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Les arts numériques dans la ville - Interview des artistes lauréats de l'appel à projets

Arts numériques Labo Arts & Techs Publié le 03/04/2019

Stereolux et JCDecaux, en lien avec Nantes Métropole, ont lancé, en septembre dernier, un appel à projets international intitulé "Art numérique & mobilier urbain". Celui-ci visait à sélectionner deux propositions artistiques intégrant une oeuvre dans des mobiliers urbains pourvus d'écrans interactifs. Sélectionnés fin novembre dernier, les deux lauréats, Scenocosme et Screen Club & Superscript², ont depuis travaillé sur leur projet en relation avec les équipes de recherche de JCDecaux. À quelques jours de l'exposition des deux oeuvres sur des bornes numériques dans la ville de Nantes (du 8 avril au 12 mai), les artistes reviennent sur cette expérience inédite. 

 

Pouvez-vous présenter votre projet en quelques mots ?

Scenocosme : Dans l’espace public, cette oeuvre interactive video et sonore cherche à créer un lien entre le personnage fictif Otto Ecce et les passants.
"Otto Ecce" est un avatar enfermé dans le cadre de son image dans une borne dans l'espace public. Il souhaite se faire prendre en photo pour exister sur les réseaux sociaux, et ainsi sortir de sa condition. Il cherche à créer des liens avec les passants. Les interactions qu'il propose permettent de lui donner une existence. Il souhaite gagner progressivement une reconnaissance sociale pour s'échapper de son cadre de vie originel. Otto Ecce devient aussi un ami fictif en commun de personnes qui ne se connaissent pas.
Il met alors en oeuvre des stratégies pour attirer son public en interpellant les passants lorsqu’il s’approche de lui, à les faire sourire pour engager une conversation, jusqu'à les convaincre de le prendre en photo.
 

 

Screen Club & Superscript² : Le projet émane d’une collaboration entre un graphiste et un développeur. Fascinés par les liens entre ces deux mondes, nous avons voulu initier un travail d’expérimentations formelles et interactives, en ayant comme base des algorithmes et techniques de programmation utilisés depuis des années dans le monde du computer graphic. Ces recherches ont donné naissance à une douzaine de “tableaux” interactifs et dynamiques, destinés à s’insérer dans l’espace urbain, et dont la forme évolue selon les flux et mouvements des passants.
 

 

 

CommeNT se déroulent les différentes étapes de travail ?

Scenocosme : Pour réaliser cette œuvre nous avons réparti le projet en différentes étapes de travail. Il y a eu des temps d'écriture, de réflexion et de captations filmées avec le comédien dans un espace de notre atelier propice à l'enregistrement sonore et vidéo. Il y a ensuite eu des étapes de montages vidéo et d'élaboration de scénarios logiciels. Nous sommes ensuite allés plusieurs jours dans les locaux de JCDecaux pour travailler avec le vrai dispositif technique de la borne et les capteurs particuliers de ce projet. Ce travail nous a permis d'affiner les différentes réponses logicielles de l’œuvre.
 

 

Screen Club & Superscript² : La première étape a été de lister les algorithmes et techniques qui nous intéressent. Nous avons commencé par recueillir et re-coder certaines d’entre elles (Vector fields, particules, physique, morphing, noise, courbes d’easing... ), et en parallèle nous sommes également aller voir du côté des pionniers du Computer art (George Nees, Manfred Mohr, Roger Vilder, Zdenek Sykora, Manuel Barbadillo).
Ensuite, nous sommes partis sur différentes expérimentations avec pour chacune le même principe : chaque tableau doit illustrer un algorithme à la fois, avec une interaction extrêmement simple. Nous avons ensuite choisi ceux qui nous paraissaient les plus intéressants et cohérents par rapport au propos.
Il y a bien entendu tout un travail de conception technique en relation avec l’équipe de JCDecaux, afin de pouvoir matérialiser ces visuels sur  la borne et les faire interagir avec les différents capteurs.
 

  

 

Quelles sont les particularités de travailler dans le cadre de ce projet lancé par JCDecaux et Stereolux, en lien avec Nantes Métropole ?

Scenocosme : La collaboration avec les équipes de recherche de l'entreprise a été très fluide et enrichissante. Il a été aisé et agréable de pouvoir avancer tous ensemble sur le projet et trouver des solutions aux difficultés et contraintes techniques qu'impose ce type de dispositif, très contrôlé et cadré pour l'espace public.

Screen Club & Superscript² : Il y a effectivement plusieurs acteurs dans ce projet, et naturellement les projections de chacun ne vont pas être tout à fait identiques – c’est ça qui rend la démarche intéressante. Au centre d’une conversation entre la ville, un industriel et un diffuseur / producteur artistique, on essaie de porter un propos singulier autour d’un univers qui nous tient à cœur, tout en ayant conscience des enjeux de chacun et ce que fait chaque acteur de manière réciproque avec nous. C’est très enrichissant comme processus.
 

Quelles réactions attendez-vous de la part des passants ?

Scenocosme : Au sein de cette oeuvre comportementale, le personnage Otto Ecce cherche à mettre en scène les passants dans l’espace public en créant des situations imprévisibles. Le personnage vidéo de l’oeuvre va tenter de troubler le visiteur par des questions inattendues, décalées. Il s’agit ici de renverser la situation. De proposer à l’image virtuelle d’avoir une action sur le visiteur, de le mettre en scène et de l’inviter à modifier son comportement dans le monde physique. A l’inverse des avatars domestiques des logiciels assistants, le personnage virtuel de cette oeuvre n’est pas présent pour servir le spectateur mais au contraire pour provoquer des comportements chez ce dernier. Nous attendons donc que les passants se laissent convaincre pour l'écouter, lui répondre, engager des sourires, mais aussi rire, se recoiffer, faire des pas de danse, revenir avec du monde et le prendre en photo afin de contribuer à sa reconnaissance sur les réseaux sociaux.

Screen Club & Superscript² : Il n’y pas d’attente particulière ! C’est un projet assez contemplatif. On espère cependant que cela aura une résonnance positive dans l’espace urbain et que le public nantais prendra plaisir à interagir avec les différents tableaux proposés.
 

D’après-vous, en quoi les arts numériques ont-ils un rôle à jouer dans la réinvention de la ville ? Pensez-vous que l’intégration des arts numériques dans le paysage urbain tend à se développer ?

Scenocosme : Dans nos créations, nous interrogeons la place de la technologie dans nos rapports humains, la manière dont elle s’immisce dans notre quotidien, au point d’en devenir incontournable et invisible. Au regard de notre démarche artistique, nous pensons que le détournement des outils technologiques peut contribuer à la réalisation d'œuvres capables de créer des liens et des espaces de rencontres physiques singuliers dans les espaces urbains. L'enjeu de notre travail artistique se situe en effet dans la création d'œuvres interactives capables de proposer de nouvelles possibilités de rencontres, de dessiner des relations sensibles capables d’augmenter nos sens et nos perceptions.
 


 

Screen Club & Superscript² : La ville en soi a toujours été un foyer très fertile pour les artistes, on retrouve ça dans les arts numériques avec des initiatives telles le Graffiti Research Lab, anciennement FFFAT ou bien d’autres. Cela ne peut qu’évoluer de manière exponentielle, avec l'accès aux nouvelles technologies et les communautés opensource. Cependant, ce type de projets est bien souvent soumis à diverses contraintes fortes inhérentes à l’espace urbain et c’est en cela qu’il est nécessaire d’avoir des événements ou interlocuteurs qui permettent la réalisation de ces idées.