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Data physicalization : l’entrée en matière des données (par Stéphane Buellet)

Des pièces d’argile mésopotamiennes vieilles de plus de 7 000 ans à l’écran sous vos yeux, le besoin de quantifier et représenter des données a toujours accompagné l’être humain. L'émulation actuelle autour du sujet de la data physicalization (matérialisation de données) est liée à différents facteurs techniques, artistiques et sociaux.

On peut citer notamment le développement des Fablabs, la vulgarisation des logiciels de visualisation de données et le besoin toujours constant pour nous, êtres humains, de privilégier le contact physique pour mieux ressentir et comprendre l’environnement qui nous entoure.

Data visualization ou data physicalization ?

La data physicalization est une branche de la data visualization mettant l'accent sur la perception physique des données. Là où la data visualization utilise les caractéristiques et les qualités intrinsèques de l'image, la data physicalization s'appuie elle sur les qualités plastiques et sensitives de l'objet physique et les interactions possibles avec l'être humain.

Si vous constater la différence entre l’image cartographique d’une chaîne de montagne et sa représentation physique sous la forme d’une maquette, vous percevrez aisément la distinction entre une visualisation et une matérialisation de données.

 

© 2006 - The Digital Map Ltd. (data visualization)

© 2013 - Behavioral Landscapes by Studio|Lab  (data physicalization)

L'intérêt principal de la matérialisation de données

Toucher en plus de voir, c’est toujours plus excitant, n’est-ce pas ? C’est bien ce qui fait tout l'intérêt de la data physicalization. En proposant un rapport au corps particulier, non plus seulement visuel mais tactile et tangible, elle s’adresse à nos cinq sens et “incarne” les données au cœur même de la matière.

Dans l'art, ce processus est par exemple utilisé sous la forme de data sculpture ou kinetic data sculpture.

© 2004 - Cylinder by Andy Huntington and Drew Allan (data sculpture)

© 2008 –  Fundament by Andreas Fischers (data sculpture)

©2008 – Kinetic Sculpture BMW by Joachim Sauter (Art+Com) (kinetic data sculpture)

Dans le design graphique et objet, c'est la facette pédagogique et didactique de la data physicalization qui est fréquemment exploitée. Cela se concrétise parfois par une approche critique sur la conception de l'objet, son processus de fabrication ou aussi son usage.

  

© 2009 – Form Follows Data: Tableware by Iohanna Pani

Ce domaine facilite les approches interdisciplinaires en navigant entre l’image, l’objet et l’espace.

© 2011 – Handmade Visualization Toolkit by Jose Duarte

Enfin dans le domaine scientifique, la possibilité d'amener certaines données physiques à l'échelle humaine et de rendre ainsi visible l'infiniment grand comme l'infiniment petit reste un principe fondamentalement intéressant de la data physicalization.

CC BY-SA 2.5 Wikipedia - Molécule de Proline

©2012 – Point Cloud: A Dynamic Weather Sculpture by James Leng

© 2015 - Kinetic Blocks - Tangible Media Group

 

L'intérêt de la data physicalization réside donc dans les relations physiques, sémantiques et didactiques qu'elle permet entre des données et leur perception par l'être humain. Tout en s'appuyant sur la data visualization, ce processus ne se résume pas à voir et toucher des données mais permet un éclairage nouveau sur le sens de celles-ci.

C'est aussi un certain rapport au temps qui est questionné car la pérennité physique des matérialisations de données contraste avec la fragilité de leur présence sur écran.

Démarche et initiatives dans le champ de la data physicalization

Les démarches et initiatives dans ces domaines sont nombreuses et démontrent à quel point ce sujet stimule les liaisons entre l’art, les technologies et le design. Une collection absolument édifiante de projets est présentée sur cette page : dataphys.org/list/

On peut aussi citer le Media Tangible Group du MIT qui travailler sur le rapport entre bits et atomes et sur les questions d’interfaces et d’interactions qui en découlent.

Au niveau scientifique en France, l’équipe Aviz de l’INRIA dédiée à ce sujet se démarque par la qualité de ses recherches dont SmartTokens et l’on peut aussi remarques les écrits et les recherches de Samuel Huron.

Récemment, dans le domaine du design, plusieurs workshops ont été menés à ce sujet et un atelier s’est aussi déroulé à Stereolux en lien avec le FabMake de Nantes. Mené par Chevalvert, ce workshop s’est focalisé sur la création d’un objet-signe à la fois réactif à des données sur l’écran et apte à se matérialiser physiquement. Il donnait suite à un premier volet réalisé en 2014. 

 

 


Vers la promesse d’une “matière programmable”

En 1965, Ivan Sutherand mentionnait pour la première fois l’idée d’une “matière programmable”, réunissant ainsi les possibilités du bit à celle de l’atome, qui permettrait de contrôler l’ensemble de la matière dans un espace donné.

Aujourd’hui en 2016, le MIT (Massachusetts Institute of Technology) travaille actuellement sur un langage de programmation permettant de contrôler des cellules vivantes. Il est encore complexe d’en imaginer tous les tenants et les aboutissants, mais force est de constater que la fusion entre les bits et les atomes est en marche.

Stéphane Buellet, designer graphique et interactif, studio Chevalvert