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Labo Arts & Techs

VIDE TON SAC : DISNOVATION.ORG

Publié le 09/11/2017

Nicolas Maigret et Maria Roszkowska, initiateurs du groupe de travail Disnovation.org et de l'exposition éponyme qui se tiendra à Stereolux du 1er au 17 décembre, partagent ici une sélection en résonnance avec leur travail autour du piratage, du détournerment, de l'innovation technologique, et y glissent aussi quelques coups de coeur !

Mutations technologiques (texte)
Anna Greenspan, Suzanne Livingston - Future Mutation: Technology, Shanzai and the Evolution of Species

 

Délocalisation & Iphones (livre)
La machine est ton seigneur et ton maître - Yang - Jenny Chan - Xu Lizhi

 

Le No-Phone Air (produit)
https://www.thenophone.com/


 

Droit à la réparation (article)
How We Think about E-Waste Is in Need of Repair

Fiction urbaine spéculative (art)
Liam Young - Hello City! - 2017

Hyperconsommation (web)
Taobao Media - Kim Laughton

Cycle IA : Retour sur la conférence d’introduction “Qu’est-ce que l’intelligence artificielle ?

Publié le 06/11/2017

En guise de préambule au Cycle Intelligence Artificielle, la conférence d'introduction, qui s'est déroulée mardi 25 octobre 2017 au Bâtiment B, avait pour objectifs de revenir sur les technologies présentes derrière le terme d’intelligence artificielle, et de présenter les enjeux philosophiques, anthropologiques et éthiques que soulève le développement de ces technologies. Les différentes notions abordées permettent ainsi d’alimenter les réflexions mises en oeuvre tout au long de ce cycle.

Intervenants
Harold Mouchère, Maître de conférences à l'Université de Nantes, LS2N
Anne-Laure Thessard, doctorante en philosophie et sémiotique à l’Université Sorbonne-Paris IV

 

Conférence organisée avec le soutien du Laboratoire des Sciences du Numérique de Nantes de l’Université de Nantes​

 

 

Atelier Rob'autisme : les prolongements de l'expérimentation (2017)

Publié le 02/11/2017

Depuis 2014, des ateliers culturels initiant de jeunes autistes à la manipulation du robot humanoïde Nao ont été mis en place par Stereolux, le Centre psychothérapique Samothrace (CHU de Nantes), l'association Robots! et l'École Centrale de Nantes. Ce projet a permis une collaboration entre le monde de la psychothérapie, le monde de la robotique et celui des arts, et impulsé une expérimentation inédite et prometteuse.

Pour cette édition 2017, si la formule reste identique aux deux éditions précédentes, c'est un nouveau groupe, de cinq enfants, qui a expérimenté l'atelier Rob'autisme avec un résultat toujours aussi enrichissant ! Au cours de 20 séances de travail, 10 consacrées à la création sonore et les 10 autres à la manipulation des robots, chacun a pu prêter sa voix aux Nao et programmer leurs gestes pour raconter une histoire. Une expérience qui, plus largement, permet de travailler sur l'échange, la place de l'enfant dans le groupe, les liens entre l'écrit et la parole, l'intention et l'émotion. 

Et les résultats sont probants, comme le souligne Sophie Sakka, enseignante-chercheuse à l’école Centrale de Nantes et présidente fondatrice de l’association Robots! :

"L'enfant se projettant dans le corps du robot qui est une protection rigide, comme un bouclier, peut à son tour parler sans l'aide du robot, très rapidement."

 

Retrouvez l'intégralité de la restitution de l'atelier ici.

Les témoignages des « acteurs » qui ont co-construit l’atelier nantais Rob’Autisme animeront la première partie de la table-ronde "L'enfant, les robots et les écransmardi 21 Novembre à Stereolux. Ils seront suivis d'une ouverture à d'autres expériences de médiation dont témoignera Serge Tisseron. Le psychiatre, expert de renom, abordera plus précisément la place de l'objet numérique auprès des enfants et adolescents, dans le cadre de médiation thérapeutique et/ou familiale, ainsi que les espoirs et craintes qui y sont associés.

Les nouvelles corporalités du bioart

Publié le 24/10/2017

Avec les dernières avancées dans le domaine de la biologie, notre corps ne nous apparaît plus tout à fait comme celui que nous percevions jusqu’alors. La révolution génomique, la crise des perturbateurs endocriniens ou l’activisme pour la décolonisation du corps féminin en ont par exemple profondément bouleversé la perception ces dernières années. On explorera ici comment les artistes de la scène et du bioart détournent et questionnent les sciences du vivant et de l’évolution pour réclamer une vision post-anthropocentrique et hybride de nos corps ou une réappropriation trans-hack-féministe de la médecine. Une “crise dans le corps” laissant place à des subjectivités non-normatives.

La danse, la performance et l’art corporel ne sont pas hermétiques aux développements scientifiques et technologiques. Le chorégraphe Merce Cunningham fut par exemple un promoteur précoce de l’usage de l’ordinateur pour la composition et la notation chorégraphique. Dick Higgins, pionnier du mouvement Fluxus qui utilisa très tôt l’ordinateur dans sa création artistique, définit en 1966 la notion d’art “intermédia” pour réclamer une interdisciplinarité des pratiques. Refusant l’enfermement dans des catégories liées à des médiums, bon nombre d’artistes incluant la science ou la biologie dans leur travail s’appuient aujourd’hui sur cette définition pour qualifier leur art. On abordera donc ici les trois champs disciplinaires de la danse, de la performance et de l’art corporel, et leurs relations avec le biohacking, les évolutions des biotechnologies et des théories de l’évolution, à l’aune de la perspective composite insufflée par cette définition Fluxus de l’art intermédia.

Je ne suis pas le corps que je crois être

François-Joseph Lapointe est directeur du laboratoire d’écologie moléculaire et d’évolution à l’Université de Montréal mais mène parallèlement une carrière d’artiste(1). Sa création repose sur la biologie et les micro-organismes, dans les formes de la chorégraphie, de la performance et de la création visuelle et graphique. Lapointe a par exemple développé dans une thèse le principe de la “choréogénétique”(2), s’appuyant sur sa performance Organisme Génétiquement Mouvementé réalisée à la Place des Arts de Montréal en 2007. L’objectif était d’éliminer le chorégraphe pour le remplacer par une structuration dite objective de la partition. Le public était ainsi invité à dicter au danseur une suite interminable de nucléotides A, T, C, G, représentant l’ADN du danseur, associés à quatre mouvements dans une performance publique durationnelle jouée dans un monte-charge passant d’un étage à un autre des ballets. Cette performance fut ensuite adaptée pour trente danseurs dans la gare centrale de Montréal en 2009 sous le titre Polymorphosum urbanum.

Depuis, François-Joseph Lapointe creuse les possibilités de la métagénomique, ou génomique environnementale, dans le champ de la performance relationnelle. Si le Séquençage du Génome Humain a pris treize ans (entre 1990 et 2003), la métagénomique permet d’obtenir un séquençage en une semaine et d’étudier la communauté d’organismes que nous avons en nous. La métagénomique a conduit au Projet du Microbiome Humain qui a révélé en 2012 que nous étions composés à 99 % de gènes de bactéries et que les différentes parties du corps sont associées à différents micro-organismes. Ces découvertes ont mené à une explosion des projets d’étude des microbiomes : intestinal, cutané, facial, dentaire, vaginal, séminal, conjugal, néonatal, fécal, canin, félin, floral, téléphonique, ... Lapointe y a très vite vu de nouveaux outils pour sa création et s’est engagé depuis quelques années à modifier son microbiome afin de réaliser des égoportraits métagénomiques ou microbiome selfies. Dans la performance relationnelle 1000 Handshakes, initiée au musée de la médecine de Copenhague en 2014, François-Joseph visite la ville en serrant la main au plus grand nombre de gens possible et à chaque cinquante poignées de main, son équipe prend un échantillon bactérien sur la paume de sa main droite et l’analyse en laboratoire, permettant de tirer des égoportraits évolutifs(3).
 

   
Microbiome Selfie, François-Joseph Lapointe, 2014  / 
François-Joseph Lapointe exposant son pied au microbiome du Gange

Devenir animal

Ce goût pour la rencontre de l’art corporel et du bioart, on le retrouve également dans les œuvres produites par la Galerie Kapelica de Ljubljana en Slovénie, dont on connaît par exemple la performance Que le cheval vive en moi du collectif français Art orienté objet, réalisée en 2011. Dans cette performance, Marion Laval-Jeantet se faisait transfuser du sang de cheval pour ressentir “ce que c’est d’être cheval”, une expérience de compatibilité possible du sang préparée minutieusement pendant plus de trois ans, une volonté de comprendre les mécanismes de l’immunité et de questionner le dialogue inter-espèces.
 


May the Horse Live in Me, Art Orienté Objet, 2011

Une autre série de performances produite par la Galerie Kapelica est celle réalisée par l’artiste slovène Maja Smrekar sur la co-évolution de l’homme et du chien au fil des âges. La série, titrée K-9 Topology, a été récompensée par le Golden Nicca dans la catégorie Hybrid Art au Prix Ars Electronica 2017 à Linz en Autriche. Consciente de la nécessité de sortir d’une forme d’anthropocentrisme pour comprendre l’évolution humaine dans ce que l’on définit aujourd’hui comme l’âge géologique de l’anthropocène, Maja Smrekar décidait en 2014 de s’intéresser aux processus métaboliques qui déclenchent les réponses émotionnels qui relient deux espèces, les humains et les chiens, et qui leur permet de coexister ensemble avec succès. Dans le premier volet, Ecce Canis, l’hormone de la sérotonine de Maja Smrekar et celle de Byron, son chien, était transformée en essence odorante à partager avec l’audience, Smrekar cherchant à communiquer ce lien unique qu’elle entretient avec son chien mais qui lie plus généralement les deux espèces. Plusieurs gènes chez les chiens et les humains ont en effet évolué en parallèle, traduisant une adaptation à des environnements similaires. Le gène qui a muté presque parallèlement est celui qui code le transport de la sérotonine, un facteur qui fait que les deux espèces sont capables de tolérer la présence l’une de l’autre. Smrekar nous pointe ainsi que depuis que la scission entre les loups et les chiens s’est produite, il y a environ 32 000 ans, il semble que les humains et les chiens se sont mutuellement apprivoisés pendant des milliers d’années. Le second volet, I Hunt Nature and Culture Hunts Me, une performance avec des loups traduisant les origines de la co-évolution, fut produite en 2014 à Bourges, à l’occasion des Rencontres Bandits-Mages et d’une résidence organisée par le festival au studio de cinéma animalier Jacana Wildlife Studios (L’Ours, Le Peuple migrateur, ...) en Sologne. Smrekar abordait enfin l’imaginaire de l’hybridation homme/chien avec les dernières performances de la série, Hybrid Family et ARTE_mis.
 

  
K9_Topology: Ecce Canis, 2014 - Photo © Maja Smrekar

 
K9_Topology: Hybrid Family, 2015 - Photo © M. Smrekar & M. Vason​ / 
K9_Topology: ARTE_mis, Maja Smrekar, 2016 - Photo © Sekelj, Hana Josic

Devenir plante

La Galerie Kapelica organise régulièrement des ateliers de biohacking et de science Do-It-Yourself à destination de jeunes publics, amenant les participants à fabriquer leur propre microscope, mettre en place leur incubateur, élever des bactéries, ... Parmi les artistes-acteurs de ces ateliers, on retrouve Špela Petrič, docteure en biologie et artiste, également membre du réseau international Hackteria.org de bioart open source et de développement de matériel générique pour la biologie DIY.

Si Art Orienté Objet ou Maja Smrekar cherchent la fusion avec l’animal, Špela Petrič s’intéresse au devenir plante. Dans son projet de 2016 Ectogenesis, Petrič voulait dépasser les parentés sanguines et les lignées génétiques “pour explorer des aspects plus subtils d’entremêlements radicaux et de brouillage des catégories” et les relations entre plantes et hormones humaines. Pour cela, son choix a été de s’unir à une plante célèbre, l’Arabette des dames, un organisme devenu modèle biologique pour la recherche depuis 1998 et dont le génome a été le premier génome de plante à être totalement séquencé en 2000.

Cherchant à générer des plantes “monstres prometteurs”, Špela Petrič a prélevé un morceau de tissu embryonnaire de l’arabette et engendré une myriade d’embryons de plantes, conçus non pas dans la graine, mais dans un incubateur. Elle a ensuite utilisé les hormones stéroïdiennes de son urine pour assister le développement de l’embryon des plantes, de manière à ce qu’en réponse, celles-ci altèrent leur schéma épigénétique et se construisent une morphologie corporelle spécifique. Ectogenesis ouvre à la magie de la communication cellulaire entre le règne végétal et animal, rappelant que les hormones sont des molécules messagères primordiales, dont la parenté est commune dans l’évolution des plantes, animaux et microbes. “Elles sont au cœur d’une ouverture à l’altérité d’autrui, comme l’accès matériel aux mondes des autres”, dit la bio-artiste.

Dans un autre travail récent, la performance durationnelle Skotopoiesis, Špela Petrič se positionne de manière statique, végétale, entre une projection de lumière et un parterre de cresson germinant. L’artiste jette une ombre sur le cresson pendant douze heures qui entraîne progressivement l’étiolement des tiges et feuilles, dans un effort de la plante pour se développer dans l’ombre. Avec cette performance, l’artiste met à l’épreuve son désir frustré de comprendre les plantes selon leurs propres termes. Se plaçant volontiers sous les auspices d’une nouvelle philosophie d’un “phytocentrisme à venir”(4), Špela Petrič constate que dans la recherche de conceptions écologiques post-anthropocentriques “les plantes représentent un défi particulier car on leur attribue traditionnellement un manque d’intériorité, d’autonomie, d’essence et d’individualité et traversent donc le tamis des discours éthiques contemporains”.
 


Skotopoiesis, Špela Petrič, 2016


Le “devenir plante” est décidément un thème éminemment contemporain et le laboratoire d’hydrodynamique Ladhyx de l’École polytechnique, qui accueille depuis plusieurs années des artistes en résidence, organisait cet automne un colloque sur le thème invitant Špela Petrič, le philosophe Michael Marder, ou encore l’artiste mexicain Gilberto Esparza (Golden Nicca Hybrid Art 2015) et le récent auteur de La vie des plantes aux Éditions Rivages, Emanuele Coccia. Le colloque était organisé à l’initiative de la chorégraphe colombienne Aniara Rodado, en collaboration avec Jean-Marc Chomaz du Ladhyx. Leur collaboration “Transmutation de Base/Migration Alien”, présentée notamment cet été au Click Festival de Copenhague et à ISEA 2017(5) en Colombie, invite les danseurs et le public à évoluer dans les émissions olfactives de six grands distillateurs de plantes médicinales en fonctionnement dans une installation. Les informations chimiques émises cherchent à éveiller des souvenirs chez le spectateur, mais aussi des mémoires enfouies dans le cerveau reptilien de l’espèce, jusqu’à provoquer une “réaction primitive, une émotion venue d’au-delà de notre propre histoire personnelle”. Rodado y introduit la transmutation de plantes issues du savoir médicinal des sorcières, des chamans ou des plantes symptomatiques de la mondialisation végétale issue du colonialisme (ici l’eucalyptus).
 


Transmutation de Base, Aniara Rodado & J-M Chomaz, 2017

Décolonisation corporelle

“D’inspiration transféministe et placée sous les paradigmes de la culture open source et du DIY-DIWO, mes collaborations se nouent aussi bien dans des laboratoires scientifiques que dans des hackerspaces, des théâtres ou en milieu rural”, nous dit Aniara Rodado. Pour ses dernières chorégraphies, elle a collaboré avec les activistes gynepunks barcelonaises Klau Kinky et Paula Pin. Leur dénominateur commun est la réappropriation des savoirs de la médecine gynécologique. Et alors que le secrétariat d’État à l’égalité femmes-hommes a commandé à l’été 2017 un rapport sur les violences obstétriques et gynécologiques en France, ces artistes, qui se qualifient volontiers de “sorcières cyborg”, soulèvent ces problèmes depuis déjà quelques années. Klau Kinky a dévoilé ainsi dans sa performance Anarcha, Betsy, Lucy y otras chicas del montón(6) les violences obstétriques sans anesthésie exercées au milieu du XIXe siècle sur trois esclaves d’Alabama, Anarcha, Betsy et Lucy, par J. Marion Sims, l’inventeur du speculum aujourd’hui considéré comme le “père” de la gynécologie moderne. Paula Pin travaillant quant à elle au sein du réseau Hackteria au développement d’outils biohacking pour analyser les fluides corporels (sang, urine, fluides vaginaux) qu’elle utilise ensuite dans des performances.

Autre artiste concernée par la décolonisation corporelle, c’est la Taïwanaise Shu Lea Cheang qui présentait récemment à la Berlinale et à la Documenta son dernier film de science-fiction cypherpunk, Fluido. Avec son nouveau projet de performance chorale, Unborn 0/9, qu’elle développe en coopération avec le fablab Echopen de l’Hôtel Dieu à Paris, Shu Lea Cheang propose de rassembler des femmes enceintes célibataires d’une ville donnée pour performer ensemble un orchestre sonore et visuel basé sur les techniques d’imagerie par ultra-sons de l’échographie. S’appuyant sur le développement par Echopen d’une version open source d’une sonde échographique connectable à n’importe quel Smartphone, Shu Lea Cheang et son équipe travaillent à convertir/hacker les ondes sonores inaudibles en fréquences audibles.

Shu Lea Cheang part du constat que “les femmes enceintes célibataires, qu’il s’agisse d’une situation accidentelle ou volontaire, constituent une nouvelle classe dans notre société ultra-moderne”. Et que pour organiser la routine pédiatrique quotidienne elles cherchent alliances et soutien communautaire. “Unborn 0/9 propose d’organiser des ateliers de biohack et de parentalité subversive. Et l’expression de l’intimité comme acte public comme l’exposition des données corporelles fait de la performance un acte de défiance.”

Il est clair que ces travaux intermédia, jouant parfois de la provocation, se déplient sous de multiples facettes mais partagent l’affirmation d’une approche critique et anthropologique de la recherche scientifique et d’une incorporation des redéfinitions du corps humain. Situé à l’intersection de nombreuses disciplines, leur aspect composite leur confère une agentivité discursive, opératoire sur le Zeitgeist, l’esprit du temps.

Article rédigé par Ewen Chardronnet


(1)…Une récente conférence Laser à Paris de F.-J. Lapointe est à consulter sur le site de l’association Leonardo (olats.org)

(2)…Lire à ce sujet sa thèse de doctorat en danse (2012).

(3)…La performance a depuis été réalisée dans différents événements comme la “Nuit Blanche’ de Montréal ou le Festival Transmediale de Berlin en 2016.

(4)…For a Phytocentrism to Come, Michael Marder, Environmental Philosophy, 11 (2) : 237-252 (2014).

(5)…International Symposium of Electronic Arts. www.isea2017.disenovisual.com

(6)…En référence au film de Pedro Almodóvar, Pepi, Luci, Bom y otras chicas del montón, 1980.

 

Article publié dans la Revue AS - Actualité de la Scénographie N°215 – octobre 2017
Le Laboratoire Arts & Technologies de Stereolux s’associe avec les Éditions AS (Actualités de la scénographie) pour une série d'articles consacrés aux technologies numériques, à l'art et au design. L'occasion de partager un point de vue original et documenté sur le futur des pratiques artistiques, en particulier dans le champ du spectacle vivant.

Art et intelligence artificielle, le grand détournement

Publié le 10/10/2017

En introduction du cycleque le Labo Arts & Techs de Stereolux consacre cet automne à l’intelligence artificielle (IA), Nicolas Barrial retrace les relations entre l'intelligence artificielle - et notamment des réseaux neuronaux - et les sphères de l'art et de la culture.

Lorsqu’on aborde l’intelligence artificielle (IA) et ses domaines d’intervention, on est confronté à un questionnement, notamment lorsqu’il s’agit de domaines identitaires chez l’humain. L’IA elle-même interroge sur la définition de l'intelligence. Idem pour la conscience lorsque les techno-optimistes prêchent son hypothétique éveil chez la machine. L’art n’y échappe pas. Si l’on peut s’amuser du cousinage étymologique du mot “artificiel”, l’art constitue bien un trait distinctif de l’humain et la culture ne l’est pas moins. Aussi a-t-on parfois du mal à envisager que l’intelligence artificielle viennent y jouer les trouble-fêtes.

L’apprentissage profond

Et pourtant, en 2015, d’étranges images fleurissent sur les réseaux sociaux, volontiers psychédéliques, avec un fort tropisme canin. Ce sont les “oeuvres” de Deep Dream, un algorithme signé Google. “Deep”, “profond”, fait référence aux couches de neurones d’un réseau neuronal. Cette architecture, calquée sur le cerveau humain, est la signature du machine learning, l’apprentissage automatique. Ce domaine de l’IA vise à se passer, à terme, de programmes instructeurs en s’appuyant sur une meilleure connaissance des données par la machine. D’où le terme d’apprentissage. Avec malice, Google clame à l’époque que Deep Dream a donné naissance à un courant artistique : l’inceptionnisme. Référence au film Inception (2010). La réalité est plus triviale mais pas moins intéressante.


Le détournement

Deep Dream était destiné à un concours de reconnaissance d’images d’animaux. Or, la banque d’images en question, ImageNet, comportait beaucoup de photos de chiens. La raison, c’est la difficulté d’identifier les caractéristiques d’un chien, pensez à la différence entre un Husky et un Yorkshire. Les ingénieurs Google imaginent alors une expérience et donnent l’instruction suivante à l’algorithme: “Ce que tu vois, je veux le voir encore plus”. Deep Dream fait alors une crise de paréidolie, il voit des chiens partout. On avait clairement affaire à un détournement et les artistes n’y sont pas restés indifférents. Par la suite, Google a libéré le code de Deep Dream et d’autres outils de l’IA ont suivi.

L’abstraction et les modèles génératifs

Les réseaux neuronaux décomposent les images (et plus généralement les données), en détails, presque insignifiants, jusqu’à l’abstraction. Cela permet de reconnaître un objet, même d’après un croquis ou un symbole.


Visualisation topologique d’un réseau neuronal - Terence Broad

On imagine alors aisément qu’ils s'insèrent dans des projets culturels. Mais ce n’est pas tout. Jusqu’à récemment, la part belle était faite aux modèles discriminants, autrement dit, l’IA arbitrait entre des données existantes.

Mais lorsqu’on utilise l’IA pour faire des projections, financières par exemple, on fait appel à des modèles génératifs. L’IA se base toujours sur les données existantes mais pour en créer de nouvelles. Créer. Le mot est lâché. Or, récemment, ce modèle a été combiné avec les progrès de la vision par ordinateur (computer vision) et l’IA s’est mise à produire des images troublantes de vérité.


En haut une vidéo, en bas une vidéo générée par un réseau neuronal prédictif. © Coxlab

Les réseaux adversaires

En 2014, Yann Goodfellow, jeune ingénieur de chez Google Brain eut alors l’idée d’associer les deux modèles de réseaux; l’un génère une image, tandis que l’autre, discriminant, choisit si l’image fait partie des données originales. Si l’image est rejetée, le modèle génératif améliore sa proposition. Un cercle vertueux en somme. En 2016, les GAN (Generative Adversarial Networks) ont fait l’objet d’une publication scientifique d’Apple pour améliorer les images de synthèse. Mais les réseaux neuronaux ont aussi leurs détracteurs, jugés pas assez formalistes tant il est difficile de tracer leurs raisonnements. D’autres y voient l’occasion de falsifier l’information ou d’outrepasser les conventions éthiques, comme les métamorphoses ethniques de Faceapp ou le controversé “Gaydar”, développé par l’université de Stanford, qui détecterait l’homosexualité sur les visages. Ce qui fait dire à Alexandre de Brébisson, co-fondateur de Lyrebird, un programme d’IA qui imite les voix, qu’une telle technologie implique de nouvelles responsabilités. Raison de plus pour que la culture s’en mêle.

Par Nicolas Barrial

Pour en savoir + sur les événements du cycle thématique :

Design graphique et intelligence artificielle : vers un design algorithmique?

Publié le 09/10/2017

Design graphique et intelligence artificielle : vers un design algorithmique?

Le studio de design graphique, typographique et interactif Chevalvert est à l’origine de l’identité visuelle du cycle que le Labo Arts & Techs de Stereolux consacre cet automne à l’intelligence artificielle (IA).

 

Nous leur avons posé quelques questions sur leur démarche expérimentale pour chercher à comprendre quels pouvaient être les liens existants ou à venir entre le design graphique et une IA.

Cet entretien est aussi un prélude au workshop Machine Jacking que Chevalvert animera sur cette thématique.
 

Quelle est la place de l'algorithme et de l'aléatoire dans la création de l'identité du cycle sur l'IA? S'agit-il vraiment d'une IA?

Il ne s'agit pas d’IA à proprement parler mais plutôt d’une déambulation aléatoire sur un territoire graphique. Concrètement, un territoire graphique a été mis en place à l'aide des règles inspirées de l'IA, des cadrages subjectifs ont ensuite été fait par l'humain. Nous n’avons pas permis (cette fois-ci) à la machine d’effectuer une création visuelle originale, mais simplement d’en parcourir la surface avec certaines règles. L’idée était de se mettre “dans la peau” d’une IA. Une démarche plus proche du Conditional Design ou de l'OULIPO que du logiciel-boîte-noire.

Quels sont les outils de développement (logiciels) qu'un designer graphique utilise lorsqu'il s'inscrit dans une telle démarche? Est-ce qu'ils réclament les mêmes compétences que ceux qu’il utilise habituellement ?

Nous allons justement mener un workshop à Stereolux sur cette question. L’idée de Machine Jacking (c’est le nom du workshop) est de détourner, hacker, jacker des IA afin de les utiliser comme un outil de génération graphique pour générer quelque chose de différent de ce pour quoi elles ont été prévues et programmées. Nous ne sommes pas ingénieurs mais en tant que designers, nous allons nous intéresser à certains scripts, qui représentent l’outil technique principal associé à une démarche de conception utilisant l’IA. Siri, les chatbots, OCR sont autant de briques logiciels qui peuvent être associées et détournées pour permettre aux concepteurs graphiques de se réapproprier un processus lié à une IA.


Comment dialoguent les outils de création graphique traditionnels (photoshop, Indesign...) et ces lignes de code ?

Actuellement, les outils de création graphique ne facilitent pas encore pleinement le dialogue avec des processus d’IA. Ces logiciels comportent bien des “portes d’entrées” pour intégrer des flux XML ou exécuter des scripts sur de multiples images mais ils ne permettent pas de concevoir facilement des processus associés directement à une IA.

Dans le domaine de la création, les démarches liées à l’lA vont pousser le designer à aborder une création comme l’écriture d’une série d’étapes et de traitements d’informations débouchant sur un résultat visuel, physique ou spatial.

Aujourd’hui, des interfaces de création par le code (Processing par exemple) permettent de mettre en place des démarches de conception originales pouvant déboucher sur la création d’illustrations d’une extrême complexité comme sur la production de mise en page générative.

Ce type de processus de création programmé permet parfois de gagner un temps considérable mais ouvre aussi la possibilité d’être confronté à l’erreur. En effet, le résultat est parfois celui que l’on imaginait, parfois pas tout à fait, et c’est souvent intéressant. Le tout est de tenter de garder le contrôle sans se faire happer par la puissance technique.

Historiquement, la relation que le créateur a entretenu avec son outil s’est continuellement transformée. L’IA semble être la prochaine évolution dans l’histoire entre les créateurs visuels et leurs outils. Après les outils d’écriture (plume, stylo, feutre…), les procédés d’imprimerie et  les logiciels de créations graphiques (CAO).

Cette démarche expérimentale annonce-t-elle des changements profonds dans les métiers de la création graphique où l'IA supplanterait les designers et leur palette graphique ?

Les métiers de la création furent bouleversés au moment de l’apparition de l’outil informatique. De nombreux métiers disparurent d’un coup car l’ordinateur offrait la possibilité de faire la même chose et beaucoup plus rapidement. On peut imaginer que l’IA produise le même phénomène. Toutefois, il faut rester prudent sur la place que l’IA aura dans les métiers de la création. Tout comme le code, elle deviendra un outil qu’on s’approprie, qu’on déforme, qu’on influence sans pour autant supplanter le concepteur et sa conscience. C’est en tout cas ce qu’il faut espérer

Politique fiction : dans ce contexte quel est le devenir des professions créatives ? Le chômage de masse ? Le remplacement des profils créatifs par les développeurs ?

Deux scénarios pourraient se produire. Dans le premier, les professions créatives garderaient le contrôle sur les IA et s’efforceraient (car ce sera un effort, il faut bien l’avouer) de ne pas leur laisser “faire le bon choix” sans esprit critique.

En cas de “laisser faire”, un deuxième scénario (catastrophe ?) est envisageable. Une IA pourrait “apprendre” une telle quantité d’informations sur le fonctionnement intellectuel et l’histoire des cultures esthétiques des êtres humains qu’elle se mettrait à créer ses propres éléments de fonctionnement (langage, structure de pensée…). Éléments que l’être humain serait incapable de discerner et/ou de comprendre mais qu’il trouverait fascinants. L’IA prendrait alors le meilleur sur l’humain et chercherait ensuite à le surpasser. La créativité biologique ne ferait alors plus le poids face à cette fulgurance technologique, et l’être humain se verrait contraint de simplement “nourrir” cette IA pour l’éternité. Mais là, on joue à se faire peur, non ?

Le studio Chevalvert animera le workshop Machine Jacking (design graphique et intelligence artificielle)
Jeudi 30/11 et vendredi 01/12
>> infos et réservation

POUR EN SAVOIR + SUR LES AUTRES ÉVÉNEMENTS DU CYCLE THÉMATIQUE :

SCOPITONE 2017 : RETOUR SUR LA TABLE-RONDE "Erreur 404 : Erreur, Faillibilité et aléa numérique"

Publié le 27/09/2017

Retrouvez l'intégralité de la table-ronde "Erreur 404 : Erreur, Faillibilité et aléa numérique ?" qui s'est tenue le 21 septembre dans le cadre des rendez-vous pros de Scopitone. 

Modératrice : Céline Berthoumieux (directrice du ZINC, centre de création des arts et des cultures numériques).
Intervenants : 
Myriam Bleau (artiste)
Olivier Ertzscheid (Maître de Conférences en Sciences de l'information et de la communication à l'Université de Nantes)
Julien Bellanger (Chargé de développement au sein de l’association PiNG)
Charlotte Truchet (Maître de Conférences en informatique à l'Université de Nantes)

En partenariat avec ZINC

 

++ LA TABLE-RONDE RÉSUMÉE EN NOTES GRAPHIQUES PAR THIBÉRY MAILLARD (@ENTROISPOINTS)

Scopitone 2017 : retour sur la table-ronde "Art, Design : vers une ère post-numérique"

Publié le 27/09/2017

Retrouvez l'intégralité de la table-ronde "Art, design : vers une ère post-numérique ?" qui s'est tenue le 21 septembre dans le cadre des rendez-vous pros de Scopitone. 

Modératrice : Claire Richard (journaliste)
Intervenants :
Samuel St-Aubin (artiste)
Anthony Masure (maître de conférences en design, université de Toulouse-Jean Jaurès)
Dominique Moulon (critique d’art et enseignant)

Table ronde organisée en partenariat avec Usbek & Rica, « le média qui explore le futur ».

 

 

 

 

++ La table-ronde résumée en notes graphiques par Thibéry Maillard (@entroispoints)

J’ai testé : la visite pro de Scopitone

Publié le 26/09/2017

Nicolas Houel, adhérent à Stereolux, a suivi une visite des expositions destinée aux professionnels et aux amateurs éclairés et guidée par Coline Feral ingénieure spécialisée dans la robotique et l'informatique industrielle.

Photos © David Gallard


Quoi de mieux, dans le cadre de Scopitone 2017 et de ses expositions numériques dispersées à travers la ville, que de s’offrir le plaisir d’une petite visite commentée par une professionnelle de la robotique ?

Tout commence au Passage Sainte-Croix, à l’ombre du beffroi et dans la fraîcheur de l’espace d’exposition. C’est Samuel Saint-Aubin, artiste autodidacte montréalais qui ouvre la danse. Il nous propose cinq œuvres uniques qui mettent à l’épreuve nos sens face aux mouvements millimétrés de ses créations où le déséquilibre, maîtrisé à la perfection, nous absorbe dans une transe contemplative dont seule l’exposition permanente de la galerie, actuellement dédiée à Tim Franco, parvient à nous détacher. Un régal multiple donc, rehaussé par l’humilité et le naturel de l’artiste, qui s’exprime à la manière d’un passionné au discours accessible, rare.

  


Au petit trot sous le soleil, direction le Château des ducs de Bretagne. L’an dernier, les œuvres exposées avaient soulevé quelques sourcils, parfois étonnés, parfois circonspects. Autant vous dire que cette année, les installations sauront trouver chez vous la fibre à faire vibrer. De l’obscurité à la semi-pénombre, commencez par vous allonger sous le plafond média de Wilfried Della Rossa et Before Tigers (n’hésitez pas à jouer des épaules, mais doucement quand même) qui vous offrira une interprétation visuelle et sonore des concepts relatifs à la naissance de notre univers, une sorte de petit planétarium de poche où il fait bon s’allonger, le tout dans un château.

 


On descend d’un niveau et on arrive face aux créations de Flavien Théry. Honnêtement, ses œuvres viennent d’ailleurs ! L’ensemble du travail de l’artiste couronne le parcours du château. C’est fin, délicat, sensé, précis et, même si le travail de l’artiste s’installe dans un champ d’illusions d’optiques déjà exploré il y a quelques décennies, l’ambiance ténébreuse des salles du Château des ducs nous offre un regard où le contraste entre les lieux et leur contenu devient signifiant.

 


Puis la dernière étape, l’Orangeraie du Jardin des Plantes de Nantes, où s’est installé le duo Nonotak pour une œuvre cinétique, Narcisse V.2. Si les artistes produisent autour de leur création un discours léché, la réalisation finale me laisse cependant sur ma faim. Posée dos au mur, l’installation ne révèle que partiellement les qualités spatiales du lieu et le travail de lumière perd de sa consistance face au jeu, pour sa part très réussi, de pilotage des miroirs carrés. N’hésitez cependant pas à y aller, car l’accès à l’œuvre passe par la serre de l’Orangeraie, un véritable délice visuel et olfactif !

  

 

 

L’art post-numérique : Moment artistique paroxystique d’une époque paroxystique

Publié le 12/09/2017

Dans un contexte de course à l’innovation technologique et de « tout numérique » présenté comme le remède à tous nos maux, les artistes choisissent la « décroissance esthétique » des pratiques artistiques post-numériques. Engagé depuis quelques années, ce mouvement qui ne renie pas le numérique recentre simplement le propos sur l’acte créateur, l’œuvre, l’art enfin, dans un mouvement où la prouesse technologique s'estompe au service de l’artistique. C’est cette tendance que l’édition 2017 de Scopitone met en avant, avec une sélection d’artistes qui prennent du recul et s’inscrivent activement dans la mutation des arts dits « numériques ».

Voilà quelques années que l’on voit s’épanouir des œuvres qui, si elles incluent toujours activement les technologies numériques contemporaines, se rapprochent néanmoins de plus en plus des origines de toutes pratiques artistiques : l’artisanat, la mécanique. Une tendance aux dispositifs, aux pièces faites d’objets de récupération qui s’inscrit dans l’histoire de l’art (dadaïsme, futurisme, art cinétique, surréalisme, art contemporain) qui répond de manière singulière à la propagande du high-tech et du « toujours plus ».

Selon Cédric Huchet, programmateur et directeur artistique « arts numériques » du festival Scopitone :

« dans le contexte global du numérique envahissant, omniprésent et permanent, il est important désormais de prendre de la hauteur et d’avoir un parti pris critique. Pour autant, à Scopitone, nous nous considérons toujours comme des acteurs proactifs du numérique et nous n’avons aucunement vocation à ne plus l’être, mais nous souhaiterions le faire différemment et un peu plus intelligemment. C’est aussi une réaction aux politiques publiques qui manquent parfois quelque peu de distance en encourageant le discours du tout numérique, dans une course en avant vers le « toujours plus », le « toujours mieux », le « toujours plus efficace » - et surtout plus rentable. C’est regrettable car cela exclut souvent la démarche personnelle, le DIY ou l’expérience. »


The Limitations of Logic and the Absence of Absolute Certainty, Alistair McClymont 

Une mutation esthétique et engagement

Le fait est que nous assistons à une véritable mutation esthétique au sein des arts numériques. De nombreuses démarches excluent presque totalement les clichés du genre : l’écran, le pixel, la surbrillance, l’imagerie de science-fiction tendance « hyper-futur et innovation », ou l’imagerie lisse, infographique, pour laisser la place à des œuvres fortes et plus personnelles. Une nouvelle génération d’artistes s’engage, politiquement, socialement, et au niveau environnemental, en portant des œuvres qui se penchent sur les grandes questions contemporaines. Une tendance forte qui s’inscrit dans la réflexion et la monstration - autour et de - thèmes liés à la nature, au climat, au biologique, à la société. Des sujets auxquels se font écho des œuvres comme « The Limitations of Logic and the Absence of Absolute Certainty » d’Alistair McClymont, ou le « Remote Memories » de Yannick Jacquet, dans sa dimension contemplative, proposant une temporalité autre.


Remote Memories, Yannick Jacquet

Pour Cédric Huchet,

« cette position est complètement inscrite dans la démarche post-numérique. Ce souci de l’écologie, de l’environnement, de l’impact de l’humain sur la planète, jusqu’à l’évolution de nos sociétés ou à l’Anthropocène, ces artistes s’emparent de ces sujets d’une façon de plus en plus intelligente, sans tomber dans la négation forcenée, ni la critique gratuite, dans une forme de réflexion et de militantisme qui met à profit la démarche sans négliger le résultat. Voir une pièce d’Alistair McClymont, qui parle de ces sujets, c’est toujours une vraie expérience esthétique. C’est beau, mais on sent immédiatement derrière une démarche, un propos, une intention. On peut également citer les travaux du Québécois Herman Kolgen, qui est toujours très esthétisant, et même s’il ne se reconnait pas dans une véritable démarche politique, porte sa part de message critique et de réflexion – du point de vue de l’artiste – sur le monde.»

Degrés de lecture et regard critique

Ces travaux sont d’autant plus fascinants qu’ils permettent plusieurs degrés de lecture et différentes analyses de l’œuvre, ou de la démarche de l’artiste, sans fermer les portes à la séduction ou à l’émerveillement. C’est certainement ce regard critique sur l’usage des technologies en art, qui permet ces différents degrés d’analyse, mais c’est aussi une remise en question de la façon dont nous abordions le numérique, en tant que public comme en tant qu’artiste, qui transforme le paysage des arts numériques aujourd’hui.

Cédric Huchet :

« Nous sommes passés d’un stade où un écran tactile était quasiment considéré comme un objet magique, où bouger devant une kinect était vu comme une expérience stupéfiante, à une époque, plus mature en matière d’usages par le grand public et par les artistes. L’omniprésence en art, comme dans la rue, de ces technologies a provoqué une banalisation de tout cela. Aujourd’hui cela n’intéresse plus personne de s’agiter devant un écran. C’est complètement banal aujourd’hui de faire du streaming, de proposer de l’interactivité, d’avoir une interprétation sous forme de réalité virtuelle ou de réalité augmentée. Il faut dépasser le prétexte technologique. Pour ce faire, il faudrait peut-être que cela ennuie tout le monde, afin qu’il en sorte quelque chose de vraiment original et de vraiment créatif.»


Semi-senseless Drawing Modules, Sokanno & Yang02

Post-numérique et démarche anti-numérique 

Parmi les symptômes de « la fin de la fascination exercée par le numérique » de plus en plus d’artistes insistent donc sur le côté « artisanal », l’aspect « dispositif ». D’autres reviennent au low-tech et militent pour une ère-post-numérique qui s’érige « contre le numérique » (voir les hacktivites féminins de Hackteria ou aux travaux de la designer Alexandra Daisy Ginsberg). Une position radicale, qui entretient l’ambigüité entre renoncement de façade et usage du numérique par obligation (même les plus militants des hackers utilisent le numérique dans leurs actions) et ne réalise pas forcément que ces prises de positions sont emblématiques de l’ère post-numérique dans laquelle nous entrons.


Table ronde «Art, design: vers une ère post-numérique? » 

Cédric Huchet, encore :

« La démarche post-numérique est lié à tout ce qui touche à l’excès, au paroxysme. Le paroxysme de l’usage du numérique, l’excès de technologie et de discours pro-technologiques. Ces moments de l’histoire donnent généralement des choses très intéressantes. C’est à la fois très dangereux. Cela fait peur. Il y a un côté apocalyptique, on pense que cela va faire disparaitre des choses, et en même temps cela touche la sensibilité la plus exacerbée des individus. Nous sommes à une époque paroxystique, qui, à mon sens, a besoin d’éprouver, de se frotter à ce genre de réflexions, à ce genre d’extrêmes, pour aboutir à un renouveau. »

Maxence Grugier
Propos recueillis auprès de Cédric Huchet

Consultez l’intégralité de cet article sous forme d’interview sur le site Digitalarti Media