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WHIST - UN VOYAGE DANS L'INCONSCIENT GRÂCE À LA RÉALITÉ VIRTUELLE (INTERVIEW)

Arts numériques Publié le 16/10/2019

C'est dans ses formes artistiques les plus abouties que la réalité virtuelle est à l'honneur d'Electrons Libres le 8 & 9 novembre. A l'image de WHIST, véritable performance collective, à travers laquelle la compagnie de danse anglaise AΦE embarque le spectateur dans une histoire vertigineuse, aux 76 scénarii possibles. Avant d'enfiler le casque VR et d'affronter vos peurs et vos désirs, Esteban Fourmi, l'un des directeurs artistiques, revient sur ce projet hors du commun. 
 

Whist est une expérience de réalité mixte, inspirée des travaux de Sigmund Freud. pourquoi avoir choisi ce sujet comme point de départ de votre création ?

En général, nous sommes intéressés par la psychologie et la philosophie, ce sont nos principales sources d’inspiration dans notre recherche artistique et notre vie. Nous avons fait beaucoup de recherches sur le travail de Freud et avons découvert le musée de Freud à Londres au moment où le lieu organisait un événement pour l’anniversaire des 100 ans de l’inconscient en 2015. Nous y sommes allés et avons écouté le propos de la psychanalyste Emilia Rackzkowska qui travaillait au musée. Nous avons ensuite échangé avec elle et, interessée par notre idée de performance, elle nous a aidé dans nos recherches.

Après cette rencontre, nous avons eu l’idée d’écrire une histoire basée sur trois patients de Freud, « Wolf man », « Dora » et « Little Hans », en les réunissant comme une famille vivant sous le même toit. Nous avons alimenté ce point de départ avec les théories de l’inconscient, de l’étrange et l’interprétation des rêves pour raconter une histoire sur l’inconscient d’une famille déchue, ses problèmes et ses espoirs. Nous voulions créer des fragments de rêves qui constituent cette histoire où tout ne se voit pas. Le public plonge alors dans cette fiction multi-narrative en passant d'un scène à une autre en fonction des choix de son inconscient.

La psychanalyse est cruciale dans WHIST. A la fin de l’expérience, un numéro est attribué à chaque participant, lui permettant d’établir un profil psychologique basé sur ses réactions durant la performance. Cette idée nous est venue du test de Rorschach. Nous avons demandé à Emilia si elle pouvait analyser le film WHIST comme une tâche d’encre et elle a rendu cela possible. Ses analyses sont très intéressantes car elle a pris en compte le point de vue de Freud, notre interprétation jusqu'aux choix du public pendant la performance.  
 

 

Pouvez-vous revenir sur la création de Whist (scénario, mise en scène, vidéo, musique, technologies) ?

Nous avons posé le concept entre 2013 et 2015. C'est le premier projet d'AΦE de cette envergure. Notre challenge a été de combiner nos souhaits pour créer quelque chose de grand et les faisabilités pour pouvoir partir en tournée avec les décors, la mise en scène, les acteurs. Avec la réalité virtuelle, nous avons vu le potentiel pour combiner la magie du théâtre et les outils utilisés dans l'industrie cinématographique. 
C'était important pour nous de créer une expérience où le public serait libre de bouger, en même temps physiquement que virtuellement. Nous avons donc dû créer des solutions techniques et dépasser certaines limites de la technologie VR. Pour cela, nous avons combiné des installations d'arts visuels et de multiples perspectives contenant 76 possibilités narratives. 
Nous avons tourné toutes les scènes avec les comédiens à Ashford (où nous habitons) pendant 4 jours dans une une maison abandonnée et un entrepôt vide où nous avons pu apporter tout notre matériel.

Pour la partie digitale, l'agence Happy Finish à Londres nous a beaucoup aidé. Nous avons créé un film interactif en réalité virtuelle, ce qui est un peu surréel pour la VR. Les programmeurs ont vraiment créé une nouvelle façon de programmer du contenu VR pour un résultat unique quant à l'expérimentation de la performance VR. Même aujourd'hui nous sommes surpris que personne d'autre n'utilise cette technique ou quelque chose de similaire. On dirait que tout le monde est conditionné par l'aspect immersif et linéaire des expériences en VR. Au contraire, nous avons voulu garder notre spectateur constamment dans le réel. 

La musique et le son représentent également une part cruciale de la production. Nous avons demandé à l'agence de sons immersifs 1.168 Digital de travailler sur cet aspect. Les musiciens Scott Gibbons (musicien electronique) et Jozef Van Wissem (joueur de luth) ont signé la bande-son originale. 

Au total, la post-production nous a pris un an et demi et 40 collaborateurs sont intervenus sur cette création ! Ce fut des grosses journées et de longues nuits de travail ! Aoi et moi avant vraiment voulu créer quelque chose de spécial. Du début jusqu'à la fin, nous avons été obssédés par les détails, ce qui, nous pensons, fait la différence. 
 

 

Comment utilisez-vous la réalité virtuelle ? Qu’est que cela apporte ?

Deux idées ont conduit notre création : 

  1. Nous avons vu le potentiel dans le fait d’amener le public au cœur de notre travail

En tant que performeurs nous savons ce que cela fait d’être dans la peau d’un personnage, d'un narrateur et d’être sur scène. Nous voulions partager un peu plus ce sentiment avec le public. Le théâtre traditionnel met un mur énorme entre le public et les acteurs et nous avons voulu briser ce mur. Le spectateur est au cœur de l’histoire et il a même le choix de regarder où il veut et de ne pas regarder certaines parties de la création.

  1. Pouvoir créer quelque chose de grand mais facilement mobile

En tant que premier travail, c’était une chance pour nous de commencer par créer une expérience audacieuse et inhabituelle, sans compromis. Et le résultat prouve que ça fonctionne ! Nous avons voyagé dans 9 pays et 22 lieux/festivals depuis notre première en avril 2017.  Notre performance a été vue par plus de 8000 personnes et environ 4550 personnes ont participé à des ateliers, conférences et et démonstrations ! 
 

  



La VR a eu des difficultés à prendre son envol contrairement aux attentes, pensez-vous que cette technologie a de beaux jours devant elle ? 

Je pense que la VR va évoluer rapidement parce que techniquement nous pouvons créer des composants plus petits, plus rapides et moins chers. Je ne parierais pas de sitôt sur la mort de VR. C'est un medium qui a encore un fort potentiel à explorer. 
Même si Samsung et Google ont arrété de produire les lunettes VR, d'autres entreprises comme Universal, Facebook et autres investissent beaucoup d'argent dans la R&D. Mais leur plan n'est pas pour demain, ils se projettent plutôt dans 10 ans. Dans l'avenir la réalité virtuelle sera un atout majeur pour les entreprises. La VR n'est pas morte ;)
 

 

Quelles réactions de la part du public avez-vous pu observer avant, pendant et après cette expérience ? 

Nous touchons un public très large, ce que nous souhaitions. Quelque soit la nationalité, dans tous les pays où nous tournons, les réactions bonnes comme mauvaises sont exactement les mêmes ! 
Nous touchons des personnes curieuses de la réalité virtuelle, pour qui WHIST est parfois la première expérience VR et crée l'effet WOW !
Nous avons aussi des experts de la VR ou des personnes qui travaillent dans le digital et leurs supers retours nous rendent vraiment heureux.
Nous avons d'autres personnes qui viennent pour la danse, le théâtre, le design, la psychologie ou d'autres encore qui cherchent une expérience hors du commun.
Nous avons des jeunes, des personnes âgées, des personnes avec un handicap, des personnes en fauteuil roulant...
Nous vivons dans un monde où les gens veulent vivre des expériences et c’est ce sur quoi nous travaillons depuis le début.

Qu'est-ce qui se passe après avoir expérimenter WHIST

WHIST ne se passe pas pendant l'expérience mais une fois la performance finie. Les participants vivent une expérience d'une heure ensemble en voyant à travers différentes perspectives, ce qui amène à de nombreuses conversations une fois le casque VR tombé. Et c'est à ce moment là que WHIST se passe ! Le public reconstruit l'histoire ensemble. Contrairement à des spectacles plus traditionnels, nous ne pouvons pas jouer la performance sans public. Si il n'y a pas de public, rien n'existe et je pense que c'est ce qui fait que WHIST est aussi spécial et unique.