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Justine Emard et Jean-Emmanuel Rosnet en résidence autour d'une création sur les rêves [interview]

Justine Emard, artiste, explore le monde qui l’entoure dans ses créations artistiques. Elle associe et croise différents médiums de l’image pour faire état des liens entre nos existences et la technologie. Après avoir présenté Supraorganism dans le cadre d’Hyper Nature - exposition de Scopitone 2021 -, elle collabore cette année avec l’artiste sonore Jean-Emmanuel Rosnet pour créer une nouvelle installation expérientielle créée à partir du rêve, qui sera présentée prochainement à Stereolux.
En résidence de recherche pendant une semaine dans nos murs, ils ont pu répondre à nos questions autour de leur future création ; une installation expérientielle créée à partir du rêve, qui sera prochainement présentée à Stereolux.

Il existe une multitude et une particularité de ces récits oniriques, pour une multitude d’interprétations propres, selon qu’elles soient culturelles, personnelles, scientifiques, psychanalytiques, spirituelles ou religieuses.

 

1. Vous êtes en résidence à Stereolux pendant une semaine. Qu’allez-vous faire lors de cette résidence ?

Justine : C’est une résidence de recherche et d’exploration. Nous avons créé un espace pour recevoir des récits sonores de rêves. Nous partons du cerveau de certaines personnes pour recueillir leurs expériences oniriques, les interprétations et symboliques qui les traversent. Le rêve est un dispositif physiologique universel que chacun·e explore avec différents moyens, il devient notre matière. C’est cela que l’on souhaite mettre en exergue ; qu’il existe une multitude et une particularité de ces récits oniriques, pour une multitude d’interprétations propres, selon qu’elles soient culturelles, personnelles, scientifiques, psychanalytiques, spirituelles ou religieuses.

Jean-Emmanuel : Cette résidence est avant tout l'occasion de confronter nos univers respectifs autour d'un projet dans lequel nos compétences mutualisées nous permettent d'inventer de nouvelles choses. Nous essayons de croiser nos regards  et d'être à l'écoute de l'un·e et l'autre sur les différentes composantes de cette future création : univers sonore, visuels, scénographie, choix techniques et technologiques, etc.

Live Dream, image de recherche © Justine Emard / Adagp 2022

2. Pouvez-vous nous parler du projet ?

Jean-Emmanuel : L'idée de ce projet est de proposer une expérience collective en lien avec l'inconscient et le monde des rêves. Pour donner corps à cette expérience, je travaille sur une trame documentaire alimentée par des témoignages de rêves qui seront ensuite, assemblés, transformés. L'utilisation de dispositifs (dont seront muni·es les spectateur·ices) visant à capter des données neuronales en temps réel, vont nous permettre d'utiliser divers signaux qui nous serviront à perturber et influer sur la composition sonore qui sera créée spécifiquement pour ce projet.

Justine : C’est un format un peu hors des cadres : partir du documentaire, de ce qui est réel, pour aller vers quelque chose de plus fictionnel et abstrait, mais qui soit toujours bien ancré dans la réalité. Des images compressées seront générées à partir des récits et illumineront des écrans LED. Et puis, la performance se penche sur le temps présent : les spectateur·ices sont amené·es à porter des électrodes lors de la performance, qui vont recueillir en temps réel des données et ainsi transformer l'issue du récit, en fonction de ce qu’elles·ils entendent, de ce qu’elles·ils voient, et de ce que cela éveille en elles·eux. Le public est donc actif, individuellement mais aussi collectivement : nous attendons une vingtaine de personnes par performance. Aucun spectacle ne pourra se ressembler, rien ne sera figé, prédictible ou écrit.

3. Il est parfois difficile de comprendre les tenants et aboutissants d’une résidence. Quelle serait votre définition personnelle ?

Une résidence, c'est donner à un·e artiste tous les moyens pour qu’il·elle n’ait qu’à créer.

Justine : Une résidence, c’est un travail d’immersion. C’est donner à un·e artiste tous les moyens pour qu’il·elle n’ait qu’à créer. Il y a ce rapport spécifique à la résidence, lorsque l’on est dans un moment, dans un lieu, lorsque la vie personnelle se déconnecte, où seule la concentration de travail est importante. C’est donner aux artistes les conditions idéales, matérielles et humaines pour créer et chercher.

Jean-Emmanuel : Ici à Stereolux, hormis les précieux moyens humains et techniques mis à notre disposition, notre travail de recherche s'inscrit au sein d'un territoire spécifique avec lequel nous essayons d'interagir. La résidence nous a donné l'opportunité de rencontrer les rêveur.euses locales·aux qui ont accepté de nous partager des témoignages précieux et intimes. Le labo Arts & Techs joue aussi un rôle de facilitateur dans la mise en relation avec des professionnels susceptibles de nourrir nos réflexions.

4. Quels résultats recherchez-vous dans cette nouvelle création ?

Justine : L’idée est de porter une attention au rêve, d’un point de vue artistique, mais aussi scientifique voire sociologique avec des médiums comme le son et la lumière. Peut-être que l’effet sera la reconnexion du public à leurs rêves, à ce qu’ils·elles soient plus attentif·ves vis-à-vis de cet état. Le rêve fait partie du réel, il active la même zone du cerveau que les perceptions ou l’imagination en éveil. C’est une traversée onirique, une exploration que l’on essaie de restituer dans la performance, jusqu’à des inductions qui peuvent plonger le public dans un état de focalisation attentionnelle. J’aime penser que le rêve est une cognition ; au-delà même de la psychanalyse, il y a toute une fonction du rêve que l’on essaie d’approcher. Chacun·e de nous définit une fonction très personnelle du rêve, similaires et éloignées à la fois.

Je suis curieux de voir comment les gens vont se prêter à cette expérience singulière qui consiste à vivre, en quelque sorte, un rêve collectif.

Jean-Emmanuel : Je suis curieux de voir comment les gens vont se prêter à cette expérience singulière qui consiste à vivre, en quelque sorte, un rêve collectif dans lequel le public aura une main mise sur des passages du scénario pré-établi. Il y a un véritable enjeu technologique qui consiste à faire évoluer les "différents tableaux" de notre expérience, à partir des signaux collectés en temps réel auprès du public.

Live Dream, image de recherche © Justine Emard / Adagp 2022

5. Que répondriez-vous à quelqu’un qui vous affirme que la science ne peut pas avoir de rapport quelconque avec l’art ?

L’artiste et le scientifique sont tous·tes les deux dans une recherche de vérité.

Justine : L’artiste et le scientifique sont tous·tes les deux dans une recherche de vérité. Nous partageons les un·es avec les autres une aspiration identique, des protocoles communs, l’envie de décrypter des vérités dans ce monde. Lors de notre résidence, nous avons échangé avec un spécialiste de la transe et de l’hypnose afin d’envisager des territoires de conscience modifiée et visiter des laboratoires des sciences du numérique. Ces rencontres affinent le travail et donnent une direction parfois inattendue au projet. 

6. Quelles relations existent entre l’art et la technologie ?

Justine : J’aime ces terrains de recherche et de création expérimentaux et incertains. Je pense que c’est une force que les artistes utilisent des outils de leur temps. Le plus important, ce n’est pas le médium, c’est ce qu’il vient dire. Ce choix renforce le fond du propos, d’autant plus quand on utilise des technologies de notre monde contemporain. Il faut faire confiance au public et à sa force de projection : il sait rassembler les pièces lui-même.

Jean-Emmanuel : La création contemporaine se caractérise notamment par une forte propension à se nourrir des innovations technologies. Mais ce ne sont pas les outils numériques qui font l'essence même de cette création contemporaine mais plutôt la capacité des artistes à les détourner ou les questionner.

Live Dream, image de recherche © Justine Emard / Adagp 2022

7. Vous avez fait beaucoup de collaborations. Que retenez-vous de ces dernières ?

Justine : En tant qu'artiste, j’ai toujours été attirée par le milieu des arts vivants. On travaille pour créer un instant, avec les dimensions éphémères et imprédictibles qu’il comporte. C’est terrorisant et fascinant à la fois. La dimension collective sera aussi incarnée dans le dispositif avec les spectateur·ices connecté·es qui seront plongé·es comme dans un rêve collectif.

9. L’histoire des civilisations et la psychique de l’humain semblent vous fasciner particulièrement. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Les peintures des grottes et les rêves étaient-ils déjà intrinsèquement liés ?

Justine : L’origine des choses m’intéresse, de l’origine de l’image dans le cerveau, au niveau du cortex visuel, jusqu’à l’origine visuelle des peintures rupestres dans les grottes préhistoriques. Il y a une croisée des temps : le temps humain, éphémère, et le temps des minéraux et des fossiles, pérenne ; et puis enfin, le temps du numérique, plus éphémère encore. Ces lignes de temps peuvent se croiser, et c’est cela qui est fascinant. C’est pour cela que j’aime collaborer avec des neurologues, des archéologues, des spécialistes de la préhistoire, des spécialistes du milieu spatial. Finalement notre expérience en tant qu’être humain est très anthropocentrée. J’aime créer des décentrements et constater l’évolution. Les peintures des grottes et les rêves étaient-ils déjà intrinsèquement liés ?


Ce projet est financé par le fonds de soutien à la création artistique numérique (Fonds [SCAN]) et porté par la Région et par la Drac Auvergne-Rhône-Alpes.

La première représentation est prévue début 2023.