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De quoi le livre numérique est-il le nom ?
(par Anaïs Guilet)

Ebooks, livres homothétiques, enrichis, augmentés, interactifs, le livre numérique possède des contours pour le moins flous. Il est une sorte d’O.L.N.I. (Objet Littéraire Non-Identifié), dont la difficulté à le dénommer témoigne de son statut d’objet encore en construction. Mais que désigne le terme de « livre numérique » exactement ? 

Du livre homothétique…

Le marché du livre numérique a commencé à prendre de l’essor à partir de 2003 et, depuis 2010 environ, la grande majorité des nouveautés publiées par les maisons d’édition est également disponible en version dites « homothétiques », c’est-à- dire dans une transposition strictement identique au livre papier déjà existant.

Néanmoins, cette idée d’un livre numérique reproduisant exactement le texte papier peut paraître trompeuse tant elle semble insinuer que la transposition numérique n'apporte à elle seule aucun changement. Or, à part dans le cadre des numérisations d’ouvrages telles que les pratiques par exemple la B.N.F. depuis 1998 avec Gallica, la majorité des livres homothétiques mis à disposition par les éditeurs nécessitent un travail de « mise en numérique »: polices de caractère, sommaires interactifs, recherche de mots, dictionnaire etc. nécessitent du codage.

…au livre enrichi

Ce qui nous conduit au livre enrichi qui utilise les possibilités techniques du format numérique afin d’apporter des éléments de contenu supplémentaires. Ce type de livre numérique a pu se développer particulièrement grâce à l’ePub, un format de fichier non propriétaire qui tend à devenir un standard pour l’édition de livre numérique. L’ePub a l’avantage d’être une forme ouverte qui, parce qu’elle se base sur le langage HTML, permet de produire des œuvres hybridant les formats propres au Web et à l‘imprimé.

Le livre numérique peut alors intégrer toutes les caractéristiques de l’hypermédia : image, son, animation, vidéo, et hyperliens.

 « Cette obscure clarté »1 qu’est le terme livre numérique 

 Livre homothétique ou enrichi, la persistance du terme livre doit être ultimement relevée. Parler de livre pour décrire toutes les œuvres littéraires sur nos écrans, ne constitue-t- il pas un abus de langage ?  Si l’on reprend la définition du dictionnaire, le livre est un « assemblage d’un assez grand nombre de feuilles (…), portant des signes destinés à être lus »2 .

Ainsi, du point de vue de leur matérialité, les œuvres disponibles sur tablettes ou liseuses ne sont pas des livres. Le terme « livre numérique » apparaît alors comme un oxymore, ce-dernier ne pouvant être à la fois constitué de 0, de 1 et de papier. Et c’est en tant que tel que le livre numérique est le plus intéressant.

A travers la reprise de ce mot, il démontre à quel point il est encore difficile de penser la chaîne éditoriale ou même la littérature hors de ce paradigme culturel incontournable qu’est le livre. Inutile de remonter jusqu’à Gutenberg pour prouver son importance historique fondamentale. Si le dictionnaire définit le livre essentiellement en tant que support de texte, chacun sait qu’il est l’objet d’une symbolique et d’une aura qui dépasse sa simple matérialité.

C’est ce caractère symbolique que les éditeurs numériques cherchent à intégrer en persistant à désigner par « livre » ce que nous pourrions peut-être plus justement décrire comme des œuvres hypermédiatiques du fait de leur appartenance au numérique et de leurs caractéristiques hypertextuelles ainsi que multimédia. C’est que le terme de « livre numérique » a pour le moins une dimension rassurante pour les éditeurs, les auteurs, comme pour les lecteurs non-initiés à l’hypermédia.

De plus, il permet de maintenir l’aura littéraire de ces productions. Comme le fait remarquer la chercheuse Nolwenn Tréhondart :

« Aujourd’hui, le livre numérique est tiraillé entre la tradition du livre papier, dont il imite parfois les formes et les figures, et des innovations formelles parfois si audacieuses qu’elles déconcertent le lecteur. Nous sommes en présence d’un objet aux formes encore expérimentales, en quête d’identité, dans une recherche permanente entre fond, forme et finalité de lecture. » 3

Et ce sont ces dimensions expérimentales qui seront explorées lors de la table-ronde qui aura lieu à Stereolux le 22 juin prochain, en compagnie de Guillaume Vissac de publie.net, de Karine Duperret de l’Apprimerie et de François Millet à l’initiative du projet Nouvelle page.

1. Le Cid, Corneille
2. Le Petit Robert. Paris : Dictionnaires le Robert, 2004, p. 1503.
3 Nolwenn Tréhondart, « Le livre numérique, un objet textuel non identifié » dans le dossier : « Les métamorphoses numériques du livre III », Dazibao : revue de l’agence régionale du livre PACA, n°36, pp42-44, mars 2013, en ligne :http://www.livre-paca.org/public_data/publication/1457003674/daz36.pdf, consulté le 13/06/2016.

Anaïs Guilet
Maîtresse de conférences en Lettres et en Sciences de l’information et de la communication
Université Savoie Mont Blanc
Laboratoire LLSETI, équipe G-Sica
www.cyborglitteraire.com