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Le financement de la culture en questions

Le financement des activités culturelles est devenu un enjeu politique récurrent, et avec lui la place de la culture dans la société française. Il nous a paru utile de tenter un état des lieux et d'en tirer quelques conclusions. 

/ Laurent Mareschal et Matthieu Chauveau

QUELLE EST LA PLACE DE LA CULTURE DANS L'ÉCONOMIE FRANÇAISE ?

En janvier 2014, le ministère de la Culture et celui de l’Économie ont publié un rapport sur le sujet, sobrement intituléL’Apport de la culture à l’économie en France. Les chiffres sont éloquents. En 2011, la valeur ajoutée1 des activités culturelles en France s’élevait à 57,8 milliards d’euros, soit 3,2% du PIB. Autant que l’agriculture et les industries alimentaires réunies, et… sept fois plus que l’industrie automobile. Le même rapport chiffre à 670 000 le nombre des emplois du secteur.

Au sein du secteur culturel, c’est le domaine du spectacle vivant (musique, théâtre, danse…) qui crée le plus de valeur ajoutée (8,8 milliards d’euros), suivi de près par celui du patrimoine (8,1 milliards d’euros), loin devant, par exemple, le cinéma (3,6 milliards d’euros).

Les Chiffres-clés 2015 du ministère de la Culture livrent des valeurs inférieures, en ne retenant que les contributions des activités strictement culturelles (en comptant par exemple l’édition de livres, mais pas les coûts d’impression qui y sont liés). Le chiffre reste impressionnant : 44 milliards d’euros de valeur ajoutée en 2013, soit 2,34 % du PIB.

QUI SUBVENTIONNE LA CULTURE ? 

Comme de nombreux secteurs économiques (comme l’agriculture), la culture bénéficie d’importants financements publics.

En premier lieu de l’État : 13,9 milliards d’euros en 2012, tous modes d’intervention confondus : crédits de tous les ministères (le budget du ministère de la Culture – 7,54 milliards d’euros en 2012 – mais aussi les financements spécifiques d’autres ministères, par exemple celui de l’Éducation nationale) et dépenses fiscales (taux réduit de TVA, dégrèvement de redevance télé… soit 1,4 milliard d’euros au total). Les financements de l’État vont principalement à l’audiovisuel (5 milliards en 2012, dont 3,8 milliards pour l’audiovisuel public), à l’éducation artistique (2,1 milliards), au patrimoine (1,4 milliard), à l’accès au savoir (1 milliard), au spectacle vivant (850 millions), à la presse (845 millions), au cinéma (475 millions). Ils incluent les (coûteux) grands établissements nationaux tels que le musée du Louvre, Versailles, la Bibliothèque nationale de France ou l’Opéra de Paris.

Les collectivités territoriales sont également des financeurs importants de la culture. En 2010 (derniers chiffres disponibles), elles allouaient 7,6 milliards d’euros 2 à ce secteur, dont 4,5 milliards d’euros pour les communes de plus de 10 000 habitants (soit 8% de leur budget global). Ce sont les collectivités qui appuient la plupart des équipements de proximité, soit en régie directe (bibliothèques, musées, conservatoires...), soit par le biais de subventions à des opérateurs (en majorité dans le domaine du spectacle vivant). Enfin, le régime d’indemnisation des intermittents s’avère un contributeur non négligeable : son déficit dans les comptes de l’Unédic est d’un milliard d’euros par an 3. En comparaison, les subventions privées sont faibles. L’ADMICAL (association de promotion du mécénat d’entreprise) estime le montant du mécénat culturel à 364 millions d’euros pour 2014, dont 69 % sont consacrés au patrimoine bâti, aux musées et aux expositions (le spectacle vivant recueillant, de son côté, 58 millions d’euros). Il convient de préciser qu e le mécénat, bénéficiant de réductions d’impôts, est aussi une dépense fiscale.

À QUOI SERVENT LES FINANCEMENTS PUBLICS DE LA CULTURE ?

À beaucoup de choses. Disons pour résumer que, par le soutien à des entreprises des secteurs commercial (cinéma, presse...) et non commercial (audiovisuel public, bibliothèques, musées, théâtres, salles de concert...), ils permettent l’existence d’une offre culturelle accessible sur tout le territoire. Deux exemples : la subvention par place vendue à l’Opéra national de Paris est de 145 euros, pour un prix moyen de vente de 90 euros (saison 2013-2014) ; le prix d’une place à un concert de rock varie facilement du simple au double selon que le concert a lieu dans une salle subventionnée (comme Stereolux) ou dans une salle privée (souvent à Paris) de capacité équivalente.

COMMENT ÉVOLUENT LES FINANCEMENTS PUBLICS ?

Ces dernières années, ils ont incontestablement baissé. Le budget du ministère de la Culture a diminué de manière continue depuis 2012 : - 4% en 2013, - 2 % en 2014. La hausse de 0,3 % pour 2015 ne compense que fort peu cette réduction, qui ne tient d’ailleurs pas compte de l’inflation (3,4 % de janvier 2012 à janvier 2015). Au total, inflation comprise, les capacités d’intervention du ministère de la Culture (hors audiovisuel public) ont baissé de 8,7 % entre 2012 et 2015. Ce phénomène est par ailleurs amplifié par la baisse des transferts de l’État aux collectivités territoriales. En particulier, la diminution de la dotation globale de fonctionnement (-3,67 milliards d’euros en 2015 et autant en 2016 et 2017) touche durement les budgets des collectivités, dont on a vu qu’elles sont un acteur incontournable du financement de la culture. 

Il n’existe pas encore de chiffres concernant l’impact de cette baisse sur les activités culturelles, mais il suffit de lire les journaux pour constater que l’impact est réel sur de nombreux acteurs culturels, notamment salles de spectacles et festivals. On assiste donc à une érosion persistante des financements publics.

QUE SE PASSE-T-IL LORSQUE LES SUBVENTIONS BAISSENT ?

Adoptons ici le point de vue d’un établissement culturel. Une perte de subventions le conduit logiquement, soit à diminuer ses dépenses, soit à augmenter ses autres recettes.

Côté dépenses, les leviers d’action sont la diminution des charges fixes (le coût de fonctionnement de l’équipement et les salaires de l’équipe), la diminution du coût des activités (par exemple le prix d’achat des spectacles) et la diminution du volume d’activité. À première vue, la solution la plus indolore est la dernière. On pourrait en effet penser que, confrontée à une baisse de 10 % de ses subventions, une salle qui organise quatre-vingts spectacles par an peut facilement réduire son offre de 10 % et n’en proposer que soixante-douze. Mais réduire l’activité, c’est aussi réduire les recettes, de sorte que l’économie réalisée est en fait moindre. Pour une salle comme Stereolux, dont les ressources propres représentent 50 % du budget, il faudrait en fait diminuer l’activité de 20 %. Évidemment, certaines activités génèrent moins ou pas de recettes (artistes peu connus, soutien à la création, activités scolaires...) et leur réduction est une source plus efficace d’économie.

En outre, la diminution du nombre de spectacles oblige les programmateurs à être plus sélectifs et tend à orienter leurs choix vers ce que le public attend, au détriment de ce qu’il ne connaît pas encore. Pour diminuer les dépenses, on peut également jouer sur le coût d’achat ou de production des spectacles. Le coût d’achat est en général fonction de la billetterie espérée. Les marges de négociation sont donc faibles pour les spectacles qui marchent (la tendance est même plutôt à la hausse des cachets). Elles sont plus grandes pour les artistes de plus faible notoriété. Le traitement désormais assez communément réservé aux premières parties de concert est symptomatique: le cachet des groupes de première partie peut s’avérer nettement inférieur aux dépenses engagées (déplacement, hébergement et salaires), l’occasion de jouer devant un public nombreux étant alors considérée comme une manière de se faire connaître, autrement dit un « investissement ». La salle peut également diminuer le nombre de créations qu’elle soutient ou chercher à programmer des types de spectacle moins chers : musique de chambre plutôt que musique symphonique, pièces du domaine public plutôt que pièces sujettes à droits d’auteur... La marge reste cependant toujours étroite entre les économies réalisées et le maintien des recettes.

Ces différentes options peuvent évidemment être cumulées. Confrontée cette année à une baisse brutale de ses subventions (-320 000 euros sur un total de 3,3 millions, soit une baisse un peu inférieure à 10 %), la Scène nationale de Chambéry ferme deux mois en plus de l’habituelle fermeture estivale, supprimant une quinzaine de spectacles (20 % de sa programmation) et mettant ses salariés au chômage partiel.

                                                                  financement de la culture

Côté recettes, la première solution qui s’offre aux établissements culturels est d’augmenter le prix des activités proposées. Les économistes de la culture sont à peu près d’accord sur le fait que la demande de spectacles est relativement peu sensible à leur prix. Autrement dit, un spectateur ne cesse pas nécessairement d’aller voir un film de Luc Besson à 10 euros quand il pourrait aller voir un film de Garrel à 5 euros. En revanche, l’augmentation du prix tend à spécialiser la consommation. Plus un bien culturel est cher, moins le spectateur prend de risques.

Les autres solutions consistent toutes à se tourner vers le secteur privé, que ce soit sous forme de mécénat, de partenariats ou de location de salles, par exemple à des producteurs privés qui assument seuls le risque financier lié à un spectacle, voire en louant leur équipement à des entreprises, par exemple pour des congrès, des conventions et autres rassemblements du même type.

Comme on l’a vu plus haut, le mécénat est peu développé en France. Tout comme les partenariats, il tend globalement à se concentrer sur ce qui brille et sur ce qui fait déjà consensus : une exposition Van Gogh trouve plus facilement des financements privés qu’une exposition Pierre Soulages. On peut déduire de ce qui précède que la réduction des financements publics à la culture a un double impact négatif.

Tout d’abord des conséquences purement économiques. Sans même parler des retombées indirectes des activités culturelles (par exemple sur le secteur du tourisme), il est certain que la diminution des financements publics a des effets récessionnistes sur un secteur non négligeable de l’économie nationale. Et ces effets dépassent largement le seul montant des aides publiques. Surtout, la contraction économique entraîne un changement de nature de ces activités : moins de création, moins de risques, moins de petites jauges, moins de médiation. En un mot, moins de diversité.

PLAIDOYER POUR UNE INTERVENTION PUBLIQUE FORTE

Laissée au seul jeu du marché, une activité économique tend à la concentration, à l’émergence d’acteurs tout-puissants et à la standardisation de l’offre. Par exemple, on peut aisément constater que la multiplication des chaînes de télévision privées ne conduit pas à une diversification des types de programme, mais au contraire à l’infinie déclinaison – y compris sur les chaînes publiques – de ce qui se vend déjà. Il en va souvent de même des contenus sur Internet. C’est sans doute la vraie responsabilité d’une politique culturelle : nourrir une diversité de formes et de contenus pour faire contre-feu à ce mouvement de concentration et de standardisation ; non seulement maintenir, mais promouvoir une diversité visible et facilement accessible (financièrement, géographiquement et symboliquement).

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce ne sont pas les formes les plus exigeantes qui souffrent du manque de diversité réelle. Il y aura toujours des Mallarmé ou des Boulez, des artistes qui comptent pour un nombre restreint de gens (mondialisation aidant, ce nombre peut même à la fois augmenter en volume et se réduire proportionnellement). La menace pèse plutôt sur le grand public et sur la nature de la culture populaire. Si l’on définit celle-ci comme « l’espace entre l’Art et le capitalisme » (selon une formule pertinente de l’avocat, écrivain et ex-bassiste des Hot Nasties, Warren Kinsela), la vraie responsabilité d’une politique culturelle est de faire en sorte que cet espace ne se réduise pas à un mur, mais soit aussi large et perméable que possible, ce qui suppose que les alternatives au marché pur et simple soient fortes. Mozart, musicien de cour, s’en tirera toujours. La téléréalité aussi.

L’entre-deux, ça ne se fera pas tout seul.

NOTES

1 - La valeur ajoutée est égale à la différence entre la valeur de la production et la valeur de la consommation intermédiaire, c’est-à-dire des biens et services transformés ou entièrement consommés au cours du processus de production. Contrairement à l’excédent brut d’exploitation, la valeur ajoutée inclut les rémunérations versées par l’entreprise ou le secteur considéré.

2 - La contribution des collectivités territoriales ne peut pas être purement et simplement ajoutée à celle de l’État, car les collectivités financent certaines de leurs activités culturelles grâce à des subventions étatiques. Ces montants seraient donc comptés deux fois.

3 - L’Unédic estime que la suppression du régime d’indemnisation des intermittents n’entraînerait pas une économie égale au déficit actuel, une partie des salariés passant dans le régime général, l’autre cessant de cotiser. Le coût réel du régime est évalué à 320 millions d’euros par an.

SOURCES

L’Apport de la culture à l’économie en France, La Documentation Française, Paris, 2014.

Chiffres-clés, statistiques de la culture et de la communication 2015, ministère de la Culture - DEPS, Paris, 2015. Françoise Benhamou,L’Économie de la culture, La Découverte, Paris, 2011.

Warren Kinsela, Fury’s Hour a (sort of) punk manifesto, Random House, New York, 2005.