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Du geste quotidien au mouvement artistique

De la banalité du quotidien à la performance artistique, le geste traverse nos vies. / Baptiste BACOT

Le geste peut être automatique et exécuté mécaniquement ou bien relever d’une discipline corporelle de longue haleine. Réfléchi ou non, presque anticipé, à peine esquissé, très affirmé, habile ou manqué, on peut recenser une gamme de gestes quasi infinie témoignant de l’inscription sociale et historique des corps. Ils renseignent non seulement sur nos intentions (conscientes ou non) et celles de notre entourage mais aussi, de manière plus générale, sur les savoirs et les pratiques inhérents à une époque et un lieu donnés.

Il peut paraître plus intéressant, au premier abord, d’envisager les gestes experts, répétés jusqu’à leur assimilation totale, ceux du peintre, du souffleur de verre, du chirurgien, du danseur ou du musicien. Par leur virtuosité, ils fascinent, marquent la mémoire et suscitent l’admiration. Ils exigent en effet une précision infinie et doivent être exécutés au moment opportun sous peine de faire échouer la réalisation picturale, musicale, artisanale ou, plus grave, l’intervention médicale. Pour qu’une interprétation musicale soit réussie, il est impératif que les musiciens se synchronisent et que leurs gestes soient nets et précis.

Dans certaines œuvres de musique contemporaine qui intègrent l’électronique – comme Luna Park (2011) de Georges Aperghis – les interprètes sont amenés à porter des capteurs de mouvements qui déclenchent ou modulent des événements sonores. Leurs gestes ne portent alors plus sur un instrument de musique mais s’étendent à l’espace qui les entoure et doivent donc être réinventés tant dans leur écriture que dans leur mise en œuvre.

Les gestes experts constituent un vaste champ, mais ne s’intéresser qu’à eux reviendrait néanmoins à occulter un aspect fondamental du langage de nos corps, qui s’expriment dans toutes nos activités communicationnelles : la moindre de nos conversations est ponctuée de gestes dits « coverbaux », qui accompagnent et valorisent la parole pour en faciliter la réception (ce phénomène s’est d’ailleurs cristallisés dans l’expression « joindre le geste à la parole ») ; la graphie parle de son scripteur dont les gestes sont transcris par l’encre. Qu’ils soient donc experts ou quelconques, travaillés de longue date en vue de leur assimilation ou triviaux et exécutés sans réfléchir, les gestes constituent un champ d’étude très vaste.

Ainsi, du fait de sa transversalité, la notion de geste est étudiée par de nombreuses disciplines des sciences humaines et sociales, parmi lesquelles on peut citer, entre autres, la psychologie cognitive, l’anthropologie, la sociologie, la linguistique, les sciences de l’information et de la communication, la philosophie, la musicologie ou encore l’histoire. Les sciences formelles, l’ingénierie et les sciences de l’informatique prennent également le geste pour objet à des fins de modélisation et d’ergonomie, dont on trouve le prolongement dans des domaines aussi divers que l’industrie, la domotique ou les pratiques artistiques.

Depuis les trois dernières décennies de la fin du xxe siècle, les travaux scientifiques sur le geste se sont multipliés et connaissent un réel essor lors de la décennie suivante, notamment marquée par la création, en 2002, de l’International Society for Gesture Studies, qui se donne pour mission de promouvoir les travaux sur le geste humain, explorant des axes de recherche tels que le rôle et l’organisation des gestes dans la conversation présentielle, les aspects universels et culturels du geste, la relation entre geste, pensée et langage ou le rôle du geste dans l’évolution humaine et le développement de l’enfant.

Les journées du geste qui ont eu lieu les 6 et 7 novembre 2014 sont dans la lignée des Gestures studies, ainsi qu’en ont témoignées les interventions et les discussions riches et variées de cet événement.

Baptiste BACOT, doctorant à l’EHESS et collaborateur à l’IRCAM, bénéficie du soutien financier du programme Paris Nouveaux Mondes