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Oreilles en paix

Musique Publié le 18/03/2016

Pour que «musique» ne rime pas avec «perte auditive», un spectacle pédagogique sensibilise depuis une quinzaine d’années les plus jeunes aux risques encourus.
/ Juliane Rougemont

Renforcée par les smartphones, l’écoute au casque « partout, tout le temps et très fort » ne date pas d’hier. Les mesures pour sensibiliser les jeunes aux risques auditifs non plus : dès 1998, suite à la loi imposant une limitation des niveaux sonores dans les salles, un projet éducatif voit le jour du côté de Poitiers, à l’initiative d’acteurs des musiques actuelles. Ce projet s’est depuis exporté, sous forme de spectacle, dans d’autres régions dont celle des Pays de la Loire dès 2000. Baptisé Peace & Lobe, il mêle théâtre, conférence et concert. Dans la région, il est porté par un collectif de huit musiciens et techniciens réunis par l’association Mus’Azik. Début décembre, on s’est incrustés lors d’une représentation donnée à La BaraKaSon...

Ce jour-là, le public est composé de deux classes du lycée Leloup Bouhier de Nantes. Tout le monde s’installe, c’est parti pour 80 minutes de sensibilisation en musique. Sur scène, les artistes enchaînent l’histoire des styles musicaux puis celle des techniques de stockage, de reproduction, de compression, de diffusion et de sonorisation. En accompagnement, leur bande-son varie, de Renaud à Elvis en passant par Afrika Bambaataa. Du ukulélé à la batterie, de la cassette au MP3, du disco au rock’n’roll, la chronologie se déroule aussi via la projection d’extraits de concerts, de films... Ça ricane dans les rangs à l’évocation du bon vieux walkman cassette. Les musiciens essaient de faire participer la salle : «Vous connaissez des rappeurs des années 80 ? » Une voix discrète lance : « IAM ! »

SEUIL DE DOULEUR

On passe à des explications plus techniques sur le son : fréquences, décibels, etc. Pour illustrer ces informations, quelques expériences, sur un ton humoristique façon C’est pas sorcier, rythment la présentation. Sur du Alpha Blondy, on teste le volume et les décibels. On apprend que le seuil de douleur se situe à 120 dB – voire bien avant pour les allergiques au reggae. Le fonctionnement de l’oreille et la façon dont voyagent les ondes sonores jusqu’au cerveau sont évoqués. Les lycéens, timides, participent peu mais sont attentifs.

Après un morceau des Black Keys, la partie « prévention » débute par le décompte des risques liés aux mauvaises pratiques d’écoute : surdité transitoire ou définitive, acouphènes, troubles du sommeil pouvant mener à la dépression.«Quand on leur dit que les dégâts au niveau des oreilles sont irréparables, ça les marque », explique le musicien Jacquelin Roussel, qui a bien rôdé ses vannes, ajoutant : « Ils comprennent qu’il faut vraiment faire attention, et on peut dire que ça ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd ! »

NI MORALISER, NI DIABOLISER

Les jeunes ont ensuite droit à une démonstration avec bouchons d’oreilles et quelques conseils sur les bonnes attitudes à adopter en concert ou avec son baladeur, comme ne pas s’endormir avec le casque sur les oreilles. « On essaye de faire passer le message sans moraliser, le but n’est pas de leur dire d’arrêter d’écouter de la musique ni de la diaboliser, mais de leur donner des conseils », explique Hélène Fourrage, coordinatrice de Peace & Lobe pour les Pays de la Loire.

Avant de conclure, le spectacle conseille aux jeunes de fréquenter les concerts, d’écouter les radios associatives, bref, de développer une culture musicale. Pour Jacquelin Roussel, musicien, le spectacle va en effet au-delà de la prévention : «On essaie aussi de donner envie aux jeunes de se déplacer dans les salles du territoire. Pour beaucoup, c’est la première fois qu’ils voient un concert dans une salle, on fait de l’éducation à la musique, on les invite à avoir un esprit critique et à aller plus loin que ce que les gros médias leur proposent. »

La matinée se termine avec un mini-concert. Les jeunes se massent sur le devant de la scène, une reprise de Stromae déclenche même quelques pas de danse. Côté public, le bilan est positif, même chez ceux qui venaient à reculons. Un lycéen : « Au départ, j’étais sceptique, mais c’était super. On pensait qu’ils allaient juste parler pendant une heure, mais il y avait la musique.. Et en plus, ils chantent bien ! » Côté musiciens, l’influence de ces rendez-vous semble payer, à en croire Jacquelin : « On entend des témoignages encourageants et on voit de plus en plus de jeunes avec des bouchons dans les concerts, ça veut dire qu’il y a un impact positif de notre travail ! »

Avec 62 séances en 2013 et plus de 10 500 jeunes sensibilisés, le projet a clairement marqué les esprits – et sauvé plus d’un tympan.

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