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Traduire les phénomènes de domination entre les femmes et les hommes avec le collectif IAKERI (interview)

Arts numériques Publié le 23/02/2022
Imaginée et conçue par le collectif IAKERI, l'exposition MURS INVISIBLES sera présentée à Stereolux du 12 mars au 3 avril 2022. Cette installation évoque les inégalités et les rapports de domination entre les femmes et les hommes à partir de statistiques de genre projetées. Présentation de cette œuvre engagée par deux artistes du collectif, Alice Guerlot-Kourouklis (compositrice) et Aneymone Wilhelm (scénographe).

Avec MURS INVISIBLES, vous abordez un sujet important, celui des inégalités entre les femmes et les hommes. Comment l’évoquer artistiquement ?

ALICE : Notre premier défi était d’adopter une forme pertinente pour traduire ces inégalités et faits sociaux par le son. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi d’utiliser les écarts statistiques entre les femmes et les hommes. Cela permet de sculpter le son et la matière avec les données. Ces chiffres parlent d’une réalité en traduisant les phénomènes de domination entre les femmes et les hommes.
 
ANEYMONE : On voulait, à travers le travail plastique, donner une autre dimension au sujet. Organique et presque charnelle. Les mobiles conçus présentent un double aspect. La surface extérieure lisse sur laquelle les données projetées sont très lisibles, et l'intérieur plus organique qui suggère que derrière ces chiffres, des vies sont impactées. Leur forme évoquant des méduses est un clin d'œil à la figure mythologique de Méduse, qui pétrifie la personne qui croise son regard. Saisir le regard pour saisir le propos.

« Ces chiffres parlent d’une réalité en traduisant les phénomènes de domination entre les femmes et les hommes. »

Ces inégalités sont explorées sous la forme de tableaux : “Disparition”, “Écarts”, “Violence”. Pouvez-vous en dire plus ? 

ALICE : L’installation se structure en trois tableaux pour une durée totale de 20 minutes. Dans le tableau “Disparition” on évoque les phénomènes d’invisibilisation - c’est-à-dire comment les femmes sont occultées de l’histoire mais aussi dans la production de l’imaginaire actuel - et de la représentation au sein des instances culturelles et de pouvoir. Avec le tableau “Écarts”, la focale est mise sur les inégalités économiques et sociales, et de leurs conséquences. Parmi elles, les retraites entre femmes et hommes qui peuvent varier de 50% selon les tranches d'âge. Pour le tableau “Violence”, on parle des violences de genre, physiques, sexuelles, psychologiques, dans la sphère familiale, professionnelle ou celle des études.
 

© Conseil Départemental du Val d'Oise - photo - Catherine Brossais


Une composition sonore réalisée par vos soins accompagne ces tableaux…

ALICE : Toutes les statistiques projetées sont appuyées par un travail sonore. Cependant nous ne souhaitions pas associer un son à une donnée précise au risque de tomber dans un écueil esthétique qui nous aurait éloigné du sujet. On a préféré imaginer une détérioration générale du son, dans un style noise. Pour le tableau “Disparition” le son se dissipe et est dépouillé de sa substance. Pour “Écarts” le son est détérioré, abîmé. Pour “Violence” le son part d’une basse profonde puis tend progressivement vers les aiguës. 

 

D’où proviennent les statistiques que vous utilisez ? 

ALICE : Nos données proviennent d’enquêtes publiques et accessibles en ligne. Aujourd’hui il y a davantage de chiffres qu’il y a 5 ans. Par exemple, les Ministères publient maintenant des statistiques des secteurs d’activités sous leur tutelle. L’INSEE, l’ONU ou l’OCDE fournissent également beaucoup de données. À une échelle plus locale, les collectivités (Région, Département, Ville) et les acteur·trices de terrain publient également des rapports précieux. 

« Nos données proviennent d’enquêtes publiques et accessibles en ligne. Aujourd’hui il y a davantage de chiffres qu’il y a 5 ans. »

Certaines statistiques, notamment en ce qui concerne les violences, sont parfois plus difficiles à récupérer. Déjà parce que les études sont relativement récentes. Auparavant il y avait un manque d’intérêt des pouvoirs publics sur ces sujets. Ensuite parce qu’il faut une méthodologie poussée et adaptée pour obtenir des chiffres fidèles à la situation. Ce n’est pas un simple sondage, il y a des phénomènes d’autocensure de la part des femmes, par exemple au sujet du viol. Nous nous sommes donc appuyées sur l’enquête VIRAGE (Ined) de 2015 et 2020. Jimena Royo-Letelier, la troisième membre du collectif IAKERI, tient des tableaux extrêmement précis sur les sources des données et sur les méthodologies de ces études.
 

© Conseil Départemental du Val d'Oise - Capture d'écran vidéo - Catherine Brossais

 

Quelles ont été les réactions des visiteur·euses ? 

ANEYMONE : Il y a plusieurs attitudes. Celles et ceux qui passent du temps dans cette installation en ressortent ébranlé·es. Il y a certaines personnes en réaction, voire en opposition à l'œuvre. Par exemple, un homme nous a déjà dit que notre œuvre n’était pas assez poétique. Une remarque surréaliste par rapport au sujet abordé... La réaction des adolescent·es est aussi très intéressante car ils·elles sont souvent outré·es par ces chiffres. Cela montre d’ailleurs que les nouvelles générations avancent grâce aux efforts de sensibilisation.
 

© Conseil Départemental du Val d'Oise - photo - Catherine Brossais

 
Au bout du compte, qu’on soit encore peu au fait des inégalités entre les femmes et les hommes et des phénomènes de domination ou qu’on soit déjà sensibilisé·es à ces sujets, MURS INVISIBLES a le mérite de ne laisser personne indifférent. Signe incontestable que le collectif IAKERI réussit là un pari artistique à la hauteur des enjeux qu’il aborde.
 

Propos recueillis par Adrien Cornelissen  

 

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© Conseil Départemental du Val d'Oise - vidéo - Catherine Brossais