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Révéler la ville invisible grâce au numérique

En 1972, Italo Calvino déchiffre dans Les villes invisibles l’identité de cités lointaines, de lieux qu’on ne peut pas voir. Il donne également à imaginer d’autres villes, invisibles car invraisemblables, évoquant leur portée symbolique, l’idée d’utopies.
Françoise Choay théorise cette lecture des villes dès 1965 en dressant le portrait d’un siècle témoin de la fin de « la ville » au profit de « l’urbain » plus large et protéiforme. Le XXIe siècle voit quant à lui naître, sous l’impulsion du numérique, un nouveau bouleversement de l’expérience et de la fabrication de la ville.
 

   
La cité-jardin utopique (HOWARD, Ebenezer, 1898 : Garden Cities of Tomorrow) // Les nouveaux outils numériques de production de la ville : le Buiding et le City Information Modelling (BIM & CIM) (Digital City, © David Fung, 31 mars 2014 - Youtube) 


Du big data à la smart city : le numérique, une histoire récente, une trajectoire longue

Les données ne sont pas le produit du numérique. Comme le décrit Antoine Picon, c’est dès la fin du XIXe siècle qu’apparaissent les données de masse - le big data - et les besoins techniques nécessaires à leur gestion, comme les machines à écrire et les tabulatrices.

C’est ensuite la naissance de l’informatique : premiers calculateurs électroniques, micro ordinateur personnel, internet puis le smartphone, qui nous fait entrer dans l’ère de la ville numérique. Aujourd’hui, le développement de la géolocalisation des personnes et des objets, ainsi que de la réalité augmentée, crée une continuité totale entre l’espace physique et l’espace numérique.


Visualisation des flux domicile-travail à l’échelle de l’agglomération de Nantes en septembre 2007. Image réalisée à partir des données de téléphonie mobile de communication du réseau Orange de 2007. © Camille Boulouis


François Ménard propose trois portraits de villes numériques. La ville ubérisée, terrain de jeu et nouveau marché pour des entreprises privées. La ville offrant un bouquet de services, telle qu’a pu la décrire Isabelle Baraud-Serfaty, où les données permettent la création de plateformes et le développement de nouveaux usages. La ville collaborative, la ville open source, où le partage des données vise une plus forte participation citoyenne.
 


L’application GPS Waze, enrichie en temps réel par les données utilisateurs. © Innovant.fr

Apparaît cependant le risque d’une ville technophile, sclérosée par la matérialité de ses infrastructures (capteurs, réseaux et datacenters) et confrontée au respect des données privées. La ville numérique doit révéler sa sensibilité afin de remettre l’humain et l’inclusion au cœur de ses enjeux.
 


La « virtualité augmentée » dans Sim City (2013).  © Pierrick Rancoeur
 


Représenter la ville numérique : de la ville des choses qui sont à la ville des choses qui arrivent

Difficile d’appréhender la matérialité des données d’une ville numérique, à la fois trop ignorée (avez-vous déjà vu un datacenter ?) et trop familière (votre smartphone tient dans votre poche…). Quand les premières théories du numérique ont commencé à s’appliquer à la ville, l’idée était de dupliquer la ville réelle, de passer d’une ville de briques à une ville de bits (A. Picon). Une transposition qui induit une nécessaire remise en question des représentations traditionnelles - la carte, le plan, la coupe - à travers un dialogue avec d’autres disciplines des domaines du design, des arts, etc.


Modélisation par maquette 3D des parcours quotidiens de Claire Sauvaget, artiste plasticienne. © Claire Sauvaget
 

Cette représentation des données permet, d’entrer dans la boîte noire de la ville numérique. Elle offre une appréhension des faces subjectives et imaginaires de la ville invisible, traduisant les usages, les représentations, les émotions de chacun. Reflet de nos pratiques individuelles mais aussi des mutations de nos sociétés (Eric Sadin), la ville semble alors de plus en plus considérée comme la somme des événements qui s’y déroulent, c’est-à-dire comme un ensemble de choses qui arrivent.

« Les villes comme les rêves sont faites de désirs et de peurs, même si le fil de leur discours est secret, leurs règles absurdes, leurs perspectives trompeuses ; et toute chose en cache une autre. » Italo Calvino

Les membres de la revue Sur-Mesure
 

 

En croisant les approches scientifiques et créatives, le cycle “Ville (in)visible” propose d’explorer les façons dont la traduction numérique des données urbaines peut être représentée et visualisée.