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Numérique

Conserver une œuvre numérique, des créations déjà en voie de disparition ?

Publié le 09/03/2019

Face au manque de stratégie de conservation de la part des acteurs culturels, les créations numériques se retrouvent-elles déjà en danger d’extinction ? Quelles sont les problématiques et les pratiques existantes en la matière ? Comment sauvegarder ces œuvres pour les générations futures ?
 

Dans une vidéo publiée sur YouTube par le MoMA de New-York, Glenn Wharton, conservateur dans la mythique institution, déclarait, à propos d’une installation du célèbre Nam June Paik —un piano droit surmonté de plusieurs écrans— que “la restauration, qui a duré plus de deux ans, avait été un rêve autant qu’un cauchemar. L’œuvre concentrait une quantité de problèmes complexes et plusieurs éléments électroniques ne seront plus fonctionnels dans un avenir proche”. Difficile en effet d’envisager la restauration et la conservation d’une pièce cumulant près d’une dizaine de moniteurs cathodiques, aujourd’hui quasiment tous disparus et relayés en pièces de collection.


Les arts vivants concernés

Les inséparables jumeaux que sont la restauration et la conservation des œuvres d’art numérique offrent un sujet de réflexion qui n’est pas nouveau. “Ces réflexions sont apparues dès les années 70’ avec l’arrivée sur le marché de l’art d’artistes travaillant le numérique, notamment des vidéastes comme Bill Viola”, explique Valérie Hasson-Benillouche, directrice de la galerie Charlot à Paris, spécialisée dans les nouveaux médias. “Pour un galeriste, une œuvre existe quand elle perdure. Il est important de penser à la maintenance des œuvres puisque nous assurons une forme d’après-vente auprès de nos collectionneurs.” À l’inverse, d’autres acteurs de la Culture, à commencer par les structures de diffusion (théâtres, SMACs, Scènes nationales), et les artistes, ne se sont emparés de la question que très récemment. Cédric Huchet, programmateur pour le Festival Scopitone et pour Stereolux à Nantes, précise “qu’il n’existe pas de service de conservation à Stereolux mais que cette préoccupation est devenue centrale dans l’ensemble du milieu du spectacle, notamment du fait de l’explosion de la création numérique”. En effet, les arts vivants n’ont, semble-t-il, jamais autant intégré de systèmes électroniques et numériques : capteurs interactifs, éléments de robotique, vidéo et lumière, ... Tout le monde se retrouve désormais à se questionner sur la pérennité des dispositifs numériques. Autrement dit, sera-t-il possible de rejouer une chorégraphie d’Hiroaki Umeda ou de Bianca Li dans dix ou même cent ans de la même façon qu’on peut aujourd’hui revoir un spectacle de Pina Bausch plusieurs années après sa mort ? Rien n’est moins certain, tant les questions de conservation et de restauration des œuvres numériques paraissent peu éclaircies et se posent finalement très différemment des disciplines traditionnelles.

Il paraît naturel d’ouvrir le débat —au-delà des conservateurs— aux programmateurs, aux régisseurs techniques et bien sûr aux artistes, premiers concernés par ces interrogations essentielles. Laissons aux professionnels de la muséologie le soin de se concerter sur la difficile question des œuvres qui méritent ou non d'être conservées. Dans un premier temps, concentrons cette réflexion sur la nature singulière des œuvres numériques.

 

 
Matériels de prise de son analogique, ZKM / Laboratory for Antiquated Video Systems - Photo © Andreas Friedrich 
Cassettes, ZKM / Laboratory for Antiquated Video Systems - Photo © Dorcas Müller

 


La complexité du numérique

Finalement l’étiquette “art numérique” est un fourre-tout dans lequel il est possible de distinguer, au moins pour ce sujet, deux types d’œuvres : celles appartenant à la catégorie des vidéos où il s’agira essentiellement de problématiques d’archivage, de stockage, de conservation des algorithmes et les installations interactives, utilisant des technologies plus fragiles et qui ont parfois vocation à n’être présentées qu’une seule fois comme performance dans un festival. Dans cette deuxième catégorie, les œuvres sont davantage sujettes à l’obsolescence des matériaux : comment remplacer une leap motion (capteur de mouvement) dans dix ans ou un Oculus Rift (casque de réalité virtuelle) dans trente ans, lorsque ces objets n’existeront plus ou lorsque de nouveaux standards seront apparus ? Les anciens se souviendront notamment qu’avant le numérique existaient différents formats analogiques concurrents (NTSC, PAL, SECAM, …). La question paraît encore plus insondable lorsqu’on prend en compte la rapidité d’obsolescence du code et des logiciels. À ce sujet, l’artiste Bryan Chung ironisait avec son oeuvre 50 Shades of Grey, un tableau en camaïeux de gris composé à partir de langages de programmation désuet : Basic, Fortran, Lisp, Lingo (Directeur), ActionScript (Flash). Certains d’entre eux, populaires à des moments dans l’histoire de l’art, sont devenus obsolètes pour être finalement totalement oubliés. Par ailleurs, les installations sont difficilement conservables pour des raisons de stockage. Le collectif de la Bande Passante, réunissant quatre artistes, présentait en 2015 au Quai d’Angers une architecture mêlant mapping et design sonore. LLT, artiste scénographe sur le projet, raconte que “rapidement l’œuvre est devenue une enclume. C’est un mapping qui représentait 2,5 T de matériel et qui n'avait pas de dates programmées. Nous avons loué un lieu de stockage, le plus longtemps possible. Au bout de deux ans, nous avons détruit l’œuvre pour éviter le gouffre financier. Aujourd’hui, pour un artiste, il est difficile d’envisager une conservation pérenne d’une installation interactive. Depuis, nous réfléchissons au recyclage de nos créations pour faire en sorte que les matériaux puissent être réutilisés sur d’autres projets”.
 


50 Shades of Grey - Photo © Bryan WC Chung

 

Les protocoles & dispositifs

Heureusement, pour éviter de perdre à tout jamais ces créations numériques, des protocoles voient le jour. Pour Valérie Hasson-Benillouche de la galerie Charlot : “Bon nombre de normes sont encore à définir mais, si l’on constitue une documentation complète, il n’y a aucune raison que l’on ne puisse pas conserver et restaurer une œuvre”. En effet, l’artiste et les structures de diffusion doivent être en possession d’un maximum de documents qui permettront de comprendre le fonctionnement de l’œuvre dans cinquante ans : descriptif de l’œuvre, photographies, vidéos, fiches techniques, copie de l’algorithme, … Un dernier point sensible pour les artistes qui souhaitent en même temps protéger leurs travaux. “Je trouve délicat de confier trop d’informations liées au code aux structures de diffusion. Les plagiats ne sont pas rares dans le monde de l’art numérique”, témoigne Guillaume Marmin, artiste visuel et scénographe français.

D’autres protocoles sont également poussés par des institutions précurseurs en la matière dont le LIMA, plate-forme dédiée aux arts médiatiques à Amsterdam, qui accueillait en 2016 un symposium international autour des questions de conservation de l’art numérique. Le LIMA a notamment mis en place une offre de stockage numérique pour les artistes désirant une conservation à long terme, prise en charge par une équipe d’informaticiens spécialisés. Moyennant une participation, les œuvres analogiques et numériques peuvent ainsi être conservées sur des serveurs sécurisés et dans des conditions optimales. Par ailleurs, le LIMA s’assure ainsi de constituer une banque d’archives pour le futur. Le ZKM de Karlsruhe, en Allemagne, est un autre acteur incontournable qui collabore avec plusieurs institutions prestigieuses comme le MoMA ou le Centre Pompidou. Le Laboratory for Antiquated Video Systems est sans doute l’une des initiatives les plus originales du ZKM. Fondé en 2004, ce département du service de conservation a pour mission de sauvegarder l’art vidéo et particulièrement les œuvres produites depuis les années 60’ sur support magnétique en les numérisant en haute qualité. Pour cela, le laboratoire compte plus de 300 appareils vidéo vintage et des centaines de composants très difficilement trouvables, les industriels ne les produisant plus. Cette “Arche de Noé des arts médiatiques” comme aime à l’appeler Peter Weibel, directeur du ZKM, est une ressource inestimable pour la restauration des œuvres de Nam June Paik ou d’Aldo Tambellini, utilisant du matériel d’époque. Dorcas Müller, responsable du Laboratory for Antiquated Video Systems, explique comment le ZKM a pu constituer un tel trésor : “Notre réseau est très développé. Les artistes nous confient une partie du matériel. Nous travaillons également avec des écoles ou des studios vidéo professionnels qui souhaitent se débarrasser de leur équipement démodé. Par ailleurs, les habitants de la Région nous font don de leurs anciens magnétoscopes et moniteurs. Enfin, depuis quelques années, il est devenu plus facile de trouver des appareils sur eBay”.
 

De nouveaux professionnels formés

Le LIMA et le ZKM précédemment cités font néanmoins figure d’exception à côté du reste des structures et des communautés artistiques qui souffrent encore de l’absence de mise en place de programmes dédiés. Sans aller jusqu’à la constitution de service de conservation, voire de restauration, la question se pose néanmoins dans toutes les structures de diffusion : comment faire fonctionner une œuvre ou une installation lorsqu’il y a un problème de logiciel ou d’interface ? Cédric Huchet décrit le fonctionnement à Stereolux : “50 % des maintenances sont effectuées par les équipes de la structure car il est rare que l’artiste puisse être présent en permanence. Nos régisseurs sont des couteaux suisses qui ont réussi à décloisonner la connaissance technique : ils comprennent le code, la mécanique, l’électricité, ont parfois quelques notions en robotique”. De là à imaginer une nouvelle génération de régisseurs il n’y a qu’un pas. En attendant, quelques rares formations de conservateur/restaurateur spécialisées en art numérique, comme celle de l’école de Stuttgart, voient déjà le jour. Pour Gaby Wijers, directeur du LIMA : “Il est plus qu’urgent de former les nouveaux archivistes, gestionnaires, conservateurs et historiens d’arts. Ce sont eux qui relèveront le défi de la préservation de l’art médiatique”.

Une chose semble certaine, ce n’est plus qu’une question de temps pour que de réels plans d’action de conservation des œuvres numériques se généralisent. Reste seulement à espérer qu’ils ne tarderont pas à se mettre en place… au risque de perdre un bon nombre de créations actuelles, et sans doute parmi elles quelques chefs-d’œuvre de notre époque.

 

Adrien Cornelissen


Article publié dans la Revue AS - Actualité de la Scénographie N°220 – juillet 2018

Le Laboratoire Arts & Technologies de Stereolux s’associe avec les Éditions AS (Actualités de la scénographie) pour une série d'articles consacrés aux technologies numériques, à l'art et au design. L'occasion de partager un point de vue original et documenté sur le futur des pratiques artistiques, en particulier dans le champ du spectacle vivant.

Le livre numérique, vitalité et enjeux d'une filière

Publié le 18/02/2019

Dans le cadre du Parcours Education Artistique et Culturelle*, Stereolux propose aux classes d’élementaire de rencontrer des auteurs, des illustrateurs et des informaticiens qui développent des technologies pour écrire, lire et raconter des histoires autrement. Voici un état des lieux non exhaustif consacré à la multiplicité des livres numériques, des outils et des usages.

 

Des lecteurs technophiles

Lorsqu'en 1965 deux adolescents imaginent le « livre de l'an 2000 », les images projetées sont alors perçues comme le moyen d'enrichir technologiquement le contenu d'un livre papier.

 

Cinquante ans après, dans une société dite post-numérique, la technologie a intégré le secteur du livre. Selon le Baromètre de SOFIA/SNE/SGD 2018, l'offre et l'usage de livres numériques s’intensifient et se diversifient, avec un attrait pour une lecture sur tablettes et smartphones.

Équipements utilisés pour lire des livres numériques
8e Baromètre SOFIA/SNE/SGD - 2018

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un large panel de livres numériques
 

Le livre homothétique
Dans les librairies en ligne, on achète majoritairement des livres homothétiques, c’est-à-dire qui reproduisent à l'identique des livres papiers (dit physiques). Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF en propose plus de 3 600 à télécharger gratuitement, dont 75 classiques (roman, théâtre, poésie, conte) ont été sélectionnés par la Direction du Numérique de l’Éducation Nationale

Livre homothétique - Blog du LABO BnF - 2012

 

 

Le livre enrichi

Les ouvrages sont ici agrémentés de vidéos, de sons, d'illustrations, d'interviews, de jeux ou d’animations, tels qu'on les découvre sur le site de Au Bonheur des Dames  réalisé par la BnF, Orange et le Musée d'Orsay. 

Livre enrichi – Site Au Bonheur des Dames d'Emile Zola - 2018

 

Le livre (en réalité) augmentée

A l'aide d'une application installée sur tablette ou smartphone, on peut superposer un monde virtuel en 2D ou 3D sur un livre physique, en y ajoutant du contenu sonore, visuel et interactif. Largement utilisé pour les albums jeunesse, le livre augmenté serait le mariage parfait entre le papier et le numérique. 

Livre augmenté – PAN ! livre d'artiste - 2014

 

Le livre filmé

Soucieuse du lien entre les enfants et le livre papier, L'école des Loisirs aborde le numérique autrement, en imaginant un objet qui n'est ni un dessin animé, ni une application, nécessitant d’être actif. Adapté à un travail pédagogique en classe, l'album filmé ressemble à une histoire lue par un adulte. Le but étant de donner envie de lire à l'enfant. 

Livre filmé – Catalogue de l'école des loisirs - 2018

 

Le livre audio

En 2018, 45% des lecteurs de livres numériques ont écouté au moins un livre audio. Les succès commerciaux sont les mêmes que ceux des livres papiers. Ainsi, le géant Amazon a lancé un service avec de larges possibilités d'écoute, Audible, qui récupère une grosse part du marché. Mais, on ne saurait que trop vous conseiller des éditeurs indépendants comme Book d’Oreille ou d'autres « pure players » qui éditent 100% numérique.  

Livre audio – Interview de d’Olivier Carpentier,
fondateur de Book d’Oreille - 2013

 

Des perspectives pour le livre numérique

 

Le transmedia pour explorer les supports
La narration transmédia fait le bonheur des fans car elle permet d’explorer un univers au maximum sur différents supports : jeux-vidéo, bande-dessinées, séries télévisées… Le livre (physique et numérique) trouve sa place dans ces systèmes de narration multiples en touchant de nouvelles cibles de lecteurs. 

Livre transmedia –R/O : création d’un incubateur
de héros transmédia en Belgique - 2016

 

 

Des livres nativement accessibles
Depuis 2018, des associations spécialisées, des maisons d'éditions et le ministère de la Culture mènent un projet, OPALINe, pour permettre aux personnes en situation de handicap d'accéder à la lecture, qui ne nécessitent aucune adaptation spécifique pour ces typologies de publics. 

Livre nativement accessible
Favoriser l'édition accessible - 2016 

 

Une vision prospective

Avec l'exposition Liber Numericus et le cycle prospectif le livre et la lecture dans 5 ans, Stereolux mène une réflexion sur les mutations engendrées par le numérique dans les domaines du livre et de la lecture, avec les acteurs de la filière (auteurs, éditeurs, bibliothèques, médiateurs) pour adapter leurs métiers et leurs rapports avec les lecteurs.

 

 

Conception : Julie Legrand
Médiation & Accessibilité

 

Une histoire de la danse 2.0

Publié le 17/01/2019

Un nouveau langage intègre et renouvelle les espaces chorégraphiques : mapping vidéo, avatars en 3D, motion capture, interactivité... Histoire et état des lieux de ces pratiques artistiques où le corps garde finalement toute sa place.
 

Merce Cunningham, le pionnier


Création d'un abécédaire chorégraphique

Figure emblématique de la danse post-moderne et du croisement entre disciplines artistiques, Merce Cunningham est le premier chorégraphe à travailler avec les technologies émergentes dans les années 1990. Le logiciel Life Forms, programme d’animation 3D, lui permet d'inventer de nouvelles figures à un âge où son propre corps ne lui permet plus. Il les met ensuite à l’épreuve en demandant à ses danseurs de les exécuter ; certaines s'avèrent impossibles à reproduire.
 

1. Logiciel Dance Form (à la suite de Life Forms) utilisé par Merce Cunningham
Logiciel Dance Form (conçu à la suite de Life Forms) utilisé par Merce Cunningham

 

Première pièce chorégraphique projetée

Pour créer Biped (1999), premier projet à associer danse vivante et projection de formes animées, Cunningham collabore avec Paul Kaiser et Shelley Eshkar. Après avoir saisi 71 phrases chorégraphiques en Motion Capture, ils les projettent sur un tulle en avant-scène, devant les danseurs qui semblent évoluer aux côtés de ces squelettes dessinés à la craie.
 

2. Merce Cunningham, Biped (1999)
Merce Cunningham, Biped (1999)
 

De l'augmentation du geste à la réalité augmentée sensitive

Au début du 21ème siècle, la technologie permet de travailler les espaces et / ou d'accompagner et d'augmenter les gestes des danseurs. La perception du corps en est modifiée. Ainsi, Érection 2003) de Pierre Rigal et Aurélien Bory, évoque l’évolution de l’être humain qui passe du stade horizontal au vertical. Entre deux, il est traversé de projections colorées qui l'obligent à se lever dans les limites de cet espace épuré et lumineux.
 

3.1.Erection - Pierre Rigal © PierreGrosbois 3.2.Erection - Pierre Rigal 3.3. Érection - Pierre Rigal
Pierre Rigal et Aurélien Bory, Érection (2003)


Acteur majeur de l’exploration des liens entre danse et arts numériques, Hiroaki Umeda crée des pièces à l'esthétique electro minimaliste en s’appuyant sur des dispositifs complexes : gestes, vidéos, lumières et sons y forment des textures intrinsèquement imbriquées. Reconnu en France depuis Accumulated Layout (2007), Umeda ne cesse de renouveler la danse contemporaine par un dialogue entre danse, lumière et musique.
 

4. Hiroaki Umeda, Median
Hiroaki Umeda, Median (2018)


Par la suite, l'interactivité s’invite naturellement entre ces trois champs créatifs. Escales tactiles (2011) de K. Danse et Scénocosme s’appuie sur un tapis de danse recouvert d’un réseau de connectiques et des costumes sensitifs composés de capteurs. Pendant la performance, et en fonction des contacts physiques des danseurs, des données informatiques interagissent en temps réel sur la composition sonore et lumineuse du spectacle.
 

5. K. Danse et de Scénocosme, Escales tactiles
K. Danse et Scénocosme, Escales tactiles (2011)
 

De la danse en réalité virtuelle à mixte

Spectacle à la frontière entre réel et virtuel, Pixel (2014) est le fruit d'une collaboration entre Mourad Merzouki et Adrien M & Claire B. Dix danseurs de hip-hop s'y approprient un univers interactif et mouvant. Rendue possible grâce à eMotion, logiciel en open source, cette première expérimentation a été l'occasion d'un dialogue fécond entre ces deux formes d’expression artistique : « l’invention d’un langage numérique vivant se faisant par l’intuition du corps ».



Mourad Merzouki et Adrien M & Claire B, Pixel (2014)


Une étape sensorielle est franchie lorsque Gilles Jobin conçoit avec Artanim la toute première œuvre chorégraphique en réalité virtuelle immersive, VR_I (2017). Cette expérience permet à cinq spectateurs munis de casques de voir leurs avatars se déplacer dans un espace 3D, au milieu de danseurs virtuels animés par des algorithmes. A la Biennale de la Danse de Lyon, Yoann Bourgeois et Michel Reilhac présentent Fugue VR (2018). Cette expérience en réalité mixte pour dix participants permet, pour la première fois, de vivre un spectacle de danse de l'intérieur.
 

7.1. Gilles Jobin & Artanim, VR_I 7.2. Gilles Jobin & Artanim, VR_I
Gilles Jobin & Artanim, VR_I (2017)
 

La danse post-internet

Avec To Da bone (2017), le collectif (La) Horde traite du Jumpstyle, danse née à la fin du 20ème siècle, en Europe du nord, dans le milieu techno hardcore et propagée via YouTube. Ces danseurs amateurs s'échangent leurs vidéos sur internet créant ainsi une communauté à l'existence numérique. Contactés par Facebook, ils jouent aujourd'hui en groupe sur un plateau « in real life ».



(La) Horde, To Da bone (2017)
 

Il semble aujourd’hui loin le temps où Merce Cunnigham faisait scandale avec Walkaround Time (1968), dont le titre évoquait les cent pas que faisaient les informaticiens pendant que les ordinateurs accomplissaient leurs tâches.

 

Par Julie Legrand

 

 

STEREOLUX INITIE UNE PREMIÈRE CLASSE CULTURELLE NUMÉRIQUE POUR CINQ COLLÈGES DE LOIRE-ATLANTIQUE

Publié le 05/07/2018

Pour la première fois en Loire-Atlantique, un dispositif de Classe Culturelle Numérique a été mis en place d’octobre 2017 à mai 2018 par Stereolux. Un outil d'exploration culturelle qui a enthousiasmé les élèves de cinq collèges du département, à travers une série de rendez-vous virtuels et réels avec l’écrivain Eric Pessan.

La CCN (Classe Culturelle Numérique) c’est quoi ?

Une classe culturelle numérique est un dispositif conçu par Erasme, laboratoire d’innovation ouverte de la Métropole de Lyon. Grâce aux outils numériques, la CCN met en relation les élèves et leurs enseignants avec des artistes et des lieux culturels pour mener des projets éducatifs et artistiques collaboratifs.

Cette année, Stereolux a donc initié une résidence en ligne réunissant l'écrivain ligérien Eric Pessan et cinq classes de collèges du département de Loire Atlantique.
Les élèves et enseignants de toutes les classes participantes ont ainsi pu échanger et suivre l’évolution du projet via une plateforme permettant à l’auteur de fournir les consignes et aux participants de livrer leurs productions. Celle-ci a permis d’abolir les contraintes géographiques et ainsi participer au décloisonnement et à l’irrigation culturelle des territoires.

Offrant des outils collaboratifs et permettant la production de contenus multimédia (image, son, réalité augmentée…), la CCN permet de rendre compte tout à la fois de la production finale mais également de tout le processus de création mené au fil de l’année, des ressources pédagogiques et artistiques mises à disposition des classes, des échanges entre classes à travers un blog.

Voici un aperçu de la CCN mise en place par Stereolux sur le département de Loire-Atlantique : 

Accéder à la plateforme

Au travail mené autour de cette plateforme, Stereolux a ajouté des ateliers de création en classe durant deux jours consécutifs : les artistes et vidéastes Vincent Pouplard, Marie-Pierre Groud, Aude Rabillon et Carla Palone ont ainsi abordé différentes formes de création artistique numérique répondant à la thématique du projet d’Eric Pessan.

De quoi parle cette première Classe Culturelle Numérique menée par Stereolux ?

En embarquant dans le vaisseau d'Éric Pessan, les adolescents quittent la Terre et vont réfléchir au nouveau monde qu'ils voudraient fonder sur une autre planète... Ce travail d’écriture leur a permis de réfléchir aux grands enjeux de notre société, de formuler leurs aspirations pour le futur.

Voici comment Eric Pessan, a présenté le projet et les objectifs du travail d’écriture aux élèves participants au projet :
« Pour ce parcours, je vais vous ouvrir les portes de mon bureau et de mon « chantier » en cours d’écriture. On rencontre un écrivain à travers ses livres, une fois que ceux-ci sont publiés. Ce que je vous propose, c’est de vous expliquer le texte que je suis en train d’écrire et de vous en faire lire des extraits. Vous travaillerez à partir de ces extraits. Je me suis donné comme contrainte d’écrire mon texte au fur à mesure de nos échanges (non pas pour m’inspirer de ce que vous allez faire, je vous rassure : je ne suis pas en manque d’imagination. Mais pour réellement vous accueillir dans mon bureau. Nous allons travailler ensemble, à la même vitesse).
Le thème central sera l’utopie (je vous conseille de chercher la définition exacte de ce mot et son étymologie, c’est déjà le début d’une histoire).

De mon côté, je vais écrire une pièce de théâtre dont la thématique sera utopique : la construction d’une société idéale. Du votre, vous interviendrez au fur à mesure sans forcément avoir l’obligation d’écrire du théâtre : vous pouvez proposer des récits, des poèmes, des paragraphes argumentés… (liste non exhaustive, à vous d’inventer votre forme).
Le texte que je vais écrire se nommera « Essaimer les étoiles ». Il prendra la forme d’une pièce de science-fiction : la Terre est mourante, inhabitable. Une catastrophe s’est produite. L’humanité va périr et seuls vont survivre un groupe d’adolescents. Ils incarnent l’espoir de l’humanité. Ils se trouvent à bord d’un vaisseau spatial entièrement automatisé. Le voyage durera des années avant d’atteindre une exoplanète habitable. Les passagers deviendront les pionniers d’un nouveau monde. Durant le voyage, ils ont une tâche, immense, à accomplir : inventer les règles de vie, les lois, et les codes de la nouvelle société qu’ils fonderont à leur arrivée. »

 

Le projet de CCN coordonné par Stereolux est soutenu par le Département de Loire-Atlantique dans le cadre du plan « Grandir avec la culture ». 

 

LAURÉAT ► APPEL À PROJETS ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR « ARTS & TECHNOLOGIES » 2018

Publié le 11/04/2018

En 2018, Electroni[k], Stereolux et La Gaîté Lyrique s’associent pour accompagner, soutenir et produire une création Arts & Technologies. Étudiants, chaque année vous êtes plus nombreux à candidater, et nous vous en remercions !

Lauréat 2018 : Fluence

Fluence, par Dylan Cote-Colisson (étudiant à l’ENSAAMA Olivier de Serres), Pierre Lafanechère (designer et plasticien freelance, ancien étudiant de l’ENSAAMA Olivier de Serre) & Augustin Lafanechère (Data engineer, développeur)
art génératif, data & vidéo-mapping

Nos données numériques sont canalisées dans des espaces imperceptibles où transite un vaste flux d’information. Chaque requête, aussi insignifiante soit-elle, est captée, analysée, inventoriée par différents systèmes algorithmiques. En s’inspirant de l’image du dégât des eaux, Fluence évoque l’amas de traces que nous produisons et dont s’imprègnent nos espaces digitaux : une insalubrité numérique à laquelle nous nous exposons quotidiennement. Fluence propose une matérialisation de ce phénomène abstrait et immatériel dans le monde tangible : un écoulement organique d’éléments numériques. À leur insu, les spectateurs munis d’un smartphone densifient cette fuite générative.

Fluence est la création lauréate de l’appel à projets « Arts & Technologies » enseignement supérieur 2018 mis en place par Electroni[k], La Gaîté Lyrique & Stereolux. Elle est accompagnée par La Gaîté Lyrique et présentée par Stereolux, lors de la prochaine édition du festival Scopitone du 19 au 23 septembre 2018.


► 74 projets reçus impliquant 150 étudiants
 Des équipes souvent pluridisciplinaires et hétérogènes, issues d’horizons divers et d’écoles différentes.
► 11 projets d’application et 63 d’installation
► 19 nationalités représentées
► 53 établissements d’enseignement supérieur à Rennes, Nantes, Paris & région parisienne, de Strasbourg à Toulouse, de Rouen à Marseille, en passant par Lyon, Saint-Étienne, Aix-en-Provence, Angers, Le Mans… Et au-delà de nos frontières, des candidatures d’Autriche, Belgique, Grèce, Pays-Bas, Royaume-Unis et Suisse !

 

En détail :

Université Rennes 2, EESAB – site de Rennes, ESIR, École de Design Nantes Atlantique, École supérieur des beaux arts de Nantes Métropole, Ecole Nationale supérieure d’architecture de Nantes (ENSAN), Pôle d’enseignement supérieur spectacle vivant de Bretagne Loire-Atlantique, École Doctorale MathSTIC, Université d’Angers, ESBA (école supérieur des Beaux-Arts) talm Angers, École nationale supérieure Mines-Télécom Atlantique Bretagne Pays, École Estienne, Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, École Professionnelle Supérieur d’Arts Graphiques de la Ville de Paris, Ecole des Arts de la Sorbonne Paris 1, Parsons Paris, Collège Sévigné, Université Paris 8 (section Arts et technologies de l’image), Paris 10 – Master Philosophie, ENSCI-Les Ateliers, Université Paris Sud 11, École nationale du jeu et des médias interactifs numériques, ICAN – Institut de Création et Animation Numériques, Université Paris Diderot, Master DE Gobelins Game Design, ENSAAMA – Diplôme Nationale des Métiers d’Art et du Design Paris 15, Université Paris-Est Marne-la-Vallée, Ecole d’Architecture de la Ville et des Territoires, IMAC, ENSAPC – École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy, Lycée Jacques Prévert – Boulogne Billancourt, Ecole supérieure d’art d’Aix-en-Provence, Université Aix Marseille, Ecole Centrale de Marseille, Villa Arson – Nice, Université de Toulouse 2 Jean Jaurès, ESADHaR – Rouen, École des Beaux-Arts du Mans, École Nationale des Travaux Publics de l’Etat, E-artsup, École de Multimédia et de Création numérique – Lyon, Université Jean Monnet – Saint-Étienne, École Nationale de Musique, Danse et Art Dramatique de Villeurbanne, HEAR – Haute école des arts du Rhin, Conservatoire de Strasbourg, Lycée le Corbusier à Illkirch-Graffenstaden à Strasbourg, ENSAD Ecole nationale supérieure d’art et de design Nancy, Université de Technologie de Compiègne, Kunstuniversitat – Linz, Conservatoire Royal de Mons – Arts2 en Belgique, University of Macedonia – Thessaloniki en Grèce, School of Architecture – The Royal Danish Academy of Fine Arts, The Bartlett School of Architecture – University College London, East London University – University of Leeds, Central Saint Martins à London, HEAD – Haute école d’art et de design de Genève…

 

Vide ton sac : Lucas Paris

Publié le 11/10/2017

Lucas Paris, figure émergente de l'art numérique et de la musique électronique, est avide de découvertes ; musique, vidéos, livre, film, danse... Les références qu'il partage se rejoignent sous une caractéristique commune : le bouleversement des codes. Porté par un perpétuel goût du changement et fort d'une soif pour la manipulation de l'intangible, l'artiste québécois a construit des instruments digitaux pendant plus de 10 ans. Il présentera le 20 octobre à Electrons Libres, son projet de sculpture lumineuse et sonore AntiVolume IN/EXT qui explore, là encore, les échanges perpétuels entre timbre et couleur, intérieur et extérieur, réinterprétant à sa façon l'ambient, le noise et l'imaginaire techno.

 

- Rrose

 

- Rawtekk

 

- Alessandro Cortini 

 

- Ametsub

 

- FKA twigs

 

danse

- Dimitris Papaioannou  

 


art

- Bart Hess 

 


- Patrick Bernatchez - Lost in Time 




- banks violette - As yet untitled (broken screen)


- Pe Lang - Positioning Systems nVI 


 

 

books

- Mona Lisa overdrive - William Gibson

movies

- the Congress

Scopitone 2017 : retour sur la table-ronde "Art, Design : vers une ère post-numérique"

Publié le 27/09/2017

Retrouvez l'intégralité de la table-ronde "Art, design : vers une ère post-numérique ?" qui s'est tenue le 21 septembre dans le cadre des rendez-vous pros de Scopitone. 

Modératrice : Claire Richard (journaliste)
Intervenants :
Samuel St-Aubin (artiste)
Anthony Masure (maître de conférences en design, université de Toulouse-Jean Jaurès)
Dominique Moulon (critique d’art et enseignant)

Table ronde organisée en partenariat avec Usbek & Rica, « le média qui explore le futur ».

 

 

 

 

++ La table-ronde résumée en notes graphiques par Thibéry Maillard (@entroispoints)

L’art du Faire

Publié le 29/08/2017

Pratiques collaboratives, recours à l’open source, mutualisation des savoirs et des savoir-faire…  Le travail artistique en fablab questionne la notion d’œuvre, en particulier lorsque les processus de co-création investissent sa dimension collective, bousculent l’idée même de production et de série, transgressent les frontières entre les disciplines. Une zone de frottement et de dialogue entre art et sciences, art et technologies, art et société.

Au printemps 2017, le Centre Pompidou (Paris) consacrait sa première rétrospective d’envergure à l’impression 3D avec Imprimer le monde, une exposition de la manifestation “Mutations/Créations” pour explorer l’impact des machines à commande numérique, des cultures hacker et du mouvement maker sur la création artistique contemporaine, l’architecture et le design.

Plutôt qu’un panorama linéaire des usages de la fabrication additive à des fins artistiques, l’exposition visait à démontrer comment les artistes détournent l’outil, le hackent et le poussent dans ses retranchements critiques, à l’instar de l’Iranienne Morehshin Allahyari et du Britannique Daniel Rourke, auteurs en 2015 du 3D Additivist Manifesto, à la fois appel à l’exploration subversive de l’impression 3D et essai pamphlétaire sur l’hégémonie de la fabrication numérique en vigueur dans les fablabs. “Les médias ont parasité la réalité de l’impression 3D lorsqu’ils se sont emparés de l’impression à dépôt de fil qui existait déjà depuis longtemps dans les fablabs pour faire du buzz auprès du grand public”, explique Sarah Goldberg, fondatrice du artlab Maker sur Seine et du Bagel Lab, un studio de création spécialiste de l’impression 3D.

Car l’impression 3D a largement contribué à populariser l’émergence des fablabs, ces laboratoires de fabrication numérique nés au Massachusetts Institute of Technology de Boston, sortes de micro-usines collaboratives et partagées que certains ont décrits comme annonciatrices de la “troisième révolution industrielle”. Grâce à leurs nouvelles méthodes de production, les fablabs sont rapidement devenus un lieu de convergence pour les makers, les designers, les ingénieurs, les artisans et les artistes trouvant là des machines autrefois inaccessibles car réservées au monde industriel, leur permettant ainsi de prototyper leurs créations rapidement et à moindre coût.


3D additivist Manifesto - Photo © creative commons

La réinvention de l’atelier

Au-delà, l’ouverture des fablabs au public a permis de rendre visible un processus de création de l’œuvre jusque-là sacralisée. Simples curieux ou amateurs éclairés, l’artiste Samuel Bianchini, enseignant-chercheur à Ensadlab (laboratoire de l’École nationale supérieure des arts décoratifs), définit ces usagers comme “des figures intermédiaires qui ne sont ni expertes, ni spécialistes —mais non pas dépourvues de moyens et de connaissances— se situant entre le producteur et le consommateur”. Un aspect fondamental de la porosité des rôles et des statuts dans les fablabs qu’il souligne ainsi : “Traditionnellement, l’atelier tel qu’on en parle au sens de l’atelier d’artiste, voire de l’atelier d’artisan, est l’endroit où l’on fabrique avant que l’œuvre ne soit exposée et rendue publique. Il s’agit du lieu où se pensent, se fabriquent et s’expérimentent les choses. De l’autre côté, on a le laboratoire, qui en est l’équivalent en sciences expérimentales. Ce qui est intéressant avec les fablabs, c’est qu’ils portent un peu l’héritage des deux, avec cette dimension très importante qui est cet aspect public”. Pour lui, les deux inputs principaux qui caractérisent ces ateliers aujourd’hui sont d’une part, leur caractère expérimental et d’autre part, un rapport inédit au public qui se dessine. “Cette confrontation publique va amener à reconsidérer les choses. Avec les fablabs, les living labs et l’open innovation, il est intéressant de voir comment, par l’ouverture au public, on change la façon de faire et de concevoir. […]  Il y a aussi une délinéarisation des processus, c’est-à-dire une tendance forte à rompre avec le principe de faire les choses pour les rendre au public après. Le rendu public va être différent. La confrontation au public intervenant très tôt dans le processus, on peut être davantage amené à des formes de processus itératifs. D’abord par l’expérimentation, que l’on va stabiliser à un moment donné, avant de la confronter au public et d’analyser ses réactions. Ensuite, on va itérer pour pouvoir incrémenter différentes versions. C’est là qu’intervient une autre notion qui vient du monde de l’informatique : celle du fork, c’est-à-dire qu’à partir d’un même projet, on va avoir une bifurcation.”

C’est ainsi qu’entre recherche et création s’est construite une nouvelle génération d’ateliers-labs d’artistes, souvent pilotés de manière collective et pluridisciplinaire pour répondre à la complexité des sujets abordés, comme l’atelier du designer et plasticien Olafur Eliasson, intervenant dans le cadre de la Fabacademy pour former les futurs fabmanagers, et qui vient de lancer un ambitieux projet mixant art et réalité virtuelle avec les stars de l’art contemporain Jeff Koons et Marina Abramovic.Cependant, ce rapport au public et au mode collaboratif ne va pas forcément de soi pour tous les artistes. Peter William Holden, qui réalise ses installations mécatroniques et poétiques dans son atelier de Leipzig, avoue avoir bien du mal à se passer de son antre, préférant son bric-à-brac de matériaux et de machines plutôt que le travail en fablab : “Pour moi, ce n’est pas évident, par exemple, de faire des résidences d’artistes car mon atelier m’est absolument essentiel pour travailler. Lorsque j’ai commencé mon travail artistique il y a vingt ans, les fablabs n’existaient pas. C’est donc petit à petit que je me suis construit mon propre atelier de fabrication”.
 

La redistribution de l’autorité

L’impact de la relation au public en cours de processus de création et l’approche collaborative des fablabs interrogent la notion d’auteur de l’œuvre réalisée de manière collective, contributive, voire coopérative. “La question est complexe”, concède Samuel Bianchini. “Dans le contexte artistico-socio-technique, l’un des événements déclencheurs a été Richard Stallman avec le copyleft. (Richard Stallman est l’initiateur du mouvement du logiciel libre. Il a popularisé la notion de copyleft, c’est-à-dire l'autorisation donnée par l'auteur d'un travail soumis au droit d'auteur d'utiliser, d'étudier, de modifier et de diffuser son œuvre, dans la mesure où cette même autorisation reste préservée). [...] La redistribution de l’autorité est aussi ce que Roy Ascott avait vu apparaître très tôt. La question est de savoir comment on recompose avec une redistribution de l’autorité. C’est l’un des points les plus difficiles de la relation entre l’art et la recherche. Parce que chez les artistes en général, et dans les formations en école d’art en particulier, il y a une forme d’ancrage qui consiste à dire ‘Je suis un artiste’ et de faire en sorte que les autres le croient. En recherche, ce serait important de voir comment en disant ‘Je’, je compose avec les autres qui disent aussi ‘Je’ et comment on arrive à travailler sur des formes complexes qui nécessitent d’être ‘Nous’.”

Dans l’ouvrage collectif Artisans numériques publié en 2012, le chercheur suédois Johan Söderberg signait d’ailleurs un texte critique sur la question de la propriété intellectuelle à l’ère de la fabrication numérique pour évoquer l’idée d’une “propriété augmentée” dans le cadre des fablabs. “Le travail de frontière que les hackers, les militants et les universitaires ont engagé depuis 1980 est désormais déstabilisé en raison de l’introduction d’un nouvel élément narratif”, écrit-il. “À savoir, l’exclamation qui, pour le dire dans le jargon de l’idéologie californienne, déclare : ‘Les atomes sont les nouveaux bits.’ Au cœur de l’articulation de ce nouvel imaginaire se trouvent les amateurs qui construisent des imprimantes 3D open source. La machine a été conçue avec l’objectif déclaré de faire tomber le garde-fou entre l’information et les biens physiques. Une des espérances de l’amateur, parmi tant d’autres, est que les mêmes forces perturbatrices seront lâchées sur les fabricants industriels comme elles ont pu déjà le faire dans l’industrie de la musique et du cinéma.”

Cette question de la définition de l’œuvre et de sa redistribution est d’ailleurs fréquemment contrecarrée, voire détournée, par divers collectifs d’artistes, comme le Copie Copains Club (CCC) inspiré dans le désordre par les licences Creative Commons, les Surfing Clubs, la licence Art libre et le Mickey Club. Leur principe ? “Les copains sont libres de copier n’importe quel artiste vivant” ou encore “Les copies sont des réinterprétations de leurs originaux”. En bref, le CCC se veut un espace libre où chacun peut jouir librement de la copie, qu’il soit geek ou plasticien, pour questionner son rapport à la propriété intellectuelle.


Exposition Pleureuses, La Crypte - Photo © Samuel Bianchini

L’art partagé ?

Un autre aspect fondamental du travail en fablab consiste à documenter son projet, c’est-à-dire répertorier les étapes du processus de fabrication, assurer la traçabilité des contributions et laisser à la communauté la possibilité de l’enrichir. Or, la documentation des projets artistiques co-créés en fablabs se frotte régulièrement aux écueils de la propriété intellectuelle.

En 2016, l’ENSP d’Arles (École nationale supérieure de la photographie) réunissait pour la première fois fabmanagers et acteurs du monde artistique pour s’attaquer à ce serpent de mer. Lors de cette première journée d’étude, Marylou Bonnaire de Zinc, centre de création numérique et fablab de la Friche Belle de Mai de Marseille, mettait en garde : “Les artistes ont parfois une méfiance par rapport à la documentation et la publication parce qu’ils sont déjà très exploités par l’industrie culturelle. Il faut travailler sur les enjeux de protection intellectuelle de leur travail (open source, licences CC, copyleft, …)”. Pourtant, cette documentation demeure la condition indispensable au bon développement collaboratif des outils open source utilisés par les artistes eux-mêmes dans les fablabs.
 

Les outils sur-mesure

Ma démarche dans le Faire est double : elle alimente mon propos artistique et elle me permet de créer les outils dont j’ai besoin”, explique l’artiste-ingénieur Thomas Pachoud, spécialiste des dispositifs scénographiques laser et auteur d’installations immersives, lumineuses et sonores. Dans ses créations, il se nourrit d’open source et d’open hardware, une solution de flexibilité pour répondre aux contraintes imposées par les logiciels et matériels propriétaires, manquant de souplesse et d’adaptabilité selon lui. “C’est simple : les outils dont j’ai besoin n’existent pas ou alors ils ne sont pas adaptés à l’écriture de spectacles. J’ai développé mon propre logiciel de conduite laser en open source car les contraintes des logiciels du commerce ne me permettaient pas de faire du temps réel comme je l’entendais, comme par exemple, générer des animations à la volée.”

Documentée sur Github, une plate-forme de code collaboratif, la construction de son logiciel est un work in progress de longue haleine. Une contrepartie du processus collaboratif de l’écriture logicielle qu’il reconnaît. “Mon logiciel est en train d’être complètement refondu. Plus tu avances, plus il y a de couches. À force d’ajouter des options et de nouvelles fonctionnalités, il devient de plus en plus complexe à utiliser, je suis donc en train de revoir l’interface.”

Outre l’enrichissement communautaire, le développement d’outils “sur-mesure” et le travail artistique en fablab reposent également sur une complémentarité des compétences. “Lorsque j’ai créé Maker sur Seine, je voulais que le lab devienne un lieu générateur de rencontres, de maillage entre des artistes, techniciens, professionnels”, explique Sarah Goldberg, qui, après quinze ans de direction artistique pour des structures et des festivals, a décidé de monter l’un des premiers artlabs français exclusivement dédié à l’impression 3D avant de lancer son propre studio. “Une fois qu’un artiste a identifié son besoin de faire appel à de l’impression 3D, la première question qui se pose est ‘Qui va modéliser ?’. Car l’artiste n’aura pas forcément cette compétence là.” Si aujourd’hui l’impression 3D s’applique à près de 300 matériaux différents, Sarah Goldberg rappelle que de nouvelles matières et de nouvelles technologies d’impression, y compris open source, sortent tous les mois. D’où la nécessité d’une adaptation continue aux outils et aux pratiques. “Entre les plastiques, la résine, les poudres, les métaux, la céramique, tout ce qui se fait en alimentaire ou en bioprinting, les possibilités sont immenses”, dit-elle. “Mais avant de parler d’impression 3D, la première question qu’on doit se poser c’est comment et pourquoi on fabrique un objet, car ce n’est qu’une technique parmi des milliers d’autres.”


Sarah Goldberg, fondatrice du Bagel Lab - Photo © Bagel Lab

L’ère de la matière ?

Par ces expérimentations croisées, les fablabs ont-ils favorisé un retour au tangible et aux dimensions matérielles de la création ? Pour Samuel Bianchini, un moment clé et révélateur pour les artistes fut la découverte du micro-contrôleur open source Arduino, omniprésent dans les fablabs. “C’est le moment où l’on s’est aperçu, en tant qu’artiste, qu’on ne pouvait pas se satisfaire de n’être que dans le code, aussi open soit-il. On a eu besoin de rouvrir la boîte noire matérielle, la boîte noire qui opère, c’est-à-dire l’ordinateur. Cette reprise en main de l’électronique et du matériel est un moment-clé, celui où les artistes sont sortis de l’idée d’un software art ou d’un art multimédia comme on disait il y a quinze ou vingt ans. Il ne s’agit plus simplement de combiner des médias entre eux, mais d’avoir la main dessus.” Un point de vue partagé par Thomas Pachoud : “Les dispositifs physiques sont au cœur de ma recherche artistique. Pour obtenir des images, transformer la lumière, ou créer du mouvement, le numérique ne peut pas atteindre la qualité d’un dispositif réel. Il y a dans les dispositifs physiques une petite faille aléatoire, des micro-variations organiques de textures ou de mouvements que l’on perd lors du passage au numérique, car malgré les algorithmes, il n’existe pas de véritable aléatoire”. Avec son nouveau projet chorégraphique, provisoirement intitulé Matière, Thomas Pachoud entend bien aller creuser du côté de ces transformations. Pour cette production d’envergure prévue pour 2020, il développe des prototypes de microscopes à projection pour travailler la lumière et mettre en forme la matière. “Avec Hyperlight (une installation interactive lumineuse et sonore), je me suis intéressé à l’impact direct du son sur la lumière. Ici, l’idée est de montrer comment, à travers des dispositifs physiques, on peut projeter directement de la matière et non plus de la vidéo. En sortant de la froideur du numérique, ces dispositifs réels redonnent de l’émotion au spectateur.”


Matière, ©Thomas Pachoud - Photo © Ikari 2016 / Ascension, ©Thomas Pachoud - Photo © Ikari 2016

Article rédigé par Carine Claude.

 

Article publié dans la Revue AS - Actualité de la Scénographie N°214 – septembre 2017
Le Laboratoire Arts & Technologies de Stereolux s’associe avec les Éditions AS (Actualités de la scénographie) pour une série d'articles consacrés aux technologies numériques, à l'art et au design. L'occasion de partager un point de vue original et documenté sur le futur des pratiques artistiques, en particulier dans le champ du spectacle vivant.

Retour sur : l'atelier Artefact 3D

Publié le 17/08/2017

Depuis 2012, le service action culturelle de Stereolux propose des ateliers de création et de pratique numérique spécialement imaginés pour les retraités. Encadrés par des artistes confirmés de la vidéo, de la photographie ou du multimédia, les participants explorent différentes techniques et logiciels pour créer une œuvre collective. Leurs créations ont tantôt pris la forme d’installation vidéo et sonore, tantôt la forme de documentaire.

En mai 2017,  cinq retraités sont partis à la découverte des logiciels de création 3D interactifs. Pendant cinq journées d'atelier à Stereolux, Mickaël Lafontaine et Zaki Jawhari, deux spécialistes confirmés dans le domaine de l’univers 3D, leur ont transmis leur art et leur savoir avec passion. Prise de photographie d’objets, scan en 3D, retouche d’image et animation, découvrez leur réalisation en vidéo.

 

Les intervenants artistiques :

Zaki Jawhariartiste art numérique et architecte, créateur de la société Urbandrone Design

Mickaël Lafontaineartiste franco-canadien d’art numérique.

Histoires Connectées

Publié le 20/06/2017

C’est une belle aventure que propose le projet Histoires Connectées. Tout au long de l’année scolaire 2016-2017, les Rennais d’Electroni[K] à Rennes et Stereolux ont collaboré pour faire participer 74 élèves d’élémentaires à des ateliers de création de contes interactifs.

Les élèves de Trégain à Rennes (deux classes de CM1-CM2) et de Lucie Aubrac à Nantes (une classe de CE1) ont plongé au plus profond de leur imagination pour créer des histoires totalement folles ! Au cours de plusieurs ateliers, ils ont élaboré progressivement un projet commun, aidés par l’auteure de littérature jeunesse Coline Pierré, leurs enseignants et des professionnels du numérique.

Le principe est simple, fabriquer des histoires avec les quatre ingrédients indispensables à toute bonne narration : un univers, un héros, un personnage secondaire et un objet.

Les voix des élèves sont enregistrées grâce à Lunii, un outil numérique surprenant permettant de mélanger le tout pour donner lieu à 54 histoires combinatoires plus loufoques les unes que les autres ! On ajoute à cela une pincée d’ambiance sonore et d’illustrations faites sur tablette numérique et le tour est joué. Des étudiants d’Epitech à Rennes se sont chargés ensuite de publier tous ces contenus sur un site internet
Ainsi, chacun sera libre d’inventer ses propres histoires !

« Histoires Connectées » est une expérience qui place les enfants dans le processus de création d’un projet collectif. De l’écriture à la sonorisation en passant par le dessin, ils réunissent avec brio toutes les compétences scolaires déjà acquises tout en découvrant de nouveaux horizons.

Le projet a été restitué le 11 mai 2017 à Rennes, ainsi que le 16 juin dernier à Stereolux.