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Magie du dôme immersif : le spectacle en fulldome

Arts numériques Labo Arts & Techs Publié le 22/05/2018

La création en fulldome, ou “dôme géodésique immersif à 360°”, est en voie de popularisation. En proposant un nouvel environnement de diffusion, accompagné de technologies créatives innovantes, le fulldome offre une alternative aux systèmes immersifs traditionnels (casque de réalité virtuelle, white cube, …). C’est aussi le terrain d’expérimentation idéal d’un spectacle vivant en quête de renouvellement qui nécessite cependant d’être bien informé sur les challenges et les spécificités techniques inhérentes à cet espace scénographique plein de promesses, afin d’en révéler tout le potentiel spectaculaire.

 

Ces dernières années ont vu l’apparition et la multiplication de dispositifs immersifs à usage culturel. Casques de RV, salles blanches (white cube), scénographies à 360° ou encore installations participatives expérientielles dans lesquelles le spectateur devient acteur en s’immergeant dans l’œuvre, la notion d’immersion s’impose progressivement comme une évidence. Parallèlement, alors que les lieux de diffusion du spectacle vivant (théâtres, SMACs et Scènes nationales) investissent dans l’équipement numérique, des espaces jusqu’à présent réservés à un usage pédagogique deviennent de vrais territoires de l’expérience spectaculaire. C’est le cas de certains planétariums (nationaux et internationaux) ou de structures disposant d’un dôme géodésique permettant la création et la diffusion de formes audiovisuelles immersives et innovantes. Ces formes sont elles-mêmes le fruit de croisements artistiques et technologiques originaux, incluant le mapping, la spatialisation sonore, la programmation informatique et le live show. Cette hybridation permet une nouvelle exploitation de l’espace scénique (avec la vidéoprojection à 360° et la spatialisation du son), tout en offrant aux artistes la possibilité de jouer avec un espace tridimensionnel aux possibilités quasi infinies. Le dôme, bénéficiant d’une grande modularité due à sa surface sphérique englobante, devient l’interface créative et le support de spectacles originaux mêlant scénographie numérique, espaces virtuels environnementaux et système sonore omni et tridimensionnel géré en temps réel, pour un effet immersif garanti.

 

Les sens en immersion

Selon Nathanaëlle Raboisson, “Nous pouvons parler d’art expérientiel dès que l’intention première de l’artiste est d’agir sur le corps d’un individu à travers son œuvre. Cependant, différentes catégories d’implication corporelle peuvent être réclamées par cet art. Certaines œuvres d’art expérientiel exigent, pour être vécues, une implication du sujet et de son corps. Pour vivre pleinement l’expérience, le sujet doit se déplacer autour ou dans l’œuvre de l’artiste. Or, cette situation reste de l’ordre du ‘spectaculaire’ car l’action, même si elle influe sur la réception, ne modifie en rien l’œuvre(1)”. Ces propos correspondent tout à fait au cadre créatif dans lequel se situent les travaux artistiques proposés au sein du territoire privilégié de l’immersion qu’est le fulldome. Sans pour autant prendre le parti critique de Nathanaëlle Raboisson, il est important de noter comment, au cours d’une projection spectaculaire pour dôme géodésique, le spectateur se trouve à la fois “immergé” dans l’œuvre, tout en restant extérieur à celle-ci. S’il peut sans difficulté être classé parmi les formes d’art dit “expérientiel”, le spectacle pour dôme géodésique est avant tout une immersion des sens (modification des échelles, perturbation du sens de l’espace, sensation de déséquilibre due à l’utilisation de sons omnidirectionnels et tridimensionnels, …) même s’il existe aujourd’hui des œuvres entrant dans la catégorie “expérientielle” telle que décrite par Raboisson et qui sollicitent l’interaction du public au sein de l’œuvre ou du spectacle. Elles sont pour l’heure encore assez rares.

 

Licht Mehr Licht, Scopitone 2017 - Photo © David Gallard

 

Installations et réalité virtuelle

Les technologies de la diffusion immersive permettent une hybridation d’expériences sans commune mesure avec l’espace scénique traditionnel. Dans le domaine des arts visuels, de l’installation et de la performance expérientielle, ces possibilités intéressent également des artistes non impliqués dans le spectacle vivant. Les systèmes immersifs, comme les casques de RV ou les salles cubiques immersives, ont, dès leur apparition, intéressé les artistes-chercheurs. Au sein d’installations proposées dans le cadre muséal, ceux-ci donnent la possibilité de mettre en situation le visiteur dans un environnement interactif, à l’aide de périphériques spécialisés, et lui font vivre une expérience singulière, hybride, qui prend ses distances et joue avec les lois du monde physique. C’est le cas du Français Guillaume Marmin avec Licht Mehr Licht ou de Blackout du collectif INVIVO. La première, immersive et expérientielle, plonge le public dans le noir complet uniquement tissé de rayons lumineux dans une installation qui se présente comme une étude sensible des liens existant entre lumière, son et espace, et ses effets sur nos sensations. La seconde se présente comme un parcours immersif individuel au casque qui place le spectateur dans la perspective déambulatoire et exploratoire d’un dispositif privilégiant l’approche sensible et perceptive d’une mise en situation fictionnelle mêlant réalité virtuelle et réalité mixte (cf AS 210 à 212).

 

Des outils techniques spécifiques

Une base très concrète de technologies est mise à disposition des artistes dans des centres de création spécialisés qui forment également des artistes à l’usage de ces outils ou techniques. C’est le cas de la SAT (Société des arts technologiques) à Montréal, ou encore de l’association AADN à Lyon, qui organise des ateliers de création en collaboration avec le planétarium de Vaulx-en-Velin. Deux exemples sur lesquels nous reviendrons. En sus des ateliers, des tournées sont également en cours de production en France et à l’étranger, pour permettre aux artistes et au public d’enfin tester ces formes récentes d’art immersif expérientiel. Outre l’équipement pour la spatialisation en 360° et un équipement numérique de vidéoprojection aux normes, la création d’œuvres immersives nécessite de contrôler une grande quantité de sources audiovisuelles tridimensionnelles (pour établir une synergie souvent nécessaire entre le son, la lumière directe et des projections 360° par exemple).

Dans le cas de créations interactives et/ou immersives, l’utilisation de senseurs/capteurs, de caméras à haute résolution (caméras sphériques 360), d’outils de positionnement (capteurs) ou de capture de mouvement (motion capture), de micros ambisoniques ou autres méthodes de captation A/V immersive, devra intervenir dans le processus de création mais aussi de diffusion, à des fins d'interactivité, de gestion performative ou d'édition en temps réel de scènes en 3D immersives. Interviendront alors des logiciels comme Supercollider (une plate-forme de synthèse audio et de composition algorithmique utilisée par des musiciens, artistes et chercheurs travaillant avec le son), ou SATIE (un environnement de rendu de scène audio 3D à haute densité pour configuration de haut-parleurs multicanaux).

  

Licht Mehr Licht, Scopitone 2017 - Photo © David Gallard - Projection à l’aide de caméras sphériques 360 - Photo © AADN

 

Des artistes sous dôme

Parmi les artistes s’intéressant à la création d’œuvres et de spectacles pour dôme immersif, on trouve le duo franco-japonais Nonotak, dont Versus est certainement l’une des formes les plus innovantes. Pour cette œuvre avant-gardiste, Noemi Schipfer et Takami Nakamoto questionnent les relations entre l’image et le son au format 360° en déconstruisant l’environnement dans lequel est immergé le public, créant des ruptures et des distorsions visuelles qui s’apparentent à des formes d'architectures virtuelles et futuristes. Entropia, une création des Français Fraction et du Québecois Louis-Philippe St-Arnault, exprime elle aussi le désir des artistes de sortir du cadre (cadre de diffusion, espace de représentation). Ici, la structure globale du dôme est mise en perspective grâce à un jeu d’échelle, avec l’installation d’une seconde sphère géodésique, plus petite, placée au cœur de l’espace de performance. La projection de lumière physique du mini-dôme —à l’intérieur duquel se trouve l’artiste— est synchronisée avec la projection de visuels sur le dôme qui l’accueille. La spatialisation audio et la simultanéité des projections vidéo s’effectuent en direct à l’aide de programmes spécialement développés pour l’œuvre. Si Versus et Entropia représentent le pan de la création expérimentale en fulldome, Interpolate et Inertia s’imposeraient plutôt comme une illustration des canons qui font référence en la matière. Ces deux œuvres utilisent au maximum les possibilités de spatialisation du lieu pour en tirer une représentation hors cadre et hors norme. Interpolate étudie les possibles interactions entre l’audio et les visuels en temps réel (incorporant de la programmation live et des procédés génératifs où les visuels contrôlent l’audio, et vice-versa) tandis que la performance immersive Inertia se présente comme une étude artistique de “physique appliquée”, étudiant via le son et l’image le mouvement, la vitesse, les forces et la résistance de corps face à des changements ponctuels de leur état.

Versus de Nonotak, - Photo © DR

 

Immersion live et temps réel

En tant qu’espace scénique, on l’a vu avec Entropia, le dôme permet de nombreuses innovations. La production de ces mises en scène augmentées demande à une équipe technique ou un artiste de s’extraire des procédés de mise en scène et d’occupation de l’espace traditionnel pour miser sur la sensation d’immersion et de “participation”, tout au moins relationnelle, du public. Ces conditions requièrent imagination et audace, tout en restant le champ idéal d’expérimentations mêlant spectacle vivant et usage de technologies numériques en temps réel. Parmi les exemples de live impliquant un nouveau champ de possibilités, on trouve is //// is ////////// de Ida Toninato (saxophone, voix) et Ana Dall'Ara Majek (électronique) avec Myriam Boucher (composition et vidéo) et Mailis G. Rodrigues (programmation informatique). is //// is ////////// est une performance audiovisuelle qui explore les connexions entre performeurs et public en alliant Vjing (mixage synchronisé d’image et de son), saxophone, voix, électronique et spatialisation. Dans le domaine de la danse, Core d’Aurore Gruel (danse), Hervé Birolini (musique), Sean Caruso (programmation numérique) est une performance de danse immersive présentant deux espaces en mouvement s’incluant l’un l’autre. Grâce à un dispositif de seize haut-parleurs mobiles et lumineux créant un plateau scénique à la fois dépendant/indépendant du dôme qui l’entoure, Core use de la danse comme générateur d’espaces sonores mais aussi d’espaces visuels à 360°.

 

La Satosphère à Montréal

Dans le domaine de l’art immersif sous dôme, un lieu fait aujourd’hui office de référence : la SAT. De nombreux projets présentés dans ce dossier sont d’ailleurs portés par cet espace de diffusion hors normes. La SAT s’investit dans la création, la recherche et le développement artistique en environnements immersifs depuis 1999. Après dix-huit mois de recherches et de tests qui suivirent le lancement du programme “Territoires ouverts” (un programme de recherche et d’expérimentation artistique pour dispositifs immersifs), la SAT crée la “Satosphère”, le premier environnement immersif permanent dédié à la création artistique et aux activités de visualisation, en octobre 2011.

Ce dôme de 18 m de diamètre et de 11,50 à 13 m de hauteur, qui forme un écran de projection sphérique à 360°, est équipé de 157 haut-parleurs et 8 projecteurs vidéo, permettant de placer le public au cœur de multiples expériences audiovisuelles. La Satosphère, située dans le quartier des spectacles à Montréal, devient ainsi le premier théâtre immersif modulable permanent dédié à la création artistique et aux activités de visualisation et peut accueillir jusqu’à 350 spectateurs. Le mandat de la Satosphère tient dans la volonté de placer le public au cœur de l’expérience spectaculaire ou artistique. “Que ce soit pour un projet audio ou vidéo, de film, de visualisation architecturale, de danse ou de jeux, vous êtes invités à venir y explorer de nouveaux territoires conceptuels et sensoriels à échelle humaine”, annonce la brochure d’information de ce lieu qui vient justement de lancer une tournée européenne de spectacles pour dôme prévue pour l’automne 2018. Une initiative qui répond précisément à un intérêt général (et international) pour la création immersive.

Core, Aurore Gruel - HD Sat - Photo DR

 

Lancement de workshops immersifs

Dans le cadre du développement récent de ce type de projets, de nombreuses structures mettent actuellement en place des ateliers, ou workshops, qui sont les espaces nécessaires de la rencontre et du croisement d’artistes numériques, chercheurs, plasticiens, musiciens, artistes du spectacle vivant ou programmeurs informatiques. En novembre 2017, l’association lyonnaise qui soutient la production artistique liée à l’utilisation de la technologie, et en particulier la technologie numérique depuis une dizaine d’années, organisait un workshop en collaboration avec le planétarium de Vaulx-en-Velin (Rhône-Alpes). Sous un dôme de 15 m de diamètre, une vingtaine de participants, d’horizons créatifs et de sensibilités différentes, ont pu tester, inventer, explorer pendant trois jours les possibilités offertes par l’environnement immersif quand il est dédié à la production d’œuvres artistiques. Les fruits de ce travail ont été présentés au public le vendredi 12 janvier à l’occasion d’une soirée proposée conjointement par l’association et le planétarium. Ce type d’initiative offre certainement de nouveaux territoires d’expérimentations et d’expressions, qu’ils soient destinés aux arts plastiques, aux arts numériques ou au spectacle.

La création en fulldome sera-t-elle pour autant “le futur du spectacle” ? Pour l’instant, en Europe particulièrement, tout reste à faire. Pour autant, le nombre de propositions et l’évolution des technologies de production dans ce domaine —sans oublier l’attrait qu’exerce ce type de création sur le public— semblent indiquer une popularisation du format. Une chose est certaine, l’investissement dans l’équipement et la formation, dans un domaine encore mouvant, est un impératif pour voir se développer ce type d’initiatives. L’arrivée de projets grand public en cours dans le secteur du film d’animation (voir Polaris, un spectacle planétarium en relief fulldome produit par les studios français 3D Emotion) laisse à penser que l’adaptation des lieux de diffusion et des festivals n’est qu’une question de temps.

Maxence Grugier

 


(1)…Nathanaëlle Raboisson, L’expérience fait œuvre : l’action corporelle créatrice (Revue Proteus - Cahiers des théories de l’art)

Situé à la jonction des arts numériques, de la recherche et de l’industrie, le Laboratoire Arts & Technologies de Stereolux contribue activement aux réflexions autour des technologies numériques et de leur devenir en termes de potentiel et d’enjeux, d’usages et d’impacts sociétaux.

 

Article publié dans la Revue AS - Actualité de la Scénographie N°218
Le Laboratoire Arts & Technologies de Stereolux s’associe avec les Éditions AS (Actualités de la scénographie) pour une série d'articles consacrés aux technologies numériques, à l'art et au design. L'occasion de partager un point de vue original et documenté sur le futur des pratiques artistiques, en particulier dans le champ du spectacle vivant.