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Créations déconfinées : les artistes electro jouent avec la contrainte

Musique Publié le 02/09/2021

Cette année, plusieurs collaborations inédites “post-pandémie” émaillent la programmation du festival Scopitone. Nous nous sommes entretenu·es avec leurs protagonistes (à retrouver sur les soirées live) pour mieux en saisir les enjeux, ainsi que l’influence de la période actuelle sur leur processus créatif.


PRENDRE DES CHEMINS DE TRAVERSE

C’est un autre type de vague que l’on aura attendu, parfois redouté, pour finalement ne constater que de vagues clapots dans océan créatif : pas, ou peu, d’albums de confinement, ou déclarés comme tels. Pour autant, le milieu artistique qui, comme beaucoup d’autres sphères, aura subi la pandémie de Covid-19 avec une violence inédite, a dû trouver des chemins de traverse. Pour maintenir une activité, déjà, mais aussi, voir avant tout, parce que créer, c’est continuer d’exister.

Ce n’est pas un hasard si Scopitone accueille cette année une série de projets audiovisuels inédits, émergés des contingences de ce monde devenu plus étrange encore qu’à l’accoutumée. “Je pense que la pandémie a “créé ce projet”, atteste la danseuse et performeuse Véronique Lemonnier, qui partagera la scène avec La Fraîcheur le samedi 18 septembre. “C'est à cause des restrictions sanitaires que le Printemps de Bourges a proposé à La Fraîcheur d'être accompagnée pour jouer son set. Il est vrai que les contraintes amènent souvent des liens et des connexions que nous n'aurions peut-être pas fait.” La Fraîcheur de renchérir sur la pertinence d’une performance commune dans un contexte où le rapport à la sensibilité corporelle est encore bridé par la distanciation sociale : “C'est en se réappropriant son corps à travers la danse qu'on développe la confiance de se réapproprier le corps social et donc d’avoir la force”. Matérialiser la danse sur scène pour la maintenir dans le discours artistique sert évidemment le propos de cette collaboration, qui entend rendre hommage à la culture club, mise sous cloche pendant la quasi-intégralité de la pandémie. “Pour nous, créer cette performance qui prend une forme plus “acceptable” et “artistique” aux yeux des institutions, c’est infiltrer le monde culturel pour sensibiliser un public plus large au fait que nous sommes des artistes, des créateurs et des créatrices, une culture et qu’on mérite le même respect que le cinéma, la littérature ou le théâtre.”

© La Fraicheur

JOUER AVEC LA CONTRAINTE

Reste le concret. Créer à plusieur·es, dans les conditions qui ont été celles de la pandémie lors des 18 derniers mois, a parfois relevé de la gageure. Tryphème et Ulysse Lefort, sur ce point, ont eu de la chance. “Nous avons été en colocation un certain temps, et nous avons collaboré de manière informelle sur de nombreux projets créatifs, comme un demi-lévrier en argile, des photos, de la musique, des vidéos”, raconte Ulysse. Ce qui a naturellement amené Tryphème à penser à lui lorsqu’on lui propose de créer un live audiovisuel à 360 degrés. Pour Véronique Lemonnier, la contrainte est devenue une opportunité : “Impossible de répéter avant, c’était trop compliqué avec le Covid, les salles de répétitions étaient fermées, on ne savait même pas si on allait performer. Nous avons donc défini des "règles du jeu", je pense que ça sera un projet qui aura une saveur particulière à chaque date”.

On pense en outre aux problématiques démultipliées auxquelles ont dû faire face les quatre artistes derrière la performance Bird Signals for Earthly Survival, à savoir ڭليثرGlitter٥٥, Mehmet Aslan, Stratis Vogiatzis & Malo Lacroix, habituellement éparpillé·es autour du bassin méditéranéen. Parce qu’on ne change pas le monde à force de meetings sur Zoom, évidemment, les artistes se sont retrouvé·es à Lyon pour condenser leur session de création. ڭليثرGlitter٥٥ raconte : “nous avons échangé en visio avant la résidence pour partager les premières idées autour du projet. La musique pour Mehmet, les images pour Stratis, les effets, la typographie pour Malo et les textes pour moi. C’était étrange de rencontrer les personnes pour la première fois le premier jour de résidence, la semaine a été très intense malgré le travail en amont.” Leur performance, du point de vue du discours, se trouve parfaitement alignée avec cette utopie du “monde d’après”, que beaucoup ont espéré voir émerger, puisque le quatuor a axé son travail sur la notion d’anthropocène avec pour mot d’ordre de tirer la sonnette d’alarme sur l’extinction de la biodiversité qui bouleverse nos écosystèmes.

© ڭليثرGlitter٥٥
 

SORTIR DES SENTIERS BATTUS

Le temps, une autre notion qui aura repris une place prépondérante dans l’auto-analyse que s’est offerte la société ces derniers temps. Et créer, surtout lorsqu’on cherche à sortir des sentiers battus, ça en prend, du temps. “j’ai pu expérimenter tranquillement de nouvelles techniques et manières de faire sur lesquelles je lorgnais depuis un certains temps, qui m’ont fait repenser ou découvrir de nouvelles manières de penser la fabrication d’images - et qui se retrouvent dans ce projet, qui en a été aussi une sorte de laboratoire”, reconnaît Ulysse Lefort. Tryphème, pour la partie sonore de ce projet, affirme avoir “senti durant cette période beaucoup de frustration et d’incertitude mais qui encore une fois sont un terreau fertile à la création. Je ne pense pas avoir été plus créative qu'à une autre époque, je l'ai juste été différemment, l'énergie est la même mais orientée dans une autre direction. Je fais peut-être les choses de manière plus simple qu’avant, en allant droit au but, je me pose moins de questions ou alors des questions moins complexes. Je fais juste ce qui me plaît.” Un chemin tendu vers davantage d’épure qui se traduit aussi dans des choix de matériel plus radicaux, moins complexes. Ulysse Lefort, quant à lui, a pu explorer le champ du deep learning, la génération d’image dirigée et encadrée : “C’est un exercice que je trouve passionnant car cela consiste grosso modo à cadrer et régler un système dans lequel vont croître de manière plus ou moins anarchique des objets visuels, en surveiller la croissance pour les ré-axer si besoin, ou en avorter d’autre pour les faire repartir légèrement altérés. Un peu comme une sorte de jardin tropical lunatique.”

Cette pandémie aura bouleversé tous les équilibres. Scopitone, qui revient sous une forme nouvelle après deux ans d’absence, en est l’un des nombreux exemples. Au-delà même de la simple notion de musique, le festival partage avec ces trois projets artistiques l’envie de dire le monde, en particulier celui qui vient, et qui porte désormais une empreinte indélébile. Tout en esquissant l’espoir de lendemains bien, bien meilleurs.

Par Mathias Riquier 


BIRD SIGNALS FOR EARTHLY SURVIVAL · TIM HECKER · FRIEDER NAGEL & MAOTIK

TRYPHÈME & ULYSSE LEFORT · ALEX AUGIER & HEATHER LANDER · ABRAHAM FOGG

PARA ONE · CATNAPP · LA FRAICHEUR & VÉRONIQUE LEMONNIER