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Culture club et libération des corps : rencontre avec La Fraicheur et Véronique Lemonnier (interview)

Musique Publié le 17/08/2021

Ferventes défenseuses de la culture club, souvent déconsidérée par les institutions, la DJ et globe-trotteuse La Fraicheur (Perrine) et la performeuse et danseuse Véronique Lemonnier se sont associées sur une performance redéfinissant les clubs comme un espace permettant de célébrer les corps, les énergies collectives ou encore le lâcher-prise. Un entretien engagé en vue de leur venue à Scopitone le 18 septembre prochain. 

Para One · Catnapp · La Fraicheur & Véronique Lemonnier


Connaissiez-vous le travail de l'une et de l'autre avant de vous retrouver sur cette performance ?

Perrine : Nous nous sommes rencontrées sur la piece M.A.D. de Julien Grosvalet pour laquelle je composais la bande son que je joue également en live et dont Veronique est une des danseuses centrales depuis l’inception du projet. Nous avons partagé beaucoup de moments ensemble lors de nos résidences artistiques et avons créé un lien particulier grâce à la techno et à ce qu'elle libérait en nous. Quand le Printemps de Bourges a proposé de créer une performance covido--compatible, cela a été une évidence que de se rapprocher encore davantage pour créer cette pièce.

Dans votre performance, qui lie danse et techno, vous revendiquez la légitimité de la culture club dans l'écosystème culturel. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Perrine : La culture club, qui englobe différentes musiques électroniques et différentes situations allant de la free party au club citadin, est une culture qui est passée d'une situation marginale à une incroyable diffusion, et faisant partie intégrante de la vie de générations entières et malgré cela, elle ne bénéficie d’aucune reconnaissance pour ce qu’elle apporte et représente. Non seulement elle n’est pas reconnue comme culture (avec les avantages qui vont avec en termes de soutien et financement) mais elle est stigmatisée et perçue comme une menace à contenir ou à réprimer. Les clubs ne dépendent pas du Ministère de la Culture mais du Ministère de l'Intérieur, cela veut tout dire. 

On ne cherche pas la validation d'un gouvernement pour savoir que notre culture est légitime alors qu’elle est historiquement née de la contestation et d’une nécessité de se créer soi-même une communauté quand les pouvoirs publics nous laissent à l'abandon (que ca soit à Detroit, berceau de la techno ou encore avec le mouvement des free party). Il n’y a rien d'étonnant la dedans. En revanche, il est inacceptable que notre mouvement, en plus d’etre méprisé, soit réprimé dans la violence comme cela a pu être le cas avec les raids de policiers sanglants ayant menés à la mort de Steve Maia Canico à Nantes ou encore lorsqu'un danseur s'est fait arraché la main à Redon. Personne ne mérite de mourir parce qu’elle ou il veut danser. 

Pour nous, créer cette performance prenant une forme plus "acceptable" et "artistique" aux yeux des institutions, c’est infiltrer le monde culturel pour sensibiliser un public plus large au fait que nous sommes des artistes, des créateurs et des créatrices, une culture, et que l'on mérite le même respect que le cinéma, la littérature ou encore le théâtre. Nous avons joué la pièce au Printemps de Bourges devant un public qui, pour la moitié, n'avait clairement jamais mis les pieds dans un club. En somme, un public qui a besoin de voir, ressentir et donc comprendre la culture club autrement qu'à travers la propagande diabolisante du gouvernement à travers les médias. Nous ne sommes ni des délinquant·es, ni des terroristes. Nous sommes des êtres humains sensibles qui expriment nos identités, nos sentiments, nos frustrations et nos colères à travers l’art et nous ne méritons pas qu’on nous envoie le GIGN pour nous réprimer.

Comment avez-vous vécu la fermeture prolongée des clubs depuis le début de la pandémie ? Comment vous sentez-vous à l'approche de leur réouverture ? 

Perrine : Très difficilement.. Le club est un éco-système intégral qui nourrit et soutient différents aspects de la vie et sans lequel il est difficile de trouver un équilibre mental ou émotionnel. Le club est un espace communautaire essentiel qui tisse du lien social, et la danse est à la fois un défouloir, un moment méditatif d'introspection, une forme d’expression individuelle, une connexion avec son corps. Pour beaucoup, une nuit en club procure à la fois une thérapie, un exercice physique, une expression créative, un nourrissement culturel et un tissu social. Le club est donc un catalyseur qui propose dans un même espace-temps tout ce dont un être humain a besoin pour vivre sainement. Tu nous retires ça et on perd pied. En perdant les clubs j’ai tout perdu d’un coup et ma santé mentale et physique en a beaucoup souffert.

Véronique : Personnellement, cela a été (et ça l'est toujours) un grand manque de ne pas pouvoir me retrouver dans une foule, dans le noir, et taper du pied pendant des heures. Ça me permet d'extérioriser pas mal de choses. Et puis j'atteins un lâché prise que j'ai du mal à retrouver ailleurs. Pour moi le club c'est vraiment un espace unique. Je suis danseuse, c'est mon travail et dans ces espaces je me reconnecte à un endroit de la danse sans devoir produire quelque chose. C'est un peu comme une transe que tu construis tout au long de ta soirée. Chacun·e a son propre rythme, ses propres rituels mais tout le monde veut faire décoller sa conscience à travers le corps. J'ai été heureuse d'apprendre la réouverture des clubs, puisqu'ils ont été les grands oubliés tout au long de cette pandémie. Cela montre bien le peu de considération et le manque de valeurs accordées à ces espaces. Mais si la pandémie repart, ce sera les premiers que l'on fera fermer. Comme d'habitude.

Les musiques électroniques ont toujours été un moyen de dénoncer les injustices sociales et le club a pu se révéler être un endroit de lutte contre ces dernières. Avez-vous l'impression que cette parole est écoutée ? Quelle place la danse occupe-t-elle dans ce processus ? 

Véronique : La danse est un très bon moyen pour se réapproprier son corps. C'est assez magique à quel point cela peut rendre heureux·se de simplement bouger sur de la musique. C'est une vraie thérapie. Quand on traverse des épreuves, des remises en question ou quoi que ce soit en tant qu'être humain, se servir de son corps et de la musique pour "s'actualiser" est un outil incroyable. On sait maintenant que le corps est relié à nos émotions et je pense qu'on n'a pas assez conscience du pouvoir que l'on a à travers ce dernier. J'ai l'impression que tout le monde vie avec sans se rendre compte que c'est un être vivant dont il faut s'occuper, prendre soin et qu'il peut aussi nous aider. Ce sont des milliards de cellules interconnectées dont on ne connait toujours pas tous les secrets. Selon moi, le premier espace où l'on doit se sentir bien c'est "chez nous", dans notre propre corps. Ensuite, dénoncer les injustices sociales c'est une chose, les combattre en est une autre et on est encore loin du compte.

Perrine : La danse permet de reprendre possession de son corps, quand la société capitaliste et patriarcale nous impose de l'utiliser uniquement pour travailler et consommer ou ne légitimise que selon ses dangereuses conceptions archaïques. C'est en se réappropriant son corps à travers la danse que l'on développe la confiance de se réapproprier le corps social et donc d'avoir la force.