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Liber Numericus, état des lieux critique de l’art du livre (par Nicolas Houel)

Arts numériques Publié le 24/06/2016

Jusqu’au 3 juillet 2016, la plateforme Intermedia de Stereolux accueille Liber Numericus. A travers un recueil d’œuvres, cette exposition installe le médium livre dans une scénographie dessinée pour souligner sa position actuelle, particulière, à la frontière entre la littérature, la création contemporaine et les nouveaux médias.

Quand les drôles de dames s’associent à Stereolux

A l’initiative de l’exposition, un trio féminin, associées à la force productrice de Stereolux, ont permis à Liber Numericus de voir le jour. 

Anaïs Guilet est maîtresse de conférences en Lettres et en Sciences de l’information et de la communication, elle boucle sa thèse sur la thématique « Pour une littérature cyborg : l’hybridation médiatique du texte ». Soline Haudouin est directrice de l’Agence Folklore spécialisée dans le développement d’initiatives culturelles et artistiques depuis 2014. Aurélie Tiffreau est historienne de l’art, commissaire d’exposition et critique.

Les trois profils s’unissent pour l’occasion et entreprennent le délicat exercice de mettre à la portée du public deux ans de travail que les spectateurs auront à saisir en quelques dizaines de minutes. 

La réconciliation du livre et du numérique

Liber Numericus

L’exposition s’appuie sur un panel d’artistes contemporains pour illustrer leurs propos. L’exposition, imaginée comme un livre et constituée de quatre chapitres, se pagine au gré des réalisations d’artistes internationaux, réunis pour l’occasion en une scénographie intimiste au sein de laquelle se mêlent performance, œuvres interactives et ouvrages inédits, tous réunis sous la bannière fédératrice du livre, de son image et de ses multiples formes.

« On est dans une période de transition. Deux modes médiatiques qui cohabitent. On annonce la mort du livre depuis des siècles. En fait il prend juste d’autres formes. Parchemins, Gutenberg et l’imprimerie… aujourd’hui on a de nouvelles couches. A chaque fois on annonce sa mort et il ne meurt pas, il évolue. 

Aujourd’hui on est dans une démonstration de la possibilité de ses évolutions, qui sont à la fois celle d’être connecté [Waldeck Wegrzyn – Electrolibrary] avec un livre connecté mais toujours  papier. A côté de ça on a The Nine Eyes of Google Street View, [Jon Rafman - Jean Boîte Editions], qui absorbe le numérique.

Tous les modes de relations sont envisageables. Le propos n’est pas de les mettre sur le ring, et de faire de la prospective pour savoir qui va gagner. Notre réponse : ni l’un ni l’autre,  cela va même donner lieu à une pluralité de formes, toutes plus intéressantes les unes que les autres » nous révèlent Anaïs, Soline et Aurélie.

 

 

Un parcours entre interactivité et contemplationLiber Numericus

L’obscurité confortable de la Plateforme Intermedia laisse délicatement place aux œuvres, qui animent l’espace dans une variation d’écrans, d’animations, d’objets interactifs et d’ouvrages hissés au rang d’œuvres d’art. L’ambiance est confidentielle, et l’exposition questionne aussi la posture du spectateur et de son rôle. 

L’exemple est tout trouvé : alors que l’artiste Carole Brandon performe à distance la broderie d’un flux Facebook imprimé sur une tapisserie, le public la sous la  forme d’une vidéo-conférence, et se voit offrir la possibilité de communiquer en direct avec elle, par claviers interposés.

La suite de l’exposition offre des œuvres contemplatives, tel les Googolplex Stack de Various Artists, véritable colonne de livres superposés donnant au public une notion de l’incommensurable quantité d’informations contenues par Internet ; ou encore l’imposante installation murale de Florent Lagrange, Documents : Open [Source] Hearing : un subtil mélange où se présentent entremêlés la matière brute du support d’accroche, les pages imprimées du manifeste Open Hearing et les objets modélisés et imprimés en 3D, puis installés au gré des pages à l’image de bas-reliefs.

S’ensuivent tablettes et autres expérimentations électroniques qui prennent le rôle d’objets à observer, parfois à feuilleter. La déambulation aboutit - ou s’entame, selon le sens de visite - au salon. Quatre fauteuils d’époque et une étagère qui foisonne d’ouvrages imprimés invitent à un instant de pause. 

Confortablement installés, on se laisse happer par l’univers de Jean Boîte Editions, et de son incomparable Google, Volume 1, réalisé par King Zog et où les 1 328 pages de l’ouvrage dévoilent la première réponse de Google Images à chacun des 21 110 mots du dictionnaire Oxford English Pocket Dictionary, un véritable régal visuel et intellectuel, qui entraîne indéniablement dans un jeu de déductions haletant.

Etre « spectacteur » de ces changements

Le sujet n’est donc pas à la discorde entre livre et numérique, mais bien à l’observation des liens qu’ils tissent entre eux, et à l’avenir dans lequel ils s’engagent de front. Subjective, la relation du livre au lecteur et du lecteur au livre est en renouvellement permanent, et l’exposition Liber Numericus nous en propose un état des lieux en ce début du XXIe siècle où la pratique du numérique et du livre se voit saisie par des créateurs contemporains qui nous en fournissent leur vision singulière.

Liber Numericus, c’est le rapprochement critique du positionnement des artistes, mêlé à l’interprétation qu’en auront les spectateurs. 

Et être spectateur de Liber Numericus, c’est être confronté à ces médiums que nous pratiquons quotidiennement, devenus habitudes et sur lesquelles nos interrogations se sont parfois taries.

Plonger dans l’univers de l’exposition, c’est s’apercevoir que tout redevient possible, qu’un simple brin d’imagination permet d’être projeté dans un éventuel Liber Numericus Volume 2, où livre et numérique ont évolués, où les supports, les procédés et les pratiques sont métamorphosés, mais où sera toujours posée la même question, intemporelle : qu’est-ce qui fait livre ?

 

L'exposition Liber Numericus en images