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Textiles Critiques, l’innovation technologique sous l’angle des enjeux sociaux.

PRÉSENTATION DU CONTEXTE DU WORKSHOP

Animé par Bastien Kerspern, designer et cofondateur du studio Design Friction, l’atelier “Textiles Critiques” proposait aux participants d’envisager l’innovation technologique sous l’angle des enjeux sociaux qui y sont directement et indirectement liés. L’atelier était l’occasion d’explorer les zones grises des textiles intelligents et des wearables dans un possible futur proche: comment les controverses actuelles auront disparu ou seront largement acceptées, quels scénarios de vie prospectifs, mais banals peuvent en ressortir ? Parmi les points de friction mis en tension au cours de l’atelier, on retrouve les débats liés au couple vie privée et surveillance, à l’accès à l’innovation pour tous et la dualité entre assistance et dépendance aux technologies. En fil rouge, c’est une ouverture sur la question du solutionnisme technologique tel que décrit par Evgeny Morozov, une croyance dans la capacité des technologies à résoudre nos problèmes sociétaux.

DÉMARCHE ET POSTURE DU WORKSHOP

Sur près de trois heures, l’atelier a demandé aux participants d’adopter une posture singulière, en se basant sur une méthodologie critique et spéculative. Les participants se sont vus assignés la mission d’imaginer le glissement des promesses insufflées par les promoteurs des textiles intelligents sur leur bien-fondé vers des comportements déviants et des conséquences insidieuses. En extrapolant des signaux faibles, l’atelier s’est articulé autour d’usage quotidien des wearables pensés sous l’influence de nouvelles normes sociotechnologiques, avec ses détournements et ses abus. Cette approche revient en quelque sorte à construire demain pour mieux réfléchir à ce qui est déjà l’œuvre tacitement aujourd’hui. En combinant différentes cartes stimulatrices d’imaginaires (technologies, contexte et publics), la consigne de l’atelier était de prototyper des objets critiques qui questionnent les enjeux éthiques liés aux textiles intelligents à travers deux contextes: la marginalisation sociale et le précariat.


THÉMATIQUE #1: TEXTILES INTELLIGENTS ET MARGINALISATION SOCIALE

Le vêtement a toujours eu une fonction sociale et son caractère connecté et intelligent ne pourra lui éviter les questions récurrentes de conformité ou de marginalisation. Quel impact en matière d’inclusion ou d’exclusion peut avoir le textile intelligent, et les wearable qui en découlent, sur des publics marginalisés ou invisibles ? Quelles formes de marginalisation pourraient apparaitre ou disparaître ? Le premier groupe a donc imaginé un t-shirt avec des propriétés de régulation thermique s’adaptant selon les saisons: réchauffant son porteur l’hiver et le rafraichissant l’été. Ce vêtement se destine en premier lieu aux sans-domiciles fixes et l’objectif affiché par ses promoteurs, organismes publics en tête est clair: rendre la vie dans la rue plus supportable. Cependant, ce wearable embarque également des fonctions cachées telles que le suivi des signaux vitaux de la personne et sa géolocalisation en temps réel. Certains y verront un “flicage” des SDF lorsque d’autres y verront un moyen d’aiguiller les maraudes vers des individus en difficultés. Le t-shirt est de même capable de libérer des phéromones apaisantes micro-encapsulées dans le t-shirt afin de calmer son porteur et éviter ainsi des bagarres de rues ou des comportements jugés déviants. In fine, le tissu intelligent devient un moyen de maîtriser le comportement social d’une population mise à la marge de la société. Ce produit critique soulève un paradoxe particulièrement intéressant puisque les textiles intelligents sont au final utilisés ici pour maintenir l’individu de la rue au lieu de l’en sortir.

 

 THÉMATIQUE #2: PRÉCARIAT

Le monde professionnel connaît à la fois des mutations de l’emploi avec le recul du salariat et la multiplication des mini-jobs. En conséquence, il se met à l’heure des techniques émergentes de management faisant appel à la donnée et aux capteurs. Comment les textiles intelligents viennent appuyer ou réduire l’émergence de nouvelles formes de précariat ? Seront-ils des outils d’assistance pour les travailleurs précaires ou des dispositifs d’asservissement ?

Le second groupe a abordé la question du précariat sous l’angle du travail des femmes dans des secteurs à fort turn-over, en prenant le cas d’une serveuse enceinte. La tenue de travail, fournie par des syndicats, propose de dissimuler la grossesse au manager et aux clients. Par un subtil jeu d’optique, basé sur les travaux de cape d’invisibilité, la silhouette se trouve alors affinée. Afin que l’illusion soit complète, le textile de la tenue fonctionne comme un exosquelette qui vient compenser les faiblesses et limites de mouvements de la personne enceinte. La tenue embarque également des capteurs qui fonctionnent sur le principe de la mémoire gestuelle, enregistrant les mouvements et les savoir-faire de la serveuse.

Lors du son congé maternité, ces derniers pourront alors être transmis à sa successeuse en ajustant et corrigeant à la volée les mouvements de celle- ci, lorsqu’il s’agit de porter un plateau vide par exemple. Ce faisant, l’employeur évite ainsi les temps de formation pour sa nouvelle recrue. Entre non-dit et tromperie, le scénario envisage aussi des possibilités de détournement de la tenue intelligente où cette dernière peut être piratée afin d’extraire et revendre des savoir-faire gestuels particuliers.

 

À RETENIR DU WORKSHOP

Nous retiendrons de ce workshop des échanges construits et une belle collaboration entre tous les savoirs des participants, visiblement très intéressés par cette démarche critique. À noter également, les scénarios explorant une nouvelle normalité et allant plus loin que les promesses léchées des startups pour réinventer la quotidienneté des wearables. L’atelier était aussi une parenthèse pour réfléchir, que l’on soit créateur ou consommateur, à nos choix en matière de technologies et leurs impacts au-delà de ce qui est visible et immédiat. Au final, quand bien même, la posture spéculative des participants s’est révélée être une approche curieuse, mais pertinente pour découvrir des opportunités d’innovation inattendues.