Labo Arts & Techs
Rendez-vous pros de Scopitone : découvrir les réflexions et les outils des artistes du festival
Cette année, les artistes du festival Scopitone sont particulièrement sollicités : en plus de leurs installations, performances, concerts ou expositions, vous pourrez profiter de leur travaux et réflexions dans le cadre des Rendez-vous Pros de Scopitone.
Miniconférences, workshops, masterclass, tables rondes… complètent ainsi le programme artistique du festival et permettent de s’emparer autrement des problématiques et des questionnements soulevés par ces artistes, ainsi que des outils qu’ils utilisent. Autant d’occasions pour écouter, apprendre, s’inspirer, discuter, en présence de ceux qui constituent les forces vives de la création d’aujourd’hui.
Ces rendez-vous s’adressent aux passionnés de création numérique, professionnels du secteur, étudiants, développeurs, designers, artistes ou amateurs éclairés.
Samuel St-Aubin
Exposition :
- Du 20 au 24 / Passage Sainte-Croix : TableSpoons + Parcours défini + Riz instantané + Cordes croisées + Herbes hautes
Rdv pros :
- Jeu 21 / Bâtiment B : Table ronde "Art, design : vers une ère post-numérique ?"
- Jeu 21 / Insula : Les miniconférences de Scopitone
- Ven 22 / Passage Sainte-Croix : Workshop "Programmez votre quotidien"
Qosmo
Performance :
- Mer 20 / Stereolux : AI DJ Project
Rdv pros :
- Jeu 21 / Insula : Les miniconférences de Scopitone
MYRIAM BLEAU
Exposition :
- Du 20 au 24 / Musée d'arts de Nantes : Stories of Mechanical Music
Performance :
- Jeu 21 / Musée d'arts de Nantes : autopsy.glass
Rdv pros :
- Jeu 21 / Bâtiment B : Table ronde "Erreur 404 : erreur, faillibilité et aléa numérique"
GUILLAUME MARMIN
Exposition :
- Du 20 au 24 / Cale 2 Créateurs : Licht, mehr Licht !
Rdv pros :
- Jeu 21 / Insula : Les miniconférences de Scopitone
FLAVIEN THÉRY
Exposition :
- Du 20 au 24 / Château des ducs de Bretagne : Les contraires + Dual + Le blanc n'existe pas + Vision cones + Spectre + Inverted Relief (the candor chasma's flying carpet)
Rdv pros :
- Jeu 21 / Insula : Les miniconférences de Scopitone
SoKANNO
Exposition :
- Du 8 au 24 / Medicampus : Semi-senseless Drawing Modules
Rdv pros :
- Jeu 21 / Insula : Les miniconférences de Scopitone
MAOTIK & CESAR URBINA
Exposition :
- Du 20 au 24 / Maison des Arts de Saint-Herblain : Bloom
Rdv pros :
- Mer 20 / Medicampus : Masterclass "Scénographie immersive et experience audiovisuelle" (live demo + atelier)
Pantha du prince
Musique :
- Sam 23 / Stereolux - Les Nefs : Nuit Electro #2
Rdv pros :
- Ven 22 / Trempolino : Masterclass
L’art du Faire
Pratiques collaboratives, recours à l’open source, mutualisation des savoirs et des savoir-faire… Le travail artistique en fablab questionne la notion d’œuvre, en particulier lorsque les processus de co-création investissent sa dimension collective, bousculent l’idée même de production et de série, transgressent les frontières entre les disciplines. Une zone de frottement et de dialogue entre art et sciences, art et technologies, art et société.
Au printemps 2017, le Centre Pompidou (Paris) consacrait sa première rétrospective d’envergure à l’impression 3D avec Imprimer le monde, une exposition de la manifestation “Mutations/Créations” pour explorer l’impact des machines à commande numérique, des cultures hacker et du mouvement maker sur la création artistique contemporaine, l’architecture et le design.
Plutôt qu’un panorama linéaire des usages de la fabrication additive à des fins artistiques, l’exposition visait à démontrer comment les artistes détournent l’outil, le hackent et le poussent dans ses retranchements critiques, à l’instar de l’Iranienne Morehshin Allahyari et du Britannique Daniel Rourke, auteurs en 2015 du 3D Additivist Manifesto, à la fois appel à l’exploration subversive de l’impression 3D et essai pamphlétaire sur l’hégémonie de la fabrication numérique en vigueur dans les fablabs. “Les médias ont parasité la réalité de l’impression 3D lorsqu’ils se sont emparés de l’impression à dépôt de fil qui existait déjà depuis longtemps dans les fablabs pour faire du buzz auprès du grand public”, explique Sarah Goldberg, fondatrice du artlab Maker sur Seine et du Bagel Lab, un studio de création spécialiste de l’impression 3D.
Car l’impression 3D a largement contribué à populariser l’émergence des fablabs, ces laboratoires de fabrication numérique nés au Massachusetts Institute of Technology de Boston, sortes de micro-usines collaboratives et partagées que certains ont décrits comme annonciatrices de la “troisième révolution industrielle”. Grâce à leurs nouvelles méthodes de production, les fablabs sont rapidement devenus un lieu de convergence pour les makers, les designers, les ingénieurs, les artisans et les artistes trouvant là des machines autrefois inaccessibles car réservées au monde industriel, leur permettant ainsi de prototyper leurs créations rapidement et à moindre coût.
3D additivist Manifesto - Photo © creative commons
La réinvention de l’atelier
Au-delà, l’ouverture des fablabs au public a permis de rendre visible un processus de création de l’œuvre jusque-là sacralisée. Simples curieux ou amateurs éclairés, l’artiste Samuel Bianchini, enseignant-chercheur à Ensadlab (laboratoire de l’École nationale supérieure des arts décoratifs), définit ces usagers comme “des figures intermédiaires qui ne sont ni expertes, ni spécialistes —mais non pas dépourvues de moyens et de connaissances— se situant entre le producteur et le consommateur”. Un aspect fondamental de la porosité des rôles et des statuts dans les fablabs qu’il souligne ainsi : “Traditionnellement, l’atelier tel qu’on en parle au sens de l’atelier d’artiste, voire de l’atelier d’artisan, est l’endroit où l’on fabrique avant que l’œuvre ne soit exposée et rendue publique. Il s’agit du lieu où se pensent, se fabriquent et s’expérimentent les choses. De l’autre côté, on a le laboratoire, qui en est l’équivalent en sciences expérimentales. Ce qui est intéressant avec les fablabs, c’est qu’ils portent un peu l’héritage des deux, avec cette dimension très importante qui est cet aspect public”. Pour lui, les deux inputs principaux qui caractérisent ces ateliers aujourd’hui sont d’une part, leur caractère expérimental et d’autre part, un rapport inédit au public qui se dessine. “Cette confrontation publique va amener à reconsidérer les choses. Avec les fablabs, les living labs et l’open innovation, il est intéressant de voir comment, par l’ouverture au public, on change la façon de faire et de concevoir. […] Il y a aussi une délinéarisation des processus, c’est-à-dire une tendance forte à rompre avec le principe de faire les choses pour les rendre au public après. Le rendu public va être différent. La confrontation au public intervenant très tôt dans le processus, on peut être davantage amené à des formes de processus itératifs. D’abord par l’expérimentation, que l’on va stabiliser à un moment donné, avant de la confronter au public et d’analyser ses réactions. Ensuite, on va itérer pour pouvoir incrémenter différentes versions. C’est là qu’intervient une autre notion qui vient du monde de l’informatique : celle du fork, c’est-à-dire qu’à partir d’un même projet, on va avoir une bifurcation.”
C’est ainsi qu’entre recherche et création s’est construite une nouvelle génération d’ateliers-labs d’artistes, souvent pilotés de manière collective et pluridisciplinaire pour répondre à la complexité des sujets abordés, comme l’atelier du designer et plasticien Olafur Eliasson, intervenant dans le cadre de la Fabacademy pour former les futurs fabmanagers, et qui vient de lancer un ambitieux projet mixant art et réalité virtuelle avec les stars de l’art contemporain Jeff Koons et Marina Abramovic.Cependant, ce rapport au public et au mode collaboratif ne va pas forcément de soi pour tous les artistes. Peter William Holden, qui réalise ses installations mécatroniques et poétiques dans son atelier de Leipzig, avoue avoir bien du mal à se passer de son antre, préférant son bric-à-brac de matériaux et de machines plutôt que le travail en fablab : “Pour moi, ce n’est pas évident, par exemple, de faire des résidences d’artistes car mon atelier m’est absolument essentiel pour travailler. Lorsque j’ai commencé mon travail artistique il y a vingt ans, les fablabs n’existaient pas. C’est donc petit à petit que je me suis construit mon propre atelier de fabrication”.
La redistribution de l’autorité
L’impact de la relation au public en cours de processus de création et l’approche collaborative des fablabs interrogent la notion d’auteur de l’œuvre réalisée de manière collective, contributive, voire coopérative. “La question est complexe”, concède Samuel Bianchini. “Dans le contexte artistico-socio-technique, l’un des événements déclencheurs a été Richard Stallman avec le copyleft. (Richard Stallman est l’initiateur du mouvement du logiciel libre. Il a popularisé la notion de copyleft, c’est-à-dire l'autorisation donnée par l'auteur d'un travail soumis au droit d'auteur d'utiliser, d'étudier, de modifier et de diffuser son œuvre, dans la mesure où cette même autorisation reste préservée). [...] La redistribution de l’autorité est aussi ce que Roy Ascott avait vu apparaître très tôt. La question est de savoir comment on recompose avec une redistribution de l’autorité. C’est l’un des points les plus difficiles de la relation entre l’art et la recherche. Parce que chez les artistes en général, et dans les formations en école d’art en particulier, il y a une forme d’ancrage qui consiste à dire ‘Je suis un artiste’ et de faire en sorte que les autres le croient. En recherche, ce serait important de voir comment en disant ‘Je’, je compose avec les autres qui disent aussi ‘Je’ et comment on arrive à travailler sur des formes complexes qui nécessitent d’être ‘Nous’.”
Dans l’ouvrage collectif Artisans numériques publié en 2012, le chercheur suédois Johan Söderberg signait d’ailleurs un texte critique sur la question de la propriété intellectuelle à l’ère de la fabrication numérique pour évoquer l’idée d’une “propriété augmentée” dans le cadre des fablabs. “Le travail de frontière que les hackers, les militants et les universitaires ont engagé depuis 1980 est désormais déstabilisé en raison de l’introduction d’un nouvel élément narratif”, écrit-il. “À savoir, l’exclamation qui, pour le dire dans le jargon de l’idéologie californienne, déclare : ‘Les atomes sont les nouveaux bits.’ Au cœur de l’articulation de ce nouvel imaginaire se trouvent les amateurs qui construisent des imprimantes 3D open source. La machine a été conçue avec l’objectif déclaré de faire tomber le garde-fou entre l’information et les biens physiques. Une des espérances de l’amateur, parmi tant d’autres, est que les mêmes forces perturbatrices seront lâchées sur les fabricants industriels comme elles ont pu déjà le faire dans l’industrie de la musique et du cinéma.”
Cette question de la définition de l’œuvre et de sa redistribution est d’ailleurs fréquemment contrecarrée, voire détournée, par divers collectifs d’artistes, comme le Copie Copains Club (CCC) inspiré dans le désordre par les licences Creative Commons, les Surfing Clubs, la licence Art libre et le Mickey Club. Leur principe ? “Les copains sont libres de copier n’importe quel artiste vivant” ou encore “Les copies sont des réinterprétations de leurs originaux”. En bref, le CCC se veut un espace libre où chacun peut jouir librement de la copie, qu’il soit geek ou plasticien, pour questionner son rapport à la propriété intellectuelle.
Exposition Pleureuses, La Crypte - Photo © Samuel Bianchini
L’art partagé ?
Un autre aspect fondamental du travail en fablab consiste à documenter son projet, c’est-à-dire répertorier les étapes du processus de fabrication, assurer la traçabilité des contributions et laisser à la communauté la possibilité de l’enrichir. Or, la documentation des projets artistiques co-créés en fablabs se frotte régulièrement aux écueils de la propriété intellectuelle.
En 2016, l’ENSP d’Arles (École nationale supérieure de la photographie) réunissait pour la première fois fabmanagers et acteurs du monde artistique pour s’attaquer à ce serpent de mer. Lors de cette première journée d’étude, Marylou Bonnaire de Zinc, centre de création numérique et fablab de la Friche Belle de Mai de Marseille, mettait en garde : “Les artistes ont parfois une méfiance par rapport à la documentation et la publication parce qu’ils sont déjà très exploités par l’industrie culturelle. Il faut travailler sur les enjeux de protection intellectuelle de leur travail (open source, licences CC, copyleft, …)”. Pourtant, cette documentation demeure la condition indispensable au bon développement collaboratif des outils open source utilisés par les artistes eux-mêmes dans les fablabs.
Les outils sur-mesure
“Ma démarche dans le Faire est double : elle alimente mon propos artistique et elle me permet de créer les outils dont j’ai besoin”, explique l’artiste-ingénieur Thomas Pachoud, spécialiste des dispositifs scénographiques laser et auteur d’installations immersives, lumineuses et sonores. Dans ses créations, il se nourrit d’open source et d’open hardware, une solution de flexibilité pour répondre aux contraintes imposées par les logiciels et matériels propriétaires, manquant de souplesse et d’adaptabilité selon lui. “C’est simple : les outils dont j’ai besoin n’existent pas ou alors ils ne sont pas adaptés à l’écriture de spectacles. J’ai développé mon propre logiciel de conduite laser en open source car les contraintes des logiciels du commerce ne me permettaient pas de faire du temps réel comme je l’entendais, comme par exemple, générer des animations à la volée.”
Documentée sur Github, une plate-forme de code collaboratif, la construction de son logiciel est un work in progress de longue haleine. Une contrepartie du processus collaboratif de l’écriture logicielle qu’il reconnaît. “Mon logiciel est en train d’être complètement refondu. Plus tu avances, plus il y a de couches. À force d’ajouter des options et de nouvelles fonctionnalités, il devient de plus en plus complexe à utiliser, je suis donc en train de revoir l’interface.”
Outre l’enrichissement communautaire, le développement d’outils “sur-mesure” et le travail artistique en fablab reposent également sur une complémentarité des compétences. “Lorsque j’ai créé Maker sur Seine, je voulais que le lab devienne un lieu générateur de rencontres, de maillage entre des artistes, techniciens, professionnels”, explique Sarah Goldberg, qui, après quinze ans de direction artistique pour des structures et des festivals, a décidé de monter l’un des premiers artlabs français exclusivement dédié à l’impression 3D avant de lancer son propre studio. “Une fois qu’un artiste a identifié son besoin de faire appel à de l’impression 3D, la première question qui se pose est ‘Qui va modéliser ?’. Car l’artiste n’aura pas forcément cette compétence là.” Si aujourd’hui l’impression 3D s’applique à près de 300 matériaux différents, Sarah Goldberg rappelle que de nouvelles matières et de nouvelles technologies d’impression, y compris open source, sortent tous les mois. D’où la nécessité d’une adaptation continue aux outils et aux pratiques. “Entre les plastiques, la résine, les poudres, les métaux, la céramique, tout ce qui se fait en alimentaire ou en bioprinting, les possibilités sont immenses”, dit-elle. “Mais avant de parler d’impression 3D, la première question qu’on doit se poser c’est comment et pourquoi on fabrique un objet, car ce n’est qu’une technique parmi des milliers d’autres.”
Sarah Goldberg, fondatrice du Bagel Lab - Photo © Bagel Lab
L’ère de la matière ?
Par ces expérimentations croisées, les fablabs ont-ils favorisé un retour au tangible et aux dimensions matérielles de la création ? Pour Samuel Bianchini, un moment clé et révélateur pour les artistes fut la découverte du micro-contrôleur open source Arduino, omniprésent dans les fablabs. “C’est le moment où l’on s’est aperçu, en tant qu’artiste, qu’on ne pouvait pas se satisfaire de n’être que dans le code, aussi open soit-il. On a eu besoin de rouvrir la boîte noire matérielle, la boîte noire qui opère, c’est-à-dire l’ordinateur. Cette reprise en main de l’électronique et du matériel est un moment-clé, celui où les artistes sont sortis de l’idée d’un software art ou d’un art multimédia comme on disait il y a quinze ou vingt ans. Il ne s’agit plus simplement de combiner des médias entre eux, mais d’avoir la main dessus.” Un point de vue partagé par Thomas Pachoud : “Les dispositifs physiques sont au cœur de ma recherche artistique. Pour obtenir des images, transformer la lumière, ou créer du mouvement, le numérique ne peut pas atteindre la qualité d’un dispositif réel. Il y a dans les dispositifs physiques une petite faille aléatoire, des micro-variations organiques de textures ou de mouvements que l’on perd lors du passage au numérique, car malgré les algorithmes, il n’existe pas de véritable aléatoire”. Avec son nouveau projet chorégraphique, provisoirement intitulé Matière, Thomas Pachoud entend bien aller creuser du côté de ces transformations. Pour cette production d’envergure prévue pour 2020, il développe des prototypes de microscopes à projection pour travailler la lumière et mettre en forme la matière. “Avec Hyperlight (une installation interactive lumineuse et sonore), je me suis intéressé à l’impact direct du son sur la lumière. Ici, l’idée est de montrer comment, à travers des dispositifs physiques, on peut projeter directement de la matière et non plus de la vidéo. En sortant de la froideur du numérique, ces dispositifs réels redonnent de l’émotion au spectateur.”
Matière, ©Thomas Pachoud - Photo © Ikari 2016 / Ascension, ©Thomas Pachoud - Photo © Ikari 2016
Article rédigé par Carine Claude.
Article publié dans la Revue AS - Actualité de la Scénographie N°214 – septembre 2017
Le Laboratoire Arts & Technologies de Stereolux s’associe avec les Éditions AS (Actualités de la scénographie) pour une série d'articles consacrés aux technologies numériques, à l'art et au design. L'occasion de partager un point de vue original et documenté sur le futur des pratiques artistiques, en particulier dans le champ du spectacle vivant.
RETOUR SUR : Les journées du geste 2.0
Dans le cadre des tables rondes et conférences organisées lors des Journées du geste 2.0 les 3, 4 et 5 mai 2017, retrouvez les interventions des trois spécialistes invités pour retracer l’histoire des études du geste, leurs progrès et leurs devenirs incertains.
- Yves Winkin, CNAM
- Dominique Boutet, Université de Rouen, labo Dylis
- Fred Bevilacqua, IRCAM
- Discutant : Jean-François Jégo
Création & intelligence artificielle ou la révolution des algorithmes intelligents
En matière d’innovation technologique, l’intelligence artificielle passionne autant qu’elle effraie. Alors que certains annoncent une révolution totale d’ici quelques décennies, quel sera son impact sur la création artistique ? Comment les artistes d’aujourd’hui s’emparent de ces technologies intelligentes ? Quelles sont les évolutions à venir dans le spectacle vivant ? Tour d'horizon avant d'explorer ce sujet à travers un cycle dédié, organisé par le Labo Arts & Techs.
Spectrogram - Photo © Rakutaro Ogiwara
À la façon d’un Prométhée moderne, incarné tantôt par HAL 9000 dans 2001, l'Odyssée de l’espace ou par T 800 dans Terminator, l’intelligence artificielle (parfois notée “IA” dans l’article) inspire la peur d’une machine incontrôlable et annonçant la fin de l’espèce humaine. Les déclarations fracassantes de sommités telles que Stephen Hawking ou Bill Gates vont d’ailleurs dans ce sens alarmiste. Dans Her, sorti en 2013, Spike Jonze mettait en lumière Samantha, une IA non matérialisée, capable de penser, de ressentir des émotions et de nouer une relation amoureuse. Une approche complexe, contrastant avec une technophobie ambiante et qui autorisait le spectateur à penser l’intelligence d’une manière plus positive. Si une machine dotée d’une telle conscience peut s’émouvoir des beautés du monde, ne pourrait-on pas envisager qu’elle puisse elle-même la créer ? La création artistique pourrait-elle être l’apanage de ces futures intelligences artificielles ? Si oui, sous quelle forme cela pourrait-il se traduire ? Dit simplement —et d’une manière volontairement provocatrice— les prochains grands génies, que la postérité invitera aux côtés de Mozart ou Picasso, seront-ils des intelligences artificielles ?
Spectrogram - Photo © Rakutaro Ogiwara / Synchronous - Photo © Rakutaro Ogiwara
Au vu des progrès récents, la question mérite d’être posée sérieusement. Car si la réalité n’a pas encore supplanté la science-fiction, les technologies qui paraissaient spéculatives commencent à voir le jour. En 2016, la défaite du Coréen Lee Sedol, champion incontesté dans l’art du go, contre l’Alphago de Google a sans doute marqué un tournant décisif. Désormais, les logiciels parviennent à être supérieurs à l’homme dans l’une des disciplines les plus complexes qui soient. Cette symbolique désormais fissurée, d’autres possibles se dessinent. Voiture autonome chez les uns (Tesla, Google Car) ou assistant personnel vocal chez les autres (Alexa pour Amazon, Cortane pour Microsoft ou Siri pour Apple), l’intelligence artificielle s’invite progressivement dans notre quotidien avec une révolution complète prévue à l’horizon 2050. Le domaine de l’art et a fortiori celui du spectacle vivant —la musique en première ligne— ne seront évidemment pas en reste. Cet article a l’ambition d’esquisser les pratiques artistiques du futur en matière d’intelligence artificielle. Il se basera sur celles existantes et sur les innovations de quelques précurseurs.
Aurelia aurita - Photo © Creative Commons / Deep Dream White Noise - Photo © Creative Commons
/ Deep Dreaming Process - Photo © Creative Commons
Machine Learning et Deep Learning
De prime abord, le sujet est plus complexe qu’il n’y paraît. À commencer par la difficulté de définir le terme d’intelligence artificielle. Est-ce la capacité à percevoir et prédire le monde ou à planifier une série d’actions pour atteindre un but ? Est-ce la capacité d’apprendre ou celle d’appliquer son savoir à bon escient ? Difficile d’y répondre, bien qu’on puisse déjà déceler plusieurs degrés d’intelligence. De l'algorithme servant à accomplir des tâches simples et mécaniques, nous sommes passés à celui prédictif, analysant les comportements des uns et des autres. Le niveau de connaissances et l’étendue de l’intelligence ne sont pas identiques dans les deux cas. Aussi l’intelligence artificielle est-elle davantage considérée par les spécialistes comme la capacité d’apprendre, d’améliorer ses performances voire d’acquérir de nouvelles compétences. On parle alors de Machine Learning, soit d’algorithmes complexes visant à reproduire des processus cognitifs par mimétisme, ou de Deep Learning dont les mécanismes s’inspirent du fonctionnement des neurones et des synapses du cerveau humain et permettent ainsi de résoudre des problématiques extrêmement complexes comme la reconnaissance visuelle ou le traitement du langage.
Flow Machine - Visuel © Fiammetta Ghedini
Deuxième difficulté du sujet : comment définir la notion de créativité ? Quels sont les critères de l’imagination, de l’inventivité ou de l’esthétisme ? Ici le débat est presque sans fin et il sera difficile, sinon impossible, d’y répondre. Toutefois l’approche de Steve Jobs, fondateur historique d’Apple, est intéressante : “La créativité consiste simplement à connecter les choses entre elles. Quand vous demandez aux personnes créatives comment elles ont réalisé telle ou telle chose, elles se sentent un peu coupables parce qu’elles ne l’ont pas vraiment réalisée, elles ont juste vu quelque chose. Cela leur a sauté aux yeux, tout simplement parce qu’elles sont capables de faire le lien entre les différentes expériences qu’elles ont eu et de synthétiser les nouvelles choses(1)”. Cette citation fait finalement apparaître un lien naturel entre la notion de créativité et celle de l’intelligence artificielle, en particulier du Deep Learning.
Des IA encore difficiles à prendre en main
Enfin, avant d’évoquer plus en détail les évolutions à venir dans les différentes disciplines artistiques, il est important de préciser que l’intelligence artificielle, sujet récurrent voire obsédant, ne concerne à l’heure actuelle qu’une infime poignée d’artistes. Pattern Recognition est sans doute l’un des spectacles les plus intéressants existant et peut synthétiser l’avancée de cette technologie dans le spectacle vivant sans pourtant évoquer des dispositifs totalement démesurés. Né d’une collaboration entre le chorégraphe Alexander Whitley et l'artiste Memo Akten, Pattern Recognition est une performance pour deux danseurs et un dispositif lumineux composé de huit sharps automatisés. De puissants rayons blancs sculptent l’espace scénique et scrutent chaque mouvement des danseurs. Grâce à une série de capteurs, les lumières anticipent les gestes à venir et les mémorisent pour créer eux-mêmes leurs propres ballets. Les deux danseurs finissent par accompagner le dispositif lumineux pour ne faire qu’un seul ensemble harmonieux : l’homme-machine, entité nouvelle et indivisible. Hormis quelques créateurs hautement qualifiés, les problématiques de Machine Learning et de Deep Learning sont extrêmement complexes à assimiler et à prendre en main. Comment récupérer, analyser, puis stocker des milliards de datas ? Quelques réseaux d’artistes comme l’AMI (Artists and machine intelligence) à l’initiative de Google ont vu le jour. Parmi eux, Gene Kogan mérite d’être cité. Cet artiste et programmeur, issu du la culture open source, est l’auteur de plusieurs performances audiovisuelles et travaux autour du style transfer, une technique de recomposition d’images dans des styles artistiques connus. Avec le collectif américain alt-ai, il a travaillé différents transferts de style en temps réel. Cubist Mirror est une installation illustrant parfaitement sa démarche : un miroir interactif renvoie le reflet du spectateur à la façon d’une peinture de Picasso. Sans doute s’agit-il d’une porte entrouverte à l’art pictural de demain. Gene Kogan développe actuellement ml4a.github.io, un livre incroyablement documenté sur le Machine Learning. Cette ressource de référence, destinée aux artistes, activistes et citoyens scientifiques, est librement accessible en ligne.
C’est que —il faut bien le dire— les outils aujourd’hui développés par les GAFAMI (Google - Apple - Facebook - Amazon - Microsoft - IBM) sont pour le moment en accès restreint. Ainsi la méga star Watson, conçue par IBM, n’est pour l’instant que le privilège de quelques grandes entreprises. Le Deep Dream de Google est l’un des seuls outils à être facilement accessible. Ce programme gratuit, à l’origine développé pour de la reconnaissance visuelle, permet de détecter et de renforcer des structures dans des images. Une simple photographie de paysage se transforme rapidement en tableau psychédélique et surréaliste faisant apparaître animaux et chimères. Quelques autres outils apparaissent progressivement dans le sillage de Deep Dream, comme le réseau de neurones Eyescream conçu par Facebook AI Research et également en open source. Gregory Chatonsky, précurseur du netart dans les années 90’, a travaillé avec cet outil sur son installation It’s Not Really You, présentée en 2016. Des milliers de peintures abstraites ont été soumises à Eyescream qui a ainsi pu définir les critères d’une peinture abstraite. Une série de treize œuvres a finalement été générée par le logiciel.
Pattern Recognition de Alexander Whitley - Photo © Tristram Kenton
La musique déjà concernée par l’IA
La révolution a donc bien débuté en ce qui concerne les arts plastiques ou la peinture. Dans le domaine des arts vivants, les recherches et expérimentations sont au moins aussi avancées. C’est en tout cas les acteurs de la musique qui semblent être les plus sensibles au sujet. Les mastodontes comme Spotify ont misé sur une IA pour développer leurs business et personnaliser le service offert aux usagers. Ce géant du streaming est capable de créer une playlist élaborée sur mesure par un puissant algorithme. Les Majors s’intéressent également à l’arrivée de l’intelligence artificielle. Le laboratoire Sony Computer Sciences à Paris mène le projet Flow Machines permettant aux utilisateurs d'expérimenter de nouvelles idées grâce à une aide à la composition. Concrètement, l’algorithme de Sony est capable de générer de la musique de façon autonome ou en collaboration avec des artistes humains. Le style de musique (rock, baroque, hip hop, …) provenant d’un ou plusieurs artistes, est transformé en objet de calcul. Des tests ont prouvé les capacités incroyables de Flow Machines. Des improvisations intégrant le style de Bach deviennent indétectables de l’auteur originel, et ce même pour des experts du compositeur allemand. Flow Machines a également produit Daddy’s Car, chanson pop inspirée du répertoire des Beatles. À ce jour, le morceau a été lu plus de 1,5 millions de fois sur YouTube, réalisant ainsi la performance de devenir la première star pop 100 % virtuelle. Conçu dans une logique similaire, le robot Shimon est utilisé pour étudier l’improvisation d’une IA. À partir d’un répertoire de Thelonious Monk, Shimon joue du marimba et accompagne un pianiste en temps réel. Ce robot est aujourd’hui utilisé comme outil de recherche au Georgia Institute of Technology et dans des spectacles musicaux du monde entier.
Il n’y a donc qu’un pas pour imaginer ces intelligences artificielles se produire sur scène. Un pas qu’a su franchir le laboratoire Sony Computer Sciences et la Gaîté Lyrique en organisant en 2016 un concert atypique dans le cadre du Festival Intensive Science. Plusieurs artistes français comme Barbara Carlotti ou Lescop étaient alors invités pour interpréter des compositions uniques de Flow Machines. AI DJ project est un autre concert encore plus expérimental porté par le collectif japonais Qosmo. Il s’agit ici d’établir un dialogue entre une IA et un humain à travers un live DJ à “quatre mains”. Une IA Deep Learning mélange des morceaux sélectionnés et permet d’échanger avec le musicien Nao Tokui. L’IA écoute les morceaux joués par le DJ humain, détecte le tempo, juge le genre et traite l'information. Elle choisit alors le prochain morceau à jouer. Parfois, l'IA fonctionne de façon inattendue, en improvisant un morceau difficilement anticipable. L’intention des créateurs est en effet de donner une personnalité à l’intelligence artificielle. Ainsi, en ne la considérant pas comme une imitation de l’homme, les artistes font passer un message optimiste : ici personne ne remplace l’être humain. L’IA se positionne comme un partenaire capable de réfléchir sur la création musicale.
L’IA, actrice et scénariste
La diffusion de l’intelligence artificielle concerne également d’autres domaines artistiques. D’abord dans le cinéma où quelques expérimentations ont été menées. Ainsi, l’intégralité du script du court-métrage Sunspring, sorti en 2016, a été imaginée par l’algorithme Benjamin. Après avoir analysé des dizaines de scénarios de films de science-fiction, repérant les particularités et les caractéristiques du genre, Benjamin a généré les dialogues pour les acteurs et des indications pour l’équipe de tournage. Si l’ensemble manque de cohérence, le résultat permet d’envisager une utilisation plus courante d’ici quelques années, dans des productions adaptées sur grand écran ou pour des mises en scènes au théâtre. Le metteur en scène montréalais Maxime Carbonneau est l’un des rares à approcher l’IA. En 2015, il invite Siri, l’assistant personnel d’Apple, à enfiler le costume de l’acteur principal. Pendant plus d’une heure, la comédienne Laurence Dauphinais dialogue avec cette IA qui paradoxalement connaît tout de nous, sans que nous la connaissions en retour. La pièce révèle un aspect critique du pouvoir qui nous lie à cette technologie.
Rien ne sert néanmoins de tomber dans le catastrophisme. L’intelligence artificielle, comme toute technologie numérique, doit être vue comme un outil, pour le meilleur comme pour le pire. Les artistes d’aujourd’hui, lanceurs d'alertes ou simples témoins d’un futur en marche, nous invitent à questionner nos relations avec le monde. L’intelligence artificielle, elle, interroge notre rapport profond à l’art. Une chose reste certaine : les IA ont déjà commencé à révolutionner la création artistique.
(1) (The Business Week, 2004)
Par Adrien Cornelissen
Article publié dans la Revue AS - Actualité de la Scénographie N°213 – juin 2017
Le Laboratoire Arts & Technologies de Stereolux s’associe avec les Éditions AS (Actualités de la scénographie) pour une série d'articles consacrés aux technologies numériques, à l'art et au design. L'occasion de partager un point de vue original et documenté sur le futur des pratiques artistiques, en particulier dans le champ du spectacle vivant.
Le geste dans toutes ses dimensions
Les technologies 3D permettent de numériser le geste dans sa complétude et, à l’image d’un programme informatique, de le porter vers de nouveaux supports qui servent les nombreuses disciplines impliquées dans la recherche sur le mouvement.
Les rapports entre le geste et la technologie sont complexes car le geste est chevillé au réel, il s’exprime dans trois dimensions et même quatre, si l’on compte celle du temps. La pellicule a longtemps été l’unique substrat technologique pour le capturer et c’est l’informatique qui permettra de le saisir dans toutes ses dimensions.
Capturer le réel à sa source
Héritière des mathématiques, l’informatique cachait la notion d’espace dans ses équations. A la fin des années 1970, des pixels commencent à courir sur des abscisses et ordonnées mais il faudra attendre les polygones 3D du début des années 1990 pour que la réplication du monde devienne possible.
The Secret of Monkey Island
L’économie de l’entertainment, les besoins en simulation de l’industrie ou de la médecine vont favoriser des outils qui capturent le réel à sa source, comme les scanners ou la motion capture.
IRM (Imagerie par Résonance Magnétique)
En 2010, la Kinect de Microsoft accélère cette révolution en mettant sa technologie proche du scanner, entre toutes les mains. Un motif infrarouge se déforme sur les objets et renvoie des informations de distance à la caméra. Des variantes utilisent le laser, les ultrasons ou le radar. L’art numérique s’est beaucoup amusé à mettre à nu ce procédé, révélant des corps tremblotants, stupilant toutefois d’une certaine imprécision. En effet, le suivi du geste est plus précis en portant un capteur sur soi, comme ceux que contiennent nos smartphones. En 2012, le prototype du casque de réalité virtuelle Oculus Rift était d’ailleurs basé sur un nivellement des micro-capteurs d’un smartphone, tandis qu’il en empruntait même l’écran OLED. Le tout couplé avec une caméra extérieure.
Microsoft Kinect / Oculus Rift DK1 (2012)
Le reboot du geste naturel
En 2016, le concurrent du Rift, l’HTC Vive, double les caméras pour trianguler un espace qui va libérer l’utilisateur de la position assise, tandis que des manettes à six degrés de liberté simulent les mains. Le peintre ou le sculpteur retrouve le geste naturel de la création dans des expériences immersives telle que Tilt Brush (Google) et on envisage aussi ce logiciel comme outil d’écriture chorégraphique, les tracés de peinture offrant l’historique des mouvements du danseur.
Cette numérisation du mouvement autorise toutes les audaces. Si, jusqu’à présent, le corps suivait la musique, le bracelet-capteur du projet Motion Sonic Projet de Sony (2017) transforme le mouvement en musique.
Motion Sonic Projet de Sony
Autre tendance, la vidéo volumétrique qui couple le réalisme de la vidéo et l’interactivité de la 3D, portée notamment par la technologie Google Tango ou le casque de réalité augmentée Microsoft Hololens. Tandis que la mocap (motion capture), chère au cinéma, fait aussi un retour remarqué.
Vidéo Volumétrique
Microsoft Hololens / MOCAP (Motion capture)
Une recherche pluri-disciplinaire
On le voit, l’interface ne fait plus qu’un avec le corps et il ne s’agit pas seulement de technologie, à l’image de la recherche sur le geste, différents domaines du vivant se croisent à son chevet. Lorsque, dans les années 1990, Jaron Lanier, musicien et informaticien américain, théorise la “réalité virtuelle”, il emprunte la terminologie à Antonin Artaud qui parlait ainsi du théâtre. A la même période, le MIT compile des publications scientifiques sur la “présence”, cette sensation d’y être propre à la réalité virtuelle (VR).
Jaron Lanier (Considéré comme l'un des pères de la réalité virtuelle)
Dans un papier de 2004, sur la rééducation sensorimotrice par la VR, des chercheurs italiens se sont rapprochés des travaux du neuroscientifique portugais Antonio Damasio qui critiquait, en 1994, la tendance de sa discipline à séparer le corps et l’esprit et d’affirmer que la “cartographie du corps” est un élément de la conscience de soi. Autrement dit, le casque ne suffit pas, il faut retrouver ses abattis dans la réalité virtuelle pour s’y sentir présent ! Damasio parle aussi du “soi” qui naît de l’interaction avec les objets. Et comment interagit-on, si ce n’est par le geste ?
Par Nicolas Barrial
Voir aussi
Réalité virtuelle et spectacle vivant
Troisième partie : le théâtre
Maxence Grugier conclut ici son dossier traitant de la réalité virtuelle et ses applications dans le spectacle vivant. Il évoque ici l’apparition de cette technologie narrative au théâtre et les nouveaux défis qu’elle engendre.
Article publié dans la Revue AS - Actualité de la Scénographie N°212 – avril 2017
Image : © DR
Documents utiles
16 x 180 secondes de science pour tous !
Le 4 avril dernier, alors que les onze candidats à l’élection présidentielle débattaient pour la première fois ensemble à la télévision, totalisant un temps de parole de seulement 17 minutes chacun, un exercice de concision autrement plus poussé avait lieu à Stereolux. Seize doctorants se succédaient sur scène pour présenter leurs travaux de plusieurs années en à peine… 3 minutes !
Initié en 2012 au Québec, avant de rapidement traverser l’Atlantique, Ma thèse en 180 secondes est un concours de vulgarisation scientifique dans lequel des doctorants et de jeunes docteurs expliquent à un auditoire profane leurs sujets de recherche.
Contrairement à l’élection à la fonction suprême, la parité est parfaitement respectée dans cette finale des régions Pays de la Loire et Bretagne. Huit femmes et autant d’hommes se succèdent sur scène pour présenter leurs travaux avec comme seul outil leur voix, possiblement épaulée d’une illustration en fond de scène. Plusieurs universités (Nantes, Rennes 1, Angers, Bretagne sud, Maine), grandes écoles (École Centrale Nantes, Oniris) et organismes de recherche sont représentés, tous fédérés par l’Université Bretagne Loire, coorganisatrice de l’événement avec la direction interrégionale du CNRS.
Des gagnants, aucun perdant
Avouons-le, certains intitulés de thèse font peur, comme celui de Jérémy Marchand, sobrement baptisé (prenez votre souffle) : « la combinaison de la prise d'empreinte par résonance magnétique nucléaire et spectrométrie de masse pour la caractérisation fine des profils lipidiques ». Incompréhensible ? Le doctorant à Oniris nous prouve en 175 secondes chrono (il termine avec un peu d’avance) que non, tout ceci peut être clair comme de l’eau de roche. Enfin, aussi clair que le dopage pendant le Tour de France, auquel l’utilisation d’une molécule de croissance chez les cochons d’élevage est comparée... Le travail de Jérémy : chasser cette molécule « comme le chasseur chasse le grand loup » en usant de subterfuges, décrits à grands coups de métaphores animalières et forestières. Une présentation limpide, rythmée et convaincante au point qu’elle sera, une heure plus tard, couronnée du prix du jury.
Deux autres prix, « du public » et « des réseaux », seront décernés à Theany To pour sa prestation, aussi décalée que convaincante, sur la ténacité des matériaux.
Mais au-delà de la compétition elle-même, Ma thèse en 180 secondes est un challenge initié bien en amont, comme le précise Joanna Robic, responsable de la communication de l’Université Bretagne Loire. « Les candidats sont formés à la médiation, la communication et la vulgarisation scientifique en vue de la compétition. Qu’ils gagnent ou non, l’important est qu’ils puissent transmettre et partager leurs savoirs. D’ailleurs, ensuite, ils sont souvent sollicités pour intervenir ou participer à des actions extérieures. Dans des collèges, des lycées ou auprès d’acteurs du monde socio-économique… »
De Stereolux à la Maison de la radio
Enfin, cette finale ligérienne et bretonne prend une saveur particulière avec le choix de Stereolux : « C’est la première fois qu’on investit un lieu culturel. Ce choix est peut-être moins attendu qu’un amphi, mais il est très important pour nous. On a remarqué, dans le public, la présence de spectateurs qui ne connaissaient aucun des participants ou organisateurs… Cela va dans le sens de notre volonté d’ouverture. Et, si monter sur une scène avec un tel équipement en lumière et sonorisation peut s’avérer impressionnant, c’est aussi une bonne préparation à la finale nationale qui aura lieu à la Maison de la radio à Paris, le 14 juin prochain ».
Ecrit par Matthieu Chauveau
LES SESSIONS DU CODE CRÉATIF... COUP DE PROJECTEUR !
Ce trimestre, une attention toute particulière a été portée aux sessions du Code Créatif qui ont donné lieu à un apéro convivial le 1er février mais aussi à un weekend de création intensive les 11 et 12 mars.
Au croisement du code, de la création et de l’électronique, les sessions du Code Créatif sont des ateliers ouverts réunissant tous les mercredis soirs des passionnés de tous niveaux autour de projets communs, dans un esprit d'expérimentation.
On vous en dit plus en quelques images !
Rendez-vous tous les mercredis de 18h30 à 21h à Stereolux !
Projet Curieux : La captation de la performance
Stereolux et l’Université de Nantes se sont associés pour proposer une création originale orchestrée par l’artiste digital Laurent La Torpille, en collaboration avec 8 doctorants : une œuvre poétique qui interroge le rapport homme / science.
Retrouvez ici la captation intégrale de cette performance présentée dans le cadre de la Nuit blanche des chercheurs le 9 février dernier.
photo : © Emmanuel Gabily Photographe
J’ai testé : la Nuit blanche des chercheurs
Quand je serai grande, je veux être … chercheuse à Stereolux.
Un beau programme s’annonçait avec la Nuit blanche des chercheurs le 9 février 2017 à Stereolux : tables rondes, projections, expositions et performances tout à la fois. Dès 18h, on est dans le bain : ça bouillonne du hall au 4ème étage. Avec mon protocole de recherche en tête, je me lance !
Phase 1 : j’explore.
Je commence par les hauteurs : dans les petites salles du 4ème, parents et étudiants attentifs se pressent autour des imprimantes 3D qui construisent des objets en fibres biologiques. Un chercheur m’explique sa démarche pour modéliser un crâne creux qui sera utilisé pour comprendre et simuler, par exemple, le développement de tumeurs. Pour la Saint-Valentin, un joli moule de votre cœur ravirait-il la flamme de votre élu(e) ? 4 000€ d’investissement quand même l’imprimante 3D…
Juste à côté, ce sont des nez et oreilles en gel dans lequel incubent des cellules. Alors là, je ne peux m’empêcher de revoir un épisode de Black Mirror : demain, je reconstitue un squelette en 3D que je remplis de cellules vivantes, possible ?
Je continue avec des projections animées : Atolyne et ses allergies ou une leçon sur les nanomédicaments, j’en deviendrais presque savante. Pour reposer mon esprit, je ferais bien un petit jeu mais tous les ordis sont pris, tant pis je ne sauverai pas ce soir le monde de toutes ses maladies.
Phase 2 : j’observe et j’écoute.
Et l’homme augmenté dans tout ça, c’est pour quand ? A la table ronde sur le transhumanisme, j’opine à la réponse qui propose de progresser vers le bien vieillir plutôt que de créer un homme qui, grâce à la science, dépasserait ses caractéristiques physiques et mentales. “Peut-on remplacer le bonheur ?” se demande t-on. Le cœur imprimé aidera t-il le cœur déprimé rencontré au bar par notre animateur de la soirée ?
Et puisqu’on parle de bar... humm mon petit verre de vin et mes bonnes frites du food-truck établi en terrasse, voilà qui me revigore illico !
Phase 3 : je fais l’expérience.
Stimulée par mon tube digestif rempli, direction la salle Micro : il paraît qu’un spectacle y bat comme un muscle. Lucia Mendoza & Julien Bézy, les pantins humains de PU_P3TS, la performance conçue par Frédéric Deslias de la Cie Clair Obscur, installent leurs capteurs sur leurs bras, jambes, ventres...
Allongés sur le dos, ils attendent. Une petite impulsion électrique, hop le bras gigote, ça semble chatouiller et nos deux pantins en sourient de plaisir. La musique monte, les décharges s’intensifient, les muscles se contractent et les gigotements me font penser à des spasmes épileptiques. La chair vibre de soubresauts et les visages se crispent, cette fois j’y vois des rictus tendus.
Jusqu’où la chair se laissera t-elle emmener par le numérique ? Quand le corps se replie en position fœtale, est-ce pour renaître ou pour demander de l’aide ? L’appel à l’aide que, bras et jambes tendus vers le haut, nos pantins semblent lancer.
Epuisés, ils se sont affranchis et se remettent debout : faut-il souhaiter longue vie à la nouvelle chair ?
C’est une autre esthétique visuelle que propose “Projet curieux” de Laurent La Torpille, artiste digital qui compose en live musique et images, entouré de doctorants.
Sur l’écran, textes et images fragmentés s’organisent, manipulés aux manettes par les doctorants. Un univers sonore et visuel est joué sous nos yeux : on explore des terres inconnues qui m’évoquent un monde vu à travers le microscope. On y approche des cellules, des roches et tout type de couches éparpillées qui se transforment. « La reconnaissance de la forme » : de cette matière froide, semble émaner une histoire de la création.
Si l'enjeu de la soirée était de présenter la recherche nantaise sous un angle original, pari réussi. Cette soirée singulière a su aborder la recherche en conjuguant sérieux et pédagogie mais aussi musique, arts et humour.
A quand la prochaine soirée scientifique maths et musique ? Ca me dirait bien !
Par Valérie, membre de The Crew
Photos : Emmanuel Gabily