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La Mémoire du Feu d'EZ3kiel : quand les mots font des étincelles (Interview)

Musique Publié le 01/03/2022

Ez3kiel est un groupe multi-facettes. Mariant avec élégance inspiration acoustiques et électroniques en confrontant  la  “modernité” et le “révolu”,  il explore, défriche, effraie avant d’apaiser. La Mémoire Du Feu, son tout nouveau projet, est sorti le 7 janvier 2022. Ez3kiel n’a pas peur de se réinventer, et prouve que les mots aussi peuvent faire des étincelles. 

Les musiciens Stéphane Babiaud et Johann Guillon ont accepté de répondre à nos questions sur leur travail et en particulier sur ce dernier album, dans le cadre de leur concert à Stereolux samedi 19 mars.

Ez3kiel + Graceful
 

1. Vous parlez de votre nouveau projet, La Mémoire du feu, comme un album-fleuve. Quelle histoire souhaitiez-vous raconter à travers les mots de Caryl Férey, et comment en êtes-vous arrivés à collaborer ensemble sur un album ?  

S. B. : Avec Caryl, on a été amenés à travailler ensemble parce qu'il a écrit Mapuche, un de ses polars, en écoutant beaucoup notre musique. Il nous l’a envoyé en disant qu’il s'était nourri de celle-ci pour écrire ce livre. On est restés en contact avec lui et quand on a commencé à vouloir écrire pour un album où on inviterait des chanteurs ou des chanteuses, on l’a branché pour qu’il fasse le travail d’écriture des paroles - parce que nous on en écrit pas. 

Pour l’histoire, ça ne s'est pas fait tout de suite comme ça. On est passés par plusieurs étapes d’écriture de musique d’abord, pour avoir des scénarios de musique et un peu de matière. Caryl nous a offert une première histoire, qui nous a permis d’affiner l’écriture de la musique. Finalement nous n’avons pas gardé ce premier texte, qui ne nous plaisait pas vraiment, ni à lui ni à nous. Donc on est partis sur une histoire de saisons, et ils nous a pondu une histoire d’amour avec deux protagonistes : Diane et Duane. On a commencé à broder autour de cette histoire de rencontre, le printemps et l’été avec l’amour fou, l’automne les doutes, et l’hiver la rupture. Autour de ça, il a écrit des paroles. Il nous a fait la suggestion de ces personnages de Diane et Duane, avec toute leur dualité et l’ambivalence d’écriture impliquée, et ça nous a plu. On a dû trouver un chanteur et une chanteuse, et à travers une sorte de casting on est arrivés à rencontrer Benjamin et Jessica. Ils connaissaient plus ou moins Ez3kiel par rapport à leur parcours et ils étaient très contents qu’on leur propose ce projet.

« On a commencé à broder autour de cette histoire de rencontre, le printemps et l’été avec l’amour fou, l’automne les doutes, et l’hiver la rupture. »

J.G. : Nous préférons parler d’un album «  concept » un petit peu à la manière de l’album Melody Nelson de Serge Gainsbourg. Nous avons fait appel à Caryl Férey pour l’écriture des textes de ce nouvel opus et lui avons laissé carte blanche. Lorsqu’il nous a proposé de tisser l’histoire de l’album autour d’un conte amoureux entre deux personnages dans un contexte post-apocalyptique, nous avons tous été d’accord. Diane et Duane sont deux personnages qui essaient de vivre leur amour pleinement au milieu des décombres d’un monde en décrépitude.

Retrouvez la nouvelle de Caryl Férey sous : https://ez3kiel.store/ 

2. La nature et les éléments sont très présents dans vos titres, surtout le feu mais aussi la terre et la forêt mystique comme dans Galions oubliés. Qu’est-ce qui d’après vous donne cette dimension organique à votre musique ?

J. G. : La dimension organique de notre musique vient de l'instrumentarium utilisé pour cet album. Le mélange de l’analogique et du numérique,  du bois et du métal, de l’acoustique et de l’électrique, du hardware et du plug-in, chant et voix parlée, participe aussi à cet aspect organique de notre musique.

S. B. : C’est vrai qu’on était aussi tombés sur un cadre autour des saisons et des éléments naturels, et on a voulu transmettre ça dans l’écriture et la musique, qu’elle soit aérienne ou basée sur l’eau. Je pense qu'au bout d’un moment, même si le cadre on l'a bougé et effacé, on ressent toujours les trames de l’écriture. C’est comme faire un tableau au crayon de bois, on a beau gommer les essais et contours mais ça donne une ossature et l’idée principale. La musique et l’écriture du texte étaient intimement liées, parce que les mots nous ont inspiré et vice-versa pour la musique qu’on envoyait à Caryl, qui alimentait constamment la réécriture de la nouvelle et de paroles supplémentaires.

« La musique et l’écriture du texte étaient intimement liées, parce que les mots nous ont inspiré et vice-versa pour la musique »

S. B. : On s’est vraiment bien entendus là-dessus ! Caryl était fan de notre musique, il voulait par contre toujours beaucoup de guitare, que ce soit plus rock’n’roll, que ça saigne ! Nous on était un peu partis sur autre chose et il a bien compris que même si il y avait des morceaux plus gentils, on allait quand même lui proposer des morceaux un peu plus méchants. Donc il y avait une balance aussi, on ne pouvait pas faire un morceau hyper rock’n’roll sur une rencontre amoureuse. Nous, ça nous a permis d’écrire presque des slows, des morceaux qui ne sont pas du tout dans l’écriture d’Ez3kiel. Des morceaux pop avec un couplet, un refrain… On a beaucoup écouté du Souchon et du Gainsbourg pour comprendre comment on écrit une chanson avec un refrain et des mots qui claquent. Avant on ne faisait pas cette musique là, et on voulait aller chercher des codes qu’on a pas. 

3. Le contraste est flagrant entre la voix légère de Jessica Martin-Maresco qui nous transporte dans des ballades presque méditatives et la voix rauque de Benjamin Nerot qui prend plus de place tandis que l’atmosphère s’assombrit. Peut-on parler d’une descente aux enfers ? 

J. G. : Le contraste des deux voix de Jessica et Benjamin nous paraissaient intéressants d’un point de vue musical, et marquait aussi de façon significative la différence de caractère des deux personnages. La voix narrative est  contée par Olivia Nicosia, elle vient ponctuer les sentiments de Diane et Duane. À la lecture de la nouvelle (format livre) « La mémoire du feu » qui est disponible sur notre site et sur notre stand de merchandising lors de nos concerts, on peut réellement parler d’une descente aux enfers. 

S. B. : On avait essayé de définir cette évolution en très peu de mots, comme une sorte d’apocalypse citadine d’une rencontre amoureuse. Il y a aussi un morceau à la fin qui s’appelle Les spirales ascendantes. C’est le fait de faire des cercles comme ça, quand on est amoureux ou qu’on vient de décrocher un super travail, on monte et on monte, on se dit que la vie est géniale. Mais quand on arrive en haut, on redescend. Tout se casse la figure et on mange son petit bol de gris et de noir, avant de remonter dans une spirale ascendante. C’est vraiment ce que nous on voulait retirer de cette histoire là : ce n’est pas qu’une descente aux enfers. Après tout ça, peut-être que les protagonistes se revoient et retombent amoureux…

« On avait essayé de définir cette évolution en très peu de mots, comme une sorte d’apocalypse citadine d’une rencontre amoureuse.»

S. B. : Mais si vous avez lu la nouvelle, vous voyez très bien comment se termine l’histoire. En fait, ils ne se quittent pas parce qu'ils sont plus amoureux, mais parce que Duane meurt à la fin. C’est un peu la surprise que Caryl nous a réservé, dans cette histoire de cavale. Désolé si je m’étale beaucoup dans les réponses, mais c’est aussi compliqué que ça dans nos têtes ! On s’est finalement tous fait une histoire dans l’histoire, on a pas du tout les mêmes interprétations. Même physiquement on ne se les imagine pas pareil, Diane et Duane. Ça fait partie des mystères de la création. 

© Photo Mathieu Ezan
 

4. Vous assumez le fait que votre œuvre soit inclassable, au croisement des influences. Pourquoi ce choix d’alterner entre des compositions instrumentales et des titres chantés ou narratifs ?

S. B. : Les titres avec la voix narrative permettent de faire exactement comme dans l’écriture des pièces de théâtre antiques, avec un "chœur antique” qui explique l’aspect spatio-temporel du “quand, qui, quoi, comment”. Une fois ce cadre de l’histoire placé, on a pu faire poser les chanteur·euses. Après, les morceaux instrumentaux ça nous a vraiment permis de faire du Ez3kiel, et de faire des transitions entre les chansons. Ce qui fait que c’était beaucoup plus facile pour nous de développer toute l’histoire avec 11 morceaux - plutôt que de faire que des morceaux chantés sans mettre autant en avant l’écriture musicale. Les trois formats chœurs/chansons/instrumental nous donnent une certaine liberté pour pouvoir nous exprimer. Par exemple le morceau Rouge sang qui est bien violent, ou encore Serpent corail, L’absolu… Ce sont des transitions qui nous ont fait bien plaisir, pour passer d’une humeur à l’autre. 

 

 

J. G. : Les morceaux instrumentaux viennent illustrer, compléter et éclairer les textes de Caryl. Ils traduisent l’état psychologique et la subconscience des deux personnages, Diane et Duane, comme une sorte de prolongement de leur état.


Propos recueillis par Lena Canaux