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Game & gammes

Arts numériques Publié le 22/03/2016

Les nouvelles musicales de la corée du sud sont parcellaires et un concert de Tacit Group est un événement rare. Issus d’un pays à la pointe de la technologie et féru de jeux vidéos, les coréens proposent des oeuvres joyeuses et ludiques, composées avec des logiciels, notamment Max/MSP. Rencontre avec les deux membres fondateurs, musiciens de formation classique devenus maîtres en programmation informatique.
/ Yann Kerloc’h

Chang Jae-Ho fut le professeur de composition de Gazaebal (son nom de scène), DJ techno qui a tenté, viadivers remixes, de changer le son formaté de la pop locale, la K-pop. Sur scène (car ils réalisent aussi des installations), ils se produisent habituellement avec quatre acolytes, qui, à Nantes, seront des musiciens locaux maîtrisant Max/MSP et formés lors d’un workshop, ce qui ravit les deux compères. « La moitié de notre travail est de la programmation, expliquent Gazaebal et Jae-Ho, et le reste inclut toujours de l’improvisation, donc ceux qui jouent avec nous peuvent être considérés comme compositeurs. »

Une performance de Tacit Group est un grand jeu savamment calculé entre l’ordinateur et ceux qui sont derrière, entre eux et le public, mais aussi entre les sons et les images. « Nous faisons aussi les visuels, car on ne peut pas les séparer du son. Nous composons comme on dessine ». Leur outil principal, Max/MSP, se présente d’ailleurs comme une page blanche sur laquelle le compositeur dessine son programme : divers ronds et cases, dans lesquels seront inscrites des fonctions reliées par des liens. L’ensemble ressemble à une carte-mère d’ordinateur, ou un plan de ville dessiné par Miró.

Parfois, c’est la musique qui amène les images. Leur version de In C (une oeuvre du compositeur minimaliste Terry Riley, constituée de cinquante-trois phrases musicales à jouer successivement un nombre indéfini de fois, montre tout simplement les notes jouées sur les ordinateurs, des do ré mi fa sol qui semblent se dandiner au gré de l’exécution de la pièce. Parfois, ce sont les visuels qui inspirent la musique. Ainsi le somptueux Organ montre la propagation de cellules rouges au coeur de lumières blanches, un tableau vibrant au rythme d’une musique sortie du fond des entrailles humaines.

« IL VA FALLOIR APPRENDRE LE LANGAGE SMS FRANÇAIS. »

« Le principe n’est pas de faire quelque chose de joli à l’écran, mais de montrer notre système de composition au public », expliquent-ils encore. Un principe poussé très loin dans le très amusant Hun-min-jeon-gak (contraction du titre du livre qui a établi l’alphabet coréen et du nom d’un genre de musique traditionnelle), qui exprime en musique le dialogue (écrit) des compositeurs sur scène. A chaque lettre correspondent une note, un son différents.

« Les lettres amènent la musique, donc on ne sait pas à l’avance quelle musique

cela donnera. » Tout l’art étant de maîtriser le degré d’improvisation inclus dans le morceau, afin que cela ne se transforme ni en cacophonie, ni en dialogue de sourds . « Avant d’aller sur scène, nous décidons d’un sujet. Quand on a fait ce morceau à Chicago, on a parlé des pizzas locales, de bière et des hot-dogs. Au Danemark, puisque le nom de la princesse danoise est Mary, on tapait «Mary, would you marry me ?», des blagues comme ça. » Blagues qui font pouffer les performeurs derrière leur écran, comme des enfants. « Nous commençons pourtant avec l’alphabet coréen, car nous voulons que le public étranger découvre comment est constitué ce système d’écriture », qui associe consonnes et voyelles verticalement et horizontalement, de sorte que chaque syllabe tienne dans un carré – une traduction très géométrique des sons. Le jeu pourrait se corser avec le français, car les deux compositeurs/dialoguistes s’inquiètent des accents. « Est-ce qu’on comprend sans les accents ? » s’enquièrent-ils, avant de se rassurer : « De toute façon, on ne fait pas de la grammaire correcte dans ce morceau, on utilise beaucoup d’abréviations, comme dans les SMS. » Et de conclure : « Je pense qu’on doit apprendre le langage SMS français. » Ce qui n’est pas forcément la solution la plus simple, mais les membres de Tacit Group aiment jouer. Entre eux et avec les autres. Game Over les montre ainsi jouant à Tetris. Chacune des formes qui s’emboîtent, ou leur façon de tomber, amène un son différent. « Le public connaît déjà la logique de Tetris, il peut ainsi comprendre celle de notre musique et s’amuser. »

 

TACIT GROUP, MOON GOGO
Le 26 mai à 20 h, salles Maxi & Micro
Dans le cadre du Printemps Coréen

WORKSHOP TACIT GROUP
21 et 22 mai, de 9h30 à 18h30
Plateau Multi (org. Stereolux et Tacit Group)

CONFÉRENCE-LECTURE DU COLLECTIF TACIT GROUP
Le 20 mai à 18h30 au Bâtiment B