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Hybridations, intersectionnalité, rencontres : à Scopitone, la nouvelle génération bouscule les identités

Musique Publié le 07/07/2022

Des retrouvailles, des rencontres. Et le futur, déjà là. Pour ses Nuits electro, cette 20ème édition de Scopitone mise plus que jamais sur l’émergence musicale. Et une conclusion s’en dégage naturellement : avec exigence, curiosité, goût, la nouvelle génération d’artistes mise avant tout sur l’hybridation des identités.


Paloma Colombe aux Eurockéennes 2021, par Olivier Hoffshir.
 

« Tisser des liens, créer des ponts entre les cultures, c’est mon but. » La DJ Paloma Colombe, que l’on retrouvera le 16 septembre pour la première des deux Nuits electro, résume peut-être tout l’objectif de ce 20ème Scopitone. On peut ainsi tisser des connexions entre les artistes programmé·es. Pour voir par exemple émerger une vague de jeunes artistes féminines toutes plus talentueuses les unes que les autres : Paloma Colombe, bien sûr, mais aussi les jeunes prodiges Romane Santarelli, u.r.trax, Coco Em, Asna, ou bien les DJ du collectif Zone Rouge, ainsi qu’Irène Drésel et Anetha. On pourrait mettre en écho ces musicien·ne·s faisant entendre d’autres voix, d’autres identités que celles vues à longueur de temps. L’avant-garde Ivoirienne d’Asna et Kényane de Coco Em, les protestations de l’Iran avec Nesa Azadikhah, les mélanges sonores de Poté, ou les revendications afro-queer de Lsdxoxo. Des liens qui, petit à petit, dessinent le visage du monde d’après. Le vrai. Celui d’artistes cherchant l’ouverture et l’expérimentation. 

Un mot pourrait peut-être englober ces démarches multiples : l’intersectionnalité. Dans sa signification sociologique et militante première, ce terme sert à analyser les discriminations spécifiques subies par des personnes à l’intersection de deux formes d’oppression (par exemple : la discrimination subie par une femme noire ne se résume pas à l’addition de la discrimination subie par une femme et celle subie par une personne noire). Pris artistiquement, il permet de réfléchir et faire dialoguer une multiplicité d’identités dans un projet cohérent.

Certain·e·s revendiquent directement ce terme, à l’image de Paloma Colombe : « c’est un concept qui me parle à tous les niveaux, politiquement et artistiquement. Quand je fais de la musique, je suis plutôt guidée par l’idée d’hybridation. Mais au fond, cela va dans le même sens, avec l’idée de multiculturalité, et ce qu’elle peut créer comme monde entre-deux. » Chez elle, cette réflexion sur son identité française et kabyle prend également la forme de documentaires et podcasts. Mais la musique reste un outil idéal pour communiquer ses idées, tant elle renvoie à la nature même d’un DJ set, celui d’un mix de différentes voix : « chercher ce que cela raconte si on mélange deux univers différents, et comment articuler et construire ce dialogue pendant 1h30 ou 2h. »

 

Ces réflexions multi-identitaires sont au cœur de son projet. « Jean Morel du média Grünt m’avait dit les mots justes : avec toi, on va penser, on va danser. Je mets vraiment les deux au même plan : mettre la musique au service de ce que j’apprends, mes réflexions, mes joies, mes colères. Et donc les partager. » Une idée qu’elle retrouve chez d’autres artistes de ce Scopitone. Comme Juliana Huxtable, bien sûr, qui pratique elle aussi la multidisciplinarité et la rencontre de cultures, dans un propos aussi intellectuel que sensuel. Ou encore Lsdxoxo, véritable incarnation artistique de l’idée d’intersectionnalité, tant l’artiste américain met en avant l’identité spécifique de la culture afro-queer. On pourrait également citer Poté, incarnant lui aussi cette idée de « faire cohabiter des univers différents » dans une identité aussi multiple que cohérente.

 

« Je trace ma propre route dans un monde quadrillé par celles des autres. Certains croisements changent tout, c’est inévitable. » 
D’autres incarnent d’une autre manière cette idée d’intersection. Celle qui existe entre musique et arts visuels, par exemple, à l’image des lives audiovisuels de Romane Santarelli, Sébastien Guérive ou du Nantais S8JFOU. Ce dernier a toujours été à l’origine de son univers graphique, inclus dans un projet global dépassant le simple cadre musical. Pour son nouveau live, « Op·Echo », il s’associe avec le plasticien Simon Lazarus pour une pure expérience hybride, ou la musique influence le visuel et inversement. « Nous venons tous les deux du graffiti, on a donc une certaine complicité liée à ça dans la façon dont l’art nous touche, mais également dans notre rapport au digital et aux nouvelles technologies » explique S8JFOU. Attaché à son indépendance, celui-ci revendique également cette dimension de croisements : « Je trace ma propre route dans un monde quadrillé par celles des autres. Certains croisements changent tout, c’est inévitable. » 
 

S8JFOU et Simon Lazarus en création.

« Il faut justement apprendre à se connaître pour s’ouvrir. Et ce dépassement se fait via la musique. » 

Par sa plasticité, son infinité de possibilités, la musique électronique serait-elle le meilleur moyen d’explorer son identité ? Une chose reste certaine : une telle réflexion sur soi n’est jamais un repli. Paloma Colombe le sait bien : « l’intersectionnalité est souvent pointée du doigt comme menant à un enfermement dans des identités. Mais c’est exactement le contraire, en fait. C’est le dépassement des identités, à mes yeux, mais en passant par la connaissance de soi. Il faut justement apprendre à se connaître pour s’ouvrir. Et ce dépassement se fait via la musique. » 

À sa façon, S8JFOU ne dit pas autre chose : son esprit d’indépendance n’a rien d’un isolement. « L’introspection n’est pas un "repli" sur soi, c’est une rencontre avec soi. Pour ma part, la création est un besoin aussi essentiel que boire de l’eau ou dormir. Le fait que je transpose des émotions en musique, et que cette musique resurgisse ensuite à nouveau sous forme d’émotion chez les auditeurs, c’est quelque chose qui donne énormément de valeur à ce que je fais ». C’est peut-être ce qui réunit le mieux les artistes de cette 20ème édition de Scopitone : cette volonté d’employer la musique pour transmettre des idées profondes. « Bien plus que des idées » appuie même S8JFOU. « La musique est un langage à part entière et plus j’avance dedans plus j’ai la sensation que je m’exprime mieux par ce biais qu’avec les mots. » 

 

Article rédigé par Antoine Gailhanou