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SCOPITONE I SUR LES PAS DE RODEO RANGER (INTERVIEW)

Arts numériques Musique Publié le 12/09/2018

Dans un contexte actuel où la question des réfugiés est au coeur des débats internationaux mais aussi locaux, nous avons rencontré Emmanuel Mailly et Elie Blanchard, réalisateurs d'un photo-concert poignant retrançant le parcours de deux jeunes réfugiés guinéens. Histoires, créations sur scène et questionnements soulevés, voici un aperçu de la richesse de Rodeo Ranger, à ne pas manquer mercredi 19 sept. à la Maison des Arts de St-Herblain.

Vous avez rencontré une dizaine de réfugiés qui ont témoigné de leur parcours, comment vous êtes vous emparés de ces témoignages pour en faire le point de départ de Rodeo Ranger ?

En 2015, à Chauny, dans l'Aisne, l'hôtel Le Picardie loge une dizaine de Mineurs Isolés Etrangers, des garçons d'une même tranche d'âge 15-17 ans.  Lorsque nous les rencontrons, cela fait des mois qu'ils attendent d'être scolarisés. La plupart sont Maliens, deux proviennent de Guinée Conakri : Thierno et Mamadou. Ils nous livrent rapidement leurs histoires et nous décidons communément de les porter sous la forme d'un "photo-concert".

Le témoignage de ces deux jeunes Guinéens bâtit la trame narrative du spectacle. Le sous-titre "fragments d'une traversée" porte l'idée que nous n'allons pas les rapporter de manière chronologique et documentée, comme un documentaire ou un biopic, mais sous la forme d'une succession de tableaux redonnant la sensations aux spectateurs d'être eux-mêmes plongés au cœur du parcours des réfugiés subsahariens et de vivre leurs choix.

Comment avez-vous rassemblé et fabriqué les images du film ? Comme chaque présentation est différente, comment écrivez-vous la narration en direct sur scène ? Comment synchronisez-vous images et sons ?

Co-écrit avec Thierno et Mamadou, RodeoRanger nécessite des jours de tournage. Les adolescents souhaitaient que des scènes figurent dans le spectacle. Citons, par exemple, la traversée de la Méditerranée. Nous avons passé quelques journées en Bretagne pour "revivre" les scènes de noyades, le bateau de Mamadou s'étant retourné, il en est un des rares survivants. A l'époque, il tentera avec succès, une deuxième traversée. Thierno et Mamadou ont plongé dans l'eau le matin, le soir, Elie en a tiré une série de photos qu'il manipule en direct sur scène face à une caméra.

Ce procédé d'écriture a produit quelques milliers de photos dont environ 700 sont manipulées live durant le spectacle.
En ce qui concerne le jeu : nous nous adaptons à l'âge du public, nous n'appuierons pas de la même manière sur les passages très stressant d'une traversée. Depuis sa création, le spectacle évolue, la musique en particulier : plus de deux heures ont été écrites pour n'en tirer que 45 Minutes et certaines parties changent encore. Lors de la dernière tournée estivale, Emmanuel a re-ecrit le dernier quart d'heure suite à des considérations artistiques ou à des retours du public.

La synchronisation Image-Son se fait de manière très simple : des photos clé indiquent à Emmanuel l'annonce de changement de tableau, ça s'est pour le côté formel de la synchronisation. Ensuite tout au long du spectacle, c'est un échange permanent entre Élie et Emmanuel, lequel a conçu la musique de Rodeo Ranger comme une bande son rock très narrative. Certaines pistes sonores sont plus à ranger du côté de la musique bruitiste expérimentale si on les écoute hors contexte mais servent l'image par l'émotion qu'elle tente de dégager en live.

 

Cette performance à une résonance toute particulière en ce moment à Nantes. À la découverte de ces “Fragments d’une traversé” quelles réactions du public avez-vous pu observées ? Quels questionnements sont le plus souvent soulevés ?

Après le spectacle, il y a toujours une discussion en bord de scène avec le public quelqu'il soit. Un public de collégiens - lycéens va s'identifier automatiquement à Thierno et Mamadou. C'est l'occasion de leur rappeler qu'être né Français garantit une très grande liberté de circulation hors de France mais aussi et surtout, que nous avons un confort de vie élevé par rapport à d'autres. Les études de Thierno et de Mamadou ( mais aussi des autres jeunes ) sont source de questions : l'un est en école d'ingénieur à Paris, l'autre étudie l'histoire-geographie afin de l'enseigner.
Le fait d'être venu sans famille, seul, soulève des questions plus pratiques : se loger, se soigner, se divertir, comment financer ? Qui finance ? C'est l'occasion de rappeler les conventions internationales et le délicat passage à la majorité.

Les élèves d'écoles primaires seront plus attachés à l'éloignement de la famille et du pourquoi. Les adultes poseront davantage de questions sur la prise en charge.
Sur le spectacle en lui-même, le public a maintenant l'habitude de voir des musiciens se sampler en direct, beaucoup moins des artistes visuels. Élie remporte la palme des questions posées sur sa pratique : le procédé, où ont été prises les photos, pourquoi des photos, est-ce la première fois qu'il utilise ce dispositif, etc,..