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[ELECTRONS LIBRES] Voyage entre calligraphie persane et art numérique avec "Fanaa" de Sahar Homami (Interview)

Arts numériques Publié le 15/02/2022

Sahar Homami (elle/iel) est un·e artiste/programmeur·se audiovisuel·le, calligraphe et chercheur·se originaire de Téhéran, basée à Berlin et Montréal. Son travail artistique est motivé par une grande importance accordée au concept et au contenu, qui font l'objet d'une recherche critique. Iel se considère comme un·e conteur·euse qui s'efforce de repousser les limites de la perception et de la conscience, afin d'élargir notre "art de voir".

L'artiste a accepté de répondre à nos questions sur son travail et sa performance intitulée fanaa qu'iel présentera le 25 février 2022 dans le cadre d'Electrons Libres.

Electrons Libres I RYOJI IKEDA · CYRIL MERONI & OLIVIER VASSEUR · RALF BAECKER · SAHAR HOMAMI


 

"Nos yeux sont les fenêtres de notre âme"

Votre approche artistique est multidisciplinaire et consiste à combiner technologie, art, science et littérature. Vous travaillez avec une grande variété de Supports comme la vidéo, la peformance A/V, l'installation… Pouvez-vous nous en dire plus sur votre pratique et votre vision artistique ?

Je suis un.e conteur·euse. Je raconte des histoires pour créer une nouvelle forme d'expérience dans laquelle la perception peut se développer librement, et où l'expression esthétique peut susciter une « situation de rencontre ». 

Concernant mon parcours, j'ai d'abord été étudiant·e en ingénierie puis j'ai bifurqué vers un diplôme en art. Une fois ma deuxième année de Bachelor en Arts numériques à Montréal terminée, je me suis tournée vers la modélisation 3D et l'animation. Depuis 2015, j'ai plongé dans le code créatif, le design génératif et la programmation visuelle en live. Ces dernières années, je compose également ma musique.

J'aspire à repousser les limites de la perception et de la conscience pour étendre notre « art de voir ». Nos yeux sont les fenêtres de notre âme, quelle que soit la manière dont vous appréhendez celle-ci.

Votre œuvre fanaa est une création audiovisuelle qui combine la calligraphie et l'art NUMÉRIQUE. Elle s'inspire d'un des chapitres d'un livre écrit au 12ème siècle par le poète SOUFI PersAN Attar. De quelle manière cette histoire a-t-elle inspiré votre travail ?

Fanaa (فنا fanā) est un concept mystique qui signifie « mourir », ou « annihilation » (de l'ego) : "to die before one dies". C'est un type d'expérience singulière qui transcende notre première identification au corps, et qui nous permet d'observer nos différents états du « moi ». J'ai pris conscience de ces états grâce à la méditation et aux psychédéliques. Grâce à ceci, il est possible d'expérimenter la mort/la transcendance de l'ego, mais cela est toujours suivi d'une renaissance, d'un retour au monde « normal » associé au temps et à l'espace. En faisant des recherches sur ces sujets et en me penchant sur la symbiose de l'ensemble, combiné avec la poésie et la philosophie, je me suis souvenu·e du poème d'Attar, La Conférence des Oiseaux.

Ce qui a suivi, c'est la composition d'une narration inspirée de mon expérience, de ma recherche et en parallèle de la poésie d'Attar. fanaa explore la décomposition de l’ego et une reconnaissance de l'unité de tout ce qui existe dans le moi individuel. L'histoire est composée de quatre chapitres (Arrivée, Dissolution, Absolu néant et Renaissance).

 

"Je suis attaché·​e à l'idée que le cinéma est de la poésie, et que la poésie est du cinéma."

fanaa nous fait vivre un voyage poétique à travers les mots et la philosophie. Comment dÉcririez-vous votre relation avec le « storytelling » ?

Les humain.es ont toujours été des conteur·euses. Les technologies numériques peuvent aujourd'hui être utilisées pour (re)raconter nos histoires, pour faire le portrait de nos existences individuelles et collectives, un peu comme un miroir.

Mon travail s'intéresse à l'expérience humaine (à travers le prétexte du portail quantique) et la met en lumière. Son contenu est centré sur le processus et le déroulement de la vie par le biais du mysticisme et de la philosophie. L'objectif est de raconter les expériences du voyage d'un Salek (voyageur) sur le chemin de l'expérience humaine. Le périlleux voyage des oiseaux qu'a décrit Attar dans son ouvrage raconte littéralement les différentes étapes d'un tel voyage (suluk). Ce que je veux dire par « Sakek » ici, c'est celui qui cherche la vérité des choses ; ce peut-être un voyage physique, mais également un voyage de l'esprit et de l'âme.

Je combine plusieurs technologies dans mon travail artistique. Cela donne un genre de cinema poétique en direct, avec de la musique. Je suis attaché·e à l'idée que le cinéma est de la poésie, et que la poésie est du cinéma.

"Parfois ce que l'on croit être la liberté est entièrement soumis à l'ordre social et aux forces discursives, et paradoxalement ce qui nous semble être prédéterminé par des lois strictes peut en fait révéler un fascinant univers de liberté."

Cet évéNEMENT à Stereolux s'appelle « Electrons Libres ». Vous considérez-vous vous-même un électron libre ?

Ce qui est drôle c'est qu'en physique, les électrons libres ne sont libres que dans la mesure où ils ne sont pas liés à d'autres électrons. Mais ils ne sont assurément pas libres dans leur trajectoire. Les énormes énergies magnétiques les forcent à suivre un certain chemin, c'est d'ailleurs pour cela que nous pouvons voir une image sur un écran ou un osciolloscope. Donc il existe une étrange dialectique entre le fait d'être libre et le fait de ne pas l'être, entre le fait d'être lié et de ne pas l'être.

C'est d'ailleurs ce dont parle le livre d'Attar. J'espère que ce qui est perçu lors ma performance c'est ça aussi : l'ambivalence des électrons, de toutes les particules de l'univers. Parfois ce que l'on croit être la liberté est entièrement soumis à l'ordre social et aux forces discursives, et paradoxalement ce qui nous semble être prédéterminé par des lois strictes peut en fait révéler un fascinant univers de liberté.

 

Propos reccueillis en anglais