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Born bad records : Histoire d'un label engagé !

Musique Publié le 18/03/2016

Le label français du rock indie s'invite à Stereolux en 2013 à travers une conférence et une soirée. Coup de projecteur, on vous en dit plus avec l'interview de JB, le boss du Label, des tracks, des pochettes d'album, et quelques chiffres ! / Adrien Toffolet

Il nous accueille chez lui. Comprendre : la maison où il vit avec sa famille mais aussi là où il travaille. Dans un coin de véranda un brin désordonné, il s'est organisé un bureau avec ordinateur et téléphone à portée de main. D'énormes piles de disques sont parsemées ci et là. Rien de plus. Jean-Baptiste Guillot est à la tête d'un des plus gros et des plus respectés labels indépendants de France et pourtant il est seul, depuis 2006, à faire tourner la boutique.

On aurait pu imaginer que Born Bad Records était comme un gang où chaque employé portait tout l'attirail du rocker, des boots aux cheveux coiffés en banane. Mais c'est les cheveux ébouriffés, en t-shirt et bermuda qu'il nous reçoit. Seul. Pas de secrétaire. Pas d'attachée de presse. Pas de stagiaire. Seul avec toutes les difficultés de gérer un label en contexte de crise du disque, mais avec assez de passion pour vivre heureux. Pendant l'interview, en fonction des sujets abordés, il s'excite, tape du poing sur la table. La fougue qui l'anime force autant le respect qu'elle fait peur parfois. Rencontre avec un type qui n'a pas sa langue dans poche.

Interview

Il y a quelques années, tu disais que Born Bad ne tiendrait pas plus de 5 ans, et tu es toujours là…

C’est vrai que je pensais que j’allais m’essouffler avant. C’est tellement d’énergie et c’est un tel volume de travail ! Je suis tout seul pour tout faire. Je travaille de chez moi, je m’occupe de tout. J’ai une très grosse cadence de sortie et les groupes qui sont chez Born Bad font beaucoup de choses, donc ça demande beaucoup d’attention et il faut être présent. A ça s’ajoute les rééditions, plus le travail de fabrication de disques pour une cinquantaine de labels indés. Mais tant mieux. Aujourd’hui, je peux tenir les mêmes propos en disant que je vais peut-être tenir 10 ans… T

u sais moi ma pire angoisse, c’est de devoir retourner dans le salariat, comme un con à devoir me taper 3 heures de bagnole par jour, 8 heures d’un boulot que je n’aime pas. J’ai espoir que le label me protège de ça le plus longtemps possible. Donc si ça peut durer 20 ans, je signe tout de suite ! Mais c’est très difficile de se projeter dans le temps parce que c’est un secteur où on gagne tellement peu d’argent et il est tellement facile et rapide par contre d’en perdre, qu’en l’espace de 6 mois je peux basculer en faillite. Pour l’instant j’ai été assez épargné. Je n’ai pas sorti de disques qui n’ont pas marché.

 Tout ce que j’ai sorti a fonctionné. J’en suis le premier étonné, j’ai sorti 60 disques maintenant, c’est quand même dingue que tous aient trouvé leur public, même les disques de qualité moyenne !

Ça fait 10 sorties par an en moyenne…

Ouais ça fait beaucoup ! Mais bon, c’est un équilibre très fragile. Faut que je sois tout le temps au taquet parce que dès que je relâche la pression, je le vois bien, le temps file… C’est ça qui est fatiguant : c’est une course d’endurance interminable. Il n’y a pas de répit, pas de vacances. Ce n’est pas une sinécure, c’est un engagement de tous les instants. Mais évidemment, ma passion c’est mon travail et inversement. Je ne m’investirais pas autant si j’étais caissier de supermarché… Je suis, au final, extrêmement bien loti et ravi de tout ce qui arrive à mon label.

Financièrement, c’est précaire ?

Pour dire les choses très clairement, je me fais l'équivalent d'un smic. Le disque, c’est un produit qui a une marge très faible. Mon chiffre d’affaire est conséquent mais ma marge bénéficiaire est très faible. Je ne gagne même pas 2 euros sur chaque disque vendu. C’est rien du tout. Alors se dégager un smic, c’est déjà pas mal !

Comment fais-tu alors pour dégager un smic ?

J’ai un faisceau de revenu qui fait que je m’en sors. Et c’est aussi possible parce que je n’ai aucune charge. Le label me coûte 0 euros à faire fonctionner. Je n’ai pas de local, le téléphone et l'ordinateur sont à moi. Le midi, je mange chez moi de façon frugale. Je n’ai pas de déplacements, je ne bosse que devant un ordinateur.

Le fait que Born Bad soit une réussite dans une industrie en crise, ça a un sens particulier ?

C'est exaltant pour moi d'évoluer dans une conjoncture aussi mauvaise. Ça me glorifie et c'est ça que les gens saluent. C'est super de pouvoir ressentir ce respect chez les gens. Je suis fier que mon projet existe et soit important pour certains. Je suis heureux. Chez les majors, c'est pas marrant, l'ambiance est morose mais faut les comprendre. Tu peux pas travailler sereinement avec la peur du licenciement, avec pour seul objectif de faire de l'oseille.

Quand j'étais chez EMI, moi-même j'étais un peu cynique, désabusé, donc tu peux pas en vouloir à ces gens qui sont dans ces grosses machines. Il faut travailler dans un milieu enthousiaste pour être enthousiaste parce que tu te nourris du milieu dans lequel tu travailles et des gens avec qui tu travailles. Aussi, je vais bien parce que les artistes avec qui je bosse sont chouettes humainement. Le fait que le milieu soit en crise et qu'il n'y ait plus d'argent, ça apporte quelque chose de riche parce qu'en général les problèmes viennent toujours de velléités financières. Moins il y a d'argent, plus il y a de libertés et de volonté de passer du bon temps..

Il ne reste plus que l'humain et la musique. C'est ça qui fait aussi qu'il y a une famille Born Bad.

Il n’y a que la fatigue ou la lassitude qui pourrait te stopper en gros ?

Si les gens arrêtent d’acheter les disques surtout ! La machine s’arrêterait d’elle-même. Aujourd’hui, je rentre dans une phase de maturité avec le label, où maintenant je suis clairement inscrit dans le paysage comme gros label indépendant.

 "Sans prétention, on va dire que je suis le plus gros label de rock’n’roll en France –ça fait bien marrer quand tu vois que je suis tout seul avec mon ordi et mon téléphone." 

Et ce qui est difficile maintenant pour moi, c’est de ne plus être un outsider, statut qui te permet d’avoir beaucoup d’attention de la part des gens. Ma position est moins confortable aujourd’hui, mes disques sont moins attendus. Je ne fais plus partie de la nouveauté, je fais partie de l’establishment, c’est plus compliqué.
La réédition aide quand même encore à surprendre les gens.

C'est facile de se renouveler quand on fait de la réédition ?

Oui, j’arrive à me renouveler, c’est une des forces du label. J’ai un spectre de rééditions qui s’étale sur 40 ans et ça c’est rare. En général, les labels de réédition sont spécialisés dans un genre ou une époque. Moi, j’ai ce balayage qui permet de susciter de la curiosité, surprendre les gens. Et ce qui fait ma singularité, c’est que je ne sors que des choses françaises. C’est toujours plaisant pour les gens de voir que, contrairement à ce qu’on nous dit, quelque soit les décennies, il y a des gens qui ont fait des trucs de tarés et des choses singulières en France.

Certains t’appellent « l’archéologue du rock français », ça te convient ?

Oui ça me va. Mais je ne sais pas si c’est de l’archéologie. Il y a de ça... Ça appelle d’avoir une connaissance musicale très pointue –même si je me fais aider de spécialistes. En plus, ça demande d’être très attentif. J’essaye toujours d’être en amont des tendances et des modes. Quand j’ai publié Wizz, personne n’écoutait les trucs sixties français et aujourd’hui, ce sont devenu des classiques.

Il y a moins de 10 ans, personne ne connaissait, et si tu leur faisais écouter, ils se foutaient de toi et te disaient « mais qu’est-ce que c’est que cette merde » ! Et puis, je suis dans l’exhumation, et pas ce que font certains labels qui rééditent en compilation des choses déjà disponibles. Ce qui est intéressant dans le fait de faire une compilation, ce n'est pas de mettre 15 morceaux cul à cul, mais c'est de rechercher et documenter un thème. Il y a un côté ludique de cherche au trésor. Il n'y a rien de plus gratifiant et génial que de tomber sur un disque que tu ne connaissais pas. C'est une quête. C'est ça qui me nourrit aujourd'hui, c'est ça qui me fait vraiment bander. Je fais ce boulot pour ça, pas pour vendre des disques.

Tout en faisant attention à ne surtout pas perdre d'argent quand même...

Bien sûr, quand tu choisis cette voie, ce qui est important c'est de faire de l'argent pour assurer la pérennité de ce que tu fais. Après, si tu veux vraiment faire de l'argent, il faut plutôt monter un site de poker en ligne, vendre du shit ou être cadre chez Total. C'est pas le choix de vie que j'ai fait et je suis très heureux de la vie que j'ai.

BORN BAD RECORDS

8 ans d'activisme musical
60 albums produits
18 groupes signés
Un nombre incalculable de supers visuels