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LE JEU À L’ISLANDAISE

L’Islande est une incroyable anomalie dans le paysage pop mondial : comment un si petit pays, qui compte à peine 320 000 habitants, peut-il générer autant de (bons) groupes ? Comme pour beaucoup de pays du nord de l’Europe, la réponse peut être trouvée dans une certaine prospérité économique, une ouverture culturelle exceptionnelle, un apprentissage précoce de la musique et une pratique collective du chant ancrée dans des traditions encore très vivaces. Revue des troupes, avec son cortège de noms imprononçables.
/ Vincent Théval

Qu’ont en commun Vök, M-Band, Low Roar et Rökkurró, sinon d’être basés à Reykjavík et de partager l’affiche à Stereolux le 31 janvier ? Sans trop forcer le trait, on pourrait pointer un goût certain pour les ponts : entre les machines et les hommes, entre les époques, entre les pays. Le récent troisième album de Rökkurró (une sorte de trip hop aquatique) est ainsi le fruit de quelques années passées entre Tokyo, Londres et Reykjavík. Le passeport américain de Ryan Karazija (Low Roar) ne fera pas oublier à quel point sa musique, évoquant volontiers Sigur Rós, est profondément imprégnée des paysages de son pays d’adoption. Le trio Vök navigue dans des eaux troubles que The XX a fréquenté avant lui. Quant à M-Band (une sorte d’Antony on ice : chant fiévreux sur electronica abstraite), son cas est exemplaire : il s’agit du projet solitaire de Hörður Már Bjarnason, un garçon qui multiplie par ailleurs les collaborations et les groupes, avec Retrobot, Nolo ou Tonik.

C’est un élément récurrent au sein de la scène islandaise : on navigue facilement entre les projets. Reykjavík est une petite ville, les rencontres et les collaborations y sont faciles. Et l’idée du collectif, parfois interdisciplinaire, y est très prégnante. S’en échappent régulièrement des individualités plus fortes. Depuis trente ans, les exemples abondent, à plus ou moins grande échelle.

Le plus spectaculaire – et fondateur – est sans doute KUKL, collectif expérimental auquel participe la toute jeune Björk entre 1983 et 1986. Il reste de cette aventure deux albums studio et une postérité fameuse : c’est sur les cendres de KUKL que se forment les Sugarcubes. Avec eux et leur rock acidulé, Björk porte sa carrière à un niveau international. Entre 1986 et 1992, le groupe publie trois albums sur le label anglais One Little Indian, lequel reste aujourd’hui l’une des structures-clés pour les groupes islandais.

Depuis vingt ans, la chanteuse mène une carrière solo stupéfiante : elle agace parfois mais n’a jamais dévié d’une ligne exigeante, privilégiant les expériences au surplace. Dans son sillage, certains de ses principaux collaborateurs ont fait des étincelles, comme l’ingénieur du son et producteur Valgeir Sigurðsson, qui depuis 2007 enregistre ses propres compositions instrumentales, expérimentales et féériques.

D’autres collectifs ont marqué l’histoire de la pop islandaise, comme les incontournables Sigur Rós, qu’on ne présente plus, ou les moins connus Mùm, une demi-douzaine de multi-instrumentistes, auteurs d’une myriade de 45t merveilleux et de cinq albums indispensables, mélange de musiques électroniques et d’orchestrations plus traditionnelles, porté par des voix gracieuses. Parmi elles, celle d’Olöf Arnalds, auteure par la suite d’albums folk minimalistes absolument sublimes. On se souvient aussi de Gus Gus, formé au milieu des années 90 autour d’artistes travaillant dans les arts visuels et la musique. En 1997 et 1999, ses deuxième et troisième albums connaissent un beau succès, grâce à des chansons électroniques minimalistes et entêtantes (comme le single Polyesterday). Énormément de musiciens sont passés par Gus Gus, dont Emiliana Torrini, aujourd’hui bien installée comme artiste solo.

Beaucoup de monde aussi au sein de Hjaltalín (neuf musiciens issus du Conservatoire, pour une pop orchestrale sublime, notamment sur leur Sleepdrunk Seasons de 2007) ou encore de Seabear : sept musiciens, emmenés par Sindri Már Sigfússon (qui publie aussi des disques en solitaire sous l’alias Sin Fang), composent une musique à mi-chemin entre folk et électronique, camouflant ses mélodies sous des couches de percussions, de claviers et d’harmonies vocales. Mais ce ne sont là que quelques noms parmi beaucoup d’autres : la carte au trésor est incomplète mais invite aux plus intensives recherches et aux plus belles découvertes.

Apéro islandais à 19h30 Concert – Vök, M-Band, Low Roar, Rökkurró samedi 31 janvier – Salle Micro – 20h30