Logo Stereolux

Design graphique et intelligence artificielle : vers un design algorithmique?

Design graphique et intelligence artificielle : vers un design algorithmique?

Le studio de design graphique, typographique et interactif Chevalvert est à l’origine de l’identité visuelle du cycle que le Labo Arts & Techs de Stereolux consacre cet automne à l’intelligence artificielle (IA).

 

Nous leur avons posé quelques questions sur leur démarche expérimentale pour chercher à comprendre quels pouvaient être les liens existants ou à venir entre le design graphique et une IA.

Cet entretien est aussi un prélude au workshop Machine Jacking que Chevalvert animera sur cette thématique.
 

Quelle est la place de l'algorithme et de l'aléatoire dans la création de l'identité du cycle sur l'IA? S'agit-il vraiment d'une IA?

Il ne s'agit pas d’IA à proprement parler mais plutôt d’une déambulation aléatoire sur un territoire graphique. Concrètement, un territoire graphique a été mis en place à l'aide des règles inspirées de l'IA, des cadrages subjectifs ont ensuite été fait par l'humain. Nous n’avons pas permis (cette fois-ci) à la machine d’effectuer une création visuelle originale, mais simplement d’en parcourir la surface avec certaines règles. L’idée était de se mettre “dans la peau” d’une IA. Une démarche plus proche du Conditional Design ou de l'OULIPO que du logiciel-boîte-noire.

Quels sont les outils de développement (logiciels) qu'un designer graphique utilise lorsqu'il s'inscrit dans une telle démarche? Est-ce qu'ils réclament les mêmes compétences que ceux qu’il utilise habituellement ?

Nous allons justement mener un workshop à Stereolux sur cette question. L’idée de Machine Jacking (c’est le nom du workshop) est de détourner, hacker, jacker des IA afin de les utiliser comme un outil de génération graphique pour générer quelque chose de différent de ce pour quoi elles ont été prévues et programmées. Nous ne sommes pas ingénieurs mais en tant que designers, nous allons nous intéresser à certains scripts, qui représentent l’outil technique principal associé à une démarche de conception utilisant l’IA. Siri, les chatbots, OCR sont autant de briques logiciels qui peuvent être associées et détournées pour permettre aux concepteurs graphiques de se réapproprier un processus lié à une IA.


Comment dialoguent les outils de création graphique traditionnels (photoshop, Indesign...) et ces lignes de code ?

Actuellement, les outils de création graphique ne facilitent pas encore pleinement le dialogue avec des processus d’IA. Ces logiciels comportent bien des “portes d’entrées” pour intégrer des flux XML ou exécuter des scripts sur de multiples images mais ils ne permettent pas de concevoir facilement des processus associés directement à une IA.

Dans le domaine de la création, les démarches liées à l’lA vont pousser le designer à aborder une création comme l’écriture d’une série d’étapes et de traitements d’informations débouchant sur un résultat visuel, physique ou spatial.

Aujourd’hui, des interfaces de création par le code (Processing par exemple) permettent de mettre en place des démarches de conception originales pouvant déboucher sur la création d’illustrations d’une extrême complexité comme sur la production de mise en page générative.

Ce type de processus de création programmé permet parfois de gagner un temps considérable mais ouvre aussi la possibilité d’être confronté à l’erreur. En effet, le résultat est parfois celui que l’on imaginait, parfois pas tout à fait, et c’est souvent intéressant. Le tout est de tenter de garder le contrôle sans se faire happer par la puissance technique.

Historiquement, la relation que le créateur a entretenu avec son outil s’est continuellement transformée. L’IA semble être la prochaine évolution dans l’histoire entre les créateurs visuels et leurs outils. Après les outils d’écriture (plume, stylo, feutre…), les procédés d’imprimerie et  les logiciels de créations graphiques (CAO).

Cette démarche expérimentale annonce-t-elle des changements profonds dans les métiers de la création graphique où l'IA supplanterait les designers et leur palette graphique ?

Les métiers de la création furent bouleversés au moment de l’apparition de l’outil informatique. De nombreux métiers disparurent d’un coup car l’ordinateur offrait la possibilité de faire la même chose et beaucoup plus rapidement. On peut imaginer que l’IA produise le même phénomène. Toutefois, il faut rester prudent sur la place que l’IA aura dans les métiers de la création. Tout comme le code, elle deviendra un outil qu’on s’approprie, qu’on déforme, qu’on influence sans pour autant supplanter le concepteur et sa conscience. C’est en tout cas ce qu’il faut espérer

Politique fiction : dans ce contexte quel est le devenir des professions créatives ? Le chômage de masse ? Le remplacement des profils créatifs par les développeurs ?

Deux scénarios pourraient se produire. Dans le premier, les professions créatives garderaient le contrôle sur les IA et s’efforceraient (car ce sera un effort, il faut bien l’avouer) de ne pas leur laisser “faire le bon choix” sans esprit critique.

En cas de “laisser faire”, un deuxième scénario (catastrophe ?) est envisageable. Une IA pourrait “apprendre” une telle quantité d’informations sur le fonctionnement intellectuel et l’histoire des cultures esthétiques des êtres humains qu’elle se mettrait à créer ses propres éléments de fonctionnement (langage, structure de pensée…). Éléments que l’être humain serait incapable de discerner et/ou de comprendre mais qu’il trouverait fascinants. L’IA prendrait alors le meilleur sur l’humain et chercherait ensuite à le surpasser. La créativité biologique ne ferait alors plus le poids face à cette fulgurance technologique, et l’être humain se verrait contraint de simplement “nourrir” cette IA pour l’éternité. Mais là, on joue à se faire peur, non ?

Le studio Chevalvert animera le workshop Machine Jacking (design graphique et intelligence artificielle)
Jeudi 30/11 et vendredi 01/12
>> infos et réservation

POUR EN SAVOIR + SUR LES AUTRES ÉVÉNEMENTS DU CYCLE THÉMATIQUE :