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Mystères de la matière

Arts numériques Publié le 18/03/2016

A l'occasion de la présentation de frequencies (light quanta), troisième volet d'une série intitulée frequencies, l'artiste montréalais Nicolas Bernier évoque sa trajectoire et son œuvre, traversées par une tension permanente entre analogique et numérique, entre instruments de musique traditionnels et création sonore informatique. 
/ Marie Lechner.

Interview

En tant que musicien, comment passe-t-on du punk à la musique savante ?

Je crois qu’il s’agit simplement d’un désir d’aller voir plus loin. Dans le contexte culturel du musicien autodidacte de quatorze ans que j'étais, ce "plus loin" se nommait punk-rock. Lorsque j’ai déménagé à Montréal, tout a basculé. Danse, théâtre, arts visuels et performances se sont intriqués, élargissant ma vision et, par incidence, ma pratique. La boucle est en train de se boucler, puisque je suis récemment revenu vers ces musiques punk et métal qui influencent mes projets aujourd’hui, même si mon travail a tendance à s’épurer de plus en plus.

Comment s'est passée votre rencontre avec la musique électroacoustique ?

Elle s’articule en deux chocs, en deux incompréhensions qui ont cultivé ma curiosité pour cette chose qui m’apparaissait au début comme une des plus étranges qui soient. Il y a d'abord eu un concert dans le noir, sans performance visuelle, où je m’étais pointé par hasard le 28 janvier 1999, sans savoir à quoi m’attendre. Ensuite la rencontre fortuite, alors que je ne connaissais même pas le mot "électroacoustique", d’un des ouvrages les plus importants dans le domaine : le Traité des objets musicaux de Pierre Schaeffer. Je ne comprenais rien de ni l’une ni l’autre de ces choses et c’est ce qui a piqué ma curiosité.

Comment en êtes-vous venu à vous intéresser aux arts électroniques ?

Ce désir d'aller plus loin m'a fait m'intéresser aux arts visuels, à la photographie, en mettant à profit des aptitudes développées dans mon ancienne vie, proche du design graphique. Trouver des façons de matérialiser le son électronique a toujours fait partie de mes préoccupations. C'était une façon de contrer l'omniprésence de l’audiovisualisation qui se transmet principalement par l’écran, interface qui m'apparaît aussi ennuyeuse que l’ordinateur, un outil trop efficace pour être intéressant. 

Quand j'ai fait mon entrée dans le monde des arts numériques autour des années 2000, la tendance était à un processus de dématérialisation radical, émanant d'une sorte de déification du numérique, de cette "révolution" à laquelle on semblait croire aveuglément, comme si rien n’avait existé avant. Intégrer des objets matériels était une façon de contrer la virtualité de l’époque. A cela s'ajoute un passé de batteur, qui m'a fait garder le goût de la relation tactile avec mon instrument.

Vous semblez en effet avoir une prédilection pour les objets vétustes : machines à écrire, cloches, objets analogiques et mécaniques…

C’est justement pour contrer l’ordinateur que je me suis tourné vers le monde des objets. Le vieux qui dialogue avec le nouveau me donne le sentiment de trouver un équilibre, de ne pas tomber dans les extrêmes, dans la croyance aveugle envers les données d’une époque. Je cherche un équilibre entre la "matière immatérielle", le code, et la "matière matérielle", les objets. Je trouve ainsi beaucoup d'inspiration dans l'histoire de l'acoustique, dans le XIXe siècle. J'utilise par exemple des diapasons. L’idée m'en est venue lorsque je travaillais avec des objets mécaniques, qui génèrent des sons bruités sans hauteur tonique.
Le diapason me permettait d'introduire des sons tenus. J’ai commencé à l'intégrer dans mes performances et improvisations avant d’en arriver à l'automatiser dans l’œuvre frequencies (a), en 2012.

Quel lien entretiennent les différentes pièces de la série frequencies ?

Mes œuvres précédentes étaient davantage paysagistes ou mécaniques que fréquentielles [la musique fréquentielle ou spectrale repose sur la décomposition du son, s'intéresse à son "infiniment petit", N.D.L.R.]. Le lien entre les projets de la série frequencies se situe au niveau de la matière sonore et visuelle utilisée : des sons basiques comme des signaux sinusoïdaux, du bruit et de la lumière réfléchie dans l’acrylique transparent pour former une esthétique inspirée par les courants minimalistes. La matière sonore de frequencies (synthetic variations) a servi de base à l’œuvre suivante, frequencies (light quanta), qui est un travail sur la particule.

Ce qui m’a mené à articuler métaphoriquement l’œuvre autour de certains principes de base de la physique quantique [qui décrivent le comportement des particules élémentaires, l'infiniment petit de la matière, N.D.L.R.] : probabilités, dualité onde/particule, discontinuité formelle, etc. La combinaison des sons et des images, en nombre limité, s'inspire de ces principes, pour créer une représentation possible de l'infinitésimal.

frequencies (light quanta). Installation de Nicolas Bernier. Du 6 mars au 5 avril 2015 – 13h30 à 18h30. Vernissage le 5 mars.

 

Autres rendez-vous avec la scène québécoise en 2015-2016 :

 frequencies (light quanta), Nicolas Bernier
 Machine Variation, Martin Messier
Soak, Martin Messier & Caroline Laurin-Beaucage

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