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J’ai testé : Vers l’infini et au-delà

Arts numériques Publié le 24/09/2020

Pensée, conçue et travaillée pendant le trouble de ces derniers mois, cette rentrée met à l’honneur plusieurs artistes ligériens, dont l’inspiration et la vitalité créative est restée intacte. Entre résilience et exploration de nouveaux mondes, le défi leur a été donné de plancher sur de nouvelles formes et expériences immersives, proposant une nouvelle approche des arts numériques, de notre rapport aux technologies, d'écritures transformant notre espace et notre perception.

De par leur poésie, leur approche critique, scientifique, esthétique, ces projets questionnent notre rapport à l’humain, la nature, le numérique et inspirent des voyages imaginaires…

événement


1.3 secondes — Guillaume Marmin + Jean-Baptiste Cognet & Phlippe Gordiani (son)

C’est avec un dispositif épuré que le trio derrière 1.3 secondes nous propose de traverser sur un temps dilaté — 8 minutes, soit 450 fois plus lentement —, l’espace entre la Terre et la Lune. Logée en salle Maxi, l’installation est divisée en trois objets : au niveau de la scène, un cadre carré plein sur lequel sont disposés en forme hexagonale de gros bulbes lumineux, et puis sur les côtés de l’espace dédié au public, deux rideaux de barres LED suspendus formant un couloir flottant.

Tout se passe dans l’obscurité. Le spectacle commence avec un bruit de vent et l’illumination successive des barres volantes les unes après les autres, comme si l’on passait à côté de sources lumineuses sur la route. La dynamique de l’accélération est évidente : le rythme de la lumière s’accentue, c’est le départ du voyage, le décollage. Le design sonore accompagne exactement les effets physiques visibles. On ne nous donne pas l’impression d’être accompagné d’une bande-son donc mais bien d’être plongé dans une atmosphère et ses phénomènes. L’hexagone projette d’abord un point central et grâce à un effet de lumière volumétrique, un rayon reliant le carré d’origine et le fond de la Maxi.

Avec la disposition en long, existent de fait deux sens de lecture : un où l’on est tourné vers l’écran de la scène, et l’autre vers l’arrière de la salle. Cependant en prêtant (un tout petit peu) attention il apparait de façon évidente, que l’expérience de l’œuvre serait d’observer les motifs dessinés par l’écran de bulbes, et non les bulbes clignotants eux-mêmes. Lors de notre passage, la plupart du public aura eu tendance à se fixer sur l’hexagone et regarder alors les « projecteurs » et non la « projection ». Dommage.

La performance enchaîne après l’envol sur le parcours dans l’intersidéral. La combinaison minimale faisceaux/motifs de points projetés et barres lumineuses pleines ou fragmentées est particulièrement efficace car elle permet de concentrer son regard pour mieux le libérer ensuite. Dans la logique d’épure, les deux éléments interagissent avec des variations… Mais des variations limitées. Ainsi, l’hexagone produit clignotements ou projection longue, et les barres une illumination complète ou sectionnée. Si l’on revient au paysage sonore « littéral », on nous fait vivre selon la manipulation longue ou chaotique de la lumière, des sensations de déformation spatiale saccadée ou de parcours à vitesse grand V. Notre oreille passe du crépitement à un étirement (ou ralentissement) par des plages au synthétiseur.

Difficile de ne pas penser au ‘warp drive’ de Star Trek ou au bond dans l’hyper-espace dans Star Wars. Mais cette fois-ci au lieu de regarder un écran, on se retrouve au centre de l’action.

  

Une fois arrivé « dans » l’espace, les barres LED  nous donnent l’impression de naviguer parmi les étoiles. Les plus vieilles et vieux d’entre nous auront une pensée émue pour un certain écran de veille Windows. Les huit minutes du spectacle sont construites assez classiquement en trois actes : départ, voyage, arrivée. Mais plutôt que de rester dans un effort de représentation concrète comme le laisse entendre l’introduction et ses retranscriptions au départ terre-à-terre (hihi) des phénomènes de déplacement de la lumière — comme mentionné auparavant avec le sentiment d’accélération, puis d’élongation des étoiles de points en rayons — la deuxième moitié d’1.3 secondes prend plus de libertés et offre une interprétation libérée de la sensation de navigation.

Les lumières de l’hexagone et des barres jouent alors avec ce qu’elles nous ont montré jusque-là, alors que l’environnement sonore perd son caractère descriptif pour prendre un aspect musical illustratif. La fin du parcours n’en est pas ratée pour autant, elle serait même d’autant plus forte qu’une fois la destination atteinte, tout autour de nous s’halte naturellement avec précaution, semblant indiquer une conclusion surprenante mais pas nécessairement inattendue.

Avons-nous quitté la Terre pour la Lune ou inversement ? Le cycle infini de l’œuvre nous laisse décider pour nous-mêmes. Les successions de huit minutes devenant autant d’allers-retours qui nous sont donnés d’expérimenter à loisir.
 

Équilibre — Mickaël Lafontaine

Comme les deux autres propositions de Vers l’infini et au-delà, Equilibre travaille une représentation mixte volumétrique et sonore. Notre attention est d’abord attirée vers la forme construite de l’installation, positionnée centralement en salle Micro.

Pour l’occasion, le sol se voit recouvert d’une surface en plastique blanc mat (sentant le neuf) sur laquelle est délimitée au ruban adhésif un rectangle d’à peu près 2 mètres sur 4. C’est le cadre d’un tableau. Au cœur de cette ‘fenêtre’ se tiennent treize piliers, eux aussi blancs, à base carrée de 10 centimètres pour 1 mètre de haut. Ils sont arrangés pour dessiner un losange disposé à 45° par rapport au format rectangulaire. Le cadre rectangle à terre est accompagné d’un cadre carré suspendu en hauteur. Il dissimule des LEDs sur ses arrêtes et un projecteur peu visible en son centre dirigé vers le sol. Enfin, huit enceintes sont réparties dans la pièce ; deux par côté. Elles ne diffusent pas toutes la même piste pendant les dix minutes de l’intervention, accentuant la qualité ‘stéréo’ du design musical et encourageant le public à circuler autour de l’installation. Le dispositif mêle des actions simultanées dialoguant les unes avec les autres. D’abord une projection classique fixe dans les limites du rectangle, mutant en motif géométrique inerte dans un premier temps puis animé et parasité ensuite par un motif organique. Cette première projection est accompagnée d’une seconde superposée, « d’ombres de lumières » des piliers. Les LEDs du cadre suspendu y répondent en fabriquant, elles, des ombres portées réelles. Les piliers ne sont pas valorisés simplement par leurs ombres. Le spectacle vidéo de l’écran à nos pieds semble en découler avec une sensation de simili projection mapping. Ils ne sont alors plus simplement des éléments rapportés, collés au milieu d’un cadre, mais des protrusions dans celui-ci. Impossible de dissocier les fragments de l’installation entre eux, leur fonctionnement est imbriqué et intégral — les esprits espiègles diront « sauf si on ferme les yeux » … On se passera évidemment de leur avis.

Equilibre s’amuse avec les représentations en négatif du numérique et du réel. L’illusion d’une apparition ex nihilo des effets générés par cette relation est saisissante : toute la partie technique de l’installation est traitée avec une certaine discrétion. Malgré l’impression de l’artiste d’avoir dû faire des concessions par rapport au temps réduit de conception, il en ressort tout de même une finesse d’exécution appréciable.

La bande sonore enveloppante complète cette impression et propose une ambiguïté constante pendant la représentation : contrairement au travail d’1.3 secondes, on ne nous propose pas une transition entre description et illustration : la production auditive est pleinement « atmosphérique ». Relativement complexe par rapport à ses œuvres cousines, ce caractère s’affirme autant dans la spatialisation de la musique que dans sa construction. On y décèle textures, percussions discrètes, des ensembles diffus de cordes et un accompagnement mélodique au piano. Son interaction avec les projections ne lui retire pas sa qualité quasi orchestrale, indépendante.

Le développement graphique et musical, jusqu’à la séquence finale, où une substance entre volute et coulée s’empare de l’espace projeté, donne l’impression d’assister à un balais numérique. En prolongement, il est d’ailleurs intéressant de lire les adaptations envisagées par Mickaël Lafontaine qui pourraient venir ajouter une dimension interactive à Equilibre : notamment un accompagnement dansé avec des chorégraphes ou bien la capacité du public à manipuler les ombres. De belles choses en perspective.

Eldorado — Laurent La Torpille

L’Eldorado de « LLT » localisé sur la plateforme intermédia prend la forme d’un espace clos, rectangulaire, au format 1/2/4, d’environ 2.5 mètres de haut pour 5 mètres de large et 10 mètres de long. N’ayant pas mesuré précisément les dimensions de la salle, on restera sur ces proportions imaginées au rapport somme toute agréable.

L’œuvre en elle-même, en dehors d’être une bulle-boîte, est définie par une projection continue sur les quatre murs. Une projection sans limites discernables, d’un mouvement perpétuel aux formes abstraites, arborant un vocabulaire graphique aux teintes froides entre ocre, feu et glace, à mi-chemin entre le liquide et le minéral, par le biais d’une construction d’apparence fractale — bien qu’il eut été difficile de discerner quelconques motifs récurrents, cela faisant partie intégrante de l’expérience. Chercher une logique dans le flux et puis finalement s’y perdre. Le paysage en déplacement, se fond, s’étire, coule.

Deux éléments complètent la texture projetée. D’un côté six fragments de poésie situés à chaque fois sur le côté gauche haut d’une unité de projection : les proportions de la pièce prennent sens, on trouve ainsi un extrait de texte sur chaque largeur, et un par moitié de longueur. Les vers à position fixe changent toutefois dans le temps, et sans se succéder « correctement » grammaticalement, s’enchaînent sémantiquement : ceux-ci expriment toujours un rapport au fluide, au travers du champ lexical de l’eau (fleuve, s’écoule, estuaire, etc.). Enfin, c’est une ambiance sonore synthétique ambiante, diffuse (et mélodieuse !), dénuée de tout élément percussif qui finit d’habiller l’installation. Comme la projection, elle ne possède ni début ni fin.

On trouve un réel intérêt à passer du temps dans Eldorado, ou plutôt à le perdre (lui donner ? le récupérer ?). Bien que notre regard puisse ainsi faire le tour de la salle sans arrêt, ou à l’inverse se fixer arbitrairement en n’importe quel point, on se demande si les « partitions poétiques » n’auraient pas elles aussi pu se mouvoir, s’accorder plus radicalement à ses deux sœurs audio et vidéo.

On aimerait aussi pouvoir imaginer un espace décuplé où le sol et plafond seraient miroirs. Dans la configuration présentée ici, on est amené à expérimenter une surface satin à demi réfléchissante à nos pieds, la technique et des réseaux au-dessus de nos têtes. L’adaptabilité de l’œuvre est néanmoins évidente. Mais elle questionne forcément sur la forme que pourrait prendre un espace dédié, spécifique, transportable à cet Eldorado : toujours une boîte ? Une sphère, un prisme ? Où la projection se ferait par l’extérieure pour se libérer de toute contrainte visuelle à l’intérieur ? Pour une personne seule ou forcément à plusieurs ? Tant bien est que cela ait vocation à exister pour l’artiste.

En tout cas, si l’on décide de s’y plonger, l’offrande d’une « quête intérieure et spirituelle » semble réussie. La proposition est envoûtante.