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ÉCRANS & NUMÉRIQUE : DES CONSÉQUENCES SUR LE LANGAGE ?

Action culturelle Publié le 07/12/2016

L’avis de Marine Chérel, orthophoniste
 

En tant qu’orthophoniste, quel est votre rôle dans le rapport des enfants à l’écran ?

Notre métier n’est pas de dire ce qui est bien ou mal, ni la manière dont il faut faire les choses. Simplement, on constate qu’un certain nombre d’études attestent de l’effet délétère des écrans chez de jeunes enfants. Dans notre pratique, il s’agit plutôt de se pencher sur la question de ce qu’on peut mettre en place en termes de prévention, de savoir comment nous pouvons communiquer là-dessus. Il est de notre responsabilité de dire aux parents ce qu’on sait. Sans cela, c’est rapidement David contre Goliath. Des groupes de réflexion d’orthophonistes s’organisent un peu partout, tel « Joue, pense, parle » en région parisienne. Le programme belge de prévention de la maltraitance « Yapaka » a également de très belles campagnes, comme « Écrans en veille, enfants en éveil » et des affiches qui disent par exemple : « avant 6 ans, la meilleure partie elle la joue avec un ballon ».

 

Par où commence-t-on pour parler d’écrans aux parents ?

Le point central, c’est la question de l’âge. Avant 6 ans, le petit doit apprendre à se construire en tant que sujet parlant. Sa construction, l’acquisition du langage, sa représentation du monde, se font dans ces années-là. L’idée c’est zéro écran avant 3 ans. Aujourd’hui, on nous propose aussi des « tablettes éducatives » pour tout-petits. Or c’est n’importe quoi, pas de tablette avant 6 ans ! Je vois des enfants avec un gros retard de langage qui me répondent, quand je leur demande ce qu’ils ont fait de leur week-end : « j’ai fait de la manette ! » Je demande toujours aux parents combien de temps leur enfant passe-t-il par jour devant les écrans. Ensuite, limiter l’usage des écrans aide à la rééducation. Les parents sont généralement ouverts à de micro-changements, et ça c’est déjà très bien.

 

Quelles conséquences sur les enfants qui vivent un trop-plein d’écran ?

Principalement des difficultés à se concentrer, ainsi que des problèmes de frustration. C’est prouvé pour les enfants avec des troubles du comportement par exemple. L’écran abime la capacité à avoir une concentration soutenue. Et l’écran interactif, c’est-à-dire la tablette, les jeux vidéo ou le web, procure du plaisir, un peu comme une addiction naissante. Donc si tu trouves ça cool, tu as envie d’y retourner ! De même, si ton seul moyen de calmer ton enfant est de lui mettre une tablette entre les mains, c’est qu’il y a un problème. Ce qui me préoccupe le plus c’est le retard de langage oral chez des petits, doublé d’une exposition aux écrans non adaptée. Mais attention, on a été alarmiste pour la télé dans les années 80-90, et finalement on s’en est bien sorti ! (rires) Tout est en fait une question de mesure.

 

On imagine que l’écran peut aussi être un outil intéressant pour une orthophoniste…

Oui évidemment. Pour les enfants, à partir de 8 ans environ, dans leur rapport au langage écrit par exemple. Pour ceux qui ont des difficultés d’orthographe, un clavier c’est génial ! Pas besoin de former les lettres… Et puis, on ne le dit pas assez, mais c’est super pour les adultes souffrant de maladies neurodégénératives ou d’aphasie.

 

Percevez-vous une évolution du rapport à l’écran ?

Oui, et pas seulement en ce qui concerne les enfants ! Rien qu’en salle d’attente, on pourrait s’abstenir de mettre des magazines, les adultes jouent à Candy crush… Quant aux petits, lorsqu’ils veulent agrandir une image sur un ordinateur par exemple, ils veulent le faire en posant et écartant leurs doigts directement sur l’écran… comme si tout était tactile. Ils ne connaissent pas autre chose.

 

Quels conseils pour les parents ?

Privilégier le réel. Pour apprendre le mot « pomme » par exemple, mettez-vous dans la cuisine, faites une recette avec votre enfant. Ou montrez-lui le fruit sur un livre, un imagier. Il n’y a rien de pire que de montrer une pomme sur une tablette en disant « une pomme ». Pour les ados, il faut poser des bornes, savoir à quel moment il faut arrêter.

 

Propos recueillis par Elsa GAMBIN

 

 

Dossier « Écrans & numérique » réalisé par Bigre dans le cadre d’un partenariat avec Stereolux