Parcours ludique OUJEVIPO³, l'interview des inventeurs d'arcades décalées
Du 15 mars au 8 avril, Stereolux se transforme en salle d'arcades constituée de dix bornes pop et décalées, fabriquées sur mesure par Pierre Corbinais et Xavier Girard. Un parcours ludique qui évoquera pour les plus grands des références au courant Bauspiel et une idée du jeu vidéo artisanal et alternatif, et qui enthousiasmera les plus jeunes avec ses formes colorées et ses jeux totalement décalés. Avant de vous lancer dans des parties endiablées, les deux inventeurs partagent leur vision du jeu vidéo et racontent la construction de cet "Ouvroir de jeux vidéo potentiels".
Pour commencer, pourquoi ce nom OUJEVIPO³ ?
Pierre Corbinais : Le nom Oujevipo vient initialement du nom de mon site, oujevipo.fr, lui même clin d'oeil à l'Oulipo
OuLiPo = Ouvroir de Littérature Potentielle
OuJeViPo = Ouvroir de jeux vidéo potentiels
J'avais nommé le site ainsi car j'avais remarqué cette tendance au sein de la communauté des créateurs indépendants de travailler sous contraintes (de temps, durant les game jams, mais aussi de thèmes, d'outils, etc.) comme le faisaient les Oulipiens. Je suis par ailleurs moi aussi convaincu que c'est de la contrainte que nait la créativité.
Le ³ fait à la fois référence au chiffre 3, puisqu'OUJEVIPO³ est notre troisième exposition "Oujevipo", la première étant l'expo Retro (no) Future et la deuxième l'Oujevipo Expo Game 4 kids.
Comment avez-vous réfléchi le design des jeux ? Sur quelles références vous êtes-vous appuyés ?
Xavier Girard : Pour la deuxième exposition, le design des bornes s'appuie sur plusieurs références : le Bauspiel, jeu en bois traditionnel pour enfants adapté aux mesures de la salle d'arcade. Des formes simples, graphiques, portent les jeux (des cylindres, des "ponts") et sont tournées dans tous les sens comme le ferait un enfant avec ses jouets. En dessinant ces objets, j'ai aussi pensé à la Boîte, série d'installations sonores et graphiques créée par Gangpol & Mit en 2013.
Depuis le début de la série "cube", le design évolue en se donnant de nouvelles contraintes : des bornes un peu plus compactes, plus transportables sont dessinées à partir de la forme d'un cube : percé d'un cylindre, augmenté d'un bouton géant... L'idée reste de perpétuer la tradition de l'arcade mais de lui trouver toujours de nouvelles formes. La découverte du Museum of soviet arcade machines m'avait aussi marqué au moment de lancer ce projet : comment une histoire parallèle à celle de l'industrie du jeu vidéo peut-elle prendre forme ? Du point de vue formel, j'essaie de continuer de répondre à cette question, dans une approche de fabrication toujours artisanale et où de nouvelles idées de formes continuent d'émerger.
Depuis cette dernière série, nous avons aussi inversé la logique : la borne est dessinée avant que le jeu ne soit créé. C'est elle qui donne un thème à l'équipe de création du programme et non l'inverse. J'ai bon espoir que cela donne des résultats spécialement intéressants pour les deux nouvelles bornes de l'exposition qui seront présentées pour la première fois à Stereolux.
Cette exposition témoigne-t-elle d’une évolution du jeu vidéo vers des formes artistiques et plus alternatives ? Plus globalement, comment percevez-vous le jeu vidéo aujourd’hui ?
Pierre Corbinais : La scène alternative du jeu vidéo existe depuis longtemps, mais elle est de plus en plus vaste. Cela est surtout dû à la démocratisation des outils de création. Plus il est facile de créer des jeux, plus il y aura de gens capables d'en faire, et plus les créations seront diverses. Ces dix dernières années ont été extraordinaires en terme de créations videoludiques. Ce qui était auparavant un art techniquement complexe et réservé aux programmeurs, est devenu un moyen d'expression comme un autre et des tas de genres nouveaux ont émergé. Le problème c'est la visibilité, car aussi vaste que soit cette scène alternative, c'est toujours les grosses productions qui prennent toute la place sur le devant de la scène. Depuis 2010, j'essaie avec l'Oujevipo de donner plus de visibilité à ces créations plus modestes, et c'est aussi une des intentions des expos Oujevipo d'amener ces jeux là où les gens ne les attendent pas.
Xavier Girard : Il n'y a pas d'évolution de tout le jeu vidéo vers des formes artistiques et plus alternatives. Pierre décrit bien l'évolution technologique comme facteur d'amplification de la création alternative. Sur la dimension plastique et la médiation IRL du jeu vidéo alternatif et artistique, les initiatives restent relativement peu nombreuses à l'échelle internationale.
Le jeu vidéo est devenu un secteur de création extrêmement large. Par exemple, je fais la différence entre jeu indé et jeu alternatif ; entre productions indépendantes avec modèle économique et productions alternatives faites pour partager sans souci commercial... L'univers du jeu vidéo est aujourd'hui foisonnant et c'est ce qui est intéressant.
Quelles sont les réactions du public face à ce terrain de jeu original ?
Pierre Corbinais : Avant la première expo, j'étais assez anxieux de voir la réaction des enfants. Après tout, ils n'avaient probablement jamais vu une borne d'arcade de leur vie, comment allaient-ils réagir ? En vérité, ils n'étaient pas intimidés pour un sou et ont foncé sur les bornes dès qu'ils ont compris qu'il s'agissait de jeux vidéo.
Pour l'Oujevipo games 4 kids, Xavier a proposé des formes de bornes complètement décalées qui se jouaient de l'intérieur, par en dessous... tout sauf comme des jeux vidéo "normaux". Là encore, j'étais inquiet, est-ce qu'on allait pas un peu trop loin ? Est-ce qu'ils allaient comprendre ? Evidemment, je m'inquiétais encore pour rien.
Les enfants n'ont aucun à priori quant aux jeux vidéo, ils ne chercheront jamais à définir, comme peut le faire un adulte, ce qui est un jeu vidéo et ce qui n'en est pas un. Ils jouent, ils s'amusent, et se fichent bien de la ressemblance à quelque chose qu'ils connaissent ou non.
Xavier Girard : C'est la manière dont le public s'approprie les jeux qui donne envie d'en faire de nouveaux !
