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D'Elmer Food Beat à Tickles : la scène punk nantaise d'hier et d'aujourd'hui

Musique Publié le 28/02/2023

Trop peu connue, la scène punk nantaise a pourtant bel et bien toujours été vivace. Alors que la fine fleur du punk français se retrouve le 10 mars en salle Micro autour des Psychotic Monks et Grandma's Ashes, ainsi que des locaux Tickles, l'occasion est parfaite pour rappeler que ces derniers prolongent une riche histoire faite d'indépendance et de camaraderie dans la ville et alentours.

Un article rédigé par Antoine Gailhanou.

The Psychotic Monks + Grandma’s Ashes + Tickles

photo : ©Yohan Gerard


Nantes, on y pense souvent pour la chanson ou l'electro. Mais les amoureuses et les amoureux du genre connaissent bien la vitalité de sa scène punk. Elle a toujours été là et continue d'agiter la ville, comme le prouve le succès récent (et international) des Mad Foxes. Une formation dont Tickles est le petit cousin, au sein du même label (El Muchacho) et avec un membre en commun. Avec son post-punk aux accents noise, le groupe poursuit l'histoire du genre, qui remonte à près de cinquante ans.
Car, comme dans beaucoup de villes hors de Paris, c'est avec la période punk autour de 1976 qu'une scène rock émerge véritablement. Libres, décomplexés, les groupes de cette première vague auront malheureusement moins de succès que les voisin·es rennais·es. Qu'il s'agisse des Mickeynstein d'Orvault, avec leur inspiration des Kinks ou des Tequila, au style proche de Telephone, aucun ne fait long feu. La formation la plus emblématique de la période reste Ticket, au style élégant pouvant rappeler XTC ou Television. Après un unique album en 1985 et une collaboration avec Kent de Starshooter, le trio se sépare. Pour mieux rebondir ensuite : l'un co-fondera Elmer Food Beat en 1986, l'autre deviendra producteur des Guignols de l'Info sur Canal+, tandis que le dernier, après un déménagement à Marseille, deviendra Imhotep au sein d'IAM.

Il est clair que la grande période rock de Nantes démarre dans les années 90. En parallèle de l'émergence d'artistes de chanson (Jeanne Cherhal, Dominique A) et du succès d'Elmer Food Beat (ainsi que de Dolly, dans un registre grunge), des groupes radicaux vont s'imposer dans l'underground. Parmi eux : Tri Bleiz Die et leurs paroles en breton. Mais la figure de proue est bien Zabriskie Point, dont on pourrait résumer le style à une version plus intello de Green Day. En effet, le punk rock sous influence américaine se mêle à des paroles et chant de François Bégaudeau, avant que celui-ci ne devienne écrivain et militant à succès, notamment à l'origine du livre et film Entre Les Murs. Le groupe est également à l'origine du label Dialektik Records, point de ralliement de la scène punk radicale de l'hexagone, des Sales Majestés à Dead End.

 

 

Forte de cette structuration, une scène punk rock a progressivement émergé, dans un registre anarchiste et opposé à l'industrie musicale. Inspirés par la scène hardcore américaine (NOFX, Offspring…), des groupes comme Justin(e), Toxxic TV puis The Attendants ou Heavy Heart forment un vrai collectif solidaire, DIY et engagé, où on partage les moyens et les musicien·nes en toute simplicité. Sans oublier Poésie Zéro, où le batteur de Justin(e) est ici au chant, délivrant des paroles absurdes, éloges de la médiocrité (à la limite du shitpost) plus malins qu'il n'y paraît, porté par un style plus qu'efficace. Une bonne occasion de rappeler que la plupart des groupes cités ici ont bien choisi de s'exprimer en français, pour ne rien perdre du propos politique.

En parallèle de ce collectif, l'esprit punk a continué d'infuser dans la ville ces dernières années. D'autres branches ont poussé de ce tronc, avec notamment une scène hardcore poussée par le succès du Hellfest (on peut notamment y citer Stinky, venu·es de Clisson), des tendances expérimentales autour du label Kythibong (le math rock de Papier Tigre et Fordamage ou le garage de Vagina Town) ou des formations plus orientées new wave et post-punk telles Puissance Cube. Mais ce sont bien les Von Pariahs qui ont le mieux incarné le renouveau du punk à Nantes ces dernières années. Après treize ans et trois albums d'un rock furieux et à fleur de peau (et cette fois sous influence bien plus anglaise), le groupe s'est séparé en 2022, en laissant émerger de ses cendres des projets comme Tantric Club ou Robock. Comme chez la génération précédente, c'est toujours l'esprit de fraternité qui compte avant tout.

 

 

Le punk continue de fleurir à Nantes, quitte à parfois s'éloigner de la musique à guitare, comme l'a toujours fait Rebeka Warrior. De la techno de Sexy Sushi ou Kompromat à la chanson de Mansfield TYA., l'artiste insuffle dans tous ses projets, jusqu'à son label Warriorrecords, une énergie et une autonomie purement punk. La scène folk de la ville, en plein essor, est elle aussi concernée : après tout, Alice HA, l'une de ses meilleures représentantes, a fait ses armes au sein du groupe punk rock Ego Zero.

 

Dans un contexte historique aussi riche, difficile de ne pas voir dans Mad Foxes et Tickles des groupes à même de reprendre le flambeau. La bande d'El Muchacho a su s'inspirer du renouveau actuel initié par IDLES, sans rien sacrifier à l'esprit de camaraderie (de communauté, même) et d'indépendance qui cimente le punk nantais. Plus qu'une modernisation, c'est bien le début d'un nouveau chapitre.