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Et si... : la troublante virtuosité de la giration (interview)

Danse Publié le 04/01/2022

La danseuse Lora Judokaite est adepte de la giration. Elle tourne sur elle-même sans relâche depuis l'enfance, comme pour atteindre l'œil de son propre cyclone où le calme est miraculeusement absolu. Le 14 et 15 janvier, elle dansera dans le spectacle "Et si...", au cœur d'un environnement lumineux créé par l'artiste et plasticien Maxime Houot. Une performance pluridisciplaire unique, dont la chorégraphie est signée Rachid Ouramdane, directeur du Théâtre National de Chaillot. Maxime Houot et Rachid Ouramdane reviennent pour nous sur cette création collective.

RACHID OURAMDANE - MAXIME HOUOT - LORA JUODKAITE


Et si... est le fruit de votre collaboration. Comment a débuté ce travail commun, et de quelle manière s'est construite cette performance ?

MH : Nous nous étions déjà rencontré tous les 3 en 2017, à l’occasion d’une performance réunissant Abstract (une pièce que je développe avec Collectif Coin) et A Côté du Réel (une pièce de Rachid et Lora). Cette rencontre avait été assez naturelle, ça fonctionnait bien ! Du coup au moment de développer MA [NLDR : performance audiovisuelle du plasticien], j’ai demandé à Rachid de venir jeter un œil. C’était mon retour sur scène après 10 ans à développer des formes plus monumentales pour l’espace public. J’avais besoin d’un regard extérieur. En discutant tous les deux sur cette machine, ce spectacle (mon solo, MA), on a eu envie d’aller plus loin et d’écrire une nouvelle pièce pour Lora, moi et la machine de MA.

RO : Ce qui m'intéresse dans le travail de Maxime est la façon dont il approche le mouvement de la lumière et comment elles composent des paysages mouvants et abstraits. C'est déjà de la chorégraphie en soi. Pour cette nouvelle collaboration, Maxime proposait de partir de la machine de MA qui a entre autres la particularité de mettre des lumières en giration. La rencontre entre cette machine et ma collaboratrice Lora Juodkaite qui elle développe une danse qui s'appuie aussi sur une très longue giration m'a semblé évidente. Je suis sensible à la façon dont l'art de la répétition/modulation convoque notre attention, créant des expériences qui viennent troubler notre perception du temps. C'est souvent dans ces moments où mes repères sont faussés que je vis des moments qui me font sortir de l'ordinaire. J'ai l'impression que c'est ce qui se produit dans la rencontre entre ce double mouvement hypnotique que proposent Lora et la machine de Maxime.

MA, performance audiovisuelle de Maxime Houot. Fimée début 2021 à Madrid, au Teatros del Canal.

Rachid Ouramdane, vous travaillez depuis plusieurs années avec Lora, danseuse, dont la pratique de la giration est remarquable. Elle pratique ce tournoiement depuis l’enfance comme un rituel quotidien qui la met dans un état second. Quelle est la particularité de votre travail chorégraphique ensemble pour Et Si… ?

RO : Le tournoiement que propose Lora peut paraître extrêmement spectaculaire mais c'est aussi une expérience très fragile qui repose sur la durée et la continuité de ce mouvement. C'est toujours une « traversée » et pour moi tout le travail avec la présence de Maxime, sa musique et le mouvement de la machine repose sur le fait de trouver un juste équilibre qui permette d'éprouver ce continuum sans qu'on le perde le spectateur.

Vidéo tirée du court-métrage "Dans le noir on voit mieux" de Rachid Ouramdane, dans le cadre du projet L'ADN Dance Living Lab. Pour voir la vidéo en intégralité, cliquez ici

 

Le spectacle lie danse et scénographie sonore. Pourquoi ce dialogue ? En quoi diriez-vous que la performance A/V et la chorégraphie se nourrissent-elles l'une et l'autre ?

MH: En tout cas je crois que c’est ce qu’on recherche : comment la machine et le corps peuvent entrer en résonance ? Et même au delà: comment leS corps, la machine, la lumière, le son peuvent se fondre en une nouvelle matière. Après la première de MA, au BAM Festival de Liège, j’ai eu une discussion surréaliste avec un prof d’école d’art. C’était dans les toilettes pour homme, un peu éméché, et il a essayé de m’expliquer ce qu’il y avait d'organique dans MA. Il me parlait des lumières comme de danseuses. Sur le moment j’ai pas trop capté. Mais au bout d’un moment j’ai perçu cette fragilité, cette imprédictibilité de cet assemblage de moteur et d’acier. Continuer cette recherche avec Rachid et Lora maintenant est assez évident.

RO : Et si... est un grand mouvement visuel et sonore où ce que l'on a coutume d'appeler scénographie, chorégraphie se perd un peu car les lumières sont autant chorégraphique que le mouvement de Lora, la musique de Maxime crée un état contemplatif de la même façon que la giration de Lora nous « hypnotise » ; j'ai l'impression que tout contribue à un alliage où fusionne la force poétique de l'ensemble des éléments de cette performance.

Répétition de Et si... Photo © Sébastien Ciaravino

Le titre de la performance, Et si..., semble introduire une éventualité, une hypothèse. Pourquoi ce titre ?

MH : C’est un peu ça, une hypothèse. A la manière des chercheur·es : on pose les conditions de départs pour une expérimentation, et on explore les possibles évolutions, les solutions qui peuvent émerger.

RO : Oui c'est exactement ça !