs artistes en résidence et qui présenteront le 29 avril prochain la vitalité des arts numériques marocains. 

Les artistes Amine Asselman, Soukayna Belghiti, Rachid Benyaagoub, Jad Mouride, Mouad Laalou et Zineb Sekkat présentent 4 installations : plusieurs d’entre elles questionnent des thèmes engagés comme le pouvoir de surveillance, les libertés individuelles ou notre rapport aux écrans. 

Image tirée du projet Miroir d’écran de Rachid Benyaagoub, qui questionne notre consommation d'images
via les écrans.
 

En définitive, cette nouvelle génération d’artistes au Maroc qui revendique liberté, création et engagement politique semble avoir pris le meilleur de son héritage culturel sans être écrasée par son poids. Ces femmes et ces hommes, ces muscien·nes autant que ces artistes multimédias, ont toutes les cartes en main pour écrire un nouveau chapitre de leur histoire culturelle, celui de la Moroccan Touch

Article écrit par Adrien Cornelissen

L’art numérique passe au low-tech

Publié le 15/01/2021

Comment développer une activité artistique en cette période où tous les indicateurs incitent à des changements d’attitude, de production, de consommation ? En d’autres termes, comment passer du règne des nouvelles technologies, de la high-tech, à une démarche plus sobre dite “low-tech” ? Les problématiques environnementales, économiques et sociales s’expriment déjà fortement au travers de nombreuses créations. Mais la crise sanitaire actuelle renforce encore le sentiment d’urgence, la nécessité de changer de modèle, maintenant, sans spéculer sur le monde d’après, sans attendre demain…

Laurent Diouf

Article rédigé en partenariat avec le Laboratoire Arts & Technologies de Stereolux



Machine_Variation, Martin Messier & Nicolas Bernier - Photo © Julie Artacho

L’enjeu énergétique

Par opposition à la high-tech qui valorise parfois, à l’excès, des œuvres pétries de rayons laser, de capteurs sensoriels, d’armatures robotiques, de protocoles Internet et autres artefacts électroniques, nous voyons depuis quelques années des démarches artistiques prônant une certaine “décroissance technologique”. Si le cahier des charges du low-tech est parfois difficile à respecter pour les artistes du numérique, force est de constater que de nombreuses initiatives vont malgré tout dans ce sens.

L’énergie fossile, fissible ou renouvelable est le grand défi de notre temps. Si le XXIe siècle se tourne vers le tout électrique sans avoir encore trouvé une méthode de production "miracle", propre et stockable, il est assez drôle de constater qu’au siècle dernier, déjà, l’électricité était un enjeu majeur qui s’est renforcé lors des Trente Glorieuses, puis à la suite du choc pétrolier. L’heure était à la nucléarisation. L’association Le Cénotaphe, qui “mixe” vidéo, photo, art plastique, mise en scène et art numérique, a exhumé de vieux films de propagande orchestrés par l’État et EDF (incitation à la mécanisation, chauffage électrique, appareils ménagers...).


Gryllothal, Theo Jansen - Photo DR

Pour rendre compte de l’histoire de ce choix énergétique en mode low-tech, Le Cénotaphe a choisi le Cycloproj’, un vélo d’appartement trafiqué sur lequel le spectateur est invité à pédaler pour visionner ce montage d’archives. Il fournit ainsi une partie de l’énergie pour piloter cette “vidéo-installation interactive”. La vitesse et le rétropédalage permettent aussi de moduler le déroulé des images. La bande-son électronique peut être “customisée” par des percussions rudimentaires, un rondin de bois étant mis à disposition du public.

Yann Toma, artiste et enseignant-chercheur, a utilisé plusieurs fois ce principe, notamment pour son installation Dynamo Fukushima proposée à Paris en 2011. En soutien à la population japonaise victime du tsunami et la destruction de la centrale nucléaire de Fukushima, il invitait le public à pédaler sur des dizaines de vélos mis à disposition pour un happening sous la grande nef du Grand Palais. Quelques mois après la catastrophe, symboliquement, les dynamos illuminaient des ballons gonflés à l’hélium en hommage aux victimes et sinistrés.

Déléguer la production de la lumière aux organismes vivants capables de bioluminescence, c’était le pari de la start-up Organight qui proposait des feuilles autocollantes lumineuses pouvant servir d’enseignes ; le principe actif étant dérivé des réactions chimiques d’algues et de bactéries. Le designer Joris Laarman a préféré intégrer des cellules de lucioles dans une lampe bioluminescente ; ce qui en fait un objet “semi-vivant” (Half Life Lamp). Tout comme la lampe biocomposite d’Alexandre Echasseriau (Akadama) avec des algues à la source de son fonctionnement.

Mais ces projets, à mi-chemin entre low-tech et bio-tech, ne sont que des prototypes. La question énergétique reste entière lors du montage d’un spectacle. Ezra et sa compagnie Organic Orchestra tentent d’y répondre concrètement au travers de leur nouveau projet, ONIRI 2070. Cette performance poétique à plusieurs voix, imagée et sonorisée, fait le récit d’un monde imaginaire où les paysages et ambiances se succèdent de manière contrastée. Et l’envers du décor est révélé : le public peut voir comment le spectacle est fabriqué, en direct, avec quels objets, machines et manipulations. Mais surtout, Ezra et son équipe ont choisi d’optimiser leur consommation d’énergie. Là aussi, le vélo est central, tant pour le transport de ce spectacle itinérant que pour la production d’énergie. Pour autant, le public ne pédale pas. Ce sont des vélos à assistance électrique et l’énergie est stockée sur des batteries ou produite via des panneaux solaires. L’équation parfaite entre low-tech et high-tech. Au total, ce dispositif autonome doit permettre de jouer une heure, dans des endroits insolites sans dépasser 1 kWh d’énergie.

Recyclage et fusion

En février dernier, lors des Rencontres ArtLabo à Bourges, Nicolas Maigret (Disnovation.org) et les membres de son Collectif proposaient une intervention intitulée Post Growth (post-croissance). Disposés sur des tables, des objets et des cartes illustraient les différents problèmes de notre société de surconsommation et sa religion de la croissance infinie. Informatique effondriste, énergie zombie, néga-technologie, défuturation : le public était invité à discuter de “l'effondrement qui vient” et des moyens low-tech pour y faire face (ressources partagées, rupture avec l’esprit de prédation de l’agriculture intensive, fin des gadgets inutiles…).


Mur végétal, Cicia Hartmann - Photo © Cicia Hartmann

Lors du même événement, Cédric Carles (Atelier 21, Station E) proposait une contre-histoire des innovations énergétiques. Au cours de cette conférence, cet éco-designer a passé au crible les choix de supports et de matières premières faits par l’industrie. Surtout, il a mis en exergue les inventions low-tech oubliées, les impasses techniques délibérées, dictées par la logique du profit au détriment de la viabilité, de la pertinence de l’usage et de l’impact écologique. Sa démonstration sur la possibilité de recycler les piles alcalines était particulièrement significative de ces aberrations et restrictions.

D'ailleurs, en dehors des batteries, des recharges et de l’alimentation quasi-permanente de nos appareils, avons-nous une idée du nombre de piles que nous utilisons ? Krištof Kintera nous ouvre les yeux sur l’ampleur de ce gaspillage, en les collectant par centaines pour réaliser la maquette d’une sorte de ville tentaculaire. Cette Métropolis, entièrement fabriquée avec des piles usagées, intitulée Out of PowerTower, a été présentée lors de l’exposition Jusqu’ici tout va bien ? Archéologies d’un monde numérique au CENTQUATRE-Paris fin 2019/début 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 



Refonte, Quentin Destieu & Sylvain Huguet (Dardex) - Photo © Luce Moreau/Gamerz

Krištof Kintera a également construit Post-naturalia, un paysage miniature avec une multitude de composants électroniques évoquant une jungle à la fois organique et numérique. En soi, ce genre d’assemblage et d’accumulation n’est pas nouveau. Ce qui est novateur ici, dans ce jeu de massacre exposant les entrailles des machines désossées, c’est ce rapport iconoclaste à la technique. Sous cette forme, le low-tech est bien une entreprise de désacralisation des nouvelles technologies.

Benjamin Gaulon (aka Recyclism) fixe des mécanismes et composants sur un panneau linéaire pour sa série Refunct Modular. Cet alignement de cartes-mères, transistors, diodes et petits haut-parleurs constitue une “fresque multimédia” tout en cliquetis et clignotements. Il reprend ce principe avec KindleGlitched, une série de liseuses Kindle défectueuses n’affichant que des images accidentées, “dé-générées”… Adepte du hacking créatif contre l’obsolescence des technologies, il poursuit cette démarche autour de son projet Nø School Nevers qui réunit d’autres hacktivistes et figures de la scène low-tech et “alter-tech” internationale.

Après avoir reprogrammé des Minitels, Benjamin Gaulon s’amuse à fondre les carcasses de ces ancêtres de la télématique. Mini(ng)tel est un amas de plastique informe dans lequel sont englués des morceaux de circuits imprimés et des LEDs en signature. Là aussi, ce type de concrétion est connue, mais pratiquée jusque-là sur des objets mécaniques, pas électroniques. C’est ce qui fait tout l’intérêt de cette œuvre figeant l’obsolescence de ces machines.

Un cran plus loin dans ce feu de joie artistique, Quentin Destieu et son complice Sylvain Huguet, réunis sous le pseudo Dardex, se sont transformés en métallurgistes pour extraire des composants électroniques de quoi fabriquer des outils primitifs (pointes de flèches, couteau...). Les éléments fondus et transformés (Refonte, Gold revolution) symbolisent une deuxième préhistoire, celle de l’informatique. Albert Aleksanteri Laine s’est livré aussi à cette extraction et fusion des métaux contenus dans nos ordinateurs. Un travail d’alchimiste pour rechercher l’or au milieu des cartes-mères dans des ateliers ouverts au public (gold diggers).

Détournements sonorisés

Ce recyclage de technologies “obsolètes” peut aussi se faire sans casse. C’est le cas avec le PAMAL_group qui a pour objectif la conservation et restauration d’œuvres d’art et de littérature numérique. Ce collectif de “médiarchéologistes” a, par exemple, ressuscité des œuvres appartenant à la protohistoire de l’art numérique comme les Videotext Poems conçus par Eduardo Kac en 1985-1986. Ce retour sur le passé, même si celui de l’informatique reste récent, est pleinement low-tech du fait de l’accélération constante des progrès techniques.

Nombre de bidouilleurs qui hantent les fab labs sont également dans cette optique qui mêle conservation, restructuration et innovation. En témoigne le formidable engouement pour les cartes Arduino. Très simple de conception et d’utilisation, open sources et modulables quasiment à l’infini, ces micro cartes-mères sont vraiment l’antithèse de la high-tech. Cette petite plaque bleue, destinée à l’origine à piloter des dispositifs multimédias interactifs, mais qui peut s’utiliser dans de multiples domaines, est l’interface idéale pour les artistes du numérique souhaitant se positionner sur le low-tech.

Focalisant sur de vieilles machines dont l’architecture ne dépasse pas 8 bits, la communauté du circuit bending s’inscrit dans ce mouvement. Sous son aspect rétro-futuriste, le circuit bending vise à “court-circuiter” les éléments et entrées des cartes imprimées au fer à souder, sans ligne de code. Loin d’embellir ou de transfigurer les objets, leurs structures sont mises à nu. Débarrassé de son habillage plastique aux couleurs chatoyantes, le gadget révèle sa “pauvreté” intérieure. Le circuit bending se déploie aussi sur des supports plus récents (Arduino, évidemment) et s’étend également à des modifications d’objets allant des jouets éducatifs aux premiers synthés.

Reed Ghazala, père putatif de la “toy music” rend compte de la diversité de l’univers musical englobant le circuit bending et des pratiques associées dans Home Made Sound Electronics paru en 2006. D’autres musiciens optent pour une approche plus mécanique qu’électronique, comme Pierre Bastien. Avec ses machines percussives et mélodiques, construites avec des pièces du jeu de construction Meccano, des objets de récupération et de vieux Casio, il a monté un orchestre baptisé Mecanium ayant compté des dizaines de machines. Certaines performances de Jérôme Nœtinger et de la Cellule d’intervention Métamkine relèvent aussi du low-tech ; notamment pour l’image (projecteur, miroir, fumée…) liée aux sons improvisés.

Martin Messier se situe sur ce terrain avec Projectors. Cette performance sonore repose sur l’emploi de vieux projecteurs 8 mm, dont les bruits amplifiés se combinent, ricochent et s’entrechoquent pour donner vie à une “symphonie mécanique”. Sewing Machine Orchestra est basée sur le même principe, mais avec une batterie de vieilles machines à coudre. La Chambre des Machines est une autre performance sonore low-tech de Martin Messier, coréalisée avec Nicolas Bernier, avec, sur scène, d’étranges et imposantes constructions en bois. Le duo actionne des leviers pour générer des sons. Il en existe aussi des versions plus petites agrémentées de claviers mécaniques, de vieux réveils et autres objets incongrus (Machine_Variation).


Out Of The Power Tower, Krištof Kintera - Photo DR

Artiste-sculpteur néerlandais, Theo Jansen construit des “robots”, des machines animées, dépourvues de toutes technologies modernes. Digne héritier de l’art cinétique et de Léonard de Vinci pour l’ingénierie, ses automates sont composés d’engrenages et d’éléments en bois ou en bambou, de tubulures en PVC et de voilures. Pas de moteurs ni de capteurs optiques, juste des structures articulées, éventuellement de l’air comprimé lorsqu’il n’y a pas de vent. Ces “créatures” semi-autonomes rôdant sur les plages (Strandbeest) ressemblent à de gigantesques insectes ou, pour certaines, aux tripodes de Star Wars…

Kris Vleeschouwer utilise aussi un matériau noble, le verre. Son installation Glass Works nous fait comprendre toute l’ampleur du recyclage des matières premières. À la fois low-tech et high-tech, ce dispositif consistait en un alignement de bouteilles en verre, près de 10 000, installées sur un système de crémaillère connecté aux conteneurs de recyclage disséminés dans une ville. À chaque fois que quelqu’un déposait une bouteille dans l’un d'eux, cela actionnait un mécanisme et une bouteille se fracassait alors au pied de l’installation. Mais celle-ci pouvait rester “muette” pendant des heures, soulignant combien ce combat pour le recyclage n’est pas encore gagné.

Le plastique, c’est fantastique

Le Staalplaat Soundsystem s’est emparé du fléau du plastique pour créer Plastic Souls, une sorte d’orgue flottant avec des bidons et bouteilles en plastique récupérés sur les plages et des tubes en PVC. Cette installation sonore a été présentée lors de l’ouverture de la nouvelle ambassade des Pays-Bas à Berlin. Emeric Jacob parcourt également les plages à la recherche de déchets en plastique et de bois flotté qu’il amalgame pour réaliser des sculptures plantées comme des sentinelles. Cicia Hartmann est aussi une adepte du recyclage des objets en plastique, de préférence ceux à usage unique, qu’elle désosse, aligne et compile méticuleusement. Elle crée, par exemple, un “mur végétal” composé de milliers de bouchons en plastique.

La plate-forme Precious Kitchen, développée par Hors-Studio, studio de design critique et spéculatif, utilise encore une autre technique pour recycler des chutes de néoprène et d’acétate de cellulose récupérées auprès d’industriels. Réduits en confettis ou en fibres, ces matériaux sont chauffés puis amalgamés pour concevoir de petits objets de déco et d’architecture d’intérieur. À la portée de tous, ne nécessitant pas un matériel très sophistiqué, cette démarche low-tech s’applique également au bois, cuir ou papier.

Le continent africain croule lui aussi sous le plastique. L’artiste ghanéen Benjamin Adjetey Okantey a réalisé une œuvre monumentale à partir de petits sacs contenant de l’eau potable jonchant le sol (Pure Water). Le documentaire Système K, paru en 2019, est la meilleure illustration du low-tech comme forme contrainte de création pour les artistes africains, là où c’est une forme choisie pour leurs homologues européens. Filmé dans le chaos de Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo, nous y voyons des artistes de rue qui se sont bricolés une tenue de cosmonaute en récupérant des feuilles d’aluminium pour haranguer les badauds. Nous suivons Freddy Tsimba, plasticien et sculpteur reconnu, qui travaille à partir de rebuts métalliques collectés au fil des conflits meurtriers (douilles, cartouchières, machettes…). Il réaffirme que, comme la majeure partie de la population, les artistes africains récupèrent et recyclent les déchets d’une consommation à laquelle ils n’ont pas accès.

Situé à la jonction des arts numériques, de la recherche et de l’industrie, le Laboratoire Arts & Technologies de Stereolux contribue activement aux réflexions autour des technologies numériques et de leur devenir en termes de potentiel et d’enjeux, d’usages et d’impacts sociétaux. www.stereolux.org

Article publié dans la Revue AS - Actualité de la Scénographie N°234
Le Laboratoire Arts & Technologies de Stereolux s’associe avec les Éditions AS (Actualités de la scénographie) pour une série d'articles consacrés aux technologies numériques, à l'art et au design. L'occasion de partager un point de vue original et documenté sur le futur des pratiques artistiques, en particulier dans le champ du spectacle vivant.

Opentalk! Les Lives Sessions du Code Créatif

Publié le 08/06/2020

Depuis le confinement, et dans la continuité des Sessions du code créatif organisées tous les mercredis soirs à Stereolux, nous avons proposé à des artistes en nouveaux médias, designers, développeurs... de parler et d’échanger avec vous sur leur travail et les outils qu’ils utilisent pour leurs créations. Ils se sont succédé ainsi, chaque semaine, en live sur Facebook pour aborder, le temps d’une heure, une technique, un outil ou un projet artistique.

Au programme : du code, de l’expérimentation, de la scénographie, de l’interactivité, des présentations d’outils pour mieux appréhender et s’approprier les formes artistiques contemporaines.

Passionnés de création numérique, professionnels, étudiants, amateurs éclairés ou simples curieux, (re)visionnez ces interventions propices à l’inspiration !

Des événements organisés en collaboration avec Martial Geoffre-Rouland
 


Revoir les sessions

Session 1 - mercredi 22 avril
Martial Geoffre-Rouland 
Sujet : Behind the scenes
Présentation des outils & techniques réalisés sur des projets divers (lumière, web, computer vision, machine learning).

Session 2 - mercredi 29 avril
Chevalvert (Stéphane Buellet)​
Sujet : Design, systèmes et outils
Présentation du processus à l’œuvre pour la création d’installation interactive. Aperçu des potentialités du creative code dans le développement d’identités visuelles et d’outils de génération graphique. (Tooooools)

 

Session 3 - mercredi 6 mai
Julien Gachadoat​ / 2Roqs​
Sujet : Dessin génératif et impressions
Présentation du travail de recherche pour la production de formes graphiques générées par du code et dessinées avec un traceur (axidraw)
Liens et ressources évoqués dans cette vidéo

 

Session 4 - mercredi 13 mai
Eliza Struthers Jobin
Sujet : L'art génératif
Démonstration "live-coding" avec Unity "random creature generator"

 

Session 5 - mercredi 10 juin
Lionel Radisson (Designer interactif et enseignant en design numérique)
Sujet : Tools Driven Creative Coding

 

Session 6 - mercredi 17 juin
Louis Eveillard (Designer et développeur indépendant)
Sujet : Données, images et corpus
Présentation de différents projets mêlant code et données pour créer des interfaces graphiques et des images.

 

Session 7 - Mercredi 24 Juin
Justine Emard (Artiste)
Sujet : Nos existences et la technologie
Justine Emard présente ses œuvres à la croisée de la robotique, des neurosciences, des objets, de la vie organique et de l’intelligence artificielle.

 

 

 

Session 8 - Mercredi 1er Juillet
Cyril Diagne (Artiste, designer, programmeur)
Sujet : Le Machine Learning appliqué au Design d’Interaction

 


 

 

Une création numérique uniformisée ?

Publié le 31/01/2020

Il n’est pas rare, pour des spectateurs et festivaliers qui viennent d’assister à un spectacle numérique, d’avoir une impression de déjà-vu. Les œuvres d’aujourd’hui, réalisées à partir d’outils numériques, sont-elles réellement identiques sur le fond et la forme ? Quelles sont les variables qui contribuent à un phénomène d’uniformisation et au contraire quelles sont celles qui favorisent la sauvegarde de la singularité des œuvres numériques ?

Par Adrien Cornelissen
Article rédigé en partenariat avec le Laboratoire Arts & Technologies de Stereolux

 

La globalisation culturelle et les phénomènes d’acculturation – provoqués par les échanges commerciaux, par la culture de masse ou les grandes majors de l’industrie culturelle – incitent à se poser quelques questions concernant la création numérique : est-elle sujette aux phénomènes de globalisation ? Autrement dit, les œuvres d’aujourd’hui – installations, performances numériques, live A/V, scénographies numériques, … – tendent-elles vers une uniformisation conceptuelle (dans le propos) et esthétique (dans la forme) ?
À défaut d’y répondre de façon binaire, cet article a pour objectif de répertorier quelques leviers principaux des phénomènes d’uniformisation et, au contraire, ceux encourageant une singularité des créations artistiques. In fine, l’enjeu de sauvegarde des particularités artistiques est essentiel pour la perpétuité de la création. Conscient de l’ampleur du sujet et des très nombreuses variables, parfois difficilement vérifiables, qui pourraient être en rapport, nous nous contenterons ici de défricher et d’en analyser quelques unes liées à l’uniformisation de la création numérique en donnant la parole à plusieurs experts et observateurs, prenant appui sur plusieurs cas concrets d’uniformisation et de singularité.


Gazelle Twin au Festival LEV 2019, Album Pastoral - Photo © Elena de la Puente

 

Numérique & transdisciplinarité

Évoquer un phénomène d’uniformisation de la création numérique peut paraître paradoxal tant le numérique semble inter/transdisciplinaire. En effet, si l’on souscrit à l’idée qu’il est avant tout un outil de création plutôt qu’une esthétique, le numérique offre de très nombreuses possibilités de collaboration. À dire vrai, jamais les créations numériques n’ont été aussi abondantes et hétéroclites : danse, théâtre, cinéma, musique, littérature, bande dessinée sont autant de disciplines traditionnelles bousculées par les outils numériques. L’ensemble des Scènes nationales produit et diffuse désormais largement des œuvres numériques sans pour autant les étiqueter “art numérique”. On retrouve ce même goût pour la transversalité à travers les projets art-science fleurissant depuis les années 2010, associant par exemple un laboratoire de recherche à un collectif d’artistes numériques. De ce point de vue, la création numérique offre des perspectives quasi illimitées. Pour autant, malgré ce potentiel infini, il est difficile de nier que les créations partagent souvent une esthétique, une forme, des problématiques, des sujets et des réseaux de diffusion communs. C’est précisément à partir de ce constat que démarre notre analyse.
 

Outils : une bride à la créativité ?

Les années 60’ sont marquées par une effervescence des technologies, ordinateurs, logiciels, composants électroniques, … Les artistes se sont naturellement appropriés ces outils en les détournant de leurs usages premiers et en produisant de nouvelles œuvres en phase avec leur époque. L’expression “art numérique” ou “digital art” est alors attribuée aux œuvres avec une dimension numérique dominante dans le processus de création et les matériaux (capteurs, vidéoprojection, laser) conduisant par là même à une esthétique marquée et identifiable. Les logiciels utilisés par les artistes étant souvent les mêmes, des outils comme la Creative Suite d’Adobe sont devenus incontournables et il n’est pas rare de voir une forme commune se dégager. Le monde de l’open source, par exemple avec Pure Data (permettant une programmation graphique pour la création musicale en temps réel), prétend échapper à cette standardisation des applications prioritaires. Néanmoins, ces outils sont nécessairement rattrapés par d’autres standards. L’esthétique filaire et monochrome de Processing, facilement reconnaissable, est devenue en quelques années une des formes graphiques les plus utilisées dans la création numérique. Juliette Bibasse, productrice et commissaire indépendante spécialisée en création numérique, énonce ce constat depuis plusieurs années : “Certains projets de vidéo mapping sont réalisés avec les même logiciels et mêmes plugins, si les créatifs n'essaient pas de raconter leur propre histoire les visuels sont souvent identiques”.

Autre exemple plus récent avec la tendance du scan 3D. “Les cartes graphiques d’aujourd’hui ne permettent pas non plus une mise en forme illimitée. Cela signifie qu’il peut y avoir une certaine uniformisation visuelle, mais pas nécessairement sur le fond qui peut être différent.” Éric Prigent, coordinateur pédagogique au Fresnoy, Studio national des arts contemporains, observe également cette uniformisation causée par les outils : “Il est clair que certains outils numériques génèrent une esthétique visuelle. Le filaire, la photogrammétrie ou le scan 3D avec des nuages de points sont très fréquemment utilisés. Au Fresnoy, l’équipe incite les étudiants/artistes à trouver une esthétique différente afin que la technologie ne conditionne pas le résultat visuel final”.


ScanAudience
de Schnitt + Gianluca Sibaldi, Festival LEV 2019 - Photo © Elena de la Puente
 

La diffusion, standard de création

Dans ce contexte d’émergence des technologies sont nés des courants artistiques comme l’art cybernétique, l’art vidéo ou plus tard, dans les années 90’ avec l’apparition d’Internet, l’art interactif ou le net art. Jusqu’à très récemment, le marché de l’art traditionnel des galeries ignorait ces courants artistiques, et plus généralement l’ensemble des formes d’art numérique. Plusieurs raisons l’expliquent : faible intérêt de la part des collectionneurs, difficulté de conservation des œuvres numériques et donc peu de garantie de fonctionnement auprès des acheteurs, voire un manque de fond dans le propos artistique. Dominique Moulon, critique d’art, auteur et commissaire d’exposition d’œuvres numériques, explique “que si le monde de l’art contemporain était fermé aux pratiques numériques, ce n’était pas le cas des festivals qui ont produit et diffusé de nombreuses œuvres. La pratique de l’art numérique s’est surtout développée lors d’événements tout particulièrement éphémères”.

En effet, à partir des années 90’, ce sont surtout des festivals européens comme Ars Electronica à Linz, Le Mapping de Genève, Transmédiale à Berlin ou Todays Art à La Haye qui retiennent l’attention des amateurs avec un effet de standardisation des créations présentées. Le format des installations et des live A/V est alors adapté pour ces événements accueillant des festivaliers dans des contextes particuliers :
contraintes techniques des salles de spectacle, durée des performances (souvent sur des formats courts), type de spectacles recherchés (associant par exemple des installations à des concerts), caractère festif cohérent à la programmation du festival, … Cédric Huchet, programmateur pour le Festival Scopitone à Nantes, reconnaît que “les festivals ont créé un format particulier de performance. Ceux créés par la suite ont repris ces mêmes codes ce qui limite les entorses créatives et les expérimentations. Aujourd’hui pour qu’un organisateur puisse être concurrentiel, il faut nécessairement se démarquer dans le projet artistique”. En parallèle à des projets de diffusion grand public comme Art Tech House à Miami ou L’Atelier des Lumières à Paris, certains événements actuels proposent donc une programmation spécialisée, moins consensuelle, plus inventive. Quelques uns comme Sonar +D explorent le potentiel économique de la créativité numérique quand d’autres comme le LEV de Gijon se focalisent uniquement sur les performances A/V.
 

Rôle des collectivités territoriales

Les financements publics ont également joué un rôle important pour ces œuvres ne pouvant pas exister dans un contexte marchand. Les collectivités territoriales manifestent un fort intérêt pour l’art numérique souvent spectaculaire.


Synspecies de Elias Merino & Tadej Droljc - Photo © Elena de la Puente

 

Ces démonstrations technologiques deviennent ainsi l’illustration d’une politique d’attractivité ou d’innovation portée par un territoire. Cédric Huchet décrit aussi “le numérique comme une mode dans laquelle se sont engouffrés des territoires en compétition. La création numérique peut devenir le support publicitaire de certains politiques qui jouent la carte du discours modèle”. L’engouement ces dernières années pour le mapping en est un exemple frappant. Les mairies souhaitaient alors des projections 3D sur leurs façades faisant appel à des personnes créant des objets visuels plus que des concepts artistiques. “Il en est, parmi les puristes, pour affirmer qu'il est question de forme plus que d’idées !”, va jusqu’à dire Dominique Moulon. Dans ce contexte, plusieurs événements d’ampleur à l’initiative de collectivités comme les Semaines du numérique de Paris, Nantes ou Bordeaux ont vu le jour. Les œuvres programmées présentent pourtant rarement une innovation artistique, diffusant par là même une représentation conventionnelle de la création numérique aux yeux des publics. Heureusement, il y a tout de même une tendance de la part des artistes de la nouvelle génération à situer davantage leurs travaux dans une vision critique des technologies, alors que celles d’autrefois étaient dans la découverte et la fascination des technologies se focalisant par la force des choses sur un rendu esthétique. “Tout en se banalisant, les technologies du numérique font émerger des problématiques sociétales. Alors que de plus en plus d’artistes se font lanceurs d’alerte”, ajoute Dominique Moulon.
 


Melting Memories de Refik Anadol au Festival LEV 2019 - Photo © Elena de la Puente

 

Le double effet du marché de l’art

Aujourd’hui la donne est différente avec l’apparition de grands marchés internationaux comme Art Basel ou la Biennale de Venise qui, lors de sa dernière édition, invitait des artistes numériques de référence (Ryoji Ikeda ou Alex Da Corte) par l’intermédiaire du commissaire Ralph Rugoff, lui-même artiste numérique. “On voit poindre des jeunes générations qui présentent des travaux robotiques, en 3D ou de LEDs et qui ne se revendiquent plus de l’art numérique mais de l’art contemporain. Ces artistes sont issus de la scène contemporaine et la diffusion de leurs créations se fait en galerie comme en foire ou en ligne”, témoigne Dominique Moulon. Conséquence ? Le contexte de diffusion implique une appréhension des créations numériques différentes et influe sur d’autres domaines artistiques en ouvrant le champ numérique. Éric Prigent du Fresnoy accueille chaque année une vingtaine d’étudiants dans le but de construire un projet artistique numérique personnalisé. Il abonde dans ce sens : “Nos étudiants viennent des quatre coins du globe. Ils n’ont pas la même histoire, les mêmes rapports aux technologies… Certains viennent du cinéma, d’autres de la photo ou des arts plastiques. Le décloisonnement offre un potentiel de création énorme”.
Pourtant le marché de l’art n’est pas une panacée pour la création numérique. En même temps qu’il offre de nouvelles perspectives de création, il uniformise les œuvres en vente sur le marché de l’art avec de nouveaux standards. La plupart des œuvres vendues a donc un format adapté aux besoins des collectionneurs (petits formats transportables, peu de lourds dispositifs interactifs, peu ou prou de technologies de pointes difficiles à maintenir en état de fonctionnement).


Les singularités culturelles

Le phénomène d’uniformisation est en revanche moins vrai quand on observe les créations en fonction de la provenance géographique des artistes. L’exemple le plus probant concerne sans doute les créations venues du Japon. Ses vingt dernières années ont par exemple vu émerger un courant artistique qui n’existe que sur l’archipel nippon : le Device Art. Ce dernier consiste en un art de petits objets à la jonction de la technologie et du design. Sur le site officiel deviceart.org, cet art est défini ainsi : “Le contenu et l’outil ne sont plus séparables. Les œuvres d’art sont souvent amusantes et peuvent parfois être commercialisées sous forme de dispositifs ou de gadgets destinés à être utilisés au quotidien. Le design raffiné et les fonctionnalités ludiques sont issus de la tradition japonaise”. Un courant résolument adapté à la culture asiatique et difficilement exportable, ce qui préserve également le caractère authentique et non altéré des œuvres. Seules quelques œuvres de device art comme l’Otamatone (un instrument synthétiseur en forme de note musique) de Maywa Denki ou Touchy (un concept de caméra humaine) d’Éric Siu ont ainsi connu un vrai succès international. De la même façon, beaucoup de performances interactives et de jeux vidéo comme les visual novels basés sur une narration font référence aux rapports sociaux d’une vie quotidienne spécifiquement japonaise. Ces visual novels, dont le sujet favori évoque les rapports de séduction entre les femmes et les hommes, témoignent d’une communication complexe, des subtilités et des concepts plus abstraits que ceux présents dans les pays occidentaux.


Touchy d’Éric Siu - Photo © Keith Tusji


Les créations autour de la robotique et notre perception face aux machines montrent également des particularités géographiques. “En Amérique du Nord ou au Canada, beaucoup de robots sont non anamorphiques. Au Japon, les robots sont davantage ressemblant à des animaux voire des humains”, explique Dominique Moulon. Une différence notable due à l’acceptation et le niveau de présence des robots dans la société japonaise. Ses facteurs culturels sont toujours présents mais difficiles à analyser. Autre exemple : en Chine, on observe dans des projets numériques une thématique récurrente du dépassement de soi ou de l’adversité devant la multitude. Cela prend notamment forme avec le succès des Multi Online Battle Arena comme King of Glory, véritable phénomène dans ce pays.
 

Quid de la création à venir ?

Y a-t-il donc une uniformisation de la création numérique ? Difficile de répondre à la question tant les variables positives et négatives sont nombreuses et ardues à analyser. D’autant que l’analyse précédente montre qu’une ouverture à certains réseaux, qui pourrait donc paraître comme un facteur de préservation de la singularité, crée nécessairement de nouveaux standards. Néanmoins, il est évident que le champ de la création numérique se retrouve désormais à un carrefour intéressant à observer. Une scène numérique s’orientera vers le design de formes, quand l’autre se dirige vers l’art contemporain. Cette scission obligera les créatifs les plus talentueux à se démarquer à travers des concepts artistiques innovants. Reste que le spectateur, lui aussi dans une forme de digestion du numérique à outrance, aura la responsabilité d’être exigeant avec les propositions artistiques proposées et de considérer une fois pour toute que les technologies sont d’abord des outils de création et non une finalité artistique. Dès lors, la problématique de cet article sera à actualiser et à ouvrir plus largement : y a-t-il un phénomène d’uniformisation de la création ?

 

Article publié dans la Revue AS - Actualité de la Scénographie N°227
Le Laboratoire Arts & Technologies de Stereolux s’associe avec les Éditions AS (Actualités de la scénographie) pour une série d'articles consacrés aux technologies numériques, à l'art et au design. L'occasion de partager un point de vue original et documenté sur le futur des pratiques artistiques, en particulier dans le champ du spectacle vivant.

CRITIQUE DU NUMÉRIQUE, Le retour de l'art engagé

Publié le 02/12/2019

En introduction à la journée thématique “Duper le numérique”, consacrée aux données personnelles et à la surveillance numérique, retour sur les différentes étapes de détournement de ces technologies par les artistes.

Le soulèvement contre les machines

Impossible de vivre sans portable et accès internet. Et chaque connexion, abonnement et achat, nous oblige à renseigner notre profil, à laisser des traces de chacun de nos actes. Malgré la mise en place du RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données personnelles), le problème des datas collectées à notre insu, notamment via les réseaux sociaux, est devenu crucial. Nous vivons dans un monde d'objets connectés et de protocoles de surveillance qui traquent nos actions, nos émotions, nos intentions…

Cette emprise technologique et numérique entraîne une méfiance, et des stratégies d'évitement, de détournement, d'affrontement. Dès le début de révolution électronique, en 1980, certains passent à l'action directe comme en France le CLODO (Comité pour la Liquidation Ou la Destruction des Ordinateurs). Ce combat est inséparable de l'histoire des techniques. C'est un phénomène qui apparaît bien avant le numérique. Au XIXe, à l'aube de la société industrielle, les Luddites s'affirment déjà comme un mouvement contre les machines.
 


Revue de presse, illustration de l'article Le CLODO parle…, Terminal 19/84 n. 16, revue du Centre d'Information et d'Initiative sur l'Informatisation, octobre 1983. Photo : D.R.


Le grand détournement

Pour échapper aux prescriptions imposées par les nouvelles technologies, il faut trouver des failles. Début 80, le piratage du service Gretel est à l'origine des messageries du Minitel (Médium Interactif par Numérisation d'Information TELéphonique). Les artistes du net-art s'inscrivent dans ce mouvement de réappropriation en détournant ensuite Internet de sa fonction de communication. Mais pour vraiment défier les machines à l'ère du numérique il faut, au propre comme au figuré, se réapproprier les codes.

C'est en partie l'objectif des fablabs et autres hackers spaces; ces ateliers d'initiation et de fabrication ouverts à tous. Le milieu militant l'a bien compris en proposant également des ateliers d'auto-défense numérique. A contrario, les "ripostes" artistiques sont moins frontales que celles des militants. Le contraste est saisissant entre Camover, une action de destruction des caméras de vidéo-surveillance à Berlin en 2013, et l'initiative du collectif d'artistes !Mediengruppe Bitnik qui a hacké et ridiculisé le réseau de surveillance de la CCTV à Londres en diffusant des invitations à jouer aux échecs
 


!Mediengruppe Bitnik, Surveillance Chess. Performance et hacking du réseau de vidéo-surveillance CCTV à Londres, 2012. Photo : D.R.

Invitation au suicide numérique

Sur un autre théâtre d'opérations, le collectif artistique RYBN mène une réflexion critique face à ces technologies intrusives, allant jusqu'à proposer des ateliers de décontamination sémantique par rapport au vocabulaire du numérique, et s'amuse à pervertir les algorithmes des robots des marchés financiers en remodelant les codes avec des éléments astrologiques (Antidatamining). On leur doit aussi une invitation au suicide numérique assisté via un programme sur clé USB de destruction volontaire des données personnelles.
 


RYBN, 0k. Programme sur sur clé USB pour destruction volontaire des données personnelles, compatible Mac OS / Windows, 2010.
 

Cette dimension ludique et artistique permet d'avoir plus d'impact, de toucher un public plus large ; comme le font Eva & Marco Mattes (0100101110101101.org) qui refusent de mourir au combat dans les jeux vidéo. Une démarche qui fonctionne y compris contre le sexisme et le racisme que l'artiste Trevor Paglen débusque, en compagnie de la chercheuse Kate Crawford, dans les banques d'images régissant l'intelligence artificielle.


Eva & Marco Mattes, Freedom, perfomance / jeu vidéo en ligne, 2010. Photo: D.R.


Résistance électronique

Dans son manifeste La Résistance Électronique, le collectif Critical Art Ensemble définit les règles de cet art numérique engagé. Réactivez la stratégie de l'occupation en prenant en otage, non plus des biens, mais des données… Il est temps d'élaborer de nouvelles stratégies qui portent atteinte à l'autorité virtuelle… Il nous faut prendre conscience que le cyberespace est un lieu et un dispositif de résistance.

 


Critical Art Ensemble, eyeBeam, Tactical Media Workshop, 2002. Photo: D.R.

 

Mais pourra-t-on longtemps berner les machines, duper le numérique ? N'est-ce pas l'inverse qui se profile ? La question se pose à l'heure où même Facebook développe un filtre pour tromper les systèmes de reconnaissance faciale… Mais c'est aussi une question de regard justement. À Bangalore, la capitale de la Silicon Valley indienne, la fête d’Ayudha Pooja est aussi le jour où l'on remercie les machines, où l'on dépose des fleurs et des fruits en offrandes aux ordinateurs…

 


Trevor Paglen & Kate Crawford, Training Humans. Exposition autour d'images extraites des banques de données pour apprentissage d'Intelligence Artificielle. Osservatorio Fondazione Prada à Milan, jusqu'au 22 février 2020. Photo : © Marco Cappelletti.
 

 

Article écrit par Laurent Diouf

 

DONNÉES PERSONNELLES & SURVEILLANCE : DUPER LE NUMÉRIQUE 
Jeudi 12 Décembre - Gratuit sur inscription

Les dispositifs de surveillance numérique reposant sur l’utilisation plus ou moins consentie de nos “traces numériques”. L’Humain ne manque pas d’idées lorsqu’il s’agit de tromper la Machine et décline la duperie numérique sous différentes formes, à des fins défensives comme offensives. Quelles sont les stratégies qui permettent de tromper les systèmes numériques et d’échapper à cette surveillance omniprésente ? Qu’est-ce que le fait même d’imaginer duper la machine raconte de notre rapport à celle-ci ?

9H30 > 12H30 - Conférences & tables rondes : pourquoi et comment duper ?
14H30 > 17H30 - Ateliers : outils, scénarios critiques et solutions DIY 
18H30 > 20H30 - Conférence de conclusion "Données personnelles et surveillance numérique : duper ou se faire duper ?"

+ d’infos

Les solutions DIY de Dasha Ilina pour "duper le numérique" - interview

Publié le 25/11/2019

Artiste activiste russe installée à Paris, Dasha Ilina aborde aussi bien les thèmes de cyberféminisme, de cybersurveillance que de dépendence à nos appareils numériques. Elle imagine et bricole des solutions DIY (do it yourself) aussi pratiques qu'absurdes pour répondre aux problèmes causés par les nouvelles technologies qu'elle présente sous forme de tutos vidéo, d'ateliers, de conférences et d'expositions.
Après avoir participé récemment à l'exposition Computer Grrrls à la Gaïté Lyrique (Paris), c'est à Stereolux qu'on la retrouve le temps de la journée thématique "Duper le numérique : brouiller, embrouiller, se débrouiller"



Quel est votre rapport à la technologie au quotidien ?

Celui de quelqu'un qui ne se rappelle pas vraiment du monde avant Internet !
J'ai grandi entourée d'appareils hi-tech, qui font complètement partie de ma vie à tel point que je ne peux pas imaginer vivre sans eux.
J'essaie quelques fois de sortir de chez moi sans mon téléphone pour ne pas être dessus tout le temps. Cette dépendance au portable, que je remarque et qui devient très sérieuse depuis quelques années, est ce qui m'a ammenée à travailler sur mon projet le plus récent - Center for Technological Pain.

  

Avec ce projet, je propose des solutions DIY aux problèmes de santé provoqués par la technologie, comme la sécheresse des yeux, les douleurs au cou, au doigt... Travailler sur ce projet et faire des recherches dessus m'a permis d'être plus consciente de la façon dont j'utilise la technologie.
Concernant la confidentialité ou les données personnelles, je m'appuie sur des connaissances antérieures et des recherches externes. J'essaie d'être plus prudente avec mes données personnelles, mais je sais que je pourrais sans doute l'être encore plus. 
 

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Pourquoi avez-vous voulu travailler sur le détournement de la technologie ?

Je pense qu'à notre époque il est important de critiquer la technologie. C'est tellement facile d'être technopositif parce qu'il n'y a pas besoin de faire des recherches pour en être, les informations qui placent la technologie sur un piédestal sont très accessibles et présentes dans les médias. Mais quand il s'agit de critiquer la technologie, il faut réellement faire des recherches pour comprendre, par exemple, de quelles manières nous sommes trackés. C'est pourquoi je pense que c'est très important de créer des projets artistiques qui explorent les effets nuisibles ou les différents problèmes qui découlent de la technologie.

 

Comment sont reçues les solutions DIY que vous imaginées, par le public et les professionnels du numérique ? 

Mon approche pour créer des solutions DIY n'a toujours été qu'à moitié serieuse donc je trouve toujours cela drôle de voir ce que les autres pensent de mon projet !
Je raconte toujours aux gens que mes solutions sont réelles et qu'elles aident pour les problèmes qui les concernent, mais en même temps elles créent dix nouveaux problèmes parce que ces solutions sont supposées être ironiques et humoristiques. Mon intention est d'aborder les problèmes d'addiction à la technologie d'une façon accessible à toutes et à tous. Quelques fois les gens me demandent si j'ai une diplôme médical, parce qu'ils tombent dans le piège quand je présente le projet d'une manière professionnelle. Ces moment sont toujours les plus drôles parce qu'ils signifient que je vends ces fausses solutions comme une vraie entrepreneure ! Ce qui est absurde mais pas impossible j'imagine. 

 

D'après vous, quel rôle peut jouer l'artiste numérique aujourd'hui ? 

Je pense qu'être artiste numérique est important aujourd'hui et revient à la question de travailler sur le détournement du numérique, car, comme je le disais plus tôt, je pense que c'est primordial de proposer des alterntatives aux scénarios technopositifs qui nous sont fournis par les médias, souvent même par ceux qui sont supposés critiquer la technologie. 
Mais je pense aussi que le rôle de l'artiste numérique est difficile car il veut communiquer à une audience aussi large que possible mais il est très difficile de toucher un large public, et c'est là que résident beaucoup de difficultés. Je pense que maintenant, la majorité du public se sent plus à l'aise avec la technologie, comme la réalité virtuelle. Les gens sont aussi plus ou moins au courant des problèmes de confidentialité avec les téléphones portables et les ordinateurs. Il appartient aux artistes numériques d'inclure le grand public dans le débat sur la technologie.
 

 



Qu'est-ce que le fait même d'imaginer détourner la machine raconte sur notre rapport à celle-ci ? 

Chacun.e a une relation différente aux machines et à la technologie en général mais je pense que beaucoup de gens oublient que même la plus intelligente des intelligences artificielles n'a pas la même capacité émotionnelle que les humains, et ne l'aura (probablement) jamais. Un ordinateur peut battre un humain à un jeu d'échecs mais il ne sera pas capable de partager son intelligence émotionnelle.
Mais bien sûr beaucoup de gens sont fascinés par les technologies émergentes, on peut le voir avec le robot Sophia. Quand je suis allée à un festival sur la robotique, la conférence donnée par ce robot a attiré énormément de monde, tellement que les gens ne pouvaient plus rentrer dans la pièce, ce qui n'a jamais été le cas sur les autres conférences avec des présentateurs humains. Pourtant, cette conférence par un robot était beaucoup moins intéressante que d'autres données par des humains. Mais même la conversation la plus basique avec un robot est dix fois plus excitante qu'une conversation intelligente avec un humain. 


Observez-vous une évolution de la place des femmes dans le numérique ? 

Oui en effet. Je pense que les gens deviennent beaucoup plus conscients des inégalités dans le secteur de la technologie, ce qui est définitivement une bonne chose. Je pense que c'est vraiment bien que plus de femmes soient incluses, j'espère juste que cela se produit pour les bonnes raisons et pas seulement pour remplir un quota.
Je suis aussi contente de voir qu'avec des femmes comme Claire L. Evans et son livre Broad Band  à propos de l'histoire oubliée des femmes dans la technologie, celles-ci soient enfin reconnues pour leurs contributions aux avancées technologiques, même avec un peu de retard.
ependant on ne peut pas non plus dire que tout va pour le mieux, par exemple cela n'empêche pas les gens de demander à une artiste numérique - en doutant de sa capacité donc - si elle a elle-même codé son propre projet ou si elle a elle-même assemblé les panneaux à LED...

APPEL À RÉSIDENCE «DUPER LE NUMÉRIQUE»

Publié le 17/10/2019

En prolongement de la journée thématique « Duper le numérique », qui aura lieu le 12 décembre 2019, Stereolux lance un appel à résidence afin de soutenir un projet abordant ce thème.

La journée « Duper le numérique » a pour objectif d’explorer les moyens possibles permettant de tromper les dispositifs de surveillance numérique, et les questions que de telles actions soulèvent : quelles sont les stratégies qui permettent de tromper les systèmes numériques et d’échapper à cette surveillance ubiquitaire ? Qu’est-ce que le fait même d’imaginer duper la machine raconte de notre rapport à celle-ci ?

L’APPEL À RÉSIDENCE

L’objectif de cet appel à résidence est donc de soutenir un projet abordant également ces thèmes.
Il vise à soutenir un projet artistique ou de design à une étape de recherche et d’expérimentation : réalisation d’une maquette ou d’un prototype de projet artistique / de design.
Cet appel à résidence répond à ces objectifs :

  • Prolonger les réflexions traitées lors de l’événement du 12 décembre et proposer des modalités d’approche qui ne soient pas uniquement « théoriques » ;
  • Proposer un regard original sur ce sujet, complémentaire des approches développées par les intervenants de la journée ;
  • Soutenir le travail d’un artiste ou designer numérique en lui offrant des moyens pour développer son projet ;
  • Faire émerger de nouvelles réflexions et travaux sur le sujet de la surveillance numérique, susceptibles de sensibiliser le public à ces enjeux.
     

APPORT DE STEREOLUX

Apport financier

Stereolux fournira un apport  financier pour soutenir le projet lauréat. Cet apport est réparti comme suit :

  • 1500€ HT au titre de la rémunération du lauréat - versé directement au lauréat ;
  • 1000€ HT (enveloppe maximum) dédiés à de l’achat de matériel - gérés par Stereolux.

Stereolux prendra également en charge les frais de transport et d’hébergement liés à la venue en résidence du lauréat.

Accueil en résidence

Le lauréat sera accueilli pour un temps de résidence de deux semaines (consécutives ou séparées) aux sein de Stereolux à Nantes en janvier/février 2020. Dans le cadre de cette résidence, il pourra profiter d’un accompagnement technique par l’équipe de Stereolux.

Accompagnement et visibilité

Le lauréat pourra également profiter d’un accompagnement sur la structuration et la poursuite de son projet, ainsi que d’une valorisation de ce projet via le site internet de Stereolux et ses réseaux sociaux.


CONDITIONS DE CANDIDATURE

Cet appel à résidence est ouvert à tout artiste ou designer de plus de 18 ans, qu’il soit étudiant ou non.
Les candidatures collectives sont acceptées.
La date limite de candidature est fixée au 30 novembre 2019.

informations & candidature