Logo Stereolux

S.E.N.S VR : un labyrinthe graphique en réalité virtuelle - Interview de Charles Ayats

Arts numériques Publié le 16/10/2019

S.E.N.S VR de Charles Ayats a été récompensé à de nombreux festivals (Tribeca Film Festival, Future of Storytelling summit...) et explore les interactions entre installation numérique, jeu vidéo et bande dessinée. Plongé dans l'univers graphique du bédéiste français Marc-Antoine Mathieu, le joueur doit se repérer dans un labyrinthe répondant à d’étranges lois. Si les points de repère sont malmenés, la sensation d'émerveillement, elle, demeure intacte. Rencontre avant de tester cette expérience à Electrons libres les 8 & 9 novembre.
 

Pour quelles raisons êtes-vous parti du travail du bédéiste Marc-Antoine Mathieu ?  

Le roman graphique SENS de Marc-Antoine Mathieu (MAM) est l'une de ses œuvres les plus radicales. Non verbale, tout en nuances de gris, avec pour personnage principale un univers absurde, où tout prend l'apparence de flèches. Le design minimal de cet improbable univers me semblait parfait pour se marier avec les atouts de la VR : jeux d'échelle, sentiment d'égarement, dérive dans un monde mystérieux. Cette échappée métaphysique m'a véritablement envoûté, je voulais accéder à ce monde. Il n'y avait plus qu'à le réaliser.
 

Comment avez-vous travaillé la création de Marc-Antoine Mathieu pour l'adapter à la VR ? 

La première étape a été de monter un dossier, avec Armand Lemarchand - game designer -, et Marie Blondiaux - productrice -. Il a fallu s'assurer que les droits numériques étaient disponibles auprès de la maison d'édition Delcourt, puis avoir l'aval de Marc-Antoine. Ensuite, pour trouver des fonds, nous nous sommes tournés vers Arte et le FAJV (CNC), avant de monter une première équipe pour réaliser un prototype. Enfin, la phase de production nous a emmenés jusqu’au développeur Simon Albou qui a assuré l'adaptation sur les multi-plateformes (ios/android, mobiles et tablettes, et différents casques VR).

Sur l'écriture il y a d'abord eu l’arborescence globale à structurer, puis le prototype à réaliser pour s'assurer des "3C" (camera, control, character), et surtout, définir nos possibles autour du médium VR (Nb. SENS a été réalisé en 2015/2016). Ensuite, il faut tout assembler, les modélisations, les animations, le son (merci Franck Weber), l'optimisation, les portages,... avec différents corps de métiers. C'est énormément de travail, surtout pour les novices que nous étions.


Qu’apporte la réalité virtuelle à la bande dessinée ? 

Il m'est difficile de répondre à cette question car SENS VR est d’avantage l'adaptation d'un univers, que l'adaptation VR des fondements d'une bande dessinée (Cf. L'Art invisible de Scott McCloud). Ce roman graphique de MAM s'éloigne déjà d'une BD classique : une seule image par page, de vrais enjeux autour de la perspective, peu de dialogues. Notre adaptation joue avec les codes de cette BD (perte de repères dans l'image, fatalisme dans la direction, mise en abyme abstraite) mais questionne peu le découpage de la case. 
MAM a l'habitude de questionner le "4ème mur" - la prise en compte du lecteur dans la narration. Ici l'incarnation du joueur (l'embodiement) provoque ce questionnement notamment par notre choix radical des transitions, parfois brutales, entre la 1ère à la 3ème personne. 
Chaque plan de la BD SENS est défini avec une grande justesse par MAM. En 360° nous avons aussi du hors case, du hors champs, mais qui, en un pivotement d'épaule, n'en n'est plus. Et pourtant promis, vous serez surpris.
 


La VR a eu des difficultés à prendre son envol contrairement aux attentes, pensez-vous que cette technologie a de beaux jours devant elle ? 

De quelles attentes parle-t-on ? De la courbe de Gartner ? Je ne sais pas s'il faut se soucier des communicants... laissons-les à leurs fichiers excels ; même s'il est difficile de ne pas cliquer sur ces articles, c'est vrai. La VR mute à une vitesse industriellement effarante, menée en majeure partie par les GAFAM. J’espère que les usages émergeants équilibreront la note carbone d'une telle technologie. Ce qui, par rapport à d'autres, me semble envisageable, car l’effet de "téléprésence" est bel et bien réel et s'améliore tous les ans (cf. la proprioception et le sentiment de présence). Cette technologie ne va cesser d'évoluer. Le streaming va alléger le hardware par exemple dans un premier temps. La réalité augmentée va se développer sur le même support via des clouds propritéaires, et espérons-le, publiques. Puis le biologique rentrera dans la danse. J'ai dû lire ça quelque part. (rire)

Quelles réactions de la part du public avez-vous pu observer lors de cette expérience ?

Énormément de réactions différentes. Souvent très positives. Beaucoup de remerciements, l'impression d'avoir eu accès à quelque chose de déroutant, de nouveaux (sur les festivals français et internationaux 2016/2017) ; des publics surpris (besoin de toucher un élément tangible autour d'eux, ou de parler à voix hautes), des publics enjoués, des publics déçus, une ou deux personnes en larmes, et des grincheux (au vernissage du Salon du Livre). Mais globalement une expérience qui n'a pas rendu les gens indifférents.