Logo Stereolux

Martin Messier & Anne Thériault frappent fort avec Con grazia (interview)

Arts numériques Danse Publié le 07/11/2018

Détruire, oui, mais avec grâce. Tel semble être le mot d’ordre que se sont donnés les virtuoses touche-à-tout Martin Messier (arts sonores et arts numériques) et Anne Thériault (chorégraphie, performance). Plus qu’un spectacle de danse, cette performance chorégraphiée propose une orchestration hypnotique et menaçante. Avant de libérer le primitif mais jouissif appétit de destruction qui est en vous, retour sur ce chaos organisé. 

Pourquoi avoir choisi de placer les objets et non les corps au coeur de cette performance chorégraphique ? 

Avec le recul, nous aurions tendance à dire que ce n’est pas tout l’un ou tout l’autre. Il y a dans la forme de ce spectacle une courbe très dynamique dépendamment des sections, un changement de perspective d’une scène à l’autre. L'exercice fut stimulant de penser à inverser les rôles entre corps et objets. Comme on utilise à certains moments de vieux objets, vestiges d’un autre temps, on a voulu les valoriser, qu’ils deviennent les acteurs principaux du spectacle en les mettant à l’avant-plan. En les détournant de leur fonction première, on leur a donné une seconde vie.

On affectionne tous dans notre quotidien certains objets. Nous trouvions intéressant d’utiliser ces objets dans un autre contexte, celui du spectacle vivant et ainsi de voir comment ils nous influençaient et comment pouvions-nous leur donner une autre raison d’être. On a donc voulu leur faire vivre quelque chose. Et ce n’est pas parce qu’ils sont parfois à l’avant-plan que le travail du corps n’a pas été réfléchi. Le corps, par exemple, lorsque des objets explosent, se retrouve souvent dans un état qui serait difficile à recréer s’il n’y avait pas eu un réel affect auparavant. 
 


Comment avez-vous travaillé avec ces objets (sélection, travail de la matière, du son) ? 

On a fait l’inventaire des objets qui nous semblaient intéressants à manipuler, à détruire et d'imaginer ce que serait leur fin de vie. On s’est rapidement mis à faire des classements : matière non organique,  organique, couleur, forme, réflexion lumineuse, odeur, douceur, mémoire.

Mais plus encore, on a aussi réalisé que l’objet de destruction nous intéressait tout autant à cause de ce qu’il évoquait, de son côté menaçant par exemple. En studio, on a donc laissé tomber notre retenue et on a tout cassé ! Mais on s’est aussi rapidement rendu compte que le plaisir était bien moins libérateur que nous l’espérions. Nous avons un contrôle très relatif face aux objets, à leur résistance. Finalement, c’est souvent décevant…par exemple, une tomate n’explose pas et ne gicle pas partout quand on la frappe très fort. 
 

 
 

Vous avez nommé cet “hymne à l’agonie du monde matériel” “Con Grazia”, pour quelle(s) raison(s) et comment transmettez-vous cette “grâce” dans la destruction matérielle ?

L’idée de départ de ce projet était de faire de la musique en frappant, en détruisant et en libérant une méga dose d'énergie brute. On avait envie de travailler à partir de ce choc et de l’impulsion naturelle de casser les choses. Il y a un désir irrationnel et primitif dans l’envie de détruire — celui-là même qui donnerait parfois envie de jeter son ordinateur par la fenêtre, par exemple.

Toutefois, nous nous sommes vite rendus compte que la démolition de l’objet avait ses limites. Même les sons produits finissaient par nous agresser. L’amplification était presque insupportable ! Nous avons donc déplacé notre attention vers des phénomènes plus subtils : la vibration de l’objet — entre autres à l’aide de basses fréquences — et le moment de tension avant le fracas de l’objet. Finalement, c’est la vie de l’objet au seuil de sa mort qui nous a touchés. Ils ont une vie que nous ne soupçonnions pas. Et le processus qui mène à la démolition est une autre manière de donner vie au monde matériel, d’honorer  en quelque sorte ces objets, de les mettre en spectacle et de les voir mourir avec grâce.