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ÉLECTRONS LIBRES : Sur les chemins de traverse artistiques, libres et hybrides de Julien Desprez (interview)

Arts numériques Musique Publié le 26/10/2020

Entre décloisonnement des genres et pratiques inclassables, Julien Desprez nous embarque vers des chemins de traverse artistiques. A l'image de son live solo Acapulco Redux avec guitare electrique et lumières stroboscopiques présenté à Electrons Libres, ses créations sont toujours instinctives, libres et percutantes.

ELECTRONS LIBRES : JULIEN DESPREZ • COLLECTIF AYEKAN


Pourquoi et comment avez-vous évolué de la scène jazz et rock à une musique très libre et radicale ?

Alors il est toujours compliqué de répondre à cette question car tout cela n’était pas prévu !
Tout d’abord le simple fait de devenir musicien/artiste était déja une sortie de route pour moi. J’étais dans un premier temps sur le chemin pour devenir ébéniste. Mais entre temps, durant la formation C.A.P. que je suivais sur l’ebenisterie, j’ai découvert ma passion et ma sensibilité pour la musique au détour d’une guitare qui circulait dans mon groupe d’amis à la fin de mon adolescence. J’ai donc commencé la musique en jouant et chantant du Louise Attaque, Red Hot Chili Peppers pour me diriger petit à petit vers le jazz et la musique improvisée à travers ma rencontre avec Patricio Villaroel, pianiste et batteur chilien. Patricio « enseignait », si c’est enseignable, la musique improvisée. Son principal discours était de nous apprendre à être nous-même. À trouver notre personnalité au sein de la musique même. De sortir d’un processus d’imitation de ce qui existe déjà pour rentrer dans un process qui consiste à découvrir sa personnalité au sein de la musique. En gros d’assumer et de développer ses spécificités, d’être le plus proche possible de soi-même. Et c’est toujours la route que je suis aujourd’hui, de manière instinctive.

Mon instinct me pousse à sortir de ma zone de confort régulièrement. Pour remettre en question ma pratique artistique et construire ma propre liberté. J’imagine donc que c’est cette énergie qui m’a poussé à dépasser les frontières esthétiques du jazz tout autant que du rock pour évoluer vers des formes plus libres et radicales, mais néanmoins généreuses !

Photo ©Sylvain Gripoix

 

Vous êtes co-fondateur du Collectif Coax, pouvez-vous revenir sur la mission de ce collectif et sur ce qui vous a motivé à le créer ?

Nous avons créé le Collectif Coax en 2009 avec Benjamin Flament, Yann Joussein, Antoine Viard et Simon Henocq. Au tout début la mission ou l’objectif était simplement de réunir sous la même bannière differents groupes de musique ou chacun jouait avec chacun. Afin de mieux être identifié et de pouvoir défendre la musique que nous proposions. A l’époque nous oscillions entre free-jazz, musiques improvisées et néo jazz-rock. Nous avons vite compris que notre musique n’était pas la bienvenue dans beaucoup d’endroits. Nous avons donc utilisé Coax pour créer nos propres conditions de diffusions, de concerts. Nous nous sommes mis à organiser concerts et festivals dans des squats parisiens, des bars qui voulaient bien de nous, tout type d’endroit où l’on pouvait jouer. Il peut d’ailleurs être assez drôle de se retrouver à jouer du free-jazz électrique devant des gens qui mangent des pizzas en famille ! Après quelques années d’existences, cette activité nous a permis de développer notre propre public sans passer par l’interface des salles qui programment ou des institutions. C’était, d’un certain point de vue, ce que nous cherchions à faire, même si nous le découvrions en même temps que nous le faisions.
 


Collectif COAX - la coopérative de musiciens

Et finalement, certainement comme une suite logique à tout ça, les institutions, salles de concert et festivals ont commencé à s’intéresser à nous. A partir de là, nous avons pu consolider Coax comme un outil mutualiste et collectif pour les artistes que le collectif réunissait. Depuis, Coax a évolué. Le jazz y est beaucoup moins présent et a laissé la place à beaucoup plus de formes ouvertes, performatives et expérimentales. Mais en quelque sorte notre « mission » reste la meme, défendre des pratiques inclassables et invisibilisées pour une large partie du grand public, alors que nous pensons que n’importe qui peut y avoir accès et y être sensible, sans connaissance préalable.
 

On vous retrouve aussi à Nantes en décembre à la Soufflerie avec le spectacle de danse “Coco”, vous aimez décloisonner les genres ? Quelle est votre manière d’aborder ces différentes pratiques ?

Plus que le décloisonnement des genres, j’aime les objets artistiques que l’on ne peut pas nommer ou appeler facilement. Les choses qui se placent au milieu ou entre les appellations ou bien en dehors. C’est à mes yeux un énorme endroit de liberté tout en étant un espace de résistance au monde marchand où l’on doit tout appeler de la manière la plus efficace possible pour vendre toutes sortes de choses. Coco se situe pleinement dans cette démarche et cet espace. Coco n’est ni un spectacle de danse, ni un concert, ni un spectacle et est en même temps tout ça à la fois. Disons que toutes ces formes ont trouvé de nouvelles amitiés au sein de cette performance hybride.
 


Coco, performance sonore et chorégraphique, le 1er décembre 2020 à l'Auditorium, Rezé


En partant de la pratique des claquettes brésiliennes Tamancos (littéralement "chaussures en bois" ou "sabots" en portugais) il est devenu possible de flouter la frontière entre les pratiques sonores et les pratiques chorégraphiques pour développer un espace sans nom. Pour écrire cette performance, je suis parti rencontrer les Coco Raizes de Arcoverde (groupe de Samba de Coco) au Brésil, Pernambuco, en 2019. Ils m’ont transmis leur pratique des Tamancos qu’ils ont eux même ramené d’Afrique durant le marché triangulaire des esclaves. À la base, ces chaussures en bois servaient à tasser la terre avant de construire des maisons. Ils ont réussi à faire vivre leur pratique pendant des siècles d’oppression et à la transformer en pratique musicale. Aujourd’hui, ils occupent une place très importante dans le spectre culturel brésilien. Ce qui m’intéressait au début dans leur musique, c’était leur rapport au sol. Je sentais quelque chose de très similaire à ma propre pratique, mais à travers une esthétique et une histoire très différente de la mienne. C’était une manière pour moi de me regarder sous un autre angle, de sortir encore une fois de ma zone de confort. Je me sens chanceux d’avoir eu accès à cette culture ! Tout le monde ne peut pas se le permettre et j’essaie de le garder en tête lorsque je fais toutes sortes de choses, artistiques ou non. Depuis l’aventure continue, nous avons créé Coco avec la formidable équipe qui compose la pièce. Les propositions de chaque artiste ont fait évoluer mon propos et m’ont également poussé à me dépasser. J’ai hâte de remonter sur scène avec eux pour performer Coco ! En attendant, je vous invite à écouter la musique des Coco Raizes De Arcoverde !
 

Vous êtes programmé à Stereolux dans le cadre d’”Électrons Libres”, qu’est-ce que cela vous évoque ? Vous considérez-vous comme un “Électron Libre” ?

C’est vrai que je suis très attaché à l’idée de liberté ! C’est quelque chose qui est très important pour moi.
Mais je ne la considère pas comme quelque chose d’acquis. Je la regarde plus comme quelque chose à construire ou à s’approprier en permanence. Il faut savoir aller vers son propre risque, se mettre en danger pour sortir des cases que l’on nous assignes. Nous devons créer notre propre liberté. La construire, la déconstruire, être dans un mouvement permanent qui ne laisse rien se figer mais rend plutôt la vie…. vivante ! Dans ce sens là, peut-être que je suis un électron libre. Mais à la différence d’un électron, le noyau autour duquel je tourne peut être redéfini en permanence !