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Herman Kolgen révèle l'énergie atomique - interview

Arts numériques Publié le 22/11/2019

Artiste multidisciplinaire reconnu à l'international pour ses créations en arts numériques, le Montréalais Herman Kolgen signe une installation/performance au croisement de l'art et de la science. Après deux ans de recherche en collaboration avec des chercheurs du GANIL (Grand Accélérateur National d'Ions Lourds) et une résidence au Cargö (Caen) pour le festival Interstice, l'artiste présente ISOTOPP, un dispositif visuel et sonore qui met en scène, en temps réel à partir de données concrètes, l'énergie atomique.

Pouvez-vous revenir sur la genèse de ce projet ? Quelles interrogations ISOTOPP soulève-t-elle ? 

Après avoir rendu les fréquence terrestres apparents avec SEISMIK, j'ai été amené à travailler sur un autre phénomène invisible, la radioactivité, par le biais d'ISOTOPP. Lors d'une représentation de la performance SEISMIK au festival Interstice à Cean, des scientifiques qui étaient dans la salle m'ont proposé de visiter le centre de recherche GANIL  pour que je puisse m’en inspirer et potentiellement créer une oeuvre. Déjà très attiré par le phénomène des fréquences terrestres invisibles qui nous influencent beaucoup, travailler sur la radioactivité, matière également invisible et qui intérfère avec notre système biologique, m’a tout de suite intéressé. J’y ai vu une grande similitude entre ces deux phénomènes de fréquences invisibles qui viennent perturber notre métabolisme. 
 

 


Quel a été le contexte de votre résidence de deux ans au GANIL et sur quels axes avez-vous travaillé ?

J'ai effectué beaucoup d' allers-retours entre Montréal et le GANIL pendant ces deux ans. Pendant toute cette période le festival Interstice s’est assuré du lien et de la fluidité entre les scientifiques et moi. Nous avons commencé par des visites de mise en contexte afin que je puisse bien comprendre avec quelles matières et outils les scientifiques travaillent et que je puisse leur soumettre différentes approches. Ensemble, nous avons continué à les approfondir en étudiant leur faisabilité. Nous avons rassemblé et pris en compte mes idées, mes demandes, les informations qu'ils pouvaient me donner et le materiel auquel je pouvais avoir accès. Plus on avançait, plus on se concentrait sur un aspect précis qui m’inspirait beaucoup et allait aussi dans le sens de leur recherche. 

Ces dernières années, il y a eu des avancées considérables en médecine nucléaire. Cet aspect m’a également interpelé car malgré le fait que le nucléaire soit controversé à notre époque, beaucoup de découvertes sont très bénéfiques pour la santé des humains, sur des maladies incurables. Ces avancées résident dans le mouvement des atomes qui passent d’un état instable à un état stable, et l’inverse. C'est ce transfert d'énergie qui a été la base de mon développement artistique pour ISOTOPP.
 

Comme s’est passée votre collaboration avec les scientifiques et quelles ont été leurs réactions devant l'installation finie ? 

J’ai rencontré des scientifiques qui avaient une grande ouverture d’esprit, ce qui a facilité l'échange et le développement du projet. J’ai pu sentir de leur part que notre collaboration pouvait apporter un vent de fraîcheur et même peut-être, sans prétention, un autre point de vue sur leur travail. Un point de vue non scientifique évidemment, mais un point de vue émerveillé sur les thématiques scientifiques.
Ils m’ont confié qu'échanger avec quelqu'un d'enthousiaste pour leurs recherches leur faisait beaucoup de bien. La première fois que j'ai présenté ISOTOPP a été un moment très important pour moi. Il y avait le public dans la salle et deux scientifiques dont j’appréhendais la réaction. J'avais peur de les décevoir, qu'ils voient mon travail comme déconnecté de ce que eux perçoivent de l'énergie atomique. Après la performance, j’ai été touché par leurs réactions, l’un d’eux m’a même dit qu’il avait eu la larme à l'oeil parce qu’il sentait que j’avais réussi à transmettre en partie cette energie nucléaire ! Les scientifiques ont perçu mon approche artistique et esthétique en accord avec la représentation qu’ils se faisaient de ces transferts d’énergie, du stable à l’instable.
 

  


pensez-vous que l’art et la science ont des points de convergence et COMMENT ÉVOLUE cette relation ? 

Au fil de nos discussions, je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de points communs entre la démarche scientifique et la démarche artistique. À condition bien sûr d'adopter une grande ouverture d'esprit et de déployer des antennes pour capter ce qui nous est extérieur, en le passant par un filtre de réflexion personnelle. Ce rapprochement demande aussi de respecter les petits et grands phénomènes qui nous entourent et surtout, de ne pas avoir d’idées préconçues, d’être capable d'apprendre même dans l’échec ou dans ce qui ne nous apparaissait pas évident a priori. L'artiste doit aussi être en état de recherche, à l'écoute de son intuition, avec vigilance quant aux phénomènes inattendus, et persévérance face aux essais, aux erreurs, aux échecs. ​Les scientifiques stimulent et inspirent les artistes mais certains artistes peuvent aussi inspirer ou du moins apporter une lecture plus transversale sur la façon d’aborder leurs recherches. 
Je dirais même que nous avons partagé des discussions d’ordre spirituel. Les scientifiques sont très sensibles à cette pensée spirituelle à laquelle l’art peut être connecté, avec une certaine abstraction, une certaine force invisible.
Parallèlement, j'ai l'impression que de tous temps les artistes sont inspirés par les développements scientifiques et technologiques. Grâce à l'accessibilité des outils technologiques, nous vivons dans une époque  où il y a de plus en plus de ponts entre l’art et la science.

 

 

Vous avez présenté dans un premier temps ISOTOPP sous la forme d'une installation, comment l'avez-vous adaptée en performance ? 

La première version d’ISOTOPP était une installation beta. Ce prototype m’a servi à tester le dispositif et à vérifier comment il prenait sa place dans l’espace, ainsi qu'à voir les premières réactions du public. Cette étape a été assez importante et m'a permis d'en tirer des conclusions pour bâtir la deuxième version.

Dans cette version, l’installation s’est transformée en performance car afin de la présenter sous une forme vivante et ainsi contrôler et faire évoluer le dispositif en temps réel. Sous ce format performance, je suis relié au GANIL et je reçois directement le monitoring de la radioactivité du centre de recherche. Je peux alors être en création constante : le système devient comme un instrument artistique que je dois apprivoiser. C'est cette version qui sera présentée à Stereolux en novembre 2019.

Après plusieurs représentations, je suis maintenant en mesure de développer une version 3, une version installation qui va tirer avantage de toutes mes explorations au cours des différentes performances. Bonne nouvelle, cette version installation est déjà prévue pour être présentée en Corée du Sud en 2020.
 

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le volet pédagogique de la performance ? 

Dès le départ, le festival Interstice avait l’intention de relier ce projet avec l’Ecole Supérieure d’Art et Médias de Caen. Ils avaient comme souhait que mes démarches avec les scientifiques puissent avoir un écho auprès des étudiants. J'ai trouvé intéressant le fait de démystifier la démarche artistique, de partager avec eux mes interrogations, mes croquis, mes différentes approches, la faisabilité et les contraintes techniques… Souvent les étudiants se retrouvent en face d’une oeuvre déjà aboutie, ce qui peut sembler quelquefois déstabilisant ou même impressionnant. Mais lorsqu’on part de la genèse, qu’on suit toutes les étapes sur une échelle de temps de travail, cela démystifie la démarche artistique.

C’est aussi pour moi très enrichissant de partager non pas juste la finalité mais tout le processus de travail, d’interrogation et de perseverance pour arriver à s’approcher de la vision qu’on s’était faite de notre projet.