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Les solutions DIY de Dasha Ilina pour "duper le numérique" - interview

Labo Arts & Techs Publié le 25/11/2019

Artiste activiste russe installée à Paris, Dasha Ilina aborde aussi bien les thèmes de cyberféminisme, de cybersurveillance que de dépendence à nos appareils numériques. Elle imagine et bricole des solutions DIY (do it yourself) aussi pratiques qu'absurdes pour répondre aux problèmes causés par les nouvelles technologies qu'elle présente sous forme de tutos vidéo, d'ateliers, de conférences et d'expositions.
Après avoir participé récemment à l'exposition Computer Grrrls à la Gaïté Lyrique (Paris), c'est à Stereolux qu'on la retrouve le temps de la journée thématique "Duper le numérique : brouiller, embrouiller, se débrouiller"



Quel est votre rapport à la technologie au quotidien ?

Celui de quelqu'un qui ne se rappelle pas vraiment du monde avant Internet !
J'ai grandi entourée d'appareils hi-tech, qui font complètement partie de ma vie à tel point que je ne peux pas imaginer vivre sans eux.
J'essaie quelques fois de sortir de chez moi sans mon téléphone pour ne pas être dessus tout le temps. Cette dépendance au portable, que je remarque et qui devient très sérieuse depuis quelques années, est ce qui m'a ammenée à travailler sur mon projet le plus récent - Center for Technological Pain.

  

Avec ce projet, je propose des solutions DIY aux problèmes de santé provoqués par la technologie, comme la sécheresse des yeux, les douleurs au cou, au doigt... Travailler sur ce projet et faire des recherches dessus m'a permis d'être plus consciente de la façon dont j'utilise la technologie.
Concernant la confidentialité ou les données personnelles, je m'appuie sur des connaissances antérieures et des recherches externes. J'essaie d'être plus prudente avec mes données personnelles, mais je sais que je pourrais sans doute l'être encore plus. 
 

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Pourquoi avez-vous voulu travailler sur le détournement de la technologie ?

Je pense qu'à notre époque il est important de critiquer la technologie. C'est tellement facile d'être technopositif parce qu'il n'y a pas besoin de faire des recherches pour en être, les informations qui placent la technologie sur un piédestal sont très accessibles et présentes dans les médias. Mais quand il s'agit de critiquer la technologie, il faut réellement faire des recherches pour comprendre, par exemple, de quelles manières nous sommes trackés. C'est pourquoi je pense que c'est très important de créer des projets artistiques qui explorent les effets nuisibles ou les différents problèmes qui découlent de la technologie.

 

Comment sont reçues les solutions DIY que vous imaginées, par le public et les professionnels du numérique ? 

Mon approche pour créer des solutions DIY n'a toujours été qu'à moitié serieuse donc je trouve toujours cela drôle de voir ce que les autres pensent de mon projet !
Je raconte toujours aux gens que mes solutions sont réelles et qu'elles aident pour les problèmes qui les concernent, mais en même temps elles créent dix nouveaux problèmes parce que ces solutions sont supposées être ironiques et humoristiques. Mon intention est d'aborder les problèmes d'addiction à la technologie d'une façon accessible à toutes et à tous. Quelques fois les gens me demandent si j'ai une diplôme médical, parce qu'ils tombent dans le piège quand je présente le projet d'une manière professionnelle. Ces moment sont toujours les plus drôles parce qu'ils signifient que je vends ces fausses solutions comme une vraie entrepreneure ! Ce qui est absurde mais pas impossible j'imagine. 

 

D'après vous, quel rôle peut jouer l'artiste numérique aujourd'hui ? 

Je pense qu'être artiste numérique est important aujourd'hui et revient à la question de travailler sur le détournement du numérique, car, comme je le disais plus tôt, je pense que c'est primordial de proposer des alterntatives aux scénarios technopositifs qui nous sont fournis par les médias, souvent même par ceux qui sont supposés critiquer la technologie. 
Mais je pense aussi que le rôle de l'artiste numérique est difficile car il veut communiquer à une audience aussi large que possible mais il est très difficile de toucher un large public, et c'est là que résident beaucoup de difficultés. Je pense que maintenant, la majorité du public se sent plus à l'aise avec la technologie, comme la réalité virtuelle. Les gens sont aussi plus ou moins au courant des problèmes de confidentialité avec les téléphones portables et les ordinateurs. Il appartient aux artistes numériques d'inclure le grand public dans le débat sur la technologie.
 

 



Qu'est-ce que le fait même d'imaginer détourner la machine raconte sur notre rapport à celle-ci ? 

Chacun.e a une relation différente aux machines et à la technologie en général mais je pense que beaucoup de gens oublient que même la plus intelligente des intelligences artificielles n'a pas la même capacité émotionnelle que les humains, et ne l'aura (probablement) jamais. Un ordinateur peut battre un humain à un jeu d'échecs mais il ne sera pas capable de partager son intelligence émotionnelle.
Mais bien sûr beaucoup de gens sont fascinés par les technologies émergentes, on peut le voir avec le robot Sophia. Quand je suis allée à un festival sur la robotique, la conférence donnée par ce robot a attiré énormément de monde, tellement que les gens ne pouvaient plus rentrer dans la pièce, ce qui n'a jamais été le cas sur les autres conférences avec des présentateurs humains. Pourtant, cette conférence par un robot était beaucoup moins intéressante que d'autres données par des humains. Mais même la conversation la plus basique avec un robot est dix fois plus excitante qu'une conversation intelligente avec un humain. 


Observez-vous une évolution de la place des femmes dans le numérique ? 

Oui en effet. Je pense que les gens deviennent beaucoup plus conscients des inégalités dans le secteur de la technologie, ce qui est définitivement une bonne chose. Je pense que c'est vraiment bien que plus de femmes soient incluses, j'espère juste que cela se produit pour les bonnes raisons et pas seulement pour remplir un quota.
Je suis aussi contente de voir qu'avec des femmes comme Claire L. Evans et son livre Broad Band  à propos de l'histoire oubliée des femmes dans la technologie, celles-ci soient enfin reconnues pour leurs contributions aux avancées technologiques, même avec un peu de retard.
ependant on ne peut pas non plus dire que tout va pour le mieux, par exemple cela n'empêche pas les gens de demander à une artiste numérique - en doutant de sa capacité donc - si elle a elle-même codé son propre projet ou si elle a elle-même assemblé les panneaux à LED...